Chapitre 7. Traumatismes
Chapitre 7. Traumatismes
Eythan
Mes pieds cognent violemment le sol. Je pose un genou à terre. L'intrus lâche la fille et se retourne. Il a juste le temps d'apercevoir mon regard énervé. La prochaine fois, je prends les escaliers. Un O semble avoir été gravé sur le visage d'Hélène. Je sais. Je suis très impressionnant.
Puis mon regard croise celui de la quatrième dont j'ai à peine entendu parler. Son prénom commence par un A ou un E. Peu importe. Je lis en elle un mal-être terrifiant. Alors c'est à ça que ressemble les conséquences de la frustration sexuelle.
Les yeux de l'intrus s'apploupissent quand je déverse toute ma haine dans ma lame. Un trou commence à se creuser dans le bas de son ventre. Je viens de faire une grosse connerie. À la manière dont son corps chute, il est déjà inconscient. Il méritait pire qu'un simple coup de couteau.
On verra plus tard s'il se réveille, Hélène reste ma priorité. Elle est déjà en train de rassurer la quatrième. Cette dernière est assise contre un mur, la tête trop penchée en arrière pour aller bien.
« Qu'est-ce qui se passe ?
– Elle a fait un malaise. »
Il ne manquait plus que ça. Mais bon, sur le coup, je ne peux lui en vouloir. Elle a été fait otage une fois. Puis agressée sexuellement. Puis otage une deuxième fois. Puis agressée une nouvelle devant deux autres personnes.
Hélène est étrangement calme. On dirait qu'elle a fait ça toute sa vie. Elle a un sang froid impressionnant. Sans rire. Je viens de blesser un connard – j'en ai pas fini avec lui – et une fille s'est faite agresser devant elle sans qu'elle ne puisse intervenir. Beaucoup auraient craqué.
Snif snif.
« Y a une odeur bizarre.
– La sueur des otages ? La blessure du... Du mec ?
– Y en a une troisième. C'est celle du sang mais... Du vieux sang.
– Du vieux sang ?
– Ouais. »
C'est étrange. Tout est étrange ici mais cette odeur encore plus. J'ai l'impression de la connaître sans l'avoir jamais senti. Elle vient d'Hélène. Je m'assois à côté d'elle. La docteure improvisée ne m'accorde pas même un regard. Une docteure très efficace d'ailleurs. La rousse a déjà repris connaissance. Quand je demande son prénom à Hélène, elle hausse les épaules.
Elle fait son devoir. Elle ne cherche pas à savoir qui ou pourquoi. Je crois que je l'admire. Ma blonde préférée lui tient des mots doux et ses mains. Quelque chose cloche.
Comme toujours mais cette fois-ci c'est sérieux. J'ai vu un reflet brillant vers les manches de la quatrième. Ce n'est pas une arme blanche. Elle doit se sentir trop mal pour planter qui que ce soit. C'est... Du scotch.
Je commence à en avoir marre. Plus le temps passe et plus je tombe sur des gens mutilés. C'est lassant à force. Voir des gens se détruire est amusant, mais pas quand c'est toujours de la même manière. Il est temps de changer les mentalités.
Il me suffit de prononcer le mot « manche » pour attirer l'attention générale. Hélène m'interroge du regard mais la quatrième comprend. Le scotch, la direction de ses regards, l'anomie dans son cœur... Tout me laisse penser que les élèves enfermés à côté de nous ne sont pas étrangers à cette histoire. Je vais la venger. Mais pas maintenant. Pas devant Hélène.
Alors je commence à faire les cents pas. À littéralement tourner en rond. J'imagine différents scénarios pour traumatiser ses harceleurs. Aucun ne sort vraiment du lot. Je m'arrête et récupère le cutter en vitesse. Quelques secondes plus tard, je le range dans ma poche droite et reprends mon cycle. Évidemment qu'il y a des intrus à vingt mètres d'ici. Ils doivent être une dizaine à se balader partout dans le bâtiment. Je souris. Une dizaine moins deux.
C'est long. Je veux bien qu'elle soit traumatisée mais le temps qui passe est du temps gagné pour les intrus. Et du temps libre perdu de notre côté. Bon, la quatrième a l'air d'aller un peu mieux. Et par rapport à ce qu'elle vient de vivre, c'est un véritable miracle. Malheureusement, je m'ennuie toujours autant. Dix plans roulés en boule puis jetés dans une poubelle mentale plus tard, une idée me vient à l'esprit.
« Tu comptes faire quoi de ce mec ? »
La rousse se remet à pleurer. J'aurais dû y réfléchir plus longuement.
« Désolé. »
Contrairement aux apparences, je me fiche bien de ses larmes. Les gens vivaient déjà des traumatismes avant ma naissance et ils continueront à en vivre tout au long de ma vie. Je m'excuse auprès d'Hélène. Je viens de lui rajouter plusieurs kilomètres de pain sur la planche.
« Je vous l'emprunte du coup. »
Je me penche pour ramasser l'ex pistolet de Jo' qui traînait par terre. Le regard d'Hélène est d'abord énervé. Il est vrai que je ferais un piètre psychologue. Mais quand elle remarque l'arme dans ma main, son visage trahit son inquiétude.
