Chapitre 33. Ce qui est Nécessaire

Chapitre 33. Ce qui est nécessaire

Hélène

« Une professeure portée disparue depuis une semaine vient d'être retrouvée en Hongrie. N'ayant aucun indice sur l'identité de ses ravisseurs, la police se pose la question : pourquoi l'avoir abandonnée sans demander aucune rançon ? Ne connaissant ni le hongrois ni personne dans les environs, la victime a... »

« Merci de nous avoir amenés Madame Lamy.

– Oh, tu peux m'appeler Astrid ! Vous venez toujours manger ce soir, ton frère, sa copine et toi ?

– Normalement oui. Mais vous devriez aller leur demander au cas où, ils sont dans le hall du bâtiment en face.

– Très bien. Envoie-moi un message quand vous avez fini, Hélène-chou !

– Maman ! »

Elle claque la portière et se précipite dans le hall du siège social de Tigre Style. Au moins elle est consciente que sa présence me gênait pour profiter de celle d'Eythan. Je lui en suis reconnaissante.

« Dis, si aujourd'hui on est le 24, ça veut dire qu'on a passé seulement six jours sans se voir ? Ça m'a parue être une éternité !

– Je sais pas toi, mais ces six jours ont été blindés pour ma part. Grâce à l'influence du gouvernement et d'Ibarra, les procédures ont été accélérés à fond, mais je me suis quand même noyé sous la paperasse de l'adoption et du notaire. Enfin, Maxime est devenu mon tuteur légal et le multimillionnaire a insisté pour payer les frais de notaire à ma place. Sûrement par respect pour ses anciens collaborateurs. Peu m'importe, c'est derrière moi maintenant. Et toi, t'as fait quoi de tes journées ?

– Eh ben... J'ai essayé de veiller sur Flora par message, mais elle a vraiment beaucoup d'honneur, c'était pas une mince affaire de m'infiltrer dans sa carapace. Et physiquement j'étais aux côtés d'Alice. Ses parents ont décidé de déménager à l'autre bout du monde pour retourner proche de leur famille.

– Je croyais que c'était qu'une rumeur, qu'ils étaient cousins.

– Apparemment non. En tout cas elle est ultra déprimée, son psy lui a proposé des antidépresseurs et a dit qu'elle n'est absolument pas prête à reprendre les cours.

– Ses parents font pas attention à elle donc ils payent un psy pour le faire à leur place ?

– Hein ? Eythan, c'est obligatoire pour tous les anciens otages, t'as pas vu la déclaration du président ? On doit tous faire au moins une séance chez le psy pour savoir quand est-ce qu'on sera prêt à reprendre les cours.

– Y a moyen de gratter des gigas vacances là...

– C'est sûr. Mais personne a vraiment le moral pour penser à ça. Personnellement j'ai eu l'occasion de faire trois séances et ça m'a vraiment fait beaucoup de bien. Ma psy pense que je serai prête dans deux mois.

– Honnêtement tant mieux. Il faudra que je demande à Essaim dans combien de temps il doit reprendre. Ça va me permettre de savoir comment il va sans être larmoyant ni sentimental.

– Pas bête. Et toi, t'y vas quand ?

– Probablement jamais. J'ai assez fait de séances chez le psy pour toute une vie. Et puis même, pas envie de revenir en cours. Je suis pas fait pour ça. Par contre, t'es sûre que tu veux pas venir avec moi à Paris ?

– Certaine, je dois rester ici pour prendre soin de Flora. Et puis j'ai promis à Alice de l'aider pour son déménagement. C'est ton aventure, pas la mienne. Tu me reviendras vite de toute façon ?

– Bien sûr. Voilà notre équipe de champions. »

En effet. Les portes automatiques se retirent et laissent place à ma mère, suivis par tous les employés d'Akaji, exception faite du type qui devait voir sa famille pour les fêtes. Deux hommes en costumes portant chacun un carton et une femme habillée plus décontractée les succèdent.

« Hélène ! Eythan m'a pas dit que tu serais là !

Tamar me prend dans ses bras. Je lui rends son câlin sous l'œil joyeux de ma mère qui s'en va.

– Elle est pas dans le groupe Whattsap et c'est pas une employée à proprement parler, mais ça aurait été complètement injuste de ne pas l'impliquer.

– Totalement ! s'exclame un chauve en costume.

Mon humain préféré le regarde d'un air circonspect.

– Xavier, co-fondateur de Tigre Style. Je suis celui qui a permis cette collaboration. Également ravi d'enfin rencontrer Eythan, le phénomène de la Jeunesse. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais tout le pays ne parle plus que de vous.

