Chapitre 5. Treize jours avant Noël

Chapitre 5. Treize jours avant Noël

Hélène

Cela fait maintenant sept minutes que j'attends Eythan. Il ne devrait plus tarder. J'espère. Ne rien répondre aux questions incessantes d'adultes sur les nerfs pendant plus de sept heures m'a épuisée mentalement. Ce traitement est d'une violence et d'une cruauté inouïe.

Dans un monde parfait, mon héros entrerait dans l'hôpital dans moins de dix secondes et me serrerait fort contre lui. Je lui raconterais toutes les choses affreuses qui me sont arrivées. Il m'écouterait avec attention. Son parfum et ses mots doux m'apaiseraient.

Seulement, je commence à croire qu'il ne viendra pas. Le message que j'ai reçu doit être un canular. Et même s'il arrivait maintenant, je sais qu'il ne me prendrait pas dans ses bras. Notre relation n'a pas encore atteint ce stade. Bientôt, j'espère.

J'espère qu'il arrive bientôt. Je supporte mal les désillusions. J'attends encore cinq minutes et je retourne dans ma chambre. Mes poils sont déjà hérissés, mes dents ne vont pas tarder à claquer. L'accueil du bâtiment « Psychiatrie » n'est pas le plus chauffé. Je comprends mieux pourquoi une seule infirmière me tient compagnie. Même si elle choisissait de faire grève, elle devrait rester derrière ce comptoir, à attendre qu'une personne imaginaire débarque à cette heure tardive pour lui poser des questions. Il n'y a plus qu'une question que je me pose. Qui, d'elle ou moi, gèlera en premier ?

Les bêtises de mon compagnon commencent à me contaminer. Il me manque beaucoup. Chaque fois que les adultes me mettaient trop de pression, chaque fois que des souvenirs cauchemardesques me submergeaient, chaque fois que les ténèbres m'envahissaient, le sourire d'Eythan apparaissait et illuminait l'obscurité, comme un phare dans la nuit.

J'aimerais le voir ou l'avoir. Les battements de mon cœur accélèrent en imaginant ces fabulations se concrétiser. Malgré les propos d'adultes peu compréhensifs, ces temps de transition m'ont permis de faire le point sur mes sentiments.

Être constamment aux côtés de quelqu'un d'aussi détendu pendant une épreuve aussi difficile m'a sauvée. Je serais traumatisée à vie sans son réconfort, sans son aide, sans lui. Chacune de ses tentatives de me faire sourire ont réussies. Ces conditions extrêmes et sa bienveillance infaillible m'ont rendue très attachée à lui en une demi-journée. Et je me sens forcée de le reconnaître mais... J'ai encore besoin de lui pour surmonter cette épreuve.

« T'attends quelqu'un Hél ? »

Les yeux écarquillés, ma tête se tourne vers la source de ces mots. Le haut de mon torse suit le mouvement. Mes déplacements sont si lents ; le temps semble avoir ralenti. Mes iris me confirment qu'Eythan est bel et bien présent. Les siens explorent cette grande salle vide avant de se reposer sur moi. Sa capuche repose sur l'arrière de son crâne. Des gouttes, traces d'une intense pluie, reposent en nombre sur l'avant de son sweat. Le ciel gronde derrière lui alors que son regard se perd entre un air souverain et une observation désintéressée. Personne ne pourrait être plus classe qu'Eythan.

« Moi peut-être ? »

En l'espace d'un instant, ses yeux ont troqué leur apparat d'autorité pour briller de malice. Son sourire espiègle séduit mon cœur et, avant que je ne comprenne mes agissements, mon corps a décidé de serrer sa poitrine contre la mienne. La tentation d'enlacer nos doigts séduit tout mon être. M'unir à lui est mon rêve, une merveille que je ne partagerai avec personne, pas même avec Alice. Seulement, un pays entier se dresse entre mes désirs et la réalité. En effet, sa main gauche est plongée dans son jean et la droite contient un paquet cadeau. La nervosité parcourt les veines de cette main. Il ne le lâchera pas.

« Je sais que tu m'aimes bien. Enfin c'est ce que je constate. Mais de-là à m'attendre en tee-shirt dans ce froid sans savoir si je te rejoignais aujourd'hui ou dans trois jours ? Sans être certaine que je sais où tu te trouves ?

Les oreilles fumantes, le regard fuyant et le visage couvert de rougissements, mes bras quittent son dos et mon torse se décolle du sien, à regret. Après plusieurs secondes de panique mentale, pendant lesquelles mon cerveau affolé découvre toutes ces informations plus gênantes les unes que les autres, je choisis d'emmener mon poing jusqu'à son épaule droite avec la plus grande des douceurs.

