I
Un homme marchait le long de la plage, les grains de sable caressant ses pieds dans un léger bruit de craquement qui le fit soupirer de bien-être. Torche à la main, il s'avançait d'un pas lent et pourtant certain vers l'immensité bleue qui se dressait devant lui, la tête haute et le regard lointain. L'on aurait dit une statue. Aucune émotion ne se distinguait sur son visage aux traits harmonieux et longilignes. Seul le vent marin qui faisait tournoyer quelques-unes des ses mèches auburn venait casser cette œuvre qui paraissait inaccessible. Le pied droit touchant cette eau qu'il aimait tant, l'homme s'accroupit, laissant reposer sa torche à ses côtés, admirant d'un air rêveur cette mer calme et tranquille.
Cette menteuse, se dit-il à lui-même en souriant doucement.
Il laissa sa main droite fouailler l'eau quelques instants, récoltant quelques gouttes de celle-ci sur sa grande chemise blanche, avant de soupirer. Il entendait au loin certains membres de son équipage l'appeler, mais n'y prêta pas attention. Il mit ses deux mains jointes dans l'eau avant de les remonter à la surface, le liquide au creux de ses mains, et fixa son reflet dans celles-ci. Comme à chaque fois qu'il faisait appel à son pouvoir, ses yeux se révulsèrent, devenant alors que deux grandes billes blanches qui en feraient fuir plus d'un.
Au bout de plusieurs longues secondes, ses mains commencèrent à trembler et l'eau qu'il tenait à l'intérieur, à se déstabiliser. Finalement, et comme à chaque fois, le rempart qui tenait fermement l'élément essentiel de son pouvoir se brisa, laissant cette infime partie de l'océan s'écouler et se faire aspirer par les grains de sable. Il positionna sa tête entre ses mains alors qu'il se reconnectait petit à petit avec le monde environnent. Des bruits de pas se firent entendre, mais l'homme ne tourna pas la tête, restant dans cette expression horrifiée qui ne semblait plus vouloir quitter les traits de son visage depuis qu'il avait eu cette vision. Cette terrible vision.
– Capitaine ! On vous a...
Mais le garçon, remarquant l'état de son capitaine se figea, ne finissant alors pas sa phrase. Ledit Capitaine se tourna vers lui, tremblant, le regard légèrement paniqué et s'accrocha à sa manche comme un marmot désespéré qui ferait un caprice à sa mère.
– Jun, écoute-moi bien, commença-t-il, la voix éraillée.
Le matelot hocha frénétiquement la tête, à la fois apeuré et curieux.
– Q-que se passe-t-il ?
– Quelque chose de grave est en train de se produire, de très grave, commença-t-il. Il faut qu'on se réunisse.
Sa phrase finit dans un murmure interpella le matelot qui fronça alors les sourcils, confus.
– Qu'on ? Qui ça Capitaine ?
Le visage tourné vers la mer, admirant la lune se refléter sur l'eau, la parsemant de milliers de petites étoiles, il se retourna vers lui et répondit d'un souffle à peine audible :
– Les sept seigneurs des mers, Jun.
Le matelot écarquilla les yeux, sous le choc d'une telle nouvelle. Tout le monde connaissait les liens qui les avaient unis autrefois et tout le monde connaissait l'histoire de ce jour fatidique où leurs chemins s'étaient séparés. Dix ans qu'ils ne s'étaient pas revus. Qu'avait donc pu voir son capitaine pour prendre cette décision des plus surprenantes ? Il n'en savait rien, mais une chose était sûre, cela n'augurait rien de bon.
Jung Hoseok, l'un des sept seigneurs des mers, doté du pouvoir de divination, allait faire appel à ses anciens camarades.
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Mais que ce soit l'œuvre du destin ou un simple hasard, deux de ses anciens amis étaient en ce moment même réunis, à quelque mille lieus de là où il se trouvait.
Beaucoup plus loin vers le sud, alors que le soleil tapait encore sur la tête des matelots présents sur le Limnoria, deux hommes qui ne s'étaient pas vus depuis longtemps se contemplèrent, en silence. Un homme d'une vingtaine d'années se tenait devant sa victime, le regard dur et le sabre en main, le pointant dans sa direction.
– Au cours de ces dix dernières années, s'il y a bien une personne que je ne voulais pas revoir, c'était toi, commença-t-il alors en menaçant le garçon à la chevelure océan de sa lame, le faisant reculer un peu plus sur la maigre planche qui menaçait de lui voler son équilibre et le faire chuter dans la mer.
Le garçon à la chevelure atypique jeta un regard par-dessus son épaule, peu serein avant de le reporter sur son ancien compagnon.
