Chapitre 2
Le landau cahota, arrachant un cri de souris à Evelyn. Dieux ! ce que cela pouvait être agaçant. Elle s'était cognée la tête contre la fenêtre alors qu'elle s'endormait. Rayn leva les yeux au ciel mais s'abstint de faire toute remarque désobligeante à sa sœur. Il n'en pensait toutefois pas moins.
Marmonnant des paroles fort peu distinguées pour une femme de son rang, Evelyn s'assura de l'état de sa coiffure, lissant ses cheveux par-ci par-là du plat de la main. Elle se devait d'être parfaite en ce jour si spécial. Une fois terminé, elle lança un regard noir à son frère qui faisait mine de regarder le paysage. Son geste ne lui avait pas échappé.
— De quoi ai-je l'air ?
Rayn s'arracha à sa contemplation et l'observa rapidement en silence. Il ne prit même pas la peine de dissimuler son ennui. Il agita la main d'un geste agacé.
— Une véritable poupée.
Comme toujours, manqua-t-il d'ajouter avant de s'abstenir. Ces paroles ravirent la jeune femme qui n'avait pas encore compris que dans sa bouche, ces mots avaient un sens purement péjoratif. Oh, certes, les poupées étaient belles, mais elles étaient superficielles et surtout, vides. Et vide, le cerveau de sa sœur l'était pour sûr.
Il s'accouda à la fenêtre et déposa le menton dans la paume de sa main. Elle comprit qu'elle n'obtiendrait rien de plus de sa part. Il était inconcevable pour Evelyn qu'il puisse lui préférer le paysage. Surtout lorsqu'il n'y avait rien à observer, excepté un épais coton blanc et soporifique. Elle ne le comprenait pas et ne cherchait pas non plus à le faire. Elle ne s'attendait plus à rien de la part d'un militaire. Ces derniers étaient bien incapables d'apprécier à leur juste valeur les atours féminins.
— Je me demande ce qu'est devenu Daraen, lança-t-elle innocemment en jouant avec l'une de ses boucles d'or.
— C'est Sa Majesté, la rappela-t-il à l'ordre d'un ton dur.
Un vrai petit soldat dans toute sa splendeur. Elle haussa les épaules d'impertinence.
— Je ne vois pas où est le mal à l'appeler par son prénom. Nous sommes amis d'enfance après tout. Et puis, nous serons bientôt mariés.
Rayn ne put réprimer un long soupir. Il est vrai qu'ils avaient joué quelques fois ensemble par le passé, mais cela remontait à avant que le roi Arthurus III ne soit brutalement emporté par la maladie, laissant alors le poids du trône et de la couronne à son unique fils, âgé d'une dizaine d'années. Depuis, ils n'avaient plus eu la moindre nouvelle.
Il fut donc incroyablement surpris le jour où ils reçurent une missive au manoir. Celle-ci était brève, sans fioriture. Elle invitait sa sœur à se rendre au palais dans l'optique d'un mariage avec Sa Majesté Daraen. Une nouvelle choquante qui réjouit la jeune femme. Elle avait toujours aimé le prince sans jamais s'en cacher.
Le lendemain, ils étaient dans la voiture en route pour le palais royal.
Rayn avait beau y penser et y repenser encore et encore, il n'arrivait pas à comprendre ce qui avait bien pu passer par la tête de son ami. De toutes les femmes qu'il pouvait avoir, pourquoi avait-il choisi cette idiote d'Evelyn ? Cela ne lui ressemblait pas.
Oui, enfin, cela ne ressemblait pas au Daraen qu'il avait connu dans son enfance. Qui sait ce qu'il était advenu depuis.
— Tu crois que la rumeur dit vrai ?
La question d'Evelyn l'arracha à ses pensées. Il cligna des yeux, essayant de comprendre ce qu'elle sous-entendait par là. Des rumeurs, il y en avait à foison. À un point tel qu'il avait fini par cesser d'y prêter la moindre attention. Et puis, celles-ci se révélaient bien souvent infondées. Il préférait laisser ça aux femmes au foyer en manque d'affection et de stimulation.
— Celle du roi des Lys...
Le soldat fronça les sourcils. Celle-là n'avait pas pu lui échapper. Comment aurait-t-elle pu, du moment qu'elle concernait son souverain et ancien ami ?
— Daraen était déjà très beau à l'époque mais sa réputation le précède, à présent. On raconte qu'il est si beau que hommes comme femmes tombent sous son charme. Toutefois, personne n'a jamais réussi à l'approcher. D'où ce sobriquet.
— Je n'en sais rien, avoua Rayn. On ne peut pas croire tout ce que les rumeurs véhiculent.
— Moi, j'espère que cette rumeur est vraie.
Une nouvelle fois, il leva les yeux au ciel. Tout ce qui importait chez un homme pour Evelyn relevait de son apparence physique et de sa richesse. Il avait toujours eu pitié des hommes qui l'avaient courtisée et qu'elle avait froidement rejetés.
Evelyn finit par se taire et Rayn en remercia les dieux. Eux seuls savaient à quel point il ne supportait plus de l'entendre palabrer pour ne rien dire. Il n'y avait que lorsqu'elle était inconsciente qu'elle était mignonne. Ciel ! ce qu'elle était loin l'époque où elle le suivait partout en l'appelant « grand-frère » et obéissait à chacun de ses ordres. Aujourd'hui, il n'avait plus droit qu'à des regards hautains et des paroles méprisantes.
Heureusement pour lui, elle semblait dans un bon jour. Il n'aurait pu supporter ce long trajet dans le cas contraire.
La terre battue céda la place à un sol caillouteux, du gravier sans doute. Ils ne voyaient rien avec le brouillard ambiant mais ils le sentaient. La banquette en bois vibrait sous les coussins qui leurs évitaient des douleurs au sacrum.
Finalement, les chevaux hennirent lorsqu'on tira d'un coup sec sur leurs rênes et le landau s'arrêta. Un garde se présenta à eux et offrit son aide à Evelyn. Elle manqua chanceler en posant pied à terre, les jambes ankylosées par ce voyage fastidieux. Rayn fit de son mieux pour réprimer un rire, ce qui n'échappa pas au garde qui ne savait trop comment se comporter. Ce dernier eut la brillance d'esprit de garder un visage impassible.
C'est dans un silence de plomb qu'il les conduisit à l'intérieur du palais royal.
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