Chapitre 47. Rat mort

Chapitre 47. Rat mort

Eythan

Je m'ennuie à mort. Bien naïf était l'Eythan qui pensait qu'une connexion internet suffisait à un divertissement infini. Certes, il y a assez de contenu pour se divertir pendant plusieurs millions d'années. Mais il ne s'agit pas tant de la quantité de choses à voir, mais de l'envie de les voir.

Mon téléphone vibre. Avant même que j'y touche, l'appel a été accepté par mon téléphone. Eh merde, il ne manquait plus que lui.

« Ca faisait longtemps, hein Eythan ? À croire que tu n'avais plus rien à me demander. »

– Parce que c'est le cas, L4cky. Ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier, tu connais ? J'ai diversifié mes alliés, histoire de ne plus avoir besoin de toi.

– Ah, c'est bête ça. Parce que c'est à mon tour de te réclamer quelque chose.

– La loyauté est primordiale. Seulement, on ne la doit qu'à ses vrais alliés. Tu sais, à partir du moment où j'ai deviné ton identité, j'ai compris pourquoi tu étais si enclin à m'aider.

L4cky est l'oncle protecteur d'Hélène. À chaque fois qu'il m'aidait, je m'éloignais de sa nièce, physiquement ou à cause de ce que je ne pouvais lui avouer. Je ne dois ma loyauté qu'à Hélène, Essaim et mon frère. L4cky n'a jamais été mon allié, mais un obstacle dont je dois me débarrasser.

– Ah oui ? Ça m'étonne, bien qu'il est vrai qu'on a déjà passé un peu de temps ensemble. Cette info va-t-elle dans le sens de ta théorie ?

– Oh oui, je peux même te dire que t'étais furieux à ce moment-là. Si j'ai visé juste, ne m'envoie plus de messages. Je me débrouille très bien sans toi. »

Évidemment, il raccroche. Enfin une bonne chose de faite. Puisque rien ne m'intéresse ici, autant se concentrer sur les tâches utiles.

J'ouvre le groupe WhatsApp nommé Akaji en baillant. J'ai confiance en la capacité de mon frère à comprendre comment le pouvoir fonctionne. J'ai confiance en la capacité de créer de beaux designs de Tamar. J'ai confiance en la capacité de Thomas de donner à Akaji une superbe image de marque. Je n'ai pas grand-chose à leur apporter. Ils ont eu la bonne idée de publier le compte-rendu de toutes leurs réunions dans le groupe.

La trésorerie se porte très bien. Pour étendre Akaji au porte-étendard de la Jeunesse, ils se sont lancés dans la création d'un Discord réservé aux membres du mouvement. Ils se demandent s'ils devraient donner des privilèges aux clients d'Akaji. Gamifier une chose la rendra addictive à coup sûre, mais vérifier manuellement qui a dépensé combien risque d'être une véritable plaie. Affaire à suivre donc.

Thomas a proposé de lancer des collections, des vêtements plus qualitatifs et chers que les autres sur un thème. Elle a été refusé, sous prétexte que la Jeunesse vise la Justice à travers la fraternité, et que des vêtements accessibles seulement aux plus riches serait contraire à leurs idées. Apparemment si, je peux encore me rendre utile.

Mais ce sera la toute dernière fois, je ne suis plus leur patron, je n'ai plus à leur dire quoi faire.

« L'idée de Thomas est pas si mauvaise. La Jeunesse n'est pas communiste, peu nous importe l'égalité absolue. Prenez le contrôle de l'Élysée si vous la voulez tant. Vous avez sûrement entendu parler des multimillionnaires qui viennent braconner des membres d'espèces en voie de disparition. Vous trouvez peut-être même ça révoltant. En fait, l'histoire est un peu plus compliquée. Une association locale fait payer le droit d'abattre un vieux rhinocéros prêt à clamser et dépense cet argent pour la protection de l'espèce toute entière. Inspirez vous-en. Amusez vous à créez ces collections et affichez ouvertement que tous les bénéfices de ces vêtements ultra qualitatifs seront reversés à une association. Laquelle ? Je ne sais pas, j'suis pas votre mère. Et si vous êtes incapables d'en choisir une, faites un sondage auprès des clients. »

Se construire une belle image n'est rien d'autre qu'un jeu. Lorsque je joue, il n'y en a qu'un seul qui puisse m'égaler. Heureusement ou non, il ne se soumettra jamais aux ordres de personne.

Beaucoup rêvent de devenir riches. Peu connaissent le revers de la médaille. Quatre-vingt-dix-neuf pourcent de la population ne le sera jamais, et ne se rendra jamais compte de ce que cela implique. Le staff d'Akaji doit le savoir désormais. Leurs comptes en banque n'est pas plein à craquer, mais vu les centaines de milliers d'euros que possède Akaji, ça ne devrait pas tarder.

Loin des ruptures et des deuils, le moment où l'on devient riche est le plus propice à la folie. D'un coup, on se rend compte que toute notre vie a été guidée par des études et des métiers choisis uniquement pour les billets qu'ils peuvent rapporter. C'est encore pire pour ceux qui gagnent des milliers voire des millions du jour au lendemain. Il n'y a qu'une seule porte de sortie : un entourage avec la tête sur les épaules et un projet épanouissant.

« Allô ?

– Essaim.

On ne s'était pas parlé depuis... Je sais qu'il a besoin d'exprimer ce qu'il ressent pour aller mieux. Il sait qu'il n'obtiendra pas les meilleurs conseils aux côtés d'inconnus, mais aux miens. Mais je n'ai pas envie de les lui donner cette fois. Plus précisément, je ne sais pas quoi lui dire. S'il m'en reparle, la fureur reviendra me contrôler. Je tuerai quiconque tente de me calmer.