– Alors tu comptes vraiment me jeter à l'eau , sans aucun regret ? demanda-t-il, l'expression peinée.
Le noiraud eut un sourire en coin.
– Le seul regret que j'ai jamais eu, c'est de ne pas y avoir pensé plus tôt, dit-il en ricanant sombrement.
Le reste de son équipage qui s'était rassemblée derrière leur capitaine regardait la scène avec grand intérêt, n'ayant eu que très peu de distraction lors de ces derniers jours. Et puis, voir un affrontement entre deux seigneurs des mers était un événement qu'ils ne reverraient pas de sitôt, alors ils en profitaient.
Tout avait commencé une heure plus tôt lorsque le Limnoria avait aperçu une vieille chaloupe avec à son bord, un jeune homme tentant vainement de pagayer. Lorsque les membres de l'équipage étaient partis prévenir leur capitaine, celui-ci était sorti de ses quartiers, ses bottes raclant contre le bois de son navire tandis qu'il s'avançait lentement sur le pont.
Il avait sortit sa longue-vue et inspecté ce qui se trouvait devant lui avant d'écarquiller les yeux de surprise et d'ordonner à ses hommes de l'amener à bord d'un ton sans appel. Le jeune garçon qui avait tenté de s'enfuir en pagayant lamentablement s'était fait rapidement rattraper par les hommes du Limnoria et jeter aux pieds de leur capitaine sans aucune douceur. Ce fut une surprise autant pour l'un que pour l'autre de se retrouver face à face après tout ce temps.
– Ton équipage s'est réduit à ce que je vois, continua-t-il en regardant la chaloupe par-dessus l'épaule du bleuté. L'Éphyra a bien rapetissé. Je le pensais plus impressionnant vu ce qu'on m'en avait raconté, dit-il en baissant légèrement son sabre. Remarque, je trouve que celui-là te correspond parfaitement. Aussi pathétique que toi.
Les membres de l'équipage ricanèrent et le bleuté haussa les épaules, pas le moins du monde contrarié.
– Depuis quand es-tu devenu aussi mauvaise langue ? commença-t-il en souriant en coin. Je me souviens qu'à l'époque, tu ne t'en servais pas pour dire de tels mots...
La phrase au sous-entendu graveleux eut raison de la patience du capitaine du Limnoria.
– Assez ! s'énerva le noiraud en montant à son tour sur la planche, surprenant ses hommes.
Il s'approcha à quelques centimètres du bleuté, pas le moins du monde craintif face à l'étendue d'eau qui se trouvait à ses pieds et le fixa, le regard brillant de rage.
– Sors encore une connerie de ce genre et je te tue de mes propres mains, articula-t-il lentement.
Il s'éloigna quelque peu du bleuté avant de le toiser froidement.
– Je ne sais pas si tu te rends compte de ta situation actuelle. Je pourrais te pousser et te laisser crever de fatigue alors que tu tenterais désespérément de nager pour rejoindre cette pauvre petite île que tu vois au loin, dit-il en pointant le petit bout de terre qui paraissait bien minuscule à cette distance. Tu ne m'en crois pas capable ?
Le bleuté admira en silence le garçon devant lui, analysant sa beauté qui n'avait fait qu'accroître ces dernières années. Ses traits enfantins qui s'étaient durcis avec l'âge et ce corps qui s'était développé en musculature. Il ressemblait à un dieu vivant. Ses longs cheveux corbeaux qui s'ondulaient et encadraient son visage ne faisaient que rendre sa beauté plus mystérieuse, plus profonde. Mais il se fit la réflexion que ce qui avait le plus changé chez cet homme qu'il avait autrefois aimé, c'était son regard.
À l'époque, il lui chuchotait des mots doux au creux de l'oreille et se délectait de voir ses pupilles si pleines de vie briller telle des étoiles, le regardant avec admiration et amour. Ce regard rempli de candeur et cachant des milliers de rêves c'était transformer en deux grands trous noirs vides qui ne reflétait que de la haine et du regret. Le bleuté déglutit et tourna la tête, ne pouvant supporter de voir ce regard qu'il avait contribué à détruire il y a maintes années.
– Si, Jungkook, dit-il d'une voix plate. Je sais que tu en es parfaitement capable. Je suppose que ce serait mérité.
– Tu supposes bien, en effet, dit-il sarcastiquement en pointant à nouveau sa lame contre son ancien amant. Fais-nous donc part de tes derniers mots, Taehyung. Ce n'est pas tous les jours qu'on assiste à la mise à mort d'un des sept seigneurs des mers. Mes hommes sont curieux.
