VI
Liora était perceptible de loin. Cette île qui ne laissait rien paraître, comme si elle était inhabitée, était d'une tristesse incommensurable. Ses grands palmiers et sa dense forêt tropicale ne la faisaient que paraître bien plus inquiétante. Elle était comme un avertissement de loin à tous ceux qui oseraient y poser pied-à-terre. Liora était le synonyme de la misère, de la pauvreté humaine à son paroxysme.
Poster sur l'avant du navire, Jun assista au lever du soleil sur la mer bleutée. Alors qu'une faible lueur rougeoyante pointait à l'est avant même l'apparition de l'énorme couronne du soleil, il aperçut un petit truc très blanc. La forme indéterminée dansait au gré des flots. Il se demanda ce que cela pouvait bien être...C'était décoloré,bouffi...Et puis il vit : c'était un bébé.
Le choc fut viscéral, l'onde se répandant dans son cerveau jusqu'à ce qu'il le sente douloureusement comprimé par son crâne. Cela faisait pourtant assez longtemps qu'il voguait sur l'océan pour n'éprouver ni surprise ni rage. Non, c'était plutôt une ineffable tristesse, un désespoir qui faisait écho au temps où lui-même était nourrisson.
Une sorte d'anthias couleur vase, un poisson charognard rabougri, monta des profondeurs à l'ombre de la jetée pour arracher un morceau du minuscule cadavre.
Le garçon saisit un objet au hasard qui se trouvait à ses pieds sur le pont et le lança sur le poisson. Mais cette action ne dissuada pas l'affreux monstre de revenir arracher une autre bouchée.
Pris de panique, il chercha alors un moyen d'éloigner la bête du mieux qu'il pouvait. En se retournant, il s'arrêta net, croisant le regard indéchiffrable de son capitaine. Hoseok se tenait face à lui, une expression aussi lasse que mélancolique sur son visage.
– Peu importe ce que tu feras, tu ne changeras pas d'un iota l'irrémédiable cours des choses de cette île damnée.
Jun ouvrit la bouche plusieurs fois, mais aucun mot n'en sortit. À la place, son visage se tordit en une expression douloureuse, résignée. Il se retourna à nouveau, s'accouda au bastingage et détailla la dépouille suivre son cours sur l'océan, se faisant emporter un peu plus loin à chaque souffle qu'il prenait.
Mais alors, une image plus triste encore s'imprégna dans sa rétine. Au loin, sur le rivage, il remarqua des enfants. Des garçons de toutes sortes et de toutes tailles, qui vivaient manifestement aux abords de la forêt. Il voyait des infirmes, à qui il manquait tantôt un pied, tantôt presque toute une jambe, en train de s'éloigner en clopinant, un bâton coincé sous l'aisselle.
– J'ai toujours pensé que ces enfants étaient des lépreux, abandonnés là par leurs parents, intervient Seokjin qui regardait lui aussi la jetée. Ce n'est pas le cas.
Jun se tourna vers lui.
– Que voulez-vous dire ?
– Regarde bien.
Il réalisa. Ce matin, dans cette lumière, il comprit que c'étaient en réalité ces cicatrices qui les défiguraient : des morsures de rats. La moitié droite d'un des petits était ouverte jusqu'aux molaires et le nez en partie rongé. Il était hideux. À voir les yeux sous la tignasse de cheveux noirs, Jun se dit que ce pauvre petit garçon n'avait pas dû beaucoup voir son reflet dans sa vie. Car son regard était doux et sans regret. Ses blessures, récentes comme anciennes, ne faisaient que le différencier de ses camarades.
– Tu as devant toi le portrait poignant d'une destinée où les estropiés de la vie, ceux du mauvais côté de la barrière, échouent systématiquement à atteindre le bon. Une destinée ou folie et solitude sont chevillés aux corps en sueur et aux âmes torturées, et où la dignité et l'envie de s'en sortir ne sont jamais des options, expliqua Seokjin.
– Un désir infini au cours d'une odyssée existentielle où, gifle comme caresse, tout est bon à prendre, du moment que ça laisse des traces, affirma Hoseok.
– Ce n'est plus une gifle qu'ils se prennent...
Il avait face à lui une communauté d'enfants dont la préoccupation essentielle, à chaque respiration, était de rester en vie.
– Pourquoi ?
– La flotte royale, continua son capitaine. Liora est pleine de ressources et ils s'en servent, aspirant tout de cette terre jusqu'à la moelle. Tu ne trouveras pas plus pauvre et plus triste que Liora en ce monde. Ce n'est plus qu'un vestige ignoble d'une gloire passée, d'une civilisation qui a sombré depuis longtemps dans le déclin.
Jun tourna la tête et remarqua les différents seigneurs des mers postés çà et là du navire et qui admiraient la terre ferme devant eux. Les douleurs du passé brillaient dans le regard de certains, pour d'autres, c'était la résignation qui dominait. En voyant Taehyung marché sur le pont, sa bouche se déforma en une moue étonnée. Le bleuté avançait doucement, le regard perdu, et s'approcha d'eux, les rejoignant sur le bastingage.
Taehyung détailla quelques instants les enfants au loin, ces âmes damnées, et détourna le regard, comme si le spectacle n'avait rien qui méritait son intérêt.
– Nous sommes arrivés à destination.
Seokjin acquiesça, mais Taehyung ne le vit pas. Tandis qu'il posait une main lasse sur sa tête, une légère douleur prenant possession de sa boîte crânienne, il capta le regard insistant du capitaine du Nisea sur sa personne.
– Que m'est-il arrivé ?
Hoseok écarquilla légèrement les yeux, prit de cours. Mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Jungkook s'approcha à vive allure de son ancien amant avant de le prendre brutalement par le bras et de l'éloigner du garde-corps.
– Toi, tu as interdiction de t'approcher du bastingage, tu m'entends ?
– Q-quoi ? murmura Taehyung, perdu.
