Chapitre 35. Mauvais Train

Chapitre 35. Mauvais Train

Eythan

Un grand sage pensait que c'est dans le changement que tout se complique. Avait-il raison ? Quel impact aura ce petit tour à Paris sur Hélène et sur ma vie ? On verra bien. Ça ne va pas la détruire ou me tuer de toute façon.

Elle était déjà partie quand je me suis levé. On est le 25 décembre, elle doit être allée courir. Me voilà à la gare d'Angoulême, le sac de sport rempli par les pendentifs de Tigre Style, deux Glock, six chargeurs et 2 600 euros en liquide. Je vois vraiment pas ce qui pourrait mal tourner.

Mon sweat violet ne contient qu'une carte bancaire, un téléphone et Châtiment. On pourrait croire que j'ai fait deux erreurs : n'emmener aucun vêtement et trois armes dans une gare. Ce n'en sont pas. Enfin, pas totalement.

Je ne compte pas végéter dans la capitale. Ne prendre qu'une seule tenue est un choix délibéré pour m'en empêcher. Me pointer armé dans un lieu très contrôlé n'est pas une tentative de me forcer à me mettre à la course. Personne n'a touché au système informatique de la gare ; je n'ai plus parlé à L4cky depuis que je connais son identité.

C'est un risque que je prends. LHAN, successeur de Daesh, n'a pas fait d'attentat depuis plusieurs années. Et même si on me jette en garde à vue, je n'aurais qu'à passer un coup de fil au secrétaire du président. Si pour pouvoir assurer ma protection, je dois risquer de perdre deux heures en garde à vue, qu'il en soit ainsi.

Maintenant que je me suis éloigné d'Hélène, je me méfie de ce que L4cky pourrait me pousser à faire. Mais ce n'est pas pour autant que je dois négliger mes propres alliés.

« Allô Essaim ? Quoi de neuf ?

– Pas grand chose, j'essaie de veiller comme je peux sur Flora. Oh et je dois passer chez le psy début janvier pour savoir quand je retourne en cours. Et toi ?

J'avais oublié cette blague. Au final, aller à Paris me donne une excuse pour sécher ce rendez-vous. Et si quelqu'un tient à m'y traîner, qu'il se prépare un gilet pare-balles.

– Je me taille à la capitale. Vends cette info à des journalistes si tu veux te faire un peu d'argent de poche.

– J'oserai pas me faire de l'argent sur ton dos !

Il est vraiment trop généreux.

– Comme tu veux. Depuis que j'ai préparé ma valise, j'ai eu le temps de checker l'actualité, et devine quoi ? Une école privée, donc friquée et sécurisée à mort, propose un tarif avantageux aux anciens otages, et une prise en charge gratuite pour les héros de Voltaire, aka Flora, Hélène et moi. Donc félicitations, tu es officiellement devenu un héros ! Je leur ai envoyé un petit message pour leur dire que ta gentillesse m'a inspiré et qu'ils devraient te proposer de les rejoindre gratuitement. Ils devraient envoyer un message à tes parents dans... »

Merde, j'ai un double appel. Avec tous ces événements, je n'ai pas eu beaucoup de temps à consacrer à Léa, je vais lui rendre son dû. De toute façon, je n'avais plus grand chose à dire à Essaim.

« Eythan ? Je peux savoir pourquoi tu réponds pas à mes messages ?

J'ai deux bonnes raisons de l'envoyer voir ailleurs. Mais je vais souffler et me canaliser. Il est vrai que je ne lui ai pas donné de nouvelles depuis que j'ai quitté l'hôpital. Elle n'est pas non plus au courant pour la mort de mon géniteur.

– J'étais dans une prise d'otage il y a moins de deux semaines. Si tu l'as oublié, allume la télévision ou ouvre internet.

Je ne garde aucun mauvais souvenir de ce funeste jour. J'ai passé mes journées à faire du buisness avec un oncle autoritaire et un multimillionnaire. Elle le saurait si elle me connaissait vraiment.

– Oh, désolée. Je pensais que, vu ce que t'as fait, ça allait. Et puis si tu vas mal, t'aurais pu te confier à moi.

– C'est bon, c'est oublié. Alors, qu'est-ce que ça fait de connaître un héros national ?