Ledit Taehyung s'était fait à l'idée que celui qu'il avait aimé n'était plus, laissant place à un homme froid et intransigeant qui n'aurait aucune peine à le tuer s'il laissait sa langue se délier plus que de raisons, lui rappelant ce qu'ils avaient autrefois été.
Lorsqu'il avait vu le navire, il ne s'attendait pas à tomber sur l'un de six anciens compagnons. Il avait espéré au moins tomber sur celui qui avait été autrefois son meilleur ami et pilier, mais il avait fallu qu'il fasse face à la personne qui lui faisait se sentir le plus honteux. Il l'avait de suite reconnu, ce visage qu'il avait appris à graver dans sa mémoire, se souvenant des moindres traits, des moindres mimiques. Et même s'il avait changé, il l'avait reconnu dès le premier coup d'oeil. Il lui avait semblé que son coeur lui avait été arraché sans aucune douceur à l'instant même ou il avait croisé ces deux grands yeux havane.
Il se risqua à tourner la tête vers lui, perdu. Perdu quant au fait de se tenir face à la personne qu'il ne pensait jamais revoir, perdu quant au fait qu'on lui demandait de prononcer ses dernières paroles et perdu dans ses souvenirs, tout simplement. Il ouvrit plusieurs fois la bouche, mais aucun son n'en sortit, incapable de trouver les bons mots. Il ferma fortement les yeux, se concentrant avant de se souvenir de ce moment. Il ouvrit lentement ses paupières avant d'incliner sa tête vers le ciel bleu, un sourire nostalgique décorant ses fines lèvres gercées.
– Est-ce que tu te souviens de la première fois qu'on..., commenca-t-il, incertain, avant de baisser la tête pour regarder le noiraud.
Celui-ci fronça les sourcils avant de comprendre à quoi le bleuté faisait allusion. Il faisait allusion à la première fois qu'ils s'étaient unis corps et âme. Il se souvient de cette grotte qui ornait la plage alors que leurs amis dormaient à poings fermés quelques mètres plus loin à même le sable. C'était après qu'ils soient revenus d'une de leurs nombreuses expéditions, partant à la recherche du trésor caché du Roi Seun-joon, que l'on disait introuvable. Et pourtant, ils l'avaient trouvé.
Ils s'étaient donné l'un à l'autre dans cette grotte, se touchant avec douceur, leurs jambes s'entremêlant et leurs corps s'épousant, laissant les parois rocheuses être témoin de ce moment d'amour. Leur tout premier. Ce soir-là, après avoir atteint le paradis à deux, ils s'étaient fait une promesse. Une promesse sacrée. Ils en avaient gloussé comme des enfants, mais les deux garçons s'étaient jurés au fond d'eux-mêmes de ne jamais la rompre. Parce que cela leur semblait inconcevable.
Le noiraud serra la mâchoire et son ancien amant comprit alors qu'il s'en souvenait parfaitement.
– Tu sais, la promesse qu'on s'était faite à ce moment-là...Je...
Mais le bleuté n'eut pas le temps de finir sa phrase que le noiraud avait vu rouge et l'avait poussé brusquement d'un coup de pied dans l'estomac, le faisant tomber de la planche sous le regard surpris de ses hommes. Le bruit distinct d'un corps chutant dans l'océan se fit entendre et les matelots regardèrent par-dessus bord, admirant les derniers relents de la mer qui avaient été provoqués par la chute et qui, petit à petit, commençait à s'estomper, sans que le bleuté ne remonte à la surface. Chacun des hommes regardait leur capitaine alors que celui-ci se tenait toujours debout sur la planche, le regard vissé vers les derniers vestiges de l'endroit où son ancien compagnon était tombé, le visage impassible.
Il se détourna enfin après de longues secondes et reprit son chemin en direction de ses quartiers.
– Capitaine, vous...
– Mettez les voiles à bâbord, cria-t-il à l'attention de ses hommes, coupant l'un d'entre eux, avant de prendre la direction de sa cabine.
Il est toujours impressionnant de constater à quel point la haine et la rancoeur peuvent ternir une âme, aussi belle fut-elle.
– Que je sois damné si je me laisse avoir par tes belles paroles, murmura-t-il pour lui-même, les dents serrées.
Il se retourna soudainement en entendant un croassement à sa droite. Il fronça les sourcils en voyant une corneille, poser non loin de lui, semblant l'observer avec attention.
Jeon Jungkook, l'un des sept seigneurs des mers, venait d'offrir Kim Taehyung à l'océan, son premier amour et ancien camarade, sans aucun regret.