– Si tu veux te tuer, fais-le, mais pas lorsque nous sommes présents. Nul besoin de nous donner ce poids à porter sur les épaules, cracha le capitaine du Limnoria.
Taehyung se tourna vers ses compagnons qui le dévisageaient comme s'il était une sorte de nuisance. Il questionna silencieusement Seokjin qui soupira, avant de s'éloigner à son tour du garde-corps.
– Si tu ne sais pas ce qui s'est passé, nous ne le savons pas non plus. Tu es juste passé par-dessus bord. Jimin a dû plonger pour te ramener à la surface.
Taehyung avait du mal à procéder à l'information. Il ne se souvenait de rien de tout ça. Il ne voulait pas être un poids pour ses camarades, mais il savait malheureusement consciemment qu'il en était déjà un.
Le capitaine du Nisea balaya sa frêle silhouette de ses yeux et pinça ses lèvres. Tout chez lui le faisait paraître si vulnérable qu'il dut réprimer le rire cruel qui faillit jaillir de sa propre terreur
– Je suis désolé, finit par marmonner Taehyung à l'attention de tous.
Seokjin s'avança lentement et laissa glisser sa main sur son épaule avant de partir rejoindre son second qui dirigeait le gouvernail. Hoseok ne dit rien, secoua seulement la tête, avant de partir à son tour. Se retrouvant seul avec son ancien amant, Taehyung se sentit encore plus mal qu'il ne l'était déjà. Face à Jungkook, il se rendit compte d'à quel point il n'était qu'un fardeau. Le capitaine du Limnoria semblait n'être qu'une fusion entre lassitude et exacerbation.
Avant que le noiraud n'ait pu dire quoi que ce soit, Taehyung prit la fuite, les larmes commençant à se former au coin de ses yeux sous la pression de ce sentiment qui lui serrait violemment le coeur. Il s'approcha doucement de son meilleur ami qui parlait avec Arsan d'un événement apparemment bien étrange qui se serait produit la nuit dernière.
– Tu dis que Namjoon a...chuchota Jimin, comme s'il pensait avoir mal entendu.
Alors que son second allait répondre, celui-ci dévia son regard par-dessus son épaule, lui faisant tourner la tête.
– Taehyung ! s'exclama Jimin en prenant vivement ses joues entre ses mains. Comment te sens-tu ?
En remarquant les larmes qui menaçaient de couler de ses yeux, le front du capitaine de l'Ianeira se barra d'un pli d'inquiétude. Taehyung s'empara de son poignet et lui fit lâcher sa prise.
– Merci de m'avoir sauvé...Je suis désolé.
Jimin fronça les sourcils, perplexe.
– Je t'ai ramené à la surface, mais c'est Jungkook qui t'a sauvé.
Il décida de ne pas parler à Taehyung des marques qu'ils avaient découvert sur le dos du plus jeune. Le bleuté semblait déjà fragile, inutile de lui donner une raison de penser que toutes les décisions qu'il avait prises par le passé étaient soit regrettables, soit un échec cuisant. S'il apprenait l'existence des zébrures sur la peau de Jungkook, Taehyung en prendrait l'entière responsabilité et culpabiliserait. Il le connaissait suffisamment pour savoir comment il réagirait.
Taehyung écarquilla les yeux, surpris.
– Jungkook ?
Jimin hocha solennellement la tête.
– Tu nous as vraiment fait peur, tu sais ?
Avant que Taehyung n'ait pu se poser plus de question ou répondre, Seokjin hurla aux membres de jeter l'encre, faisant s'activer frénétiquement les seconds sur le pont. Il sentit Yoongi l'effleurer avant que celui-ci ne se dirige vers Namjoon qui était posté près des marches, le regard perdu sur un tonneau quelconque.
Avec douceur, comme s'il ne voulait pas le brusquer, le capitaine du Néoméris s'agenouilla face à son camarade.
– J'aimerais savoir ce qui s'est passé cette nuit.
Namjoon releva lentement la tête et fronça les sourcils. Yoongi était perturbant parce que, sous ce voile noir, il lui était impossible de discerner ce à quoi il pouvait bien penser. Il comprenait pourquoi ses membres d'équipage avaient peur de lui. Comment faire pleinement confiance à un capitaine dont on ne voit pas la peur, le courage, la haine ou même les fragments de joie. Yoongi, avec ce simple tissu, était devenu totalement imprévisible.
Namjoon se souvient très bien de ce qu'il s'était passé cette nuit. À la différence de Taehyung, lui n'avait rien oublié de ce qu'il lui était arrivé. À vrai dire, il ne l'oubliait jamais. Si ses nuits étaient hantées, ses jours étaient ternis par les souvenirs des fantômes de l'obscurité.
– Et moi j'aimerais savoir ce qu'il y a sous ce voile, mais j'imagine que tu ne me donneras pas de réponse. Alors pourquoi devrais-je t'en donner une ?
Le regard de Yoongi se fit douloureux mais, comme à chaque fois, personne ne pouvait le savoir. Au-delà d'insuffler la peur, la perle d'Asia qu'il possédait lui procurait aussi une grande solitude. Il était désormais devenu incompris, livré à lui-même.
Lorsque Ayame vint à leur rencontre pour leur signaler qu'il était temps d'embarquer dans les chaloupes, Namjoon ne perdit pas de temps avant de se relever et de le dépasser sans une seule parole.
Se retrouver à nouveau tous les sept réunis leur avait bien fait prendre conscience que plus rien n'était comme avant. Leurs seconds le sentaient, il y avait une sorte de non-dit qui planait dans l'air. Une tension si forte en intensité que chaque pas qu'ils faisaient , il l'effectuait prudemment, comme s'il craignait de réveiller un dragon. Combien de temps le poids de toute cette rancoeur allait-elle encore tenir avant d'exploser comme un ras-de-marrée. Combien de temps allaient-ils continuer à faire semblant ?