Elle s'imagine que je viens de me renfermer par rapport à la prise d'otage. Si elle me connaissait vraiment, elle saurait que je n'en ai juste rien à faire.

– Eh ben... Déjà savoir ce que t'as fait et t'entendre parler détendu ça fait bizarre. Enfin, j'imagine que t'as fait ce qui te paraissait juste. Honnêtement, j'arrive pas à déterminer si t'as eu raison de le faire ou pas. Et pour répondre à ta question... J'avoue que c'était une drôle de coïncidence que ce mec dont on parle tout le temps à la télé s'appelle aussi Eythan. Et ça faisait mal d'entendre mes potes ne plus parler que de toi alors que tu répondais pas à mes messages.

– Tu as balancé que tu me connaissais ?

– Hein ? Non ! J'y ai pensé, histoire de leur clouer le bec, mais ils allaient forcément me poser des questions. Si ton visage a mis aussi longtemps à être découvert, c'était sûrement ton choix. Je voulais pas le faire fuiter et ruiner ta vie privée.

Elle aurait pu échanger l'information contre plusieurs milliers d'euros, des milliers d'abonnés ou des faveurs de personnes influentes. Elle affirme ne pas faire partie de la Jeunesse par peur de s'y faire embrigader, et c'est un avis qui se défend. Pourtant son comportement correspond beaucoup à leurs valeurs.

Elle m'est restée fidèle et me divertit plutôt bien depuis quelques années maintenant. Ce serait injuste de ne pas la récompenser.

– Merci d'avoir gardé le secret. Dis, je t'ai manqué pendant qu'on se parlait pas ?

Je jette un œil au panneau des départs. Le train pour Paris est stationné au quai 3. Un sac de sport dans la main, je me dirige donc vers le deuxième quai.

– Bah évidemment... Idiot.

Je sens la gêne dans sa voix. Elle n'est pas pour me déplaire.

– Tu sais quoi ? J'suis à la gare et j'suis censé aller à Paris. Mais ohlala, c'est dommage, je viens de monter dans le mauvais train. Ah j'ai tellement la flemme de descendre quatre marches ! Bon bah j'arrive à Lyon dans cinq heures.

– Sérieusement ?!

– Je te laisse convaincre ton père de m'héberger, sinon je devrais dormir à l'hôtel.

Quoique, j'ai toujours le numéro de quelqu'un que j'ai croisé à l'hôpital quand j'avais huit ans. Selon les dernières nouvelles, il a déménagé à Lyon il y a quelques années.

– Pour de vrai Eythan ?

– Ahlala, on vient de construire un tunnel dans la gare, j'entends plus rien. Aaah... »

Je raccroche. Certes, cette excuse est la moins crédible que j'aurais pu imaginer. Mais je n'en ai pas grand chose à faire.

J'entre dans un wagon peuplé seulement d'une grand-mère, de sa petite fille et d'un adulte en costume. Personne ne devrait me déranger ici. Je dépose mon sac de sport sur un siège et mes fesses sur celui d'à côté. Mieux vaut le garder près de moi.

« Vous êtes bien dans un train en direction de la gare de Lyon, la fermeture des portes va s'opérer d'ici quelques minutes. Toute la compagnie et moi-même vous souhaitons un bon voyage. »

Ça y est, c'est le grand départ. Je tourne mon visage vers la vitre. Ça aurait été beau de la laisser en larmes sur le quai. J'imagine qu'on ne peut pas vivre intensément à chaque instant.

Ça y est, on est parti. Je jette un dernier regard à Angoulême. Ça me fait bizarre d'enfin me casser. J'ai toujours voulu partir. Que ce soit des chaises de l'école, de la domination de mes parents, et de la Nouvelle Aquitaine.

Mes trois objectifs sont enfin remplis. Je n'ai aucune idée de ce vers quoi je me dirige. Tant pis, je ne me retournerai pas. J'ai des alliances à récolter, des injustices à réparer et des aventures à vivre.

« Eythan ?

Je colle mon téléphone à mon oreille. Le visage d'un homme stressé se tourne vers moi. C'est dingue, j'aurais pensé que Léa tenterait de me rappeler. Apparemment Marie l'a devancée.

– Quoi de beau ? dis-je avec un ton enjoué.