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La nuit tombée était le moment de la journée que les hommes du Néoméris craignaient le plus. Car c'était à cet instant précis, alors que le soleil avait laissé sa place à la lune, que leur capitaine s'accordait à sortir de ses quartiers, terrifiant alors les siens. Aucun de ses membres n'avait jamais vu son visage, celui-ci étant toujours recouvert d'un tissu fin sombre, ne laissant rien apparaître.
Habillé exclusivement de noir et dont le seul accessoire qui décorait sa tenue était un chapeau de la même couleur doté d'une plume blanche, il s'avançait alors doucement sur le pont de son navire, sa main longeant les pavois d'une douce caresse, sans un bruit. Ses hommes s'écartèrent de son chemin, le suivant du regard, happé par cette aura si particulière qu'il dégageait. Il se fondait dans l'obscurité, la faisant sienne. La nuit ne l'engloutissait pas, il la dominait.
Cet homme qui était le plus craint des sept seigneurs des mers se craignait lui-même.
Jadis, il était un hommes des plus normal, possédant une volonté de fer et un coeur noble. Un homme qui, avec ses amis, aspirait à devenir un pirate respecté et juste. Et il le devint. Mais sans l'aide de ses compagnons et pas de la manière qu'il l'aurait souhaité.
Les légendes se transforment avec le temps et celle des perles d'Asia n'échappa pas à la règle. Chacune de ces perles détenait un pouvoir, mais certaines s'apparentait plus à une malédiction. Et le brun tomba sûrement sur la pire d'entre toutes, se voyant à la fois priver de ce qu'il aimait le plus, mais dans l'obligation de l'avoir enchaînée à lui, pour l'éternité.
S'arrêtant une fois qu'il se retrouva à la proue de son navire, il laissa la maigre visibilité que lui offrait le tissu couvrant son visage afin de lever la tête vers le ciel obscur et ses étoiles. Il inspira une grande bouffée de l'air marin, relâchant subtilement ses épaules, s'enivrant de cet arôme qu'il aimait tant.
Bercé par le bruit de l'eau se fracassant doucement contre la coque, il se perdit dans ses songes, s'imaginant ce qu'il se serait passés si, dix ans auparavant, cette querelle n'aurait pas eu lieu. Sa vie serait sûrement bien différente, plus joyeuse, plus simple, moins solitaire.
À chaque fois que le brun sortait de ses quartiers la nuit venue, il essayait d'apercevoir les étoiles en se demandant ce que les six personnes qu'il chérissait le plus faisaient. Il avait entendu des histoires sur les exploits de ses six anciens camarades, mais ce n'était pas ce qui l'intéressait. Non. Lui se demandait ce qu'ils faisaient, à quoi ils pensaient une fois qu'ils se retrouvaient seuls à l'abri des regards. Regrettaient-ils eux aussi cette époque lointaine où ils étaient des compagnons, des amis, des frères ? Prenaient-ils le temps eux aussi de regarder les étoiles en songeant à ce qu'ils seraient devenus s'ils étaient restés ensemble ? Le capitaine du Néomeris n'était plus que l'ombre de lui-même, se ressassant avec regret et nostalgie, les souvenirs d'antan encore et encore.
– C-capitaine, on a reçu un message.
Le capitaine se retourna vers cette voix tremblante. Derrière ce semblant de masque, il fronçait les sourcils. Pourquoi ses propres hommes avait-il si peur de lui ? Il aurait aimé se dire que c'était parce qu'ils les intimidaient, que c'était parce qu'il était une fine lame reconnue et qu'ils le respectaient. Mais ce n'était pas ça.
La seule raison était parce que son apparence les terrifiait, les rendait tremblants.
Et au fond de lui, il en souffrait terriblement.
Min Yoongi, l'un des 7 seigneurs des mers, était condamné à voguer sur l'océan sans jamais pouvoir l'admirer, et ce, pour l'éternité.
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Il existe des créatures habitant les profondeurs des mers doté d'une beauté que de simples mortels ne sauraient posséder. Des êtres à la voix charmeuse et envoûtante, faisant sombrer tous les marins qui auraient le malheur de croiser leurs chemins. Des êtres aux yeux hypnotisant, capable de capturer votre âme d'un simple coup d'oeil, vous faisant perdre la raison.
On les surnomme les démons de l'océan. Le fléau des marins. Les voix du Diable. Les mangeurs d'hommes.
Les sirènes.
Ces êtres mi-homme mi-poisson craint de tous, faisant trembler les marchands, frémir les corsaires et douter les pirates.
