Chapitre 32. Partie 2. Drapeau de la Liberté

Eythan

« Je rajouterai André dans le groupe de l'entreprise pour qu'il nous tienne au courant de l'avancée de la vente. En attendant, il faut qu'on avance. Qu'est-ce qu'il nous reste à faire ?

– Choisir la direction artistique des vêtements, de la boutique et développer notre communication.

– Donc si je comprends bien, on a besoin du Pôle Design, Communication et Informatique. Ça marche, sortez vos ordis ! Anna, charge-toi des réseaux de l'ancienne boutique. Au passage, montre nos comptes à André. Quant à toi Hélène, assiste le Pôle Design et apporte lui des idées si t'en as.

Le mec du Pôle Comptabilité doit être enragé, que j'attribue son boulot à un type sorti de nulle part. Mais bon, ce n'est pas ma faute s'il est trop occupé à trier les billets.

Une rangée d'ordinateurs ouverts et allumés plus tard, la rangée de Pôles posent le regard sur moi.

– Alors Eythan, quelle sera notre direction artistique ?

– Aucune idée. Pour l'instant, Hélène et... Tamar, inventez les vêtements que vous inspire la Jeunesse et ses valeurs de courage face aux injustices. Le Pôle Informatique et le Pôle Communication, alliez-vous pour mettre en place une boutique qui donne envie. »

Pas mal cette idée de les appeler par leur nom de Pôle pour cacher le fait que je n'ai pas retenu leurs prénoms. Le Pôle Design et son assistante se mettent à discuter. Leur conversation semble leur apporter des idées intéressantes, à en croire leurs regards. Les employés en charge du site semblent bien s'entendre, parlant de logo cliquable et autre hiérarchie visuelle.

J'ai presque envie de poser mes pieds sur la table pour montrer que je ne leur suis plus d'aucune utilité. Mais j'ai mes propres affaires à régler. Enfreignant ma propre règle, je sors mon téléphone et ouvre ma conversation avec L4cky.

Je mémorise un mot de passe, ouvre une application et... Tadam ! Me voilà connecté à un compte certifié simplement nommé « Eythan ».

« Le seul, l'unique » était une bonne idée de biographie, mais en voyant le nombre de personnes s'étant abonnées à un compte vide, je ne résiste pas à l'envie de la remplacer par une phrase un peu plus... Espiègle.

« Pas trop dégoutés d'avoir tous échoués ? » me plaît davantage. Je la modifierai certainement quand les enquêteurs en herbe ne seront plus qu'une minorité parmi ceux qui me suivent. Disons... À 200 000 abonnés.

« Pour le logo, j'imagine qu'on reprend les deux ailes de la Jeunesse.

– Ça me paraît logique.

– Et en quelle couleur ?

L'apparence du logo impactera fortement la direction artistique de la boutique. Quels graphismes pour la Justice ? Très difficile à dire, c'est presque une question sans réponse. Le symbole des Anarchistes est rouge, pour montrer que le mouvement est prêt à combattre le mal par le mal. Les deux ailes de la Jeunesse sont souvent vertes, la couleur de l'espoir. Mais, tout comme Jibril Akaji, je ne suis pas un rêveur naïf.

La vraie justice ne s'encombre de récompenses ou de punitions superflues. Tout comme le yin yang, logo fortement lié à l'éthique, Akaji tire ses racines de l'Asie de l'Est. Cette question, censée être impossible, a trouvé sa réponse un peu trop vite à mon goût. Sans obstacle, pas d'amusement.

– Designez tout le site dans un noir et blanc minimaliste. Mettez les éléments les plus importants en couleur pour attirer l'œil. Et pour les vêtements, continuez d'inventer ce qui vous semble bien, sans vous poser de contraintes. »

« Eythan ? La fin de l'ancienne boutique est annoncée partout et André est en train de faire les comptes.

Je sens le regard désapprobateur du mec du Pôle Comptabilité se poser sur moi. Il en est à la dernière pile de billets. Il n'a sûrement pas hâte de retrouver cet inconnu qui lui a volé son travail.

– Et il reste des anciens produits ?

– Peut-être quelques uns qu'on avait commandé pour tester, mais vu que c'est pas nous qui gérions le stockage...

Dommage. On aurait pu en faire don à une association pour les démunis. Il aurait suffit d'une cinquantaine de vêtements pour qu'elle nous remercie publiquement. Ça nous aurait fait de la publicité gratuite. Enfin, si je compte toujours sur une seule méthode pour faire parler de moi, je fonce droit dans le mur. Je suis Eythan, la controverse du siècle, pas un généreux donateur.

– Je comprends. Tant pis. Tu peux aller épauler mon frère, je crois pas qu'on aura encore besoin de toi ici.

– Mais... Je devrai créer un blog, une chaîne de vidéos, un forum et des comptes sur les réseaux sociaux pour Akaji, non ?

– Pour l'instant on n'a même pas de boutique, ni même de vêtements. C'est pas le moment d'éparpiller nos forces. Rentre aider Maxime, ça nous sera plus utile.

– D'accord.

Anna s'avoue vaincue et engage des au revoirs avec les différents Pôles. Le type du Pôle Comptabilité se traîne jusqu'à André. Il n'est vraiment pas dans la même ambiance que les autres celui-là.

Je me tourne vers eux.

