Chapitre 55. Médaillon

Chapitre 55. Médaillon

Eythan

Je baille à m'en décrocher la mâchoire. Certains regards noirs pointent vers moi. S'ils savaient à quel point je n'en ai rien à faire. Je consulte une montre imaginaire. Ça y est, on est le 25 février. Flora, Axel et Hélène reprennent les cours dans l'école privée. J'espère que ça va bien se passer pour elle. Quoiqu'il se passe, je n'interviendrais pas. Je lui laisse sa liberté.
Essaim était censé revenir au collège aujourd'hui. Heureusement, ses parents ont accepté de le scolariser à la maison. Je ne sais pas s'ils seront très regardants sur son assiduité, ou s'ils se satisferont de le voir épanoui chez Akaji. Dans le pire des cas... Courage Essaim, il ne te reste plus que deux années avant tes seize ans.
J'ai l'impression d'être encore enfermé dans cette foutue salle d'arts pastiques ; alors que ça fait déjà plus d'un mois et demi. C'est dingue à quel point le temps passe vite. Le futur est déjà là. Je vais enfin pouvoir commencer à m'amuser.

« Au nom de la République française, nous vous faisons Grand Officier de la légion d'honneur. »

Le Président fixe le médaillon sur ma poitrine. Je m'attendais à un long discours, je suis assez déçu. Mais je me garde de l'exprimer à voix haute, certains me détestent déjà assez comme ça. Ce n'est pas si étonnant. Ce sont tous des fils de bourges, endoctrinés depuis petit par l'idée qu'ils sont l'élite. Mes parents étaient mille fois plus riches qu'eux. Mon père voulait nous éduquer à être humbles, et ça a fonctionné pour mon frère. Ma mère voulait que je disparaisse. Si elle avait eu l'accord de mon géniteur, elle m'aurait sûrement envoyé dans un pensionnat.
Je suis l'absolu opposé de ces gens. Ils me haïssent, et je les brûlerais bien vivants s'ils n'étaient pas au pouvoir. Le Président a besoin d'eux vivants paraît-il. La roue tournera un jour. Et si elle ne tourne jamais, je soufflerai dessus. Eythan ou le grand méchant loup.

Mon ascension est peu probable. Je fixais le plafond quelques mois auparavant. J'étais un élève dissimulé par la foule. J'aurais pu essayer de m'en dégager, comme tous les autres. Travailler dur, redoubler d'efforts, acquérir des diplômes prestigieux, pour se rendre compte que tu ne peux pas faire partie de l'élite si tu n'es pas né dedans. C'est rigoureusement impossible. Les bourgeois préfèrent rester entre eux, ils ne sont en rien différents de l'ancienne noblesse. Il suffit de demander à Thomas Shelby.
La fenêtre était fermée, je suis passé par la grande porte.
Les choses ont pas mal bougé depuis que je me suis perdu dans mes pensées. Certains se sont enfuis à l'autre bout de la pièce, dirigés par leur haine, leur mépris ou leur peur. D'autres se sont agglutinés autour de moi pour me serrer la pince. J'échange donc des poignées de main, de manière purement mécanique. Qu'est-ce qu'on se fait chier... Je ne suis pas à ma place ici.
Ce monde pue la merde, j'ai hâte d'en changer. Selon les dernières nouvelles, cela arrivera dans quatre jours. Dès que Marko est libéré, je me taille avec lui. Même en dehors du fait qu'il soit mon ancien moniteur, je préfère encore le monde du narcotrafic que celui des bourges.
Je les laisse entre eux, comme ils aiment tant l'être, pour me diriger vers un coin de la pièce.

« Ça va, je vous dérange pas ? Vous n'avez pas honte ? demande-je à la ministre de la Justice en la fusillant du regard.

– Pardon ?

Elle m'a très bien entendu. Elle ne sait juste pas où se mettre, car elle ignore si je suis sérieux ou non.

– Je vous ai demandé si vous n'aviez pas honte.

Les rares journalistes acceptés à cette cérémonie se pressent de nous rejoindre, attirés par le ton de ma voix.

– Par rapport à mon poste ? Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que chaque délit, chaque crime soient punis à la hauteur de leur gravité, et que les innocents soient protégés par la loi.
– Ce n'est pas ça dont je parle. Je suis conscient que vous faites votre maximum, quand vous n'êtes pas occupés à recevoir divers pots de vin. Ce qui arrive... Tout le temps, en fait.
– Ce sont de graves accusations jeune homme, avez-vous quelques preuves ?
– Le fait que vous vous braquiez peut-être ? Et vous avez un peu oublié l'autre partie de ma phrase. J'ai vanté vos mérites.
– Et donc, où voulez-vous en venir ?
– Comment osez-vous être la ministre de la Justice, alors que c'est moi la Justice ? Vous avez un sacré culot.

Les journalistes restent sidérés. Elle serre les dents aussi fort que possible.

– Quelle arrogance... Quoique je puisse dire, cela ne vous fera pas changer d'avis. Je préfère mettre fin à cette discussion sans queue ni tête. »

Sans un mot de plus, elle s'en va à l'extérieur, me laissant seul face aux journalistes.