– Quoi de neuf ?

– Eh ben écoute, je me fais bien chier. Y a deux jours, je suis parti me balader dans les rues de Paris. En rentrant à l'hôtel, je me suis fait salement engueuler comme quoi j'avais tiré dans un bus.

– Et c'est vrai ?

– Pour ma défense, c'était pour protéger une meuf d'un potentiel viol. J'ai fait ce qui était juste, j'ai aucun regret.

– Je... J'aurais fait pareil, si j'avais ton courage.

– T'es courageux Essaim, surtout quand il s'agit de sauver quelqu'un.

– Bref ! Qui est-ce qui t'a engueulé ?

Je savais que ce compliment le gênerait. Comme n'importe quel compliment que je pourrais lui faire, qu'il soit véridique ou non.

– Un mec au service du président. Pour se faire réélire, il souhaite m'avoir de son côté, mais je lui servirais à rien si tout le monde me voit comme un terroriste. Alors blabla c'est pas cool, blabla c'est pas toi qui va te charger d'étouffer l'affaire, blabla il va encore plus galérer à convaincre ses « keys to power » que je suis pas un danger pour eux et qu'il faut absolument m'avoir de leur côté car aucune autre personnalité publique ne rayonne autant.

– Cette dispute a pas l'air de trop te toucher...

– Je faisais pas de vagues au collège donc tu t'en es pas rendu compte, mais m'engueuler revient à faire une pichenette à un gorille.

– Ça t'a rien changé alors...

– Malheureusement si. Il m'a menacé de me retirer toutes mes armes, mes munitions. Ils seraient même capables de me confier à un tribunal corrompu pour m'envoyer en tôle si je leur casse trop les couilles.

– Merde, ça pue. J'ai une-

– Oh, t'en fais pas. J'ai réussi à négocier pour conserver ma liberté et mes armes. Il me suffit de rester confiné dans un hôtel de luxe jusqu'à ce que le Président daigne me recevoir.

– Ça va, tu t'en tires pas trop mal.

– Mouais. J'ai beau avoir des jacuzzis, des écrans plats, des majordomes et un cuisinier à ma disposition, je me fais chier comme un rat mort.

– Comme quoi, on peut avoir tout l'argent du monde, on n'atteindra jamais le bonheur dans une cage dorée.

– À peu près.

Je ne m'attendais pas à une conclusion aussi clichée, mais elle ne changera pas grand-chose à ma vie.

– Au fait, t'as dû voir qu'Hélène est partie du groupe Akaji...

Non. Mais on va faire semblant que oui.

– En effet, tu sais pourquoi ?

– T'es pas au courant ? Vu qu'elle reprend les cours fin janvier, elle a peur de ne plus avoir de temps pour Akaji. Et en attendant, elle doit continuer de travailler pour ne pas être en retard sur le programme. En bref, elle a préféré quitter le navire dès maintenant plutôt que dans deux mois.

– Et toi ? J'imagine que tu vas finir par reprendre les cours, un jour ou l'autre. Tu comptes abandonner Akaji pour apprendre des équations qui te serviront jamais et récolter des 11 sur 20 ?

– Je pense pas. Le jour où je retournerai en cours, je me débrouillerai pour avoir toujours autant de temps pour Akaji. En attendant, je compte profiter à fond d'être en vacances improvisées. Peut-être que je me mêle de trucs qui me regardent pas, mais depuis... Depuis ce que tu sais, elle a un grand sourire quand on évoque ton prénom.

– Non t'en fais pas, j'ai aucun secret à avoir pour toi. À vrai dire, on s'est pas parlé depuis que je suis monté dans le train pour Lyon.

– Oh, vous vous êtes disputés ?

Un sourire triste apparaît sur mon visage.

– Même pas. Ok, le 24 je lui ai dit que j'étais pas prêt à faire des choses sexuelles, avec elle ou qui que ce soit d'ailleurs. Mais on a terminé la soirée en s'endormant dans les bras l'un de l'autre, et elle était parfaitement au courant que je partais le lendemain. Elle doit savoir que ma messagerie Instagram est pleine, mais elle n'a envoyé aucun message à mon numéro non plus. Je sais pas ce qui s'est passé. Enfin, si elle continue de sourire en pensant à moi, c'est que je me suis inquiété pour rien.

– ...

– Quoi ?

– Je sais pas. Dès le départ, tu m'as dit qu'on ne sera jamais ami parce que l'amitié est un concept qui t'est étranger, alors j'imaginais pas que tu sois capable de t'inquiéter pour quelqu'un en dehors de ta famille...

– Moi non plus. C'est dingue, hein ? Je pensais pas dire ces mots un jour, mais elle me manque.

Son sourire, sa bonne humeur, ses câlins...

– Envoie lui un message, fais pas ton timide, se moque-t-il gentiment.

Un Eythan timide serait un paradoxe.

– Si elle ne m'en a pas envoyé depuis tout ce temps, c'est son choix. Et je tiens à respecter sa volonté.

À quoi sert une Hélène qui n'est pas libre ?

– C'est avec ce genre de raisonnement que deux personnes qui aimeraient se parler s'ignorent pendant des mois.

Il a peut-être raison. Mais je vais éviter d'écouter ses conseils en amour. Il n'y a qu'à voir tout le mal que lui a causé Flora pour comprendre qu'il n'a jamais su faire les bons choix. Je sais qu'il serait blessé si c'était ce que je lui répondais. Mais il a déjà assez de démons à gérer.

– À plus, Essaim. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top