- Monsieur prend vite le melon... C'est Essaim qui m'a prévenu de ton arrivée roh ! »

Un air d'incompréhension total envahit sa petite tête. Ses pupilles, grosses comme son melon, me volent un sourire.

- Quoi ? »

Je lui tends mon téléphone alors qu'il affiche mes derniers messages. Ma conversation avec Essaim trône au-dessus de toutes les autres. Celle que j'ai eu avec ma mère traîne juste en dessous. Ensuite vient un message non-envoyé à mon camarade, surnommé « Eythanouch ». Mon cœur s'emballe à l'instant où il le remarque. Après plusieurs essais maladroits, je réussis finalement à cliquer sur ma conversation avec Essaim. Nos derniers messages s'affichent sur toute la longueur de l'écran.

Deux raisons expliquent mon geste. Je ne tiens pas à ce qu'Eythan réagisse à son surnom. Soit il s'énervera contre ce manquement de respect ; soit cette preuve de mon caractère enfantin le poussera à me déconsidérer comme une fille de son âge. Aucune de ces réactions ne me plaisent.

Ensuite, même si seul le dernier message d'Essaim compte, je tiens à montrer que je ne drague pas la personne qu'il semble préférer à Voltaire. Lorsqu'il devait choisir les membres de son équipe en sport, Eythan choisissait toujours la même personne en premier. Peu importe que son camarade soit le meilleur ou le plus mauvais de la classe. Il préférait toujours Essaim à n'importe qui de la troisième A.

Même si je m'entends plutôt bien avec son ami, je veux qu'il comprenne que je n'essaie d'avoir personne d'autre. Qu'il comprenne que je suis sérieuse à propos de nous. Qu'il comprenne que je le veux.

« Eythan arrive très bientôt... »

Ses yeux se plissent avec une grande sévérité.

« Délivré il y a dix minutes... »

Son cerveau fait enfin les connexions nécessaires et un air d'assurance vient dominer son visage.

« Ah oui, j'avais prévenu Essaim que j'étais bientôt là mais il m'a pas répondu, je savais pas s'il avait vu mon message. »

Apparemment non, il n'a pas saisi mes sous-entendus. On envoie des signaux très clairs pourtant les garçons se plaignent toujours de ne rien comprendre aux filles ! Il faudrait qu'ils fassent un effort quand même !

« Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé pendant mon absence ? Je parie que je t'ai beaucoup manqué.

Plutôt mourir que de lui avouer à quel point ! De toute façon, je mourrais écrasé par la gêne si je lui parlais ouvertement de mes sentiments. Le choix est vite fait.

- C'était wow ! Tout le monde était tendu, les ambulanciers étaient complètement débordés, ils ont pas arrêté les allers-retours ! Et une fois arrivé ici, on aurait dit un champ de bataille ! L'hôpital grouillait de gens qui couraient dans tous les sens, les journalistes ont débarqués en même temps que les parents alors t'imagine pas... Quel bordel !

En vérité... Ce n'est pas tout à fait juste. Une idée intuitive et stupide décrit que les yeux sont le reflets de l'âme. Un visage renfermé peut tout autant refléter un cœur en bon état qu'un cœur déchiré. Mes yeux ne débordant pas de larmes, j'ai été envoyé dans cet hôpital avec une vingtaine d'anciens otages. Aucun journaliste n'est venu ici, mais selon les messages d'Alice, c'est le chaos absolu dans la banque que le SAMU a désaffecté pour l'occasion.

- Alors le monde est au courant... Quoi d'autre ?

- Les autorités, étonnés que mon nom se retrouvent sur toutes les lèvres, sont venus me voir. Mais je n'ai rien dit ! Motus et bouche cousu, comme tu m'as demandé ! »

Mes doigts se portent à ma bouche et imitent une fermeture éclair qui se ferme. Mon camarade secoue la tête, l'air faussement désespéré.

« Et tous les autres ? Qu'est-ce qu'ils ont raconté ?

Mon gosier se remplit d'air et je pointe de l'index mes lèvres closes. Après un long soupir et un regard amusé, Eythan saisit le zip d'une fermeture imaginaire et le glisse vers la droite, à quelques millimètres de mes lèvres. Tout l'air est expulsé d'un coup. Je pose mes mains sur mes cuisses dans un grand fracas et fait mine d'être essoufflée.