J'aime bien le décor qui défile par la fenêtre. Tous les employés d'Akaji ont mon numéro, pourtant il n'a jamais fuité. Voir que certains membres de la Jeunesse sont dignes de confiance me ravit.

– Je viens de me connecter à la boutique, on a déjà 5 000 commandes ! En une nuit !

Ah si, j'ai oublié de me prendre à manger. Bah, il doit bien y avoir un bar dans ce train. Si la caissière me reconnaît, je risque d'être assailli de journalistes une fois arrivé à Lyon. Tant pis.

– On a dix euros de bénéfice par tee-shirt c'est ça ? Bof, ça ne fait que 50 000 euros en moins de vingt-quatre heures. Dis à mon frère d'organiser une réunion cet après-midi à quatorze heures pour faire le point. J'te laisse, j'ai autre chose à faire. »

Je raccroche sans attendre la réponse de Marie.

Je me demande si Tigre Style a provoqué plus de commandes que moi. Peu importe au fond. Ce n'est pas une compétition. La grand-mère me jette un regard légèrement énervé tandis que sa petite fille s'applique sur un coloriage magique.

C'est vrai qu'on n'est pas censé appeler des gens dans un wagon. C'est vrai qu'on n'est pas censé se tromper de train en faisant exprès. C'est vrai qu'on n'est pas censé être applaudi pour avoir tué des gens. C'est vrai qu'on n'est pas censé se jeter dans le vide.

À peine ai-je décollé mon téléphone de mon oreille qu'une nouvelle sonnerie retentit.

« Allô Eythan ? Je sais pas si c'est toi ou moi mais ça a coupé tout à l'heure.

Essaim n'imagine même pas que j'ai pu lui raccrocher au nez. Sa gentillesse est presque aussi mignonne que son visage.

– Re. T'as dû voir passer la nouvelle marque Akaji, sur l'instagram de Tigre Style ou sur le mien. C'est l'entreprise à mon frère et il vient de se faire cinquante mille euros en une nuit. Bref, lui et ses employés doivent paniquer à mort pour la suite. Vu ta gentillesse naturelle, j'me suis dit que tu pourrais rejoindre l'aventure Akaji et veiller sur leur bien-être. Ils ont réunion à 14 heures, j't'envoie l'adresse par message. Oh et t'en fais pas, j'ai déjà prévenu Maxime. Il a pour ordre de te payer à ta juste valeur. »

– Wow, merci beaucoup Eythan. Si je peux me rendre utile et que l'ambiance est cool...

– Elle le sera. J'te proposerai pas de les rejoindre si j'aimais pas la plupart d'entre eux.

– Alors merci encore ! Mais... L'école privée plus ça... Tu m'as toi-même dit que je n'étais pas ton ami, alors pourquoi ? Si ça te gêne pas bien sûr...

J'avoue que je ne sais pas exactement ce que l'expression veiller sur eux va signifier. Leur cuisiner des gâteaux, s'occuper de leurs animaux ou de leurs cousins, leur organiser des jeux... Il est trop fort dans tous les cas. Je ne m'inquiète pas pour lui.

– Je m'appelle Eythan et je n'ai pas d'amis. Ça ne changera jamais. Mais depuis que je te connais, tu as toujours été loyal et droit avec moi. Tu te fous autant de l'argent et des choses matérielles que moi, alors j'essaie de te récompenser avec ce qui pourrait te plaire. Si un jour t'as le moindre problème, avec un principal, la justice ou une mafia, dis-le moi. Je passerai quelques coups de fil et ton problème sera résolu avant même que tu commences à paniquer.

Essaim est mon allié le plus fiable. Ce serait une étrange décision que de ne pas prendre soin de lui.

– Oh j'ai pas prévu de m'embrouiller avec la mafia, mais merci. Je suis content de pouvoir compter sur toi !

– C'est normal. Bon, j'te laisse. Tiens moi au courant pour... À peu près tout ce qui est important à tes yeux. Adiós. »

Je raccroche. La mafia russe est suspectée d'avoir des agents à tous les étages du gouvernement, et on ne compte plus le nombre d'œuvres parlant de la mafia italienne.

Évidemment qu'à côté, il n'ait même pas entendu parler la mafia française. Pourtant, c'est la plus discrète et la plus durable de toutes.

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