C'était tristement comique de se rendre compte que le capitaine du Limnoria était le seul à ne pas porter de masque sur ce navire.
Dans ce tourbillon infernal de non-dits, suffocants derrière les secrets et la rancune, chacun se mettait à haïr l'autre, voyant en lui un complice aussi involontaire qu'inconscient de sa propre souffrance irrationnelle.
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En posant pied-à-terre, tous ne pouvait que tristement constater de plus près l'horrible condition de ces enfants qu'ils avaient vu de loin. La petite troupe de petits garçons les dévisageaient avec curiosité tandis que Jun reculait, comme s'il était effrayé qu'ils ne lui sautent dessus. Jungkook leva les yeux au ciel en voyant le second du Nisea à la limite de trembler face à une bande de gamins.
Soudain, l'un d'entre eux se fraya un passage parmi ses camarades, se tenant fièrement devant. Il n'était pas difficile de comprendre que celui-ci était le chef de ce petit groupe. Il ne devait pas avoir plus de quatorze années. Ses cheveux bouclés, de la couleur du miel, semblaient capter les rayons du soleil. Il avait dû perdre un oeil, pensa tristement Taehyung en avisant le bandeau de fortune qui couvrait la partie droite de son visage. Néanmoins, cela n'enlevait rien à la couleur profonde de cet unique iris visible. Un joli bleu azur, qui rappela au capitaine de feu l'Éphyra celui de son second. Son regard se posa sur chacun des hommes face à lui, comme s'il les analysait un par un, avant qu'il ne finisse par distinguer le capitaine du Callianeira et qu'un sourire ne vienne prendre place sur son visage.
– Jin ! s'exclama-t-il. Tu es revenu !
Le reste du groupe se tourna vers le châtain, curieux. Tous se demandaient d'où ils se connaissaient et qu'elle était la nature de leur lien en vue du surnom que le garçon avait employé. Une telle familiarité avec un seigneur des mers, c'était à peine croyable pour les seconds.
– Numa, répondit le châtain en s'avançant jusqu'à lui. Comment vas-tu ?
Seokjin attira le garçon dans ses bras, lui offrant une étreinte chaleureuse qui laissa tout le reste des membres ahuris. L'adolescent se dégagea doucement de sa prise avant de frapper amicalement son épaule, un sourire amusé sur les lèvres.
– On survit. On dépouille par-ci, par-là...Heureusement que tu t'es montré, sinon je n'aurais pas donné cher de leur peau, ricana-t-il, le regard ancré sur la silhouette de Jun. Celui-ci était à deux doigts de pisser dans sa culotte.
Isaiah étouffa un rire amusé sous les faibles grognements du plus jeune d'entre eux.
– Qui nous as-tu amenés ? demanda Numa en regardant par-dessus l'épaule du châtain.
– Les six autres seigneurs des mers et leurs seconds, répondit machinalement Seokjin en faisant un geste de la main pour les présenter.
Numa fronça les sourcils et jeta un regard en arrière vers ses camarades. Puis, soudainement, il explosa de rire, suscitant l'incompréhension de certain et l'amusement d'autres.
– Ça alors ! C'est donc ça, les terreurs de l'océan ? Bah merde, alors. Y'en a qui sont encore plus jolis que les putains de l'île.
Si ses anciens compagnons étaient surpris, Seokjin ne l'était pas. Numa et sa bande n'avaient jamais apporté un grand intérêt aux seigneurs des mers et tout ce qui touchait l'océan en général. Ce n'était pas leur monde. Ils souffraient déjà bien assez de leur condition sur terre pour se préoccuper de toutes les créatures mirifiques et êtres divins qui touchaient les mers. À vrai dire, Numa ne respectait pas grand-chose et ne croyait qu'en lui-même.
Son regard dévisagea tour à tour les sept seigneurs des mers, les détaillant un peu plus pour vérifier ses propos. Certes, Jungkook et Yoongi étaient à craindre. L'un, parce que son regard semblait vous paralyser sur place et l'autre, parce qu'on ne voyait tout simplement rien de ses traits physiques. Mais le reste n'avait rien qui pouvait laisser à penser que c'était des êtres dotés de pouvoirs capables de conquérir l'océan. Lorsqu'il lorgna les silhouettes de Jimin, Arsan et Taehyung, son expression fut comme ébahie par ce spectacle.
– Ah la vaaaaaache, c'est vrai en plus, dit-il d'un accent traînant. Carrément jolis même.
Taehyung était celui qui avait le plus suscité son intérêt parce qu'il était tout simplement happé par sa couleur de cheveux. Il la trouvait magnifique, le plus beau bleu qu'il n'ait jamais vu de sa misérable existence. Se fichant totalement de si c'était un seigneur des mers ou un second, Numa le héla :
– Hey, mon mignon ! C'est quoi les horaires d'ouvertures ?
Taehyung fronça les sourcils en remarquant que ce gamin, bien plus jeune que lui, s'adressait à sa personne avec autant de vulgarité et de détachement.
– De quoi ?
Le sourire de Numa ne disait rien qui vaille à Seokjin. En sachant d'avance le genre de d'absurdités qui allaient sortir de sa bouche, le châtain se pinça l'arête du nez.
– De tes cuisses, trésor.
La mâchoire de Taehyung se contracta. Son regard s'assombrit et une lueur étrange brilla au fond de ses prunelles. Un éclat inquiétant, dangereux, qui alerta Hoseok qui lui prit brusquement la main et la serra aussi fort que possible. À ce contact, Taehyung regarda leurs deux paumes liées et l'avertissement silencieux sur le visage de l'auburn.
– Jin, laisse-nous celui-ci, reprit Numa. Pas besoin d'argent, il compensera.
Jungkook s'avança brusquement jusqu'à se poster aux côtés du capitaine du Callianeira, dévisageant ce môme insolent de son regard impérieux.