- J'ai cru que j'allais mourir !!

Petite technique d'actrice professionnelle, parlez fort pour appuyer votre exagération. Testé et approuvé.

- Bon accouche...

- Pour ça, il faudrait déjà que je sois enceinte !

Il lève les yeux au ciel en réponse à mon air espiègle. On se ressemble finalement.

- Tu me désespères. Vraiment.

- Je le prends comme un compliment. Sinon, les plus calmes ont raconté les grandes lignes. Les intrus les ont pris en otage, ils ont entendu des coups de feu, puis ma petite voix timide leur a demandé à ce qu'ils me suivent. Et qu'ensuite, t'as claqué des doigts et ça a fait un gros POUUUUM ! »

Une légère satisfaction conquiert le visage d'Eythan alors que son cerveau s'échauffe en digérant toutes les informations. Je perçois un mouvement plutôt rapide dans mon dos. Le temps que je me retourne, la furie a atteint notre niveau :

« Vous pouvez pas parler moins fort ?! Non mais vous savez l'heure qu'il est ? Et combien de personnes essaient de dormir malgré tous leurs malheurs ?!

Exprimer sa colère en chuchotant et sans pouvoir frapper quoique ce soit relève de l'impossible. Pourtant, l'infirmière devant nous y arrive à merveille. En plus d'avoir raison...

- Excusez-nous du bruit, c'était irrespectueux.

Eythan présente des excuses pour nous deux alors que je suis la seule à avoir imité le bruit d'une explosion. Au final, mon compagnon n'est en rien mal élevé. Je craignais qu'il pète les plombs suite à la prise d'otage ; mais aucune pensée prétentieuse ne l'habite. Il a seulement adopté une justice extrême pour sauver nos camarades. Le regard de l'infirmière se pose sur moi.

- Quand même... Faites attention quand vous êtes dans une zone aussi sensible.

Les traits de la femme se sont nettement apaisés. Sa colère brûlante s'est transformée en une compréhension tempérée.

- J'avais une question à vous poser justement. Vous pouvez me dire où Essaim Berger est enregistré s'il vous plaît ?

- Bien sûr, attendez moi un instant. »

Qu'il soit sincère ou non, Eythan a prononcé les mots que l'infirmière souhaitait entendre. Cette dernière se dirige vers l'ordinateur de l'accueil tandis que mon camarade lui emboîte le pas. Marchant derrière lui, j'ai tout le loisir de détailler l'objet qu'il serre entre ses doigts.

Sur le papier jaune vagabondent nuages et flocons de neige. Vu sa taille, cet emballage contient un roman épais ou une pile de vêtements pliés. Mon impatience naturelle m'a donné le don de voir à travers le papier cadeau.

Non, le contenu paraît trop solide pour être des vêtements. Ma main au feu qu'il s'agit d'un livre ! Je ne saurais prédire son titre, tout dépend de son destinataire. J'espère qu'il est pour moi. Je pourrais lui répondre qu'il offre un cadeau à un cadeau ! Je suis si intelligente, le monde devrait s'agenouiller face à moi !

M... Merde, j'ai oublié de cacher mes cadeaux ! Il ne me reste plus qu'à liquider tonton et maman pour éviter qu'ils tombent dessus par hasard... Je suis vraiment diabolique, je me désespère toute seule... Je suis toujours moins étrange qu'Eythan cela dit ! Il reste treize jours avant Noël et il semble déjà prêt à offrir ses cadeaux ! Vraiment n'importe quoi celui-là... Enfin, une personne « dans la norme » ne saurait toucher mon cœur comme il l'a fait.

« Alors... Il rendait visite à une certaine Flora Rabé.

Le visage de mon ange gardien reste songeur, bien que l'empressement se lit sur ses doigts martelant le cadeau.

- Elle est hospitalisé dans quel bâtiment ?

- Les visites sont finies depuis plusieurs heures à cause de son état. Sa vie n'est pas en danger mais... Elle pourrait bien perdre l'usage de ses jambes. »

Ma pauvre... Sa famille doit être dévastée. On est souvent en désaccord sur les sujets sensibles et ce n'est certainement pas ma meilleure amie. Pourtant, les larmes montent. Les souvenirs horribles de ses jambes détruites envahissent mon esprit. Le monde tourne pourtant je ne bouge pas. Le souvenir de l'odeur du sang noie mes narines. Mon corps vit sa meilleure vie pourtant il s'effondre.

Mon coude cogne méchamment le comptoir. Ma vision se trouble. Des nausées me...

« Vais vomir... »

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