Les bras reposés sur un rocher, les petites vagues claquant contre son dos, le blond fermait les yeux, apaisé. Quelques gouttelettes dévalaient son dos humide au teint clair et à la douceur égale à celle d'un nourrisson. Sa queue de poisson aux écailles scintillantes et à la couleur bleutée remuait doucement dans l'eau, d'un geste machinal. Le bracelet doré qui entourait son biceps se distinguait à des kilomètres. Il s'agissait d'un présent qui lui avait été offert par un roi. Un bien précieux d'une valeur inestimable.
L'océan était comme une seconde peau pour lui, passant bien plus de temps à nager dans l'eau qu'à fouler la terre. Il se sentait serein et libre à chaque fois que sa transformation s'opérait.
Soudain, un bruit se fit entendre juste à ses côtés, lui faisant doucement ouvrir les yeux, révélant à la nuit la magnificence de ses pupilles rubis qui brillaient de mille feux. Il rencontra deux astres solaires le fixant, le faisant relever sa tête de ses bras.
– Que se passe-t-il, Arsan ?
Le garçon à la chevelure noire et à la queue dorée posa sur le blond un regard incertain.
– Certains des nôtres ont vu deux seigneurs des mers ensemble, capitaine.
Celui-ci fronça les sourcils avant de se redresser complètement, portant toute son attention sur son interlocuteur.
Ce que venait de lui dire son ami le surprit. Deux de ses anciens amis s'étaient retrouvés. Après tout ce temps, il n'y croyait plus, s'imaginant qu'ils allaient tous les sept continuer leur vie sans ne jamais se revoir. L'océan était immense, certes, mais il se souvient du jour ou, quelques années auparavant, il avait vu le navire de l'un d'entre eux. Comment savait-il que ce vaisseau appartenait à l'un de ses anciens camarades ? Son pavillon.
Il avait entendu autrefois, alors qu'il avait accosté sur l'île où se rassemblent tous les pirates, un homme dans une taverne qui clamait avoir survécu à l'assaut du Néomeris, le navire de l'un des sept seigneurs des mers. Il postillonnait sa bravoure à ses camarades de beuveries en détaillant le pavillon qui ornait ce vaisseau lugubre. Une simple étoile sur un fond noir.
Yoongi.
Le blond savait qu'il ne pouvait s'agir que de Min Yoongi.
Il avait aperçu bien plus tard ce pavillon de ses propres yeux, mais n'en avait rien fait, admirant de loin ce navire à l'allure fantomatique, le regard brillant.
Ce fut la seule fois où il croisa l'un d'entre eux. Se croiser sans se voir, se reconnaissant par un simple pavillon, était-ce donc tout ce qu'il ne verrait jamais d'eux ?
Les sirènes et les hommes venaient lui conter les récits de ses anciens amis et lui les écoutait d'une oreille attentive, jaloux de savoirs qu'ils avaient vu de leurs propres yeux ce qu'il n'avait pu voir. S'aidant des descriptions qu'ils lui racontaient pour s'imaginer à quoi ressemblaient les six seigneurs des mers à l'heure d'aujourd'hui.
Il secoua la tête à ce souvenir et reporta son attention sur la sirène qui lui faisait face.
– Lesquels ?
– Celui aux cheveux que l'on dit plus bleu que l'océan et le manipulateur.
– Taehyung et Jungkook, murmura-t-il, le regard dans le vague.
Il se perdit dans ses pensées, se remémorant certains moments qu'il avait partagés avec ses deux anciens amis, sa tête se remplissant de leurs éclats de rires.
Mais tout ça était du passé, leur relation s'était déchirée, ne laissant derrière elle que des souvenirs amers et douloureux.
Que les deux anciens amants se retrouvent était l'oeuvre du destin selon lui. Un cruel destin qui cherchait à rouvrir des plaies qui avaient pourtant mises si longuement à cicatriser.
– Qu'ont-ils vu ? Que s'est-il passé ?
– Le manipulateur a jeté l'autre seigneur à la mer.
Le blond écarquilla les yeux, mais se reprit bien vite. Il n'y avait finalement rien de surprenant dans tout cela, et c'était peut-être bien ça le pire.
– Le garçon aux cheveux bleus, qu'est-il devenu ?
Le garçon aux yeux de miel passa furtivement sa langue sur ses lèvres.
– Il nageait en direction de l'île d'Uranie.
– Je vois. Quand cela s'est-il passé ?
– Il y a deux jours.
