Chapitre 38. Île déserte
Chapitre 38. Île déserte
Eythan
Je me demande si elle m'a pris au sérieux. Mon poing est à quelques centimètres de sa porte. Même si elle ne m'a pas cru et que son père est un anti-Eythan, je ne dormirai pas par terre. Je passerai sûrement voir Joseph. S'il n'est pas là, j'utiliserai ma réputation pour me faire ouvrir les portes d'un hôtel cinq étoiles. Il n'y a que sur une île déserte que je peux échouer.
Je toque trois fois sur la porte. Les marches d'un escalier craquent les unes après les autres. La voix tremblante de Léa me donne un petit sourire.
« Caahlo, c'est toi ?
Caahlo... Si elle ne m'avait jamais expliqué son origine, je n'aurais jamais compris ce surnom.
– Qu'est-ce t'aurais fait si c'était pas le cas ?
La porte s'ouvre et elle reste stupéfaite. Ses cheveux blonds sont teintés de mèches brunes. Je fréquentais cette fille avant d'être connu. On dirait une copie d'Hélène. Mais non. Ce n'est qu'une humaine un peu pourrie par le temps, comme toutes les autres.
Si Hélène est aussi pure, c'est seulement de par son âge. Léa est en seconde et vu ce qu'elle m'a déjà raconté, elle a déjà pris conscience de la cruauté de la société.
Elle se jette dans mes bras. Même Hélène ne m'avait jamais serré aussi fort. Elle me câline comme si je venais de risquer ma vie. Je garde mes mains dans les poches.
– Alors c'était vrai...
– Je t'ai dit que je venais, je suis venu. Ça fait combien de temps qu'on se connaît ? Deux ans ?
Je me détache d'elle sans forcer. Je ne suis pas fan des câlins qui ne viennent pas d'Hélène.
– À peu près. Et dire que c'est la première fois qu'on se voit...
– En même temps j'avais pas encore eu l'occasion d'être libre. Bon, qu'est-ce que ça fait de savoir que son meilleur ami et Eythan sont la même personne ?
– Eh ben... Comme beaucoup l'ont déjà dit, je pense que t'as fait au mieux et que si quelqu'un est à blâmer, ce n'est sûrement pas toi. Après, tant que toutes ces accusations de viols sont fausses...
– Je te le confirme.
Ceux qui les ont propagés n'ont sûrement jamais subi une telle atrocité. Ils finiront par se prendre une balle dans la tête, ou un abonnement sur mon Instagram.
– Tant mieux ! J'avoue que des fois ce qu'on raconte sur toi me fait carrément flipper mais... J'ai la sensation de mieux te connaître. Je sais que ça paraît bizarre, mais...
Rien à faire. Elle ne me déteste ni me craint, ce que j'aurais déjà pu deviner avec son câlin forcé.
– Ouais je vois. T'as prévu ton père que je m'incrustais pour les prochains jours ?
La mère de Léa est morte pendant l'accouchement. Son père était en mission à l'autre bout du monde. Le poids de sa culpabilité doit être énorme. Presque seize ans plus tard, comment voit-il le monde ? J'ai hâte de le savoir.
– Je lui ai demandé s'il acceptait d'héberger un ami. Il m'a dit qu'on verra s'il est respectueux.
Le respect et moi ça fait deux.
– Eh bien voyons.
Sans lui demander la permission, je franchis le seuil de sa porte.
– Juste, si tu pouvais enlever ta capuche à l'intérieur...
Je lui jette un regard vide. Elle pense que je vais prostituer ma personnalité pour avoir un toit au-dessus la tête. C'est très mal me connaître.
– Papa de Léa ?
La cuisine et le salon face à moi sont vides. J'espère qu'il est là. Je ne vais pas retourner Lyon pour avoir son autorisation. Soudain, une voix sort de l'autre bout de la maison.
– Qui êtes-vous ?
Je connais assez bien Léa pour savoir que son cercle d'amis est assez restreint. Il doit connaître la voix de tous les adolescents qui se pointent ici. Il se doute que je suis celui que cette blonde voulait héberger. Alors pourquoi cette question ?
J'émets un léger rire.
– Vous voulez savoir qui je suis ? Allumez votre télé.
