Chapitre 19

Lorsque la porte se referma dans son dos, Daraen dut se retenir de se laisser choir contre les battants. S'il le pouvait, il les ferait condamner pour enfin avoir la paix. Cela aurait toutefois posé problème : Il ne pourrait plus se rendre au jardin de sa mère ni vagabonder dans les rues de la ville à l'insu de tous.

— Vraiment, soupira-t-il bruyamment. Ne peuvent-ils donc pas résoudre leurs problèmes tout seuls une fois de temps en temps ?

— Je me fais souvent la même réflexion au sujet de ma sœur.

Le roi manqua de hurler en entendant cette voix lasse sortie de nulle part. Il riva son attention sur le soldat qui, nonchalamment allongé sur son lit, un livre ouvert sur le torse, fixait le sommet du baldaquin avec ennui.

— Je ne suis pas disposé à supporter ta compagnie ce soir. Je te prierai de sortir.

— Ton lit est plutôt confortable, esquiva Rayn sans bouger le moindre muscle.

— Sors de cette chambre immédiatement, s'agaça le garçon.

Il enleva sa veste qu'il étendit sur le dossier de son fauteuil, laissant le temps à son ami de se décider à obéir. Ce qui ne semblait pas faire partie de ses priorités.

— Ta petite vengeance de ce matin t'a-t-elle soulagé ?

Rayn coula un regard de biais vers Daraen qui le dévisageait, paniqué. Il affichait la même expression qu'un enfant en train de faire une bêtise et pris sur le fait, réalisant ce qui l'attendait et réfléchissant à un mensonge qui lui permettrait d'éviter le pire.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

En vrai, c'était le sentiment que recherchait le roi. En punissant personnellement David, en l'humiliant comme il l'avait fait, en le brisant comme lui avait brisé Sophie, Daraen s'attendait à être soulagé. Du moins, il s'attendait à ressentir quelque chose. Pourtant, ce défouloir n'avait laissé en lui qu'un grand vide que le garçon avait bien du mal à expliquer.

— Je la connaissais aussi, tu sais ? Cette femme.

Le roi fit la sourde oreille, recherchant parmi les ouvrages entreposés dans sa bibliothèque celui qui l'accompagnerait pour la nuit.

— Émilia...

Le cœur de Daraen s'arrêta une seconde avant de se remettre à battre comme un fou. Une sueur froide dégoulina sur son front et le long de son dos. Quel nom venait-il d'invoquer ?

Rassemblant tout son courage, il se tourna vers son ami qui continuait à fixer le plafond.

— Sophie était ta gouvernante, à l'époque où ma sœur et moi venions encore jouer au château. C'était également la mère d'une servante du même âge que nous. Elle s'appelait Émilia, si ma mémoire est bonne.

Inconsciemment, Daraen s'était rapproché du lit sur lequel il finit par se laisser choir. Ses jambes refusaient de le porter plus longtemps. Comment Rayn connaissait-il Émilia ? Était-il au courant ? Non, impossible.

Le soldat prit le silence de son ami comme une invitation à poursuivre ses élucubrations.

— Tu sais, j'ai fait maintes fois le tour du palais à sa recherche mais je n'ai pas réussi à la trouver. Pourrais-tu me dire où cette fille est passée ?

— Comment veux-tu que je sache ce qu'il advient de toutes les personnes qui vont et viennent ? Je n'ai pas de temps à perdre avec ces conneries.

— Hé, je fais ça pour toi moi, ricana le soldat qui n'allait pas se laisser balader aussi facilement. Pour respecter cette promesse pour laquelle tu m'as forcé la main...

— De quelle promesse parles-tu ?

Rayn cessa brutalement de rire et fronça les sourcils, dévisageant son ami qui semblait pourtant on ne peut plus sérieux. Ça aussi était un souvenir inutile dont il n'avait pas hésité à se débarrasser ?

— Oye... Tu ne vas pas me faire croire que tu as aussi effacé ça de ta mémoire ? Toi qui passais tout ton temps à la dévorer du regard...

Il se tut, complètement absorbé par la vision qui s'offrait à lui. Ravagé par ses paroles, Daraen était devenu livide. Il semblait sur le point de pleurer mais aucune larme ne daignait se montrer, laissant ses yeux aussi secs qu'un désert aride.

— Oh, Daraen. Qu'est-ce qu'il t'arrive ? parvint-il à demander une fois sorti de son état d'hébétude.

— Émilia, articula le roi avec grande difficulté. Émilia est morte.

L'esprit de Rayn devint blanc. Morte ? Cette petite fille était morte ? Quand, comment, pourquoi ? Les questions se bousculaient dans sa tête sans pouvoir obtenir la moindre réponse. Lorsqu'il reprit pied avec la réalité, son corps avait bougé tout seul.

Il avait attrapé son ami et lui avait prêté son épaule pour pleurer. La tête calée dans le creux entre son épaule et son cou, Daraen tremblait de tout son être.

— Tu as le droit de pleurer, chuchota le soldat à son oreille.

Personne ne te verra, manqua-t-il d'ajouter. Il n'en eut pas besoin.

Daraen s'effondra, ses sanglots résonnant dans toute la chambre. Des larmes brûlantes dévalaient ses joues pour inonder sa bouche et imprégner la chemise de Rayn.

Le jeune homme enserra ses bras autour de son ami, le plaquant un peu plus contre lui. Sa main se posa sur sa tête et, lentement, il entreprit de lui caresser les cheveux dans un geste réconfortant.

Les battements hystériques de son cœur résonnaient à ses oreilles et il se demanda un instant si Daraen les entendait, lui aussi. Il ignorait la raison de cet affolement dans sa poitrine. Était-ce la mort de cette fillette qui le marquait autant ou était-ce d'avoir le corps de son ami ainsi collé contre lui ?

Rayn finit par fermer les yeux et attendit en silence que la détresse de son ami s'apaise peu à peu.

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