Le blond tourna son corps en direction de son navire qu'il apercevait au loin, ses membres d'équipage s'activant sur le pont. Il avait reçu un peu plus tôt dans la journée la visite d'une corneille qui transportait à sa patte un message. Il fut surpris d'y lire ce qui était écrit. Un sentiment qu'il n'avait pas ressenti depuis plusieurs années s'était propagé dans l'entièreté de son corps. Ainsi, l'Ianeira s'apprêtait à faire cap d'ici quelques heures en direction de l'île de Mortos.
– Nous allons faire un détour sur Uranie, dit-il en se retournant vers Arsan. Va prévenir mes hommes.
Celui-ci hocha la tête.
– Bien, mon capitaine.
Et il nagea en direction de l'Ianeira sous le regard du blond. Une fois qu'Arsan fut hors de portée de vue, il soupira et se replaça sur son rocher, la tête dans ses bras, ses prunelles rouges détaillant le mouvement de la mer avec grand intérêt, l'esprit songeur.
Park Jimin, l'un des sept seigneurs des mers, dit l'homme qui murmure à l'oreille des sirènes, n'allait plus se fier aux récits qu'il entendait pour s'imaginer ses camarades.
Il allait bientôt se fier à ses propres yeux.
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– Est-ce que tu te sens mieux ?
Le jeune garçon d'à peine seize années toussa bruyamment avant d'offrir un sourire douloureux à son capitaine qui se tenait à ses côtés.
– Je vais mourir capitaine, pas vrai ?
Le brun le fixa, assis sur un tonneau, la lueur d'une bougie qui vacillait éclairant faiblement son visage, ne laissant entrapercevoir qu'un seul côté de celui-ci. Un peu plus tôt, il se trouvait près du gouvernail, s'apprêtant à lire un message qu'il avait reçu lorsque ses hommes étaient venus à son encontre, lui signalant que l'état de leur camarade s'était détérioré.
– Non. Bien sûr que non, répondit-il au bout de plusieurs secondes.
Mais l'un comme l'autre savait que ces quelques secondes de silence voulait tout dire. Ce jeune homme ne survivrait pas.
Son capitaine se pinça l'arête du nez, culpabilisant de cette situation. S'il n'avait pas cédé à ce gamin qui lui suppliait de faire partie de son équipage quelques mois plus tôt, tout cela ne serait jamais arrivé. Il ne serait jamais tombé malade.
Il releva la tête pour observer Sora qui aurait pu vivre encore bien des années. Mais hélas, comme bien trop souvent, des hommes meurent en mer. Et il ne serait pas épargné. Il détailla son teint blafard, ses paupières à moitié closes et sa respiration sifflantes. Chaque respiration qu'il prenait le plongeait un peu plus dans les ténèbres. Elle semblait douloureuse et le brun en détourna le regard.
Une pensée lui traversa l'esprit. Pensée qu'il regretta aussitôt.
Ce gosse n'était pas fait pour être un pirate.
Et il s'en voulut aussitôt. C'était le chagrin qui parlait à sa place. Il ne pouvait pas remettre en cause la place de Sora au sein de son navire, pas maintenant. Pas alors qu'il s'était battu ardemment pour se faire sa place parmi l'équipage.
Cela l'avait surpris lorsque, quelques mois plus tôt, ce gamin l'avait supplié de le recruter. Il avait d'abord refusé, mais en voyant son regard, il n'y eut plus aucune trace d'hésitation. Sora, malgré son corps fétiche et ses traits enfantins, possédait de la détermination. Une détermination qu'il avait vu flamboyer dans ses prunelles.
Une détermination qui lui rappela quelqu'un, un certain noiraud, qui avait autrefois la même lueur qui dansait dans son regard. Il se revoyait plus de dix ans plus tôt, lorsqu'il admirait ce gamin affronté ses ennemis avec force et conviction. Il se souvenait de sa fine silhouette tandis qu'il apprenait à manier le sabre sous les encouragements de tous. Il le revoyait tomber et pourtant, se relever encore plus fort. Jusqu'à devenir l'homme respecté qu'il était aujourd'hui.
– Pourquoi vous souriez ?
Il releva la tête, ne s'étant même pas rendu compte qu'il souriait bel et bien. Il espéra que Sora ne le prenne pas mal, mais celui-ci le dévisageait, seulement intrigué.
– Je repensais à un vieil ami, soupira-t-il.
– Pourquoi ?
– Tu me fais penser à lui.
– Vraiment ?
Le brun hocha la tête pour réponse, le visage à présent neutre.
– Qui est-ce ?
– Jeon Jungkook.
Il sourit, attendri par la réaction de Sora qui écarquilla très légèrement les yeux. Il avait toujours voué une certaine admiration pour les sept seigneurs des mers qui faisait grandement rire son capitaine.