Ses pas le mènent à moi. Il se décompose. Sa réaction me laisse le temps de le détailler. Plutôt grand, une barbe rasée à blanc, des cheveux très courts, un nez tordu vers la gauche, une musculature développée, le corps droit comme un I. Il n'y a rien de travers, rien qui dépasse.
– Papa, je te présente Eythan. LE Eythan à vrai dire.
Je n'ai retiré ni ma capuche ni mes chaussures. Pourtant, un grand sourire apparaît sur son visage. Il me débarrasse spontanément de mon sac de sport avant de me serrer la main avec enthousiasme.
– Félicitations soldat ! Ta mission comportait des risques élevés et tu as dû faire des choix d'une extrême difficulté. Tu as tout mon respect Eythan.
– Je n'ai fait que ce qui devait être fait. Et je préférais que ce soit moi qui encaisse cette charge plutôt qu'un de mes camarades.
Quelle gigantesque blague. Mais ils me regardent tous deux avec des étoiles dans les yeux, alors je ne vais pas les décevoir.
– Eh bien ! Il y a une chambre d'amis à l'étage, Léa va te la montrer. On dîne à 21 heures, fais ce que tu veux en attendant. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à demander. Oh d'ailleurs, demain je vais m'entrainer au tir avec des collègues. Beaucoup approuvent tes actes dans l'armée, alors tu n'auras pas de mal à t'inviter en douce. Il y aura d'un peu tous les types d'armes, si ça t'intéresse.
Avec ces mercenaires qui rôdent, j'aurais bien besoin de m'entrainer au tir. De plus, l'idée de récupérer un révolver me séduit pas mal. La roulette russe n'est pas différent du loup-garou : il est impossible que j'y perde. Sous certaines conditions.
C'est là ma seule chance de récupérer une telle arme. Depuis que je connais l'identité de L4cky, je préfère ne pas avoir à le contacter. Certes, notre collaboration s'est bien passée jusque là. Mais l'habitude qu'a pris le soleil de toujours se lever n'est pas une preuve qu'il se lèvera demain. Parier dessus revient à se tailler les veines avec un morceau de vase, en attendant de pouvoir payer les pots cassés.
Ma relation avec L4cky fait partie du passé désormais. Un révolver pourrait me sauver les fesses à plusieurs reprises.
– Désolé, ça aurait été avec plaisir mais je suis avant tout là pour Léa. En revanche, pourquoi pas discuter ce soir, vous m'avez l'air passionnant.
Il hoche la tête avec conviction. Mon regard se porte sur Léa. Je n'oublie pas qui mérite d'être récompensée. Son père ne lit aucune ambiguïté dans mes yeux. Celui qui pensait qu'on ne fait pas plusieurs centaines de kilomètres par amitié était un abruti.
***
J'ai plutôt mal dormi. L'absence de message de la part d'Hélène n'a pas aidé. Ceci n'est pas une critique. Je ne lui ai pas envoyé de message non plus.
La soirée d'hier était plutôt cool. Au-delà de son côté militaire, le père de Léa a choisi de se faire aimer pour mieux régner. Étonnamment, il n'en veut pas à sa fille d'avoir tué sa mère. Il n'aurait pas pu cacher une telle haine à mes yeux aguerris.
Il n'essaie pas de cacher qu'il a le cœur brisé, pourtant il sait mettre l'ambiance en quelques mots. Je souhaite à Essaim de devenir un aussi bon père que lui.
Pff... Il n'est que huit heures six. Vu le matelas de merde qu'ils m'ont filé, je ne suis pas prêt de me rendormir. Pas le choix, j'enfile le même sweat qu'hier. J'irai bien faire quelques courses.
Je sors de ma chambre en remontant ma braguette. Puisque j'ai refusé de gagner un révolver pour Léa, autant l'emmener avec moi. Je ne suis pas particulièrement fan de shopping. Mais la voir dépenser mes milliers d'euros dans des fringues dont elle a toujours rêvé me plaît bien. J'aime que les gens obtiennent ce qu'ils méritent.
« Eythan, t'es déjà debout ?
Je relève les yeux et tombe nez à nez avec Léa. Plus elle se rapproche de moi, plus je me rends compte qu'elle a la tête dans le cul. Ça change de sa photo de profil.
– Ouais, le matelas était pourri. Et toi ?
