Chapitre 23

Effectivement, le matin de la chasse, Evelyn se présenta dans une tenue adaptée, rayonnante.
Jusqu'à la dernière seconde, Daraen avait espéré que Rayn se soit moqué de lui. Cela n'aurait pas été la première fois. La désillusion fut donc plus grande encore en l'apercevant avec tout son attirail. S'il avait toujours un maigre espoir de pouvoir un jour s'entendre avec la jeune femme, ses dernières chances venaient de voler en éclats. 

Aimer la chasse, quelle idée ! 

Le garçon n'y participait pas par choix. Il s'agissait là d'un devoir royal dont il devait s'acquitter au moins deux fois par an, exhibant aux yeux de ses sujets les plus fidèles, s'il pouvait appeler ainsi toutes ces vipères attendant leur heure pour le mordre à mort, ses talents de chasseur. Cela ne l'empêchait pas de trouver cette tradition barbare, bien loin des chasses paysannes qui servaient essentiellement à varier un peu leurs maigres repas ou des battues dont le principal but était la régulation des espèces pour plus de sécurité. Ici, les nobles tuaient pour leur simple plaisir. 

Peut-être se sentaient-ils grandis d'avoir ainsi le droit de vie et de mort sur d'autres créatures vivantes incapables de se défendre face à leurs armes meurtrières. Qu'en savait-il ? Il n'avait jamais réussi à se mettre à leur place. Cela dépassait de loin les limites de sa compréhension. 

— Ma Dame, s'empressa Jeanne en se mettant à quatre pattes pour permettre à Evelyn de monter en selle. 

Ne pouvait-elle utiliser ses étriers, comme tout le monde ? s'indignait silencieusement le roi qui dut se retenir d'intervenir. Cela n'aurait causé que plus de problèmes par la suite à la pauvre Jeanne qui faisait son possible pour satisfaire les demandes de sa capricieuse maîtresse. 

— J'ignorais que tu ne savais plus comment monter à cheval, la railla Rayn qui arrivait avec son destrier. 

— Et manquer de froisser mon ensemble ? Un peu de sérieux, je te prie. 

Le soldat n'insista pas et rejoignit Daraen qui l'observait d'un air circonspect. 

— J'aurai essayé, répondit-il à sa question muette d'un haussement d'épaules. 

Le petit groupe, accompagné d'une poignée de gardes et de quelques domestiques, finit par s'avancer à travers bois jusqu'à rejoindre une clairière dégagée. 

Certains jeunes nobles désireux de prouver leur valeur en chassant le gros gibier s'étaient élancés à travers bois à la poursuite d'une biche qui avait dû leur échapper au vu de l'air maussade qu'ils affichèrent à leur retour, bredouilles. 

Daraen arma son fusil, le cala dans le creux de son épaule et pointa son canon vers le ciel. L'arme était bien plus lourde qu'une épée et, excepté lors de la chasse, il n'avait guère l'occasion d'en faire usage. L'idée d'utiliser d'autres armes que des épées rebutait les Astréens qui s'étaient spécialisés dans cet art. Il laissa donc plusieurs proies filer, le temps de s'adapter. 

Lorsqu'il appuya enfin sur la détente, la détonation se fit entendre à des kilomètres à la ronde, répercutée en échos dans les collines aux alentours. Jeanne poussa un cri et se couvrit les oreilles. La pauvre était terrifiée. 

— Jeanne, aboya Evelyn. Mon fusil, plus vite que ça ! 

— Comme nous le pensions, Sa Majesté est un merveilleux chasseur. Vous l'avez eu du premier coup, s'empressèrent de le complimenter les ministres rassemblés autour de lui alors qu'une perdrix tombait au sol. 

Il s'abstint de tout commentaire, observant d'un regard morne un domestique aller récupérer son seul et unique trophée de chasse. Il ne comptait pas participer davantage à cette mascarade morbide. 

Un autre coup de feu retentit et on jura à côté de lui. 

— Vous l'avez touché, Ma Dame, la félicita Jeanne qui luttait contre ses tremblements. 

— Touché, pas tué, s'indigna Evelyn en lui jetant son fusil. Recharge-le en vitesse. 

Ses yeux restaient rivés sur sa proie. La faible créature, un lapin qui s'était montré sous le coup de la peur, tentait de se sauver en sautillant avec grandes difficultés en direction des bois. 

La petite servante se débattait maladroitement avec l'arme, peinant à insérer la cartouche dans la chambre. En panique, elle croisa le regard de Rayn qui, discrètement et tout en lenteur, lui montra comment procéder. Soulagée, elle répéta ses mouvements et rendit le fusil à sa maîtresse qui mit l'animal en joue avant de tirer. 

L'animal s'écroula, mort. 

— Dépêche-toi d'aller le chercher, idiote. J'ai manqué le perdre par ta faute. 

Jeanne se précipita dans le champ à la recherche du petit corps inerte et le ramena à la noble qui prit un air de dégoût en le voyant. Elle se tourna ensuite vers le soldat et s'inclina à maintes reprises pour lui témoigner toute sa reconnaissance. 

Ah, si seulement sa sœur pouvait être à moitié aussi mignonne qu'elle ne l'était. Daraen lui porterait certainement plus d'intérêt. 

À cette pensée, le jeune homme chercha son ami des yeux. Il eut beau balayer plusieurs fois la clairière, il ne le trouva pas. 

— Où est Sa Majesté ? interrogea-t-il un garde pourtant chargé de sa protection. 

Mais personne ne s'était aperçu de la disparition soudaine de leur souverain. 

C'est ce moment que choisit l'orage pour éclater. Le ciel se déchira dans un puissant grondement et le déluge s'abattit sur les chasseurs qui n'étaient nullement préparés à recevoir la pluie. 

— Votre Majesté ! Vous nous entendez ? Majesté ! 

Les chasseurs et leur garde s'étaient dispersés dans la clairière et tentaient de se faire entendre par-dessus le tumulte de la pluie. Très vite, leurs vaines tentatives furent anéanties par l'arrivée du brouillard qui dévora le monde. 

Ils n'y voyaient plus à trois mètres et durent se rendre à l'évidence : Ils ne parviendraient pas à le retrouver dans ces conditions. 

C'est là qu'il apparut. Lancé au galop, le cheval de Daraen traversa l'épais brouillard et se cabra devant un groupe de soldats qui parvinrent à le maîtriser non sans quelques difficultés. 

Le cheval était revenu, mais sans son cavalier.

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