Chapitre 11

Daraen ouvrit brusquement les yeux, le regard hagard. Il lui fallut un moment pour se repérer dans sa propre chambre. Un autre pour parvenir à calmer les battements affolés de son cœur. Ce n'est qu'après avoir retrouvé une respiration posée qu'il se redressa.

Ce cauchemar... Cela faisait longtemps qu'il n'était pas venu vampiriser ses nuits de la sorte.

Les yeux du jeune roi accrochèrent l'ensemble noir sobrement décoré qui reposait sur le dossier de son fauteuil. Ce costume ridicule qu'il se voyait obligé de porter chaque année à la même date afin de respecter la bienséance et les mœurs de ce pays. Pays dont il était supposé dicter les lois. Il existait cependant des choses contre lesquelles même le roi ne pouvait lutter.

Résigné, il enfila les vêtements qui menaçaient de lui donner de l'urticaire. Il s'installa ensuite à sa coiffeuse, rassembla ses cheveux en une simple queue de cheval basse qu'il fixa à l'aide d'un fil argenté, et admira son œuvre en silence.

Son regard se perdit dans le reflet que lui renvoyait le miroir et toute pensée s'envola. Un sourire naquit brièvement sur ses lèvres dont les coins retombèrent aussi tôt. Devait-il sourire ? Montrer un visage ravagé par le chagrin ? Conserver un masque impassible pour montrer au peuple la force de son souverain face à n'importe quelle situation ?

Daraen ne savait pas. Chaque année, il posait la même question à son double du miroir et, chaque année, c'est le silence qu'il recevait pour toute réponse.

— Toi non plus, tu ne sais pas, plaignit-il son reflet d'une voix désincarnée.

Comment faisait-il, les fois précédentes ? Il l'ignorait. Ces jours brumeux s'effilochaient peu à peu pour se soustraire à sa mémoire jusqu'à l'apparition d'un nouveau. Le cycle se poursuivait ainsi, inlassablement.

On frappa à sa porte, l'arrachant à sa contemplation, et il comprit que le moment était venu. La procession, majoritairement composée de soldats et des nobles résidant dans les annexes du palais, n'attendait plus que lui pour démarrer.

Amorphe, il se hissa sur sa monture et remonta l'allée jusqu'à atteindre la tête du cortège. S'il passa à proximité de Rayn et sa sœur, il ne leur prêta pas la moindre attention. Il avait manqué ne pas les voir tellement Evelyn était anormalement calme. Il devait au moins reconnaître à la jeune femme de savoir se tenir lorsque c'était nécessaire.

La procession s'engagea à la suite de son roi et, quittant l'enceinte du château, traversa les principales rues d'Espart. Les villageois s'étaient tous rassemblés derrière les barrières érigées le long du chemin jusqu'au cimetière. Certains pleuraient à chaudes larmes, d'autres hurlaient ou agitaient leurs bras pour attirer l'attention de leur jeune monarque, mais celui-ci ne les voyait pas. Un voile avait recouvert le monde, ne lui permettant plus de distinguer que les formes.

Plus ils avançaient, plus le cortège grossissait, les bourgeois et le peuple se joignant à la noblesse pour cet hommage national. Cela devait être l'unique événement de l'année où les hommes oubliaient leurs conditions sociales pour se réunir sous une même impulsion.

Daraen trouvait dommage que tout cela soit pour un mort.

Le roi fut accueilli aux imposantes grilles du cimetière par l'homme de foi dont le temple se dressait derrière, imposant. Le cortège se réduisit alors à vue d'œil, seule la noblesse étant admise dans ce lieu saint. Le peuple ne pouvait se recueillir qu'aux grilles, les soldats montant la garde tout autour pour empêcher quiconque de s'infiltrer.

L'homme de foi dont Daraen ignorait le nom, bien qu'il ait dû le lui répéter à maintes reprises déjà, les mena à un immense caveau dont la croix seule était à taille humaine. Il était aisé de retracer l'histoire de la famille royale en ces lieux : Chaque roi érigeait pour lui et sa compagne une tombe toujours plus outrageusement grandiloquente que celle de son prédécesseur.

Le jeune souverain avait déjà vu passer sur son bureau des documents afin de débuter la construction de sa dernière demeure. Quelle taille, quels matériaux, quels ornements ? Comment diable pouvait-il le savoir... Il trouvait de très mauvais goût de préparer ainsi son dernier voyage alors que la vie lui tendait encore les bras.

Le prêtre commença ses prières adressées aux dieux. Alignés en rangées derrière leur roi, les nobles s'étaient joints à lui pour commémorer la mémoire du regretté Arthurus III. Tous semblaient savoir comment agir, quelle expression afficher. Comme si ces gestes, ces pensées exprimés par tous dans un ensemble harmonieux paraissaient naturels.

Pourtant, même face à la tombe de ses parents, Daraen n'arrivait pas à se décider sur la meilleure attitude à adopter. Il ne pouvait que fixer la pierre sur laquelle les noms du couple royal étaient gravés. Une pierre froide, sans la moindre once de vie. À quoi bon vénérer une tombe ? Cela dépassait de loin les limites de sa compréhension.

Bien installés sur la première rangée grâce à l'envieuse position de leur oncle à la cour, la famille Prester se recueillait. Du moins, c'était ce qu'aurait aimé pouvoir dire Rayn dont toutes les pensées étaient tournées vers son ami. Lui qui s'attendait à voir cet ancien pleurnicheur effondré face au caveau de ses parents, il ne voyait aucune trace de tristesse dans ses yeux noisette. Il n'y avait rien, excepté un insondable vide.

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