II

Pour la première fois en deux cycle complets, le soir ce fit clair et rougeoyant. Arri redouta cette lumière nouvelle, qui bénissait son rite de passage.

« Le soleil... »murmura sa mère en s'inclinant, comme si elle ne l'avait jamais assez vu.

Arri contemplait l'astre pour la huitième fois. Il fallait penser que les marais étaient toujours couverts par la brume ou la pluie. Arri prit presque peur de la lumière.

La nuit tomba bientôt, le manteau écarlate vira au mauve, avant de sombre dans le bleu sombre. Un bleu presque noir. La lune ne se trouvait nulle part, seule régna bientôt l'obscurité naturelle la plus complète. Aucune lumière ne fut allumée, alors que peu à peu, les marais se mirent à scintiller. Du fond des eaux, toutes les formes de vies oubliées le jour brillaient comme des milliers d'étoiles, comme une concurrence au ciel. Arri s'abaissa près des flots et joignit les mains. Sa mère comme lui, se recroquevilla le front au plus près de la coque. Dans toutes les embarcations, les jaguars faisaient de même. Sous le bois, les félins, ainsi au plus près de leur Dieu, prièrent les profondeurs et remercièrent les eaux de leur clémence. Arri récita avec tous les rimes du chant des exilées. Un hymne intime qui les reliait tous autour d'une histoire commune.

«Au fond de la brume, meurtri, je suis voyageur trahi. Au fond du brouillard, couard, je fuis l'oppression et le désespoir. Au fond des bois perdus, je ne dors plus. Je suis l'enfant déçu. Au fond de la misère, j'espère, je suis l'héritier de l'éclair. A l'eau qui nous protège, qui me nourris et me désaltère. Voici mon cœur et une prière. Nous ne connaissons de frontière. Nomades et exilés, nous abandonnons le fer. Clémence, Clémence, nous en appelons à ta clémence, Dieu des oubliés, des martyres. Seigneur de l'eau et du zéphire. »

Arri prononça les mots en chœur, sans y croire. Son front collé à la calle, il ne savait comment trouver un peu d'amour à distribuer à ce dieu bienfaiteur. Avait-il ici vraiment sa place ?

Parmi les lueurs, le pelage des jaguars luisait lui aussi doucement, d'un fin halo. Le prêtre affirmait qu'il était la preuve de leur acceptation par le grand dieu. Arri en doutais fortement. Mais cette nuit-là, ces doutes, il les enferma au plus profond de lui-même. Ce soir, il deviendrait adulte. Sa mère lui caressa les oreilles longtemps, anxieuse.

« Auras-tu assez de perles ? demanda Arri à la féline. »

Sa mère pleura doucement.

« Oui, Arri, j'ai toutes les perles qu'ils me faut. Merci, mon fils. Merci. Tu vas devenir adulte maintenant. Tu collectionneras tes propres perles. »

« Et toi, Lili'ka ? »

« Je trouverais un nouvel époux, ne t'en fait pas. »

« Tu es joli »

Tous les deux sourirent. Lili espérait bien être assez joli pour trouver un époux au plus vite, car sans le soutien de son fils, elle ne parviendrait jamais à survivre seule.

Tout à coup, un nouveau murmure se fit entendre. Les deux jaguars s'embrassèrent une nouvelle fois, avant de se séparer à regret, la cérémonie commençait.

Ils vérifièrent une nouvelle fois les nœuds de la barque. A regret, Arri réussi du premier coup. Il aurait voulu se tromper pour rester un peu plus longtemps avec sa mère. Lili pensa qu'elle était fière de son fils. Ils grimpèrent enfin dans les ramages des racines libérés des flots. Leurs pas étaient maladroits, incertain. Ils ne descendaient que très peu de leur barque. Arri ne l'avait jamais fait avant. Les enfants ne descendaient pas des navires, on les laissait jusqu'au jour levant, ou on viendrait les chercher. En regardant derrière lui, Arri croisa le regard d'une petite féline que ses parents abandonnaient derrière eux. Il se souvint de cette fois ou sa mère avait fait de même.

Je vais devenir adulte, pensa-t-il.

Arri suivit maladroitement les grands félins devant lui, qui avançait recroquevillé, entre les racines. Ils parvinrent jusqu'à une nouvelle clairière, au centre de laquelle se trouvait un puit. Dans l'eau trouble, un cercle d'eau plus translucide que l'air se trouvait, et plongeait la nuit dans le jour. Arri s'émerveilla d'une lumière aussi sensible, émotionnellement insoutenable. Il lui sembla être confronté à un être surnaturel.

Sa mère le poussa vers le grand prêtre. Il la regarda, mais elle détourna les yeux. Avec lui, trois autres enfants avancèrent. Arri s'approcha du prêtre qui leur faisait signe, près du puit de lumière.

« Le moment est venu leur annonça-t-il d'une voix solennelle. »

Il baigna sa main dans l'onde translucide. Arri retint malgré lui son souffle. Lorsque ses griffes et sa fourrure émergèrent des flots, elle luisait d'un halo plus puissant encore ! Arri se demanda tout à coup si la lumière l'accueillerait lui aussi, malgré sa trahison. Il prit tout à coup peu que Dieu, s'il existait, le punisse en le privant de la lumière. Le prêtre appela un première enfant qui plongea dans l'eau, plus petit encore qu'Arri, elle lui arrivait à la poitrine. Le prêtre plongea une coupe dans le puit et la tendit au jeune félin. Tremblant, il saisit le bol et le porta à ses lèvres. Mais rien ne se produisit. Arri souffla, soulagé. Le prêtre tandis la coupe au deuxième enfant, puis au troisième. Rien ne se produisit non plus.

Enfin vint le tour d'Arri. Plongeant lui aussi dans l'eau, il saisit le bol anxieux, et en but deux gorgées. L'eau était plus pure qu'il ne l'avait imaginé. Il ne sentait aucun goût de vase ou de racine. Sa saveur minérale le désaltéra comme il ne l'avait jamais été. Arri en eut presque les larmes aux yeux. Rien ne se produisit encore une fois. Etait-ce enfin terminé ? Mais alors que le jeune félin regardait autour de lui, il ne vit aucun adulte bouger autour de lui. Qu'attendait-il ? C'est alors que le premier enfant tomba. Raide. Un autre tremblait comme une feuille avant de

Mettre genou à terre. Affolé, Arri sentit un fourmillement dans ses membres. Ses paupières, de plus en plus lourdes tombaient par moment, sa force le quittait alors qu'un froid sinistre le prenait. Il se sentit partir en arrière. Ou étais le sol ? Il n'avait plus aucune notion de gravité. La chute se stoppa nette, sans un bruit. Il n'entendait plus rien. Ils voyaient l'un des jeunes félins recracher dans l'eau l'onde toxique. La drogue pleine de sang nourrissaient les flots un instant, avant de disparaitre, désassembler. C'est là qu'Arri compris. Rien ne teignait l'eau. Elle était plus pure que tout, aussi pure qu'aucun corps ne pouvait la porter impunément à ses lèvres. Une eau divine. Une sélection. Arri allait-il mourir ? Allongé, son corps flottait à la surface, immobile.

En tournant les yeux, il put voir sa mère pleurer doucement. Conscient, figé, il l'a vit se détourner et partir. Bientôt, plus encore prirent le départ. Deux enfants repartaient avec eux. Deux enfants qui avaient réussi, avait survécu. Et Arri ? Bientôt il ne resta que lui. Seul. Au milieu du puit du jugement. Arri, l'héritier des exilés, se retrouva bien vite abandonné. Il avait échoué.


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