Elle vient presque se coller à moi. Je recule d'un pas. Pour ne pas m'arrêter là, je me dirige vers l'escalier. Ce n'est pas par peur de la blesser que j'agis. Peu m'importe qu'elle meurt.
– Ben... T'entends pas le bordel qui règne dehors ?
Elle dévale les marches à ma poursuite.
– Bah, c'est Lyon non ?
– T'as pas remarqué que j'habite hors du centre-ville, que t'as dû beaucoup marcher jusqu'à chez moi ?
Je pose le pied à terre. Le bruit ambiant ne m'empêchera pas d'avoir faim. Je traverse l'entrée sans un regard pour la porte et ouvre celle de la cuisine.
– Bof, j'ai suivi mon GPS. Alors, il se passe quoi ?
J'ouvre le frigo en grand, à la recherche de yaourts. Je finis par trouver une bouteille de lait que je colle à mes lèvres. J'agis comme si cette maison était la mienne. Personne n'est là pour me le reprocher. Léa penche sa tête vers la vitre inscrite dans la porte d'entrée.
Elle recule d'un seul coup, comme frappée par la foudre.
– Eythan... Il y a une foule de journalistes agglutinés devant la maison !
Heureusement que les volets de la cuisine sont restés abaissés. Je bois quelques gorgées supplémentaires avant de littéralement laisser tomber la bouteille. Une flaque de lait envahit le sol.
Eh merde. Il faut croire que casser des rotules ne suffisait pas à tarir leur soif d'avantages. Fait chier, j'ai laissé mon Glock en haut. Châtiment n'a pas quitté la poche de mon sweat. Devrais-je m'approcher de l'un d'eux afin de lui trancher la gorge ?
L'alcool n'est qu'une perte de temps. En temps normal. En ce moment, je suis très content d'avoir aperçu un stock de bières dans le frigo. J'en attrape une, un sourire sur les lèvres.
– Léa, ils sont où les torchons ?
L'objectif de son téléphone est collé à la vitre. La fascination se lit sur son visage.
– Deuxième tiroir à droite.
Bien. J'en récupère un, avant de me pencher vers les plaques de cuissons. Je fourre la solution de tout ce merdier dans ma poche.
– Ouvre-moi la porte. »
Ses yeux excités se tournent vers moi. Elle m'obéit, l'air complètement perdu. Ne t'en fais pas, tu comprendras très vite. Je sors en chaussettes sur le palier de la porte. Aussitôt, le silence se fait. Tous les micros se tournent vers moi.
Pourtant, je reste silencieux. Ils se mettent en attente d'une déclaration. Ils veulent que j'agisse ? Très bien. Je pose le goulot de la bouteille contre l'angle du mur de la maison. D'un geste brusque, le bouchon saute.
Tête vers le bas, une immense colonne jaunâtre vient arroser le sol. Trois quart de la bière gît sur le bitume. Quel gâchis.
Je glisse la moitié du torchon dans la bouteille. Certains commencent à comprendre ce qu'il se passe. Ceux-là font quelques pas vers l'arrière. Comme écrivaient mes professeurs : c'est insuffisant.
« Si une démonstration de force ne suffit pas, je vais en faire une deuxième. Gagnez le jeu si vous ne voulez plus risquer vos vies. »
J'extrais un briquet de ma poche. Je jette un regard vers Léa, restée cachée. Une morbide fascination domine ses yeux. C'est étrange.
Je la connais. La panique aurait pris le contrôle si elle me regardait allumer un cocktail molotov. Est-ce un rêve ? Même sans me mordre, je sais que non. Alors quoi ?
Me manquerait-il un ingrédient ? Je ne vois que ça. Dommage, cette bouteille se réduit à du pur bluff. Mon regard revient auprès du troupeau de journalistes. Ils m'ont vu l'ouvrir. Je ne suis pas fourbe au point de l'avoir préparée puis refermée pour faire croire à un bluff. Ils ne devraient pas y croire.
Pourtant, ils commencent à se bousculer pour s'éloigner. Mon pouce glisse vers le bouton du briquet. Je vois perler la sueur lorsque la flamme du briquet atteint le torchon.
Au final, ce faux cocktail Molotov n'est pas la chose la plus effrayante ici. Leur incapacité à réfléchir m'inquiète davantage. La connexion entre leurs neurones est empêchée par la vue de leurs camarades en train de craindre pour leurs vies.