– La plaisanterie a assez duré, gamin. Je sais qu'il n'en a pas l'air, mais c'est l'un des rares détenteurs d'une des perles d'Asia que tu viens d'insulter.
Numa lui offrit une expression lasse, désintéressée et totalement horripilante pour l'homme peu patient qu'il était.
– Et à qui ai-je l'honneur ? M'insulter de gamin tout ça parce que t'as obtenu ton troisième poil sur la verge n'est pas vraiment l'idée que je me faisais de la grandeur d'un seigneur des mers.
Isaiah adorait la scène qui se déroulait sous ses yeux et par-dessus tout, il adorait cet enfant. Il aurait voulu l'adopter si c'était possible juste pour l'entendre railler son capitaine à longueur de journée. Rien que de voir l'expression déconfite de Jungkook en ce moment même lui donnait l'envie de serrer ce blond estropié à grande gueule dans ses bras.
La paupière du capitaine du Limnoria tressautait nerveusement, témoignant sa colère fulgurante. Une veine gonflée apparaissait doucement et se dessinait sur sa gorge, comme si celle-ci menaçait d'éclater à tout moment. Et face à lui, Numa souriait fièrement. En voyant le noiraud se saisir doucement du pommeau de son sabre, l'amusement d'Isaiah s'estompa doucement, très vite remplacée par la panique.
Seokjin ne remarqua pas ce geste, mais cela n'échappa pas à Namjoon qui s'avança avant d'empoigner fermement son avant-bras et de le tirer jusqu'à lui.
– Même pas en rêve, grommela-t-il.
– Lâche-moi ! s'écria Jungkook en tentant de se défaire de sa prise.
Jimin soupira, attristé devant le ridicule de la situation.
– Tu laisses un enfant te faire perdre ton contrôle ?
Jungkook hurla encore quelque temps, sans que Namjoon ne faiblisse son emprise une seule fois. Le noiraud finit par se calmer et s'arracher violemment à sa poigne avant de se retourner et donner un violent coup de pied à un malheureux caillou qui se trouvait là, l'envoyant dans la mer.
– L'un des sept seigneurs des mers est un marmot qui braille, impressionnant, murmura doucement le jeune garçon.
– Cela suffit, Numa, gronda Seokjin. Tu auras ton argent, comme d'habitude, mais ne t'en prends pas à eux, tu pourrais le regretter.
L'adolescent claqua sa langue contre son palais, irrité, avant de hocher doucement la tête. Seokjin sortit alors une bourse pleine de pièces d'or de sa poche intérieure qu'il fit doucement tomber dans la paume ouverte de Numa.
– Mènes-nous jusqu'à Calie.
Le blond observa la bourse entre ses mains et la fit jongler en l'air. Il observa Seokjin, la détermination et le vice brillant dans ses prunelles.
– Cette fois-ci tu n'es pas seul, vous emmener tous ensemble jusqu'à Calie vaut le double de ce que tu m'as donné.
– Évidemment, grommela Seokjin, nullement étonné par l'entourloupe. Considère ça comme un acompte, tu auras le reste lorsque nous serons de nouveau sur le rivage.
Numa sembla peser le pour et le contre. Il se retourna vers ses camarades qui hochèrent doucement la tête, semblant approuver la proposition de Seokjin.
– Bien, suivez-moi, finit-il par répondre en déposant précautionneusement la bourse pleine dans la poche de fortune de son short en lambeaux.
Alors qu'il s'en allait, Seokjin le retint discrètement.
– C'est un conseil que tu devrais suivre, Numa. Ne t'avise pas de tenter de les dépouiller ou quoi que ce soit d'autre, c'est clair ?
Le blond hocha la tête avant de siffler un autre de ses compagnons. Le petit garçon dont le visage avait été rongé par les rats se posta alors face aux marins et leur offrit un sourire aussi horrible que brisant.
– Bonjour...
Et sa voix...Pourtant sa voix était aussi douce qu'attendrissante, comme le bruit d'une petite cloche, claire et lumineuse. Il y avait une certaine timidité, une réserve qui serra douloureusement le coeur de Jun. Il devait avoir dix ans, peut-être moins et c'était ça le pire. Si jeune, et pourtant déjà si marqué par l'horreur de ce monde, peut-être trop marqué.
– Je vous présente Artus, dit Numa en enroulant un bras autour de l'épaule de son compagnon.
Les seigneurs des mers et seconds hochèrent la tête. Si les capitaines avaient vu assez d'horreur pour dépasser le seuil de la compassion et de la tristesse, ce n'était pas le cas de leurs piliers.
– Nous allons nous départager en deux chaloupes, continua Numa. Je dirigerai l'une, il en fera de même avec l'autre. Pour atteindre l'antre de Calie, il faut longer le marécage de l'île.
Il continua son explication avec une telle lassitude que ça en agaça plus d'un. Ils avaient tous l'impression de se faire prendre de haut par un enfant, la sensation bien vivace qu'ils n'étaient que des moins que rien à ses yeux. Isaiah s'approcha du petit brun rongé jusqu'à l'os et s'agenouilla face à lui.
– Les seconds monteront avec toi, je suis Isaiah, lui dit-il en lui souriant chaleureusement.
Le petit garçon admira la main que lui tendait cet homme avec surprise. Se demandant si c'était une sorte de ruse, il plongea son regard innocent dans celui du second, mais il n'y voyait là que chaleur et tendresse. Il sourit alors doucement avant de s'emparer de cette main à la couleur caramel et de la secouer.
Isaiah lui ébouriffa les cheveux avant de se retourner vers les seconds.
– Ça vous va, les gars ?
– Je m'en fiche, s'exclama joyeusement Arsan.