Il soupire, le visage légèrement énervé. Ce Xavier ressemble en tout point à un père passé de mode qui caricature les jeunes pour échapper à la réalité. Eythan le soupçonne peut-être même de porter lui-même ce carton uniquement pour plaire à la Jeunesse.

– Criez mon prénom encore plus fort, histoire qu'une foule de journalistes viennent nous casser les couilles. Putain, de mieux en mieux. Montrez la came aux membres d'Akaji pour voir s'ils sont satisfaits du produit. »

On se croirait dans un film de mafieux. Xavier pose le carton sur le capot d'une voiture. Tous les adultes s'en approchent. Après avoir jeté un regard hésitant à Eythan, le deuxième homme en costume rejoint ses pairs.

« Eythan, tu m'as jamais dit ce qu'on fait ici au fait. J'ai compris que ça avait un rapport avec Akaji, mais sinon...

– Ah bon ? Ah oui, c'est peut-être parce que tu m'as demandé l'heure à la seconde où je t'ai parlé d'une occasion de se voir, sans me laisser t'expliquer en quoi ça consistait.

– Mais... Tu peux pas m'en vouloir d'avoir envie de te voir !

– Je sais, je te taquine. Pour faire parler d'Akaji, j'ai demandé à créer une collaboration avec Tigre Style. En contrepartie, on m'a demandé de jouer les modèles photos histoire que la marque puisse s'afficher avec moi. Et je me suis dit que ce serait plus drôle si tu jouais les mannequins avec moi. Ton visage a déjà fuité, j'me suis dit que t'aurais pas de raisons de refuser.

C'est mignon, il avait peur que je ne veuille pas faire un projet avec lui.

– Honnêtement ça fait moins de deux semaines, mais j'en ai déjà marre des paparazzis. Quand je suis partie voir Flora à l'hôpital, ça s'est finit en course-poursuite pour les semer ! Quelle galère...

– Poser pour une marque réputée arrangera pas les choses. Donc j'imagine que c'est non.

– Tu rigoles ? Évidemment que c'est oui ! Une course-poursuite, non mais t'imagines ? J'me suis crue dans un film ! »

Il sourit, ses doigts venant se mêler aux miens. Mes yeux plongent avec douceur dans les siens. Je m'apprête à raconter mon histoire quand je sens des regards se poser sur moi. Il détache nos mains et je porte la mienne face à ma bouche. Je fais semblant de tousser tandis qu'il se dirige vers le deuxième homme. La taille de ses cernes indique le nombre de grades qui le sépare de Xavier.

« Pourquoi ce carton ? Je n'en avais commandé qu'un seul exemplaire.

Quant à moi, je marche vers la voiture, tout en gardant une oreille sur Eythan.

– Désolé, ce n'est pas absolument pas de mon ressort. Tout ce qu'on m'a dit c'est que c'était largement moins cher de fabriquer le moule et de faire tourner une usine pendant des heures plutôt que d'en fabriquer qu'un seul.

Maxime lève les yeux vers son frère et s'approche de lui, tandis que je prends sa place autour de la voiture.

– J'aurais pu le prévoir. Et puis tant que c'est moi qui les ai tous, ils ont toujours autant de valeur. Y en a combien en tout ?

– 1260 pour être précis.

S'il savait siffler, Eythan le ferait probablement.

– Vous en voulez combien ?

Mon camarade sort un rectangle noir de sa poche.

– Hein ? Il y a méprise, Tigre Style est heureux de vous les offrir.

Ça ne lui changerait rien de dépenser quelques milliers d'euros supplémentaires. Seulement, Tigre Style l'ignore et pense s'acquérir ses faveurs en lui faisant ce cadeau.

– Eythan, t'as changé de carte bancaire ?

– Ouais. Tu te souviens du jour où je suis parti à la banque avec Ibarra ? Ben voilà. Sinon, je te présente ma MasterCard World Élite. Bon, je vais devoir débourser 300 balles par an pour la garder, mais elle a un plafond plutôt... Arrangeant. J'ai placé le plafond à combien... 50 000 par semaine, je crois ?

– C'est dingue quand même : je suis ton tuteur légal, j'ai sept piges de plus que moi et t'es mille fois plus riche que moi.

Tous les regards se tournent vers Maxime. La plupart des membres d'Akaji sont médusés de découvrir que la fortune d'Eythan s'étend bien plus loin que le contenu de son sac de sport.