« Désolé messieurs, mais pour m'interviewer, c'est trop tard. »

Ils s'en vont d'eux-mêmes, satisfaits de la conversation qu'ils ont pu filmer. J'attends qu'ils soient affairés avec un autre invité prestigieux pour rejoindre la ministre dehors.

« La prochaine fois, préviens-moi de commencer une telle pièce de théâtre.

– Ça va, tu t'en es bien sortie. Je crois que je me serais endormi si je n'avais pas créé un peu d'animation. Plus sérieusement, le président m'a dit de voir avec toi pour les détails de la libération de Marko.

Elle glisse une cigarette entre ses lèvres usées.

– Ouais. La procédure est déjà largement entamée, y a pas eu de problème particulier vu que tout le monde est dans notre camp. On a fait ça discret, aucun journaliste ni civil n'est au courant. Tout roule, il sera libre dans quatre jours. Tu veux lui faire passer des trucs avant ça ?

Elle couvre la flamme du briquet avec sa main gauche, et crache de la fumée une première fois.

– Vous l'avez prévenu que c'est moi qui l'ai fait libérer ?

– Non, on savait pas si tu voulais lui faire la surprise ou pas, alors on a rien dit.

– D'accord. Dans ce cas, faîtes lui parvenir ce papier, et rajoutez mon prénom dessus.

Elle le saisit, le déplie, y lit une adresse, une heure et un numéro de téléphone. Elle le range dans sa poche d'un air satisfait.

– Pourquoi avoir rajouté ton numéro ? Tu n'as pas confiance en son intelligence ou quoi ?
– À vrai dire, ça fait tellement de temps que je ne lui ai pas parlé, je ne sais pas du tout qui je vais retrouver. J'ai même aucun souvenir d'à quoi il ressemblait.

– Tu veux sa photo ?

Je secoue la tête.

– Non, c'est pas important.
– D'accord. N'hésite pas à faire appel à nos services si t'as besoin. C'est toujours un plaisir de faire affaires avec toi. »

J'hoche la tête pour seule réponse. Je peux leur apporter beaucoup, et eux aussi. Je les aiderai, jusqu'à ce que ce ne soit plus nécessaire. Ce jour-là, je leur collerai une balle entre les deux yeux.

***

29 janvier, 12 heures 13 : il est temps de m'en aller. Je bascule mon sac de sport au-dessus de mon épaule et traverse l'appartement. Je m'apprête à refermer la porte derrière moi alors qu'Alexia arrive en trombe. Dommage

« Tu comptais partir sans dire au revoir ?
– Ouais. Ton rendez-vous avec le Président est déjà fixé, mon interview fait déjà des centaines de milliers de vues, t'as plus besoin de moi. Voir passer des inconnus acheter mes vêtements de luxe dédicacés à toute heure devait pas être si marrant. Et puis, mon départ te permet de mettre les choses à plat avec ton ex. Que tu l'aimes encore ou non.
– C'est vrai, mais cette semaine passée ensemble était quand même cool. T'es bien différent de comment tout le monde te décrit. T'as rendu ma vie meilleure, tu sais pas à quel point. Tu te souviens de cette malheureuse fourmilière que je t'ai décrit quand on s'est rencontré ? C'est grâce à toi que j'ai pu en échapper. Même si je sais que le grand Eythan n'a pas d'amis, et qu'il m'a révélé un soir que quelqu'un occupait déjà son cœur, j'espère qu'il ne m'oubliera pas. Et si ça devait arriver, moi je me souviendrais toujours de ce « héros national » et de sa manière de nettoyer un lit !
– Oui bah ça va hein ! C'est tes instructions qui étaient pas claires, tu m'as bien dit de passer le balai partout non ? Bah c'est ce que j'ai fait.
– Oui oui bien sûr, s'esclaffe-t-elle.
– Plus sérieusement, t'en fais pas, j'ai ton numéro. Si tu veux, je t'inviterai à mon goûter d'anniversaire. »

Le fait qu'elle ne s'arrête pas de rire est un petit peu vexant.

« Bon, c'est le moment d'y aller. Je te promets pas qu'on se reverra bientôt, mais j'imagine qu'on se reverra bien un jour. Dis-moi si jamais t'as besoin d'aide.

Elle retrouve son sérieux en une seconde.

– Attends, avant que tu partes !
– Quoi ? Y a quelqu'un qui m'attends en bas.
– Justement, par rapport à lui... »

Elle ne connaît Marko que parce que je lui en ai parlé. Alors que peut-elle bien avoir à dire ? Qu'elle a fait des recherches, et que c'est un criminel ? C'est moi qui le lui ai appris.

« Tu sais, c'est un sombre chemin que celui de la violence. T'es sûr que tu veux t'y engager ? Tu connais le proverbe : qui prépare sa vengeance creuse deux tombes.

– Je suis d'accord. Mais, de toute façon, je n'ai jamais prévu de creuser seulement deux tombes. Plutôt des centaines ; des milliers s'il le faut.

– Alors pourquoi ? Me fais pas croire que tu comptes te sacrifier pour rendre le monde meilleur.

– Hein ? Bien sûr que non, je suis pas complètement débile. Cette histoire finira mal, c'est clair. Mais pas pour moi. »

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