Ayame et Seung se contentèrent de hausser les épaules avec indifférence. Inutile de demander l'avis du second du Callianeira, non seulement il n'était pas présent, mais Isaiah ne prêtait pas vraiment d'importance à l'avis d'un perroquet sur la situation puisque, de toute façon, celui-ci pouvait voler. Il questionna silencieusement Jun qui se racla la gorge et lui répondit d'une voix si faible que l'ont aurait dit que c'était la première fois qu'il parlait de sa vie.
– Oui, bien sûr, murmura-t-il évasivement.
Isaiah hocha la tête, bienheureux, avant de se tourner à nouveau vers son petit guide.
– On compte sur toi, bonhomme.
Le petit garçon s'empara alors de sa main avant de le tirer joyeusement vers les embarcations, les quatre autres seconds les suivants non loin derrière. Ils ne purent que tristement constater que cet enfant, qui trottinait gaiement et déblatérait des histoires à Isaiah, avait été déshumanisé par chacun d'entre eux à cause de sa différence. Ce n'était pas lui qui était laid, c'était simplement ce monde.
Déjà bien loin devant eux, Taehyung admira les silhouettes des seconds qui s'aventuraient dans la forêt. Au moment où il ne les vit plus, il prit conscience que sa main était toujours prisonnière du capitaine du Nisea.
– Hoseok...
– Ne laisse pas tes émotions prendre le dessus, chuchota Hoseok sans même le regarder. Jamais.
– Facile à dire...
– Je me fous du moyen, feula l'auburn en se tournant vers lui. Tu le fais. Laisse-tes émotions prendre le dessus et ce n'est pas seulement toi que tu vas engloutir. Ne m'oblige pas à te tuer, ne m'inflige pas ça.
Sa voix tremblait sous la douleur et la peur. Aucun ne prenait conscience de ce que Taehyung était devenu, peut-être allaient-ils le comprendre un jour. Le fait qu'Hoseok en sache plus que lui-même sur son propre pouvoir mais aussi la terreur qui se reflétait dans son regard à chaque fois que son ancien ami posait les yeux sur lui le fit se haïr.
– Tout va bien ?
Hoseok détacha précipitamment sa main de la sienne à la question de Yoongi, comme s'il était marqué au fer rouge.
– Parfaitement bien, répondit-il en s'éloignant.
Les deux hommes observèrent longuement le dos de l'auburn s'éloigner, le sable emporté par le vent volant autour de lui. Yoongi s'approcha du bleuté et passa une main dans le bas de son dos pour le faire avancer, son visage tourné vers lui. Et par cette simple action, Taehyung eut l'impression de connaître plus que quiconque la douleur du capitaine du Néoméris. Ils semblaient partager des démons similaires, le même sentiment d'impuissance et de regrets pour ce qu'ils étaient devenus. Le bleuté lui offrit un petit sourire, prenant conscience que Yoongi serait peut-être le seul à ne jamais être effrayé par lui s'il apprenait ce qu'il était.
La fine lame de leur groupe lui avait appris toutes les techniques pour se battre et il se souvint encore, dix années auparavant, tout le respect que lui, mais aussi Jimin et Jungkook lui vouaient. Taehyung ne savait pas ce qu'il en était des deux autres plus jeunes, mais lui n'avait jamais perdu l'estime qu'il éprouvait pour Yoongi.
S'avançant dans la chaloupe, à travers ce marécage sombre et verdâtre, chaque seigneur des mers était pensif. Certains voulaient éclairer leur condition, d'autres, trouver un moyen de changer leur avenir funeste. Seul le bruit des pagayes remuant l'eau, le craquement des arbres et autres bruits d'animaux étranges brisaient le silence des deux embarcations.
En regardant sur le côté, Namjoon remarqua des silhouettes se dessiner, des ombres derrière les feuilles des arbres qui les épiaient. À chaque cabane de bois délabrés qu'ils dépassaient, le stress les rongeait un peu plus.
– Ils sont curieux, commenta Numa.
Jungkook capta la silhouette d'un homme qui dévisageait les embarcations avec une expression si impénétrable et pourtant si affamée pour le peu de richesses qu'il transportait que cela le mit en alerte. Numa remarqua la réserve du noiraud et ricana légèrement.
– Seokjin m'a dit que ce n'était pourtant pas la première fois que vous veniez à Liora.
– Exact, répondit Jungkook sans même le regarder. Mais la dernière fois que nous sommes venus tous ensemble, Liora n'en était qu'aux prémices de son déclin et toi, tu étais sûrement encore dans les couilles de ton père.
Numa le détailla quelques instants avant d'esquisser un rictus, étrangement ravi de la petite vengeance du plus jeune seigneur des mers. Aussi curieux que cela puisse paraître, il aimait bien ce jeune homme aux ondulations ténébreuses car il avait la sensation de partager des similitudes avec lui, en commençant par ce caractère exécrable.
Lorsque les deux chaloupes s'arrêtèrent face au petit ponton de bois juste en face de la cabane délabrée de Calie, Hoseok sauta de la barque avant de s'adresser aux seconds.
– Vous restez ici.
Les seconds hochèrent docilement la tête, n'ayant de toute manière que très peu d'attrait pour entrer dans cette cabane insalubre à l'allure inquiétante.
Depuis l'antre de Calie, une faible lumière rougeoyait et l'on entendait le piaillement d'un volatile quelconque. Tandis que Seokjin et le capitaine du Nisea furent les deux premiers à passer le pas de la porte, les autres furent plus hésitants. Sous le petit sourire encourageant de Jimin, Taehyung fut le dernier à pénétrer à l'intérieur de la cabane. Et une fois à l'intérieur, il remarqua que rien n'avait changé. Tout était exactement comme dans ses souvenirs. Cette même odeur d'épices, d'excréments d'animaux et de pourritures planait dans l'air, brûlant la gorge. L'intérieur du petit baraquement était un bordel sans nom, plein à craquer d'objets en tous genres, de cartes, de plumes d'oiseaux, et même de crânes humains, brillant à la lumière de flammes fragiles. Le plancher était tellement de traviole que si l'on mettait une balle au centre de la pièce, elle roulait contre le mur. Et pas toujours le même.