« Tu vas où ?
– Réduire la taille du traumatisme des otages restés enfermés. Je reviens vite t'en fais pas. »
Elle fera et dira ce qu'elle veut mais ses yeux révèlent qu'elle m'aime beaucoup. Le sentiment qui gonfle mon cœur se révèle aussi agréable que nouveau. J'étudierai le sujet plus en profondeur quand je n'aurais plus que ça à faire. Pour l'instant, j'ai quelques intrus sur le feu.
Je jette un dernier coup d'œil à Hélène. Elle me regarde comme si la quatrième avait disparu et que nous étions les deux derniers humains de l'Univers. L'étouffement d'un sanglot la rappelle à sa condition et à la réalité. Ce serait marrant de vivre l'Apocalypse mais malheureusement, il n'est pas programmé pour aujourd'hui.
Survivre alors que des milliards et des milliards de personnes échouent. C'est infiniment plus classe que simplement tuer quelques bras cassés. Tu devrais te débarrasser d'eux avant qu'ils te fassent regretter de les avoir sous-estimés. Pas faux.
Je me mets à marcher au milieu du couloir. Pour l'instant, personne à l'horizon. Deuxième fois que je m'éloigne autant d'Hélène. Je ne sais pas ce que je ressens. J'ai passé plus de quatre-vingt-dix pourcent de ma vie sans elle et sans qu'elle me manque. Pourquoi ça changerait maintenant ?
Je ne sais toujours pas non plus si la laisser partir était une erreur. C'est uniquement grâce à la chance qu'on est toujours dans le même monde. J'aurais pu passer plus de temps sur mon enceinte. Elle aurait pu déposer les armes plus vite. Elle a continué à pointer son pistolet sur une innocente malgré les circonstances. Mon cœur s'accélère. En fait, Hélène, c'est moi en plus acceptable. Il faut que je me calme. Il le faut si je ne veux pas finir en passoire.
Mine de rien, mon Glock pèse sur mon bras droit. Tant mieux. Cela signifie qu'il est chargé. Afin d'assurer ma sécurité, j'enlève la sécurité et le pointe devant moi. Je suis maintenant paré contre toute éventualité. Contre ma mère, contre mes professeurs, contre les intrus... La boucle semble infinie. Contre qui devrais-je lutter en sortant d'ici ?
« C'est sûr que c'est pas en cours qu'on aurait appris à fabriquer des explosifs.
Je me colle immédiatement au mur le plus proche. Geste plus bruyant qu'utile. Tout paraît bruyant quand notre vie en dépend.
– Ouais, Evaristo ferait un excellent professeur. Peut-être même que ça nous servira plus tard. »
Des explosifs. Génial, il ne manquait plus que ça. Heureusement pour nous, ce ne sont pas des membres de SHAN*. Ils n'ont pas prévus de mourir explosé. Aucune chance donc qu'ils les déclenchent dans les cinq minutes. Autre bonne nouvelle, ils ne sont pas du tout sur leurs gardes. Ce qui signifie que ni forces de l'ordre ni journalistes ne sont en chemin.
Je calque ma respiration sur les battements de mon cœur. Ces derniers se mettent à accélérer de manière exponentielle. Mon cœur doit trouver amusant de m'enterrer sous un tas de merde. En temps normal, j'accepte volontiers de corser les choses. Mais il faut croire qu'aujourd'hui, tout est différent. Peu importe si je dois mourir demain. Je pisserais volontiers sur la tombe de la Mort.
Mais je ne crache pas sur l'idée de rester dans ce monde pour protéger Hélène. À ce rythme-là, j'aurais un bras droit en compote avant la fin de la journée. Je me détache lentement du mur, le Glock devant moi et prêt à tirer.
Deux doigts sur la détente et j'apparais dans leur champ de vision. Un Dieu semble avoir débarqué dans cette dimension. Leurs têtes étonnées, les chuchotements d'Hélène, les respirations de l'autre connard... La crainte des otages... Tout est comme arrêté.
Je tire. Une première munition transperce un cœur. Une deuxième balle vient se loger dans le poumon d'à côté. L'air déterminé, l'autre criminel pointe son arme sur moi. Il enfonce la détente dans sa direction. Un cylindre de neuf millimètres sort de son canon. Ce dernier pénètre la chair et détruit tout sur son passage. L'arrogant a eu ce qu'il méritait.
Cela me servira de leçon pour la prochaine fois. Ne plus jouer plus au con quand la vie d'Hélène en dépend. Je ne suis ni en dépression ni suicidaire. Pourtant je me fous éperdument de ma propre vie. Ça doit être anormal. Mais peu importe. J'ai d'autres chats à fouetter en ce moment.
L'homme tombé à ma droite semble mort. Je m'accroupis à côté de lui. Toujours pas de réaction. Pas de pouls non plus. On peut supprimer les battements de son cœur ? Ce doit être possible. Ou alors je ne sais pas mesurer un pouls. Avec mes oreilles en carton pâte et les trois détonations passées, même si son cœur battait, je serais incapable de l'entendre.