– Vraiment ? demanda-t-il, la voix tremblante.
– Hm-hm, acquiesça-t-il. Il était exactement comme toi à ton âge. Tu sais, je crois que c'est aussi pour ça que je t'ai recruté ce jour-là, parce que je l'ai vu en toi et que...
Il jeta un rapide coup d'oeil à Sora dont l'attention était concentrée sur lui, buvant ses paroles comme un ivrogne le ferait avec son rhum.
– J'ai pensé qu'avoir une présence qui me rappellerait l'un d'entre eux comblerait ce manque que je ressens, souffla-t-il. C'est égoïste, n'est-ce pas ?
– Et est-ce que ça a marché ? demanda Sora, la voix faible. Est-ce que ma présence vous a soulagé de ce manque ?
Les deux hommes se fixèrent. Seuls les grincements de la marchandise, le bruit des vagues et l'unique bougie éclairant la pièce berçaient cette ambiance silencieuse.
– Non.
Sora baissa la tête et le brun savait aussitôt à quoi il pensait. Le garçon avait eu tendance maintes et maintes fois à se remettre en question, à douter de sa valeur. Il devait penser en ce moment même qu'il était un fardeau pour l'équipage et cela lui serra le coeur. Parce que Sora était bien des choses, mais un fardeau, certainement pas.
– Il y a certains manques qui ne peuvent être comblés, reprit-il. Mais ne doute pas de moi lorsque je te dis que ta présence est bénéfique, parce qu'elle l'est. Tu es fort, Sora, ne te remet jamais en question là-dessus et ne laisse personne te dire le contraire. Jamais, tu m'entends ?
Sora hocha faiblement la tête, offrant à son capitaine un maigre sourire.
– Avais-je seulement une chance de finir comme le capitaine du Limnoria ?
Le brun leva la tête et ses yeux se mirent à briller. Il la voyait. Cette ombre verdâtre qui se tenait aux côtés de Sora. On ne la distinguait pas encore très bien, mais plus le temps avançait, plus elle prenait forme.
Son fantôme.
Il prit la main du souffrant entre les siennes, la serrant. Elle était glacée.
– Si lui a réussi, pourquoi pas toi ?
Sora regarda son capitaine, ses yeux reflétant toute l'admiration, la reconnaissance et l'amitié qu'il éprouvait pour lui. Un tel regard déstabilisa le brun et il traça des petits cercles à l'aide de ses pouces sur cette main gelée, lui souriant. Un sourire qui valait plus que des mots, les deux hommes le savaient.
– Merci, murmura Sora en fermant les yeux.
Son capitaine hocha la tête, mais l'autre ne le vit pas. Seule sa respiration difficile se faisait entendre. Le brun se releva, déposa doucement sa main contre son abdomen et remonta la couverture sur son corps. Il traversa sa propre chambre qu'il lui avait attribuée et, alors qu'il allait sortir, jeta un dernier regard au garçon avant de s'en aller définitivement.
Une fois dehors, le vent frappa son visage comme la réalité.
Sora ne deviendrait jamais comme Jungkook.
L'Apseudès allait perdre une partie de son âme ce soir.
Dans la nuit, ce garçon de seize ans qu'il affectionnait tant ne serait plus et il devrait alors l'enterrer dans l'océan, comme tous les marins succombant en mer.
N'en resterait alors que cette apparence brumeuse et verdâtre qui le suivrait, le hantant.
Kim Namjoon, l'un des sept seigneurs des mers, allait perdre un de ses hommes cette nuit. Et nul réconfort ne pourrait soulager cette douleur quand vous avez le pouvoir, ou la malédiction, de vivre avec leurs fantômes.
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Boussole en main, le capitaine du Callianeira s'aventurait à travers la jungle et les êtres dangereux qui l'habitait. De sa lame, il créait un chemin à travers cette densité de verdure pour son équipage et lui, coupant les feuilles de bananiers qui entravaient sa route et autres. Menant la tête de cette expédition, il alternait son regard entre sa boussole et la route lui faisant face, ignorant les plaintes de ses hommes.
Alors que sa boussole faisait encore des siennes, indiquant tantôt le sud, tantôt l'ouest, faisant jurer le châtain, il entendit un hurlement strident qui l'arrêta net dans son avancée. Il se retourna pour voir un de ses hommes, accroupi par terre, la tête entre ses mains, lui faisant lever les yeux au ciel.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il d'une voix lasse.
– U-une araignée, j'ai une araignée sur mon dos.
Le châtain cru s'étouffer en entendant cela. Qui lui avait refilé un équipage pareil ? Les cinq autres hommes présents étaient tous en train de regarder la scène, la sueur ruisselant sur leur front.