Sous la vague lueur d'une bougie dont la cire avait continué son chemin sur le sol, gagnant du terrain comme une maladie mortelle, un tonneau rempli d'eau stagnante, avec des seaux accrochés au bord, tel l'autel profane d'un culte vaudou secret d'arrière-boutique ou d'une secte spiritualiste était fièrement posé. Le tonneau, c'était pour tous les déracinés comme un rappel, constant, impersonnel, universel, de leur condition, à la manière d'un autel dans une paroisse perdue à minuit, où l'on oscille le plus souvent entre abnégation d'esprit totale et explosion de fureur incendiaire, sans juste milieu.
Dehors, la lumière du jour faiblissait. Quand le soir tombait sur cette île, en se reflétant dans les eaux mystérieuses, c'était d'une façon bien plus déroutante que quand il tombait froidement sur l'océan. Il restait comme suspendu entre avenir et souvenir, là où toutes les âmes brisées roulent entre visions solitaires d'yeux perdus et de foyers idéalisés par la nostalgie.
Et derrière une petite table se trouvait Calie, le nez plongé dans quelques manigances douteuses. Elle avait dû être belle dans sa jeunesse, mais la vieillesse l'avait rattrapé et l'avait sacrément amoché. Sa couleur foncée, rappelant à Namjoon la jolie couleur du cacao était pleine de crevasse et de rides si biens qu'elle faisait finalement plus penser à l'écorce d'un arbre ancien qu'autre chose. À force de mastiquer du tabac, ses dents étaient d'une couleur noire et son sourire était aussi immonde que dérangeant. Ses cheveux grisonnants étaient lâchement détachés sur ses épaules, venant décorer sa tunique, seul vêtement qu'elle portait. Et par seul vêtement, c'était bien le seul. Taehyung savait que sous cette tunique blanche dotée de traces à la provenance bien mystérieuse, Calie ne portait absolument rien. La conscience de cette vérité lui fit froncer le nez.
Elle releva la tête, plongeant ses yeux chassieux sur chacun des hommes. Si son regard avait l'air mort, vide, il sembla s'illuminer quelque peu en voyant les sept garçons face à elle.
– Je vous attendais, murmura-t-elle de sa voix enrouée.
– Bien évidemment, grommela Taehyung nullement étonné.
Calie savait tout sur tout, elle semblait être la graine de ce monde.
– Cela faisait longtemps, vous avez bien changé, mes enfants...son regard scrutateur passa sur chacun des hommes avant de s'arrêter sur Taehyung.
En voyant le bleuté, elle se pinça les lèvres et se releva avant de se diriger vers une étagère de fortune remplie de babioles en tous genres. Tous les garçons la regardèrent s'activer pendant qu'elle pestait dans son coin, curieux. Soudain, elle se tourna vers eux, tenant dans sa main une poupée vaudoue qui ressemblait étrangement à Taehyung. Elle s'approcha du garçon avant de lui plaquer brutalement la poupée sur le torse, l'expression peu amène.
– Vu les changements qui se sont opérés chez toi, elle m'est devenue inutile.
Le garçon était devenu encore plus beau que dans ses souvenirs. Il était la quintessence de la beauté, l'apothéose du divin. Bien plus dangereux encore que le charme des sirènes. Elle se pinça les lèvres et admira les cheveux bleus de Taehyung avec une certaine envie qui fit frémir le jeune homme face à elle. En comprenant que s'il ne reculait pas tout de suite, Calie irait s'emparer d'une de ses mèches pour fabriquer à nouveau une poupée maudite, il fit un bond en arrière.
– Je le savais ! s'exclama-t-il en jetant la poupée au sol.
Calie ricana moqueusement avant de se retourner jusqu'à sa table où elle prit place à nouveau.
– Mon garçon, dit-elle en regardant Jungkook, si ton but était de le tuer près d'Uranie, tu aurais dû t'y prendre un peu mieux. Tu me déçois.
Jungkook haussa mollement les épaules, ne sachant que dire, comme si balancer Taehyung par-dessus bord n'avait été qu'un moment ennuyeux qui ne méritait même pas qu'il y dépense son énergie. Soudain, Hoseok s'avança jusqu'à elle avant de plaquer ses mains sur le bois miteux de sa table.
– J'ai eu une vision...
– Bien sûr que tu en as eu une.
Elle dévisagea l'auburn puis fit de même avec le reste de l'assemblée.
– Je sais pourquoi vous êtes ici, finit-elle par expliquer.
– Nous devons trouver un moyen de le trouver et le vaincre, continua alors Hoseok.
– Un moyen de le vaincre, répéta-t-elle doucement.
Elle posa son regard perdu sur le parchemin qu'elle avait sous ses yeux avant de prendre une brusque inspiration.
– Vous êtes tous en possession de perles d'Asia. Je vais donc vous poser une simple question.
Elle sourit d'avance, comme si la situation future qu'il allait se produire face à elle la galvanisait hideusement.
– De quelles couleurs étaient vos perles ?
La question leur semblait absurde.
– Bleue
– Grise
Tous les regards convergèrent vers Taehyung, Namjoon et Yoongi. Les trois hommes se dévisagèrent, surpris. Jimin était perdu, la sienne avait été bleue alors pourquoi celle de ses camarades possédaient une couleur différente ?
– Au cours de ces dix dernières années, lorsque vous êtes venus me voir un par un en me demandant de vous éclairer sur la piste des perles d'Asia, vous étiez si aveuglés par la rancoeur et la haine que vous vous portiez que vous ne vous êtes pas posé une seule question. Cela a porté préjudice à certains d'entre vous.
Elle secoua la tête, comme consternée.
Jungkook s'avança.
– Qu'est-ce que les perles grises ont de différentes avec les bleues ?
