Chapitre 4. Partie 2. Labyrinthe Mortel

Chapitre 4. Partie 2. Labyrinthe Mortel

Eythan

Eh bien. Pour s'énerver à une telle vitesse, elle doit vraiment tenir les militaires proches de son cœur. Et même si je ne soutiendrai jamais une cause avec autant de passion, ce secteur est l'une des rares choses à avoir mon respect. Je respecte les soldats pour la justesse de leur travail.

Tout le monde n'est pas prêt à faire la Justice quoiqu'il en coûte, sinon Hélène et moi ne serions pas les seuls otages à se rebeller. Même si je me doute qu'ils ne sont pas tous aussi bons qu'Aves, un célèbre général antique, j'imagine mal une sous-merde s'engager volontairement dans l'armée.

Enfin, je rendrai hommage aux militaires plus tard. Pour le moment, il faut avancer. De ce que j'ai compris, Hélène compte m'emmener prévenir les forces de l'ordre. Même si elle ne m'obligera à partir avec elle, je me crispe à cette pensée. L'arrivée d'autres personnes armées pourrait rendre la situation trop facile. Ce serait aussi moins amusant sans elle.

Je profite de l'ambiance tendue qu'elle a instauré pour m'allonger proche d'elle sans qu'elle ne puisse rien me reprocher. L'obscurité a beau être quasi-totale, je vois parfaitement ce que je dois démonter pour accéder au boîtier qui contrôle probablement le ventilateur géant. Cette tâche ne présente pas beaucoup de difficulté, sa linéarité est juste à mourir d'ennui.

C'est long et chiant, long et chiant, long et chiant... Visiblement, Hélène aussi trouve ça à dormir debout. Elle vient, à son tour, de s'allonger. Je peux sentir son corps s'approcher du mien. Je peux sentir ses bras se refermer sur mon dos. Je peux sentir l'air sortir de son nez et adoucir mon cou. Et même si ce n'est pas ça qui va nous aider à avancer, je ne peux m'empêcher de penser que toutes ces sensations sont loin d'être désagréables.

« Gneugneugneu.

J'imagine que ce grognement et ce câlin improvisé sont là pour remplacer des excuses. Mais de quoi veut-elle s'excuser exactement ? Aucune idée.

- Gneugneugneu toi-même. »

Je souris, juste en imaginant sa bouche devenir un croissant de lune. Après trente secondes passées dans l'attente d'une réponse, je me remets au boulot. Après trente secondes de calme complet et de travail acharné, je commence à avoir un doute.

« T'endors pas sur mon épaule hein.

- Si seulement je pouvais...

- T'as si peu dormi cette nuit ?

- Si si mais... Tout ce qu'on vient de vivre m'a vidé de toute énergie. J'suis crevée... »

Je m'attelle au démantèlement de la dernière vis pour seule réponse. J'hésite à le lui dire maintenant.

« Dès qu'on a alerté l'État de la situation, je m'endors sur le premier matelas venu. Et interdiction de me dessiner des trucs sur le visage !

Son ton se veut détendu car elle a bien compris que quelque chose ne tourne pas rond. Sa tête quitte ma clavicule pour observer mon faciès. Je me sens obligé de lui sortir un faux sourire pour la rassurer. Je n'ai pas envie de lui mentir mais j'ai encore moins envie de briser ses rêves. Cette situation n'arrivera jamais...

« Je ne compte pas venir avec toi.

- P-Pourquoi ?

- Si on les prévient maintenant, peut-être que ça déstabilisera les preneurs d'otages mais c'est surtout plusieurs heures voire jours de négociations qui vont s'engager. T'as vu comment tout le monde était déprimé quand on est parti ? Ça faisait moins de deux heures alors imagine des jours entiers ! Je me soucie avant tout de leur état psychologique.

Mon professeur de musique avait tort. Je joue extrêmement bien de la flûte. Qu'est-ce que j'me fous du nombre de traumatisme causé par cette prise d'otage. La seule chose qui compte à mes yeux est de m'amuser. Je ne me soucie pas le moins du monde du sort d'aucun otage. Si l'on considère qu'Hélène et moi, nous nous sommes échappés de cette condition. Évidemment.

- Tu proposes quoi d'autre ?!

- Éliminer la menace de l'intérieur. Il suffit de mettre hors service quelques personnes plus ou moins cupides pour préserver quelques centaines de personnes plutôt innocentes. Est-ce que cette idée te dérange ?

- M-moi ? ... Je sais vraiment pas... Logiquement non, la vie de nos camarades mérite tous les sacrifices mais... T'entends quoi par mettre hors-service ?

- Un meurtre n'a rien de drôle. Dans un monde parfait, on n'aurait qu'à ligoter tous les intrus et appeler la police mais... On n'a rien pour et puis même, s'ils se libéraient et décidaient de se venger... Ce serait un vrai carnage. Malheureusement, je ne vois qu'une solution.