– T'oublies les 200 millions et quelques d'actions qui dorment dans ton portefeuille. »

Cette fois-ci, même le co-fondateur de Tigre Style a l'air ébahi. Sans parler de la réaction des adultes qui viennent de découvrir que leur patron et ami est multimillionnaire. Je vais passer Noël avec ces deux hommes fortunés.

Pourtant, je suis loin d'être scotchée. J'ai toujours considéré l'argent comme une simple valeur chiffrée qui monte et qui descend. Eythan me l'a prouvé de manière explosive : il a « perdu » 20 000 euros en une seule après-midi et en a gagné 200 000 en une seule journée.

Le résultat de la collaboration Akaji et Tigre Style m'intéresse beaucoup plus. Le carton est rempli de sweats jaunes. Le symbole de Tigre Style et d'Akaji sont présents en petit, en bas de la face arrière. Quant au devant... Une épée plantée dans le sol rempli d'un arc-en-ciel est inscrit au milieu.

Maxime jette un œil à ses employés, espérant que cette révélation ne changera rien à leur relation. Il talonne son frère qui s'avance vers la voiture. C'est sa gaffe, j'imagine qu'il cherche à faire diversion pour minimiser ses conséquences.

« Alors, qu'est-ce que cette collaboration nous a... Putain, c'est quoi cette merde ?

Tamar s'avance, prête à défendre son bébé.

– Eythan, quel est le problème ?

– Le problème ? Au même titre que la balance, une épée à l'envers est le symbole de la Justice. Tout le monde sait ça, va pas me dire que tu l'ignorais. Alors c'est quoi ce bordel ? Un arc-en-ciel ? Qui trace les limites de l'épée ? T'as besoin que je te montre comment moi je punis les injustices pour comprendre que des couleurs aussi vives vont pas pour quelque chose d'aussi sérieux ?!

Tamar soupire, soulagée. Mon camarade n'a rien à reprocher aux LGBTQ+, juste au caractère joyeux de leurs couleurs.

– Tigre Style vous présente ses plus plates excuses. Nous allons comprendre la source du problème en interne et revenir vers vous avec un produit qui vous plaira davantage. Excusez-nous encore.

Évidemment, « comprendre la source du problème en interne » rime avec virer les personnes responsables. Eythan lui jette un regard noir, conscient de ce sous-entendu ou n'appréciant pas se faire cirer les pompes.

– La prochaine fois, allez directement-

– Eythan !

Maxime lui jette un regard semi-noir semi-suppliant. Après y avoir fait face pendant quelques secondes, mon humain préféré soupire de mauvaise grâce.

– Fait chier. C'est bon, j'vais me changer aux chiottes. Allez préparer ce putain de shooting. »

Sur ce, il attrape un sweat à sa taille et marche vers le bâtiment sans se retourner.

***

« J'ai profité de voir Maxime pour signer les papiers de droits à l'image. Amuse-toi bien à jouer les mannequins avec Eythan ;p »

Je verrouille mon téléphone et le glisse dans ma poche. Un sweat encore emballé dans la main, je toque à la porte des toilettes des garçons.

« C'est bon y a personne, tu peux venir.

Un bruit de chasse d'eau parvient à mes oreilles. Tandis que j'ouvre une porte, mon camarade en ferme une autre derrière lui.

– Eythan...

– Pourquoi je me suis résigné ? Il y a une semaine je t'aurais répondu mon frère sans hésitations. Il a toujours été droit avec moi, et avec n'importe qui en fait. Il mérite largement que je prostitue ma réputation. Mais aussi pour Akaji, en partie. Ces cons ont vraiment déjà gaspillé leurs 500 euros. Et tous les bails administratifs sont terminés, Akaji existe officiellement. Et vu toutes les charges que ça comprend, mon frère a vite besoin de faire des ventes pour éviter de couler.

Eythan tire sur son sweat violet pour le retirer. Son tee-shirt commence à partir avec.

– Je comprends mieux. Tu penses qu'il accepterait si... »

Oh mon dieu.

« Eythan... Ton dos !

– Qu'est-ce qu'il a ?

Je m'approche de lui, le doigt prêt à parcourir sa peau. Son tee-shirt revient le couvrir jusqu'à la taille.

– Il est couvert de pleins de mini-cicatrices !

Et je n'ai vu que le bas de son dos ! La face immergée de l'iceberg !

– Ouais... Ça date de mes 8 ans. Quand je me suis jeté dans le vide. J'ai eu la bonne idée d'atterrir sur un toit en verre. J'ai pris cher sur le moment mais ma colonne vertébrale est en parfait état, alors j'me plains pas.

– Mais... Pourquoi ?!

– Disons que j'ai fait ce qui est nécessaire. Comme d'hab. »

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