– Je suis heureuse que tu me poses la question. Pour vous répondre, il faut que vous connaissiez l'histoire d'Asia, cette néréide même dont vous possédez des fragments de pouvoir.
Elle fit un bruit de bouche écoeurant, comme si elle mettait son dernier souffle dans cette histoire qu'elle s'apprêtait à leur conter. Elle s'avachit un peu plus sur la table, prête à dévoiler au grand jour leur ignorance.
– Asia, comme vous le savez, était une néréide, l'une des gardiennes de l'océan. Ses pouvoirs lui permettaient de le contrôler. Elle le choyait et bien évidemment, l'adorait...commença-t-elle. Elle était puissante, peut-être même la plus puissante de toutes.
Elle prit une pause avant de se relever légèrement.
– Mais peu importe la nature de ce que nous sommes, êtres divins ou simples mortels, il n'y a qu'une chose qui peut nous terrasser, nous faire passer des ténèbres à la lumière et inversement. Savez-vous quel est ce pouvoir ?
Namjoon se gratta le menton pensif. Qu'était-ce cette chose si puissante dont parlait Calie ?
– L'amour.
Namjoon se tourna vers Taehyung, curieux. Le bleuté avait murmuré ce mot si faiblement qu'il doutait de l'avoir bien entendu et pourtant, en voyant ses autres camarades dont l'intérêt s'était porté sur le même seigneur des mers, il sut que c'était bien vrai. Calie acquiesça.
– Je suis surprise de voir que tu n'es pas aussi ignorant que je le pensais, finalement.
Taehyung ne prit pas en compte la remarque, tristement habitué au venin de cette vieille peau.
– L'amour est sûrement l'arme la plus destructrice, la plus incontrôlable de notre monde. Elle nous fait faire de nombreux sacrifices, nous impose parfois des choix cornéliens et nous change dans une version meilleure ou pire de nous-même.
Bizarrement, certaines têtes s'étaient retournées vers le plus jeune d'entre eux. Jungkook, en remarquant les visages aussi pensifs que scrutateurs de ses anciens camarades sur lui, comprit et fronça les sourcils. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce que disait Calie exposait plutôt bien la relation que Taehyung et lui avaient eue, ce qu'elle leur avait apporté et ce qu'elle avait affecté.
Surtout ce qu'elle avait affecté, finalement.
– Asia rencontra Heliade et en tomba amoureuse. Ce fut le commencement d'une relation qui surpassait l'adoration qu'elle avait pour l'océan. Elle vivait là une idylle qui n'était malheureusement que la partie enchanteresse des véritables émotions qui les liaient. Heliade charmait Asia, se servant en réalité de ses pouvoirs. Tout n'était que rythmé par le vice et la manipulation. Une fois toutes les ressources d'Asia utilisées, Heliade décida que l'heure de se marier et d'avoir une descendance fut venue.
La flamme d'une bougie s'éteignît, comme si, de la même façon que cette histoire prenait une tournure dramatique, elle les plongeait un peu plus dans les ténèbres.
– Asia, folle de rage de voir la trahison de son amour, fut aveuglée par la rancune. Elle décida de se donner la mort en convergeant tous ses pouvoirs dans les perles du collier que lui avait offert Heliade. En lui offrant en dernier gage d'amour ce cadeau empoisonné, Asia donnerait ainsi à Heliade ses pouvoirs, lui permettant de contrôler l'océan. Mais certaines de ces perles n'étaient pas source d'avantage. La néréide, gardienne de l'océan, possédaient certains pouvoirs qui s'apparentaient plus à une malédiction, des pouvoirs dont Heliade ne se servit jamais. En découvrant le présent d'Asia, Heliade comprit le subterfuge et jeta chacune des perles dans différentes parties de ce monde.
Le silence régnait dans la petite cabane. Si tous avaient été avides de retrouver l'une des perles d'Asia, aucun n'avait jamais su l'histoire qui se cachait derrière, mais celle-ci expliquait bien des choses.
– Ainsi, Asia aima ; ne fut pas aimée ; et son existence s'acheva tragiquement. Heliade, au contraire, vécut dans l'allégresse jusqu'à la fin de sa vie.
– Asia, une néréide, s'est faite anéantir par son grand amour, intervient Seokjin. Les divinités masculines sont aussi problématiques que le sont les mortels.
– Une divinité dis-tu ? demanda Calie en secouant la tête. Non, Asia était tombée amoureuse d'une humaine.
Namjoon écarquilla légèrement les yeux à la réponse de la vieille femme.
– Pardon...Vous avez dit une humaine ?
– Oui, Heliade était une femme.
Cette révélation laissa tous les autres membres bouche bées, se rendant compte qu'une simple mortelle avait utilisé l'amour d'Asia à ses fins. Elle avait réussi à manipuler une néréide.
– Les perles grises sont les malédictions...Existe-t-il un moyen de s'en débarrasser ?
Callie sourit discrètement au capitaine du Néoméris.
– Il existe en effet une perle capable de s'emparer des pouvoirs de ses consœurs, affirma-t-elle.
– Il nous la faut, répondit Taehyung en s'avançant.
Callie le dévisagea avant de faire un étrange bruit de bouche.
– Trouvez-la, elle est plus proche que ce que vous pensez.
– Où ça ?
– Tu la trouveras lorsque tu te mettras à aimer l'obscurité, au moment où tu te réuniras avec le soleil et à l'instant où tu regarderas à nouveau les millions d'étoiles qui ont façonné ton monde.
Taehyung ouvrit la bouche plusieurs fois avant de se reculer, perplexe. Si Namjoon souhaitait plus que tout se débarrasser lui aussi de son pouvoir, il savait cependant qu'une question plus importante était à régler avant.
– Et concernant la vision d'Hoseok...
– Vous ne devez pas chercher le Kraken, vous devez chercher l'homme qui le contrôle. Tes visions sont des flashs, elles ne te permettent pas de voir distinctement l'avenir, élucida la vieille femme en regardant Hoseok.