Je dois récupérer des chargeurs en priorité. Après avoir violé ses poches, je découvre un magasin* et un téléphone, seulement protégé par un code à quatre chiffres. Seulement un millier de possibilités. Seulement 732 possibilités si c'est une date. Si c'est une date, elle doit référer à un événement important, un saut en parachute ou une connerie comme ça.
Une telle aventure ne s'organise pas entre deux oraux. Plus que 216 possibilités. Personne ne met les mois avant les jours. Plus que 108 possibilités. Ou alors c'est une minute. Du genre 06:06. Ouais t'as raison. C'est chiant. Je m'ennuie à comploter alors que ça doit être 0000 ou une connerie du style.
0008. J'ai bien compris que c'était un ancien étudiant, mais je commence sérieusement à douter. Mais non. Pas de caméras nulle part. La seule explication que je conçois est une copine trop jalouse et un canard trop abruti. Mais même cette théorie ne tient pas la route.
À cause des histoires, même la réalité apparaît irréaliste. Un sourire et j'oublie complètement ce détail. Ce téléphone est une vrai mine d'or. Je dénombre douze personnes dans la galerie. Ils se sont même permis de prendre des photos le visage à découvert. Cette histoire ressemble de plus en plus à une blague, mais je ne ris pas.
La police serait ravie d'obtenir cette pièce à conviction. Je le glisse dans mon manteau et me relève. Je serais ravi de l'utiliser comme monnaie d'échange. Pour négocier quoi ? Je verrais bien.
C'est ridicule. J'ai de quoi faire chanter la police et les intrus. Pourtant je ne résiste pas à un Glock en chaleur. Ma peau brûlée m'oblige à le changer de main toutes les dix secondes. Je n'ai même pas le courage de rattraper le magasin que je viens de retirer. De toute façon, aux munitions qui n'en sortent pas, j'en déduis qu'il était vide. Je lâche délicatement mon arme, lassé de me brûler les mains. Cette dernière vient s'éclater violemment contre le sol. J'espère qu'elle n'a rien. Dans le pire des cas, j'en ai deux autres à disposition.
Je n'arrive pas à déterminer si l'arrogant est bien mort. Peu importe. Ce n'est pas à quinze ans que je vais commencer à jouer la sécurité. Cette fois-ci, deux chargeurs – avec lesquels je forme un début de pyramide contre le sol – m'attendaient dans ses poches. Je décide de lui voler aussi ses gants. Ils m'éviteront de me cramer les doigts. Et puis j'aime bien les gants en cuir.
Ce silence est... À la fois apaisant et oppressant. Après tant de conflits et d'action, ce retour au calme est pire qu'agréable. Dans un même temps, il pourrait être arrivé n'importe quoi à Hélène...
Elle est grande ! Il serait plus sage de s'inquiéter de l'état du Glock. Je ne connais qu'un moyen de vérifier s'il est toujours opérationnel. Je me saisis du deuxième chargeur de Jo' et le glisse dans mon arme. Attendez, c'est bien le bon trou ? Alors pourquoi... Ah, il était à l'envers. Bref. Je rapproche le canon de moi avant de le pointer sur le mur. La détonation semble encore plus explosive que les précédentes. Je crois que je participe plus au traumatisme des otages que tous les intrus réunis.
Bah, pas grave. Mon Glock est prêt à rôtir du preneur d'otage. Je vais pouvoir saboter ses concurrents. Je dépose le mien à ma droite. J'attrape le plus éloigné par le canon. Alors que je commençais à le désosser, ma stupidité me saute aux yeux. En deux temps et trois mouvements, j'ajoute deux nouveaux chargeurs à ce qui ressemble désormais à la tour de Pise. Maintenant que leurs pistolets sont vides, je peux les rendre inutilisables en toute sérénité. Je jouerai les comptables plus tard.
Et de un.
Et de deux.
Six chargeurs de cinq munitions chacune, moins une investie dans le mur... Je suis l'heureux propriétaire de vingt-neuf cylindres métalliques. J'ai ma petite idée de comment régler l'affaire harcèlement. Qu'est-ce qui me reste à prévoir ? De la place pour mes chargeurs. J'en dépose deux dans la poche de mon sweat. Elle ne pourra pas pas en contenir six sans risquer de tout faire tomber au premier geste brusque.
Je me met à vider les poches de mon jogging. Des boulettes de papier ne me serviront en rien pour sauver le reste des otages. Elles sont refermables et plus accessibles que celles de mon manteau. Je glisse deux chargeurs dans ma poche gauche et un autre dans sa jumelle plus sévère.
Lorsque que j'en sors une lame communément appelée cutter, un sourire pervers s'insère sur mon visage. La stratégie de se faire passer pour mort est commune à tout le royaume animal. Mais comme l'a dit un célèbre viking, on n'a jamais vu personne se relever, les tripes à l'air.
***
Plus que huit.
SHAN est un groupuscule terroriste.
Un magasin est un synonyme de chargeur.
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