Son souffle devient de plus en plus saccadé. Assassiner quelqu'un inspire un profond dégoût au commun des mortels. C'est compréhensible : on leur répète depuis la nuit des temps que c'est le pire des actes et le plus grand des péchés. Une idée difficile à modifier en un instant. Incapable de l'aider, je ne peux que plonger ma main dans ses cheveux.

- Je sais pas... J'ai passé des centaines d'heures à suivre les entraînements de ma mère mais je ne suis pas un soldat. Rien que de penser à ôter la vie...

- Alors tu ne tueras personne. Je m'en chargerai. »

Mon attention revient au boîtier. J'appuie sans hésiter sur le bouton au centre. Le ventilateur arrête progressivement de tourner et en cinq secondes, plus aucune palme ne bouge. Ce sont ces cinq secondes qui m'ont fait prendre conscience de l'importance de ce ventilateur. L'arrêter laisse une trace de notre passage.

À contre-cœur, Hélène se détache de moi et traverse les palmes avec l'agilité d'un chat. Dans un silence ni froid ni brûlant, je me mets à avancer à son rythme.

***

« Qu'est-ce qu'ils ont foutu...

- Ça devient vraiment n'importe quoi ! »

Je partage le ressenti d'Hélène. Dans une moindre mesure certes, mais je le partage quand même. Après y avoir passé plusieurs années, je savais déjà que les architectes n'étaient pas totalement clean avant de dessiner les plans de notre collège. Mais là, ils ont dépassé toutes espérances.

Le conduit qui était jusqu'à maintenant un simple couloir vient de se transformer sous nos yeux en labyrinthe à quatre branches. Celle de gauche ressemble à un gouffre. Celle du milieu doit mener au deuxième étage mais semble inescalable. La dernière a l'air inoffensive. J'essaie de retracer notre parcours lorsqu'Hélène me coupe l'herbe sous le pied :

« On va où en fait ?

Mes réflexions se poursuivent. Mon schéma mental se clarifie de plus en plus.

- Si je ne me trompe pas... Le chemin de gauche devrait nous emmener directement au-dessus du rez-de-chaussée. C'est l'idéal si on veut partir maintenant et en toute discrétion. T'es sûre de ton choix ?

- Je ne compte pas... T'abandonner.

La première partie de sa phrase était presque criée, alors que les deux derniers mots ont été murmuré. Je dois avouer que l'effet produit est assez étrange.

- Comme tu veux. Sincèrement je crois pas qu'on réussisse à escalader celui du milieu sans s'épuiser. »

Comme si le conduit pouvait se transformer en un clin d'œil, nous posons tous deux les yeux sur le trou au-dessus de nos têtes.

« Quant au chemin de droite... Je sais pas vraiment. J'm'étais jamais amusé à visiter les conduits.

- Ah bon ? Étrangement, moi non plus. »

Un sourire fatigué se dessine sur mes lèvres. Maintenant que l'adrénaline s'est calmée, il ne me reste que la lassitude. Je n'ai même plus envie de sauver les autres. Après tout, ils ne risquent pas de mourir, simplement de s'ennuyer. Et puis Hélène est avec moi. Donc elle ne risque rien. Alors pourquoi s'embêter ?

Peu importe la finalité de cette prise d'otage, je ne retournerais pas en cours pour au moins deux semaines. Je connais Axel depuis plus longtemps que ce collège. Mon camarade Essaim m'est sympathique. Il se rapproche plus que n'importe qui de ma définition de l'amitié. Pourtant, je ne ressentirais aucune culpabilité à les abandonner ici. Les risques sont faibles, tant que je ne commence pas à tuer des preneurs d'otages. Seule une volonté de se venger les pousseraient à maltraiter mes camarades. En clair, seul exterminer des intrus mettrait Essaim en danger de mort. Alors pourquoi s'embêter ?

« Pourquoi tu pars vers les rez-de-chaussée ?

- Fais-moi confiance et suis-moi.

- T'abandonnes ? »

Deux mots. Parfaitement innocents dans sa tête mais si lourds de reproches dans la mienne. Où est passé l'Eythan que j'ai connu et qui s'imposait avec la plus pure des violences ? Ce n'est pas une rencontre parmi tant d'autres qui va me faire oublier mon amour-propre. Ces criminels ont tenté de me priver de ma liberté, avec succès pour quelques heures. Ils ont pensé m'acheter avec une pièce d'un euro.

Je ne prends pas beaucoup de plaisir à manger quoique ce soit, à dormir, à regarder un film, à lire un livre ou à écouter de la musique. Marcher sur des braises, nager à contre-courant, braver les interdits, être admiré ou la sexualité ne m'amusent pas particulièrement

J'aime jouer. Perdre ou gagner n'a pas d'importance. Flirter avec les règles, les briser s'il le faut. Les règles ont rien et tout en commun avec les femmes. La seule chose plus amusante que de jouer, c'est redistribuer les cartes du jeu. Casser les anciennes hiérarchies en bon petit anarchiste.

Non, je n'abandonne pas. Cette prise d'otage se terminera avec la mort du dernier intrus et mes pieds devant son cadavre. Avoir Hélène à mes côtés n'est qu'un bonus, un plus. Intéressant certes, mais pas indispensable.

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