Le capitaine de l'Apseudès recula sous le poids de cette révélation. Ils prirent alors gravement conscience que leur ennemi n'était pas seulement le Kraken, mais qu'il s'agissait d'un homme, de chair et de sang, bien humain. Et alors, le capitaine du Nisea réalisa.
– L'homme qui boite...murmura-t-il pensivement.
Calie acquiesça.
– Qui est-ce ? demanda Jimin.
– Démétrius, c'est le nom de votre ennemi, répondit la vieille femme. Un pirate sanguinaire possédant lui aussi l'une des perles d'Asia.
Aucun d'entre eux ne savait qu'un autre homme hormis les sept seigneurs des mers possédait une perle d'Asia. Cela les terrifia, de savoir que l'un des fragments de pouvoirs de la néréide était potentiellement tombée entre de mauvaises mains.
– Et vous vous trompez, si vous pensez qu'il n'a pas déjà commencé sa quête pour vous détruire. Quelques mois plus tôt, l'un d'entre vous a failli mourrir.
Taehyung eut l'impression que le monde autour de lui venait de s'écrouler. Le Kraken n'avait pas été là par hasard, ce jour-là. Ce n'était pas le résultat d'un funeste destin ou d'une ignoble malchance, c'était orchestré. Cet homme avait englouti l'Éphyra et réduit à néant son équipage. En prenant conscience de cela, l'ambition qu'il avait pour retrouver Démétrius n'était plus seulement dictée par l'envie de changer la vision d'Hoseok, mais de réclamer vengeance.
– C'est d'ailleurs regrettable qu'il n'ait pas réussi.
Jungkook fronça légèrement les sourcils, la réflexion de la vieille femme l'ayant étrangement blessé. Calie avait toujours été infecte avec Taehyung, mais n'avait jamais souhaité sa mort jusqu'à aujourd'hui. Il n'était pas ignorant, il comprenait que Calie ne disait pas ses paroles seulement pour l'aversion qu'elle vouait au bleuté, mais peut-être bien parce que c'était réellement regrettable que Taehyung n'ait pas été tuer lors de l'attaque.
– Pourquoi s'en prendre à nous ? s'interrogea Jimin.
– Parce vous possédez quelque chose qu'il désire, quelque chose qui lui a appartenu autrefois, mais qui lui a été arraché. Quelque chose que vous ne lui laisserez jamais.
– Quoi donc ? demanda le capitaine du Néoméris.
– Cela serait trop facile si je vous le disais, vous le découvrirez bien assez tôt. Je peux cependant vous dire que Démétrius est dangereux, presque immortel. Le tuer ne suffira pas.
– Comment cela ? demanda Yoongi, perplexe.
– Démétrius a utilisé une sorte de magie très ancienne lui permettant de dissimuler une partie de son âme dans un bien précieux, s'assurant ainsi l'immortalité si son corps venait à être détruit.
Jungkook jura avant de se retourner et de fermer fortement les yeux, la peur et l'angoisse s'infiltrant doucement dans ses veines. Calie le détailla quelques instants avec le regard de celle qui savait.
– L'âme de Démétrius se trouve à l'ouest, sur l'île où tout a commencé. Trouvez l'objet qui renferme la moitié de son âme et détruisez-le.
Namjoon était perspicace, il l'avait toujours été. En entendant Calie mentionner l'île où « tout avait commencé » l'esprit du capitaine de l'Apseudès n'avait pas mis longtemps avant qu'une terre bien précise n'en surgisse.
– Elle est à Alagaesia.
Les six autres membres se dévisagèrent, nostalgiques et effrayés. C'était pourtant bien la réponse. L'âme de leur ennemi se trouvait sur l'île où ils avaient grandi, celle qui les avait vus naître. Là où tout avait commencé.
𓁼
En retournant sur le rivage, Seokjin donna comme convenu l'autre partie de l'argent qu'il avait promis à Numa. Les autres seigneurs des mers étaient chamboulés, c'est à peine s'ils parlaient. Les seconds remarquèrent bien leur expression fermée et se demandèrent ce qu'il pouvait bien s'être passé dans l'antre de Callie pour que de tels changements s'opèrent sur leurs visages.
Un petit garçon qui devait avoir à peine six ans clopina jusqu'à Seokjin et tira sur sa veste. Le châtain le dévisagea, surpris, mais l'enfant ne parla pas, se contentant de le regarder de ses grands yeux brillant dans l'expectative de quelque chose qu'il ne comprenait pas.
– Il veut que tu fasses ton truc, élucida Numa.
Le capitaine du Callianeira compris alors et se baissa à sa hauteur avant de poser une main sur sa petite tête. Bientôt, la vision du garçon se transforma, la mer et le sable face à lui s'évaporant doucement, remplacé par le paysage luxueux d'un palace. Le petit garçon voyait face à lui de la soie, de l'or, et des murs peints par de grands artistes, ces œuvres magnifiques, envoûtantes, racontant des histoires, des odyssées d'antan. Il voyait un festin qu'il ne pourrait jamais goûter, mais qui le fit rêver, voyager l'espace de quelques instants.
Jimin observa la scène, attendrie face au sourire somptueux qui s'était dessinée sur le visage du petit garçon. Il comprit alors que Seokjin apportait bien plus d'importance à la destinée de ces malheureux enfants qu'il voulait bien le faire croire. Il savait que les richesses mirifiques qu'il leur montrait, il aurait fait n'importe quoi pour leur donner.
Ainsi, après une journée forte en émotion, leur entrevue avec Calie se termina de cette façon : la vue d'un enfant brutalisée par la vie qui avait pourtant encore suffisamment d'espoir pour se permettre de rêver et eux, qui n'en avaient tristement plus aucun.
🌊
Le feeling c'est merveilleux, des fois 🥲
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