– Ça ne doit être qu'une feuille Hyun-su, tournes-toi.
Le concerné se releva doucement et se retourna, laissant le loisir à tous les hommes présents d'apercevoir la splendide tarentule qui parcourait son dos. Les cinq hommes laissèrent échapper des hoquets de surprise, se reculant.
– Oh merde, laissa-t-il échapper.
Il réfléchit à toute allure, balayant son regard de gauche à droite et coupa une feuille de bananier de son sabre. Il s'approcha d'Hyun-Su et gifla son dos avec la feuille, faisant voler la tarentule un peu plus loin sur la droite, près de l'un de ses hommes qui sortit un cri peu viril. Le châtain jeta la feuille de bananier par terre et soupira tout en reprenant sa boussole en main.
– Ce n'était qu'une feuille.
– P-pourquoi Jiho a crié alors ?
Leur capitaine secoua légèrement sa boussole, celle-ci se faisant capricieuse par moments. Il jeta un rapide coup d'oeil vers Jiho, apercevant que son marin avait encore le regard tourné en direction de là où la tarentule avait atterri, comme si elle allait lui sauter au visage.
– Jiho a une peur bleue des mouettes, cela te surprend ? demande-t-il en arquant un sourcil.
Tous les hommes secouèrent la tête et le châtain reprit alors sa marche.
– Putains de marins d'eau douce, c'est pas possible, murmura-t-il pour lui-même tout en glissant un regard par-dessus son épaule, dévisageant l'allure de ses hommes.
Il affectionnait énormément son équipage, mais il devait avouer qu'en terme de courage, certains laissaient à désirer.
L'un d'eux s'avança d'ailleurs vers lui, l'air craintif sous le regard de ses camarades. Sa démarche était lente, peu sûre, et il ne cessait de jeter des appels de détresses discrets à ses compagnons. Le châtain fit mine de ne rien voir alors qu'il se tenait désormais à ses côtés.
– Capitaine ?
– Quoi encore ? demanda-t-il, le regard droit devant lui. L'un d'entre eux s'est fait attaquer par un papillon ?
Le matelot secoua la tête.
– Cela fait longtemps que l'on marche et...Nous avons soif, mon capitaine.
Le capitaine s'arrêta pour le fixer, remarquant sa chemise trempée de sueur, ses cheveux humides, et sa respiration haletante. Un bref coup d'oeil vers les autres lui suffit pour vérifier qu'ils étaient tous dans le même état.
– J'ai compris.
Il eut un sourire en coin alors que le marin retournait auprès de ses camarades, tout sourire. Alors qu'ils continuèrent leur exploration à travers la jungle, le châtain entendit soudainement ses hommes prononcer des exclamations de joie. Il se retourna, les admirant courir en direction d'une source qui se trouvait juste sur leur gauche.
Intérieurement, il s'esclaffa.
Ses hommes se mirent accroupis et s'abaissèrent pour enfin s'hydrater, mais à peine eurent-ils le temps de toucher l'eau que celle-ci s'effaça lentement, laissant leur euphorie se dissiper en même temps que la source. Ils se relevèrent et virent leur capitaine, un grand sourire sur le visage.
– Encore ? geins l'un d'entre eux.
– C'est amusant de voir qu'à chaque fois vous tombez dans le piège, répondit le capitaine en ricanant. Allez, en marche. Vous vous plaindrez quand vous serez morts.
Sur cette île au climat humide, le capitaine du Callianeira cherchait le trésor caché de Cortez. Un trésor d'une grande valeur à ce que l'on dit. Cela n'avait pas été une tâche facile de trouver son emplacement. Il dut écouter les récits des anciens dans les tavernes, lire les vieux ouvrages des pirates et troquer nombre de biens contre cartes prometteuses. Mais il y était enfin, il se sentait proche de son but.
Soudain, il entendit le cancanement d'un perroquet. Il leva la tête et offrit son bras pour que l'Ara vienne s'y poser. Il sourit, caressa la tête de l'animal de son index avant de froncer les sourcils en voyant un morceau de papier dans son bec.
– Qu'est-ce que c'est ? murmura-t-il en prenant le papier, le dépliant doucement.
L'oiseau au plumage multicolore s'envola du bras de son maître pour battre des ailes au-dessus de la tête des hommes du Callianeira avant de crailler le même mot cinq fois d'affilée.
– Message !
Kim Seokjin, l'un des sept seigneurs des mers, celui que l'on surnomme l'illusionniste, allait malheureusement devoir repousser son exploration du trésor de Cortez à une autre fois.
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