Je détecte une lueur de soupçon dans quelques paires d'yeux. Je garde un air pire que sérieux, un visage qui déprimerait des statues de marbre. Un quart du torchon est déjà parti en fumée.
Sa chaleur vient me caresser le visage. Je ne vais pas pouvoir garder mon air impénétrable encore bien longtemps. J'avance mon pied gauche et hisse la bouteille au plus près du soleil. Comme si j'allais le lancer sur la foule. À vrai dire, cétait mon intention première.
Le peu qu'il reste du torchon, ma position, la terreur lisible sur le visage de leurs collègues... Ces éléments achèvent les dernières braises de réflexion.
Trois d'entre eux commencent par détaler. Le reste du troupeau les suit presque aussitôt. La flamme a presque fini de consumer le torchon. L'adrénaline se déverse comme un torrent dans leurs veines. Ils ne pensent plus qu'à survivre, pas à regarder derrière eux.
Léa me rejoint sur le pas de la porte. Je soupire en admirant le brasier se noyer dans la bière. Je tends la bouteille à ma camarade, puis tourne le dos au monde extérieur.
« C'est cadeau.
– Caahlo ? Tu fais quoi ?
– Je vais chercher mes affaires. Les journalistes ne sont que des victimes dont je viens de détruire la cage dorée. Cette maison va bientôt grouiller de flics. J'ai pas de temps à perdre avec eux.
– Tu te casses déjà ?
– Affirmatif. J'connais quelqu'un qui habite pas loin d'ici. Joseph King, une ancienne connaissance de l'hôpital si tu veux tout savoir.
D'ailleurs, dès que je l'aurais prévenu de mon imminente arrivée, j'éteindrais mon téléphone. Le laisser allumé serait d'une stupidité aussi grande que celle des journalistes.
– Dis-moi au moins qu'on passera le nouvel an ensemble !
Cette fête doit avoir une importance particulière à ses yeux. Ou alors elle a promis à ses amies que je la passerai avec eux. Peu m'importe.
– C'est dans cinq jours c'est ça ? Débrouille-toi pour que ça se soit calmé d'ici-là.
Je pose mon pied sur la première marche de l'escalier, déterminé à prendre mon sac et à me barrer d'ici le plus vite possible.
– Et si j'échoue ? Tout le monde va te prendre pour un terroriste ! Personne ne survit à la culture de l'annulation...
La culture de l'annulation... La première fois que j'en ai entendu parler, j'imaginais des gens qui organisaient des événements puis les annulaient à la dernière minute pour faire chier les autres. Ça aurait été tout aussi marrant.
Si une célébrité fait quelque chose de vraiment choquant, alors le peuple fait pression pour que ses partenaires l'abandonnent. Une fois, un multimillionnaire a fini à la rue en moins d'une journée. Depuis, personne ne remet en cause la puissance de cette culture.
– Aujourd'hui, elle est tellement forte que si tu devais la subir, tu finirais probablement par te suicider. Je n'en ai rien à foutre de l'avis de ces fils de pute, c'est la différence entre toi et moi.
– Peut-être mais....
– Un artiste musical verra ses concerts annulés, ses réseaux sociaux annulés, ses feats annulés et tous ses proches le lâcher. C'est ça qui me rend si unique. Si different de toi, de ton père et de n'importe quelle célébrité. Personne ne peut m'annuler, ma renommée ne dépend de personne. Je ne fais pas de concert, pas d'interview, pas d'événement.
De temps en temps je bute ou traumatise des gens, c'est suffisant. Hélène ne saurait m'annuler de son cœur. Échec et mat. Personne ne peut plus lutter contre moi.
Enfin, ma réputation ne m'importe même pas vraiment. Je suis comme un homme qui a gagné au loto sans même avoir acheté ton ticket. Comme je l'ai déjà dit, il n'y a que sur une île déserte que je peux échouer.
– Mais même si personne ne peut te museler, tu vas te faire lyncher partout où tu iras...
Être apprécié, être idolâtré, être un héros national, être désapprouvé, être détesté, être l'ennemi public numéro un... J'ai menti en disant que ces choses comptaient.
– Les journalistes, Hélène, toi, Dieu... Personne ne peut comprendre le jeu auquel je joue. »
Sur son lit de mort, elle verra la lumière et atteindra le nirvana... Mais ne comprendra toujours pas.
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