« Ça doit vous changer, de pouvoir partir aussi tôt comme ça. Un véritable Paradis après l'Enfer. Et ne vous inquiétez plus pour l'argent. Pas besoin d'être voyant pour savoir qu'Akaji se fera mille fois plus connaître que votre ancienne galère. Ayez confiance en la force de la Jeunesse. S'il y a bien une communauté qui est prête à passer à l'action, c'est la nôtre. On s'exportera dans d'autres pays, un jour ou l'autre. En attendant, où est-ce que vous en êtes ? »

– Hélène et moi avons eu plusieurs idées très intéressantes qui collent bien au thème, le seul problème c'est qu'elles sont toutes dans un style très différent.

Heureux de voir que Tamar ne renie pas l'importance de ma blonde préférée dans la création des futurs produits.

– Pas de soucis, tant que la Jeunesse vous inspire des vêtements. Et la boutique, ça se passe comment ?

– Marie et moi sommes d'accord sur les grandes lignes, ce n'est plus que du pur travail technique désormais. On va pouvoir s'atteler à la réputation de notre navire Akaji.

Sa métaphore fait sourire tout le monde. En tant que chef du Pôle Communication, Thomas a intérêt à être apprécié par ses collègues. Il s'occupe aussi du secteur marketing apparemment.

– Alors, dis-moi, comment on passe d'inconnus complets à une marque influente ?

– J'imagine que tu ne pigeras pas si je te parle de trafic ou de conversion. En principe, c'est tout simple : il faut être là où sont les gens qui pourraient être intéressés par ce qu'on vend et réussir à leur vendre. Être présent sur les réseaux sociaux, parler de quelque chose qui passionne déjà les gens ou s'associer avec quelqu'un qui est déjà connu, voilà trois grandes stratégies. Pour te donner des exemples, Netflix et ses dizaines de comptes en différentes langues sur toutes les plateformes, faire des vidéos sur un manga spécifique pour créer sa propre communauté, ou les featuring entre artistes musicaux.

– Compris.

C'est clair, net et précis. Je n'ai pas envie d'exploiter L4cky à me créer des dizaines de comptes certifiés. De toute façon, on n'aurait pas le temps de s'en occuper. On pourrait ouvrir un blog et écrire des articles sur la définition de la Jeunesse, la place du féminisme dans ce mouvement ou autre. Mais on est loin d'être assez nombreux pour s'éparpiller sur pleins de projets en même temps. Et puis c'est exactement ce que l'ancien patron a fait.

Maxime et Anna passaient leurs journées entières à jongler entre pleins de formats. Ayant des objectifs de quantité, ils avaient honte de la majorité de leur travail, en plus de se tuer à la tâche. Je vais soigneusement éviter cette erreur.

Il ne reste plus qu'une seule solution. Se lier avec une marque plus connue pour qu'une partie de leurs clients deviennent les nôtres.

– Honnêtement, pour l'instant la meilleure solution c'est l'affiliation. L'exemple le plus parlant serait un vidéaste qui fait un placement de produit. Le problème c'est qu'on est loin d'égaler Crésus et qu'on est des inconnus complets. On risque pas de trouver grand chose dès le début.

J'ai compris. C'est moi qui ai fait virer l'ancien patron, c'est à moi de mettre à flot ce nouveau navire. Je vais m'investir dans Akaji, rien qu'un peu.

« Salut. Oui c'est bien Eythan, vous ne rêvez pas. À vrai dire, j'aurais un service à vous demander. J'aimerais que vous produisiez un pendentif exclusif en un seul exemplaire que vous m'offririez. Un médaillon yin-yang où la partie noire serait un corbeau qu'on distingue grâce à sa tête et une aile, et pareil pour la partie blanche qui deviendrait une colombe. Je vous envoie un dessin qui sera peut-être plus clair. Au fait, mon frère possède une entreprise de vêtements, centrée sur la Jeunesse, le courage et le progressisme qu'elle prône. J'aimerais que vous créez un vêtement en collaboration avec lui, histoire de l'aider et de montrer votre soutien à la Jeunesse, mouvement étroitement lié avec le féminisme et les LGBTQ+. Pour la contrepartie, je vous laisse vous débrouiller, ma réputation est devenue tellement grande que vous ne devriez pas avoir de mal à trouver des idées. »

Hop, message et dessin envoyé à Tigre Style. Il ne devrait pas laisser un compte certifié en vu, surtout pas le mien.

– T'en fais pas, je viens de m'en occuper. Tigre Style devrait bientôt vouloir venir créer un vêtements avec nous. Créé-nous un compte Instagram pour montrer qu'on existe et plus tard, pour afficher nos produits. D'ailleurs vous en êtes où ?

– Viens voir si tu veux.

C'est effectivement ce que je fais, laissant Thomas plongé dans son ordinateur.

– On a eu trois grandes idées. D'abord un tee-shirt noir avec en blanc un jeu du pendu, avec le mot INJUSTICES inscrit en majuscule, le tout dans un style un peu grunge. Tamar, montre-lui l'ébauche que t'as faite.

Si l'on excepte ce petit doigt qui a naturellement glissé vers ma main, Hélène reste vraiment professionnelle.

– Pas mal. Vous avez quoi d'autre en stock ?

– Alors là, on n'est vraiment pas sûre, mais ce serait un pull multicolore avec écrit : Keep bravery and be fair.

– Ça peut donner un truc bien, à condition de vraiment le travailler. Et le dernier ?

– Un sweat entièrement rose, seulement frappé au niveau du cœur d'un drapeau vert, la couleur de l'espoir, avec en-dessous la mention : Heart of a Jeunesse's Member.

L'espoir, le courage de la Jeunesse et la volonté d'un cœur. C'est le drapeau de la liberté. Si Akaji est un navire, ses membres sont les pirates les plus justes au monde.

– Eh ben, vous avez pas chômés ! J'ai une grosse préférence pour le dernier, un message tout en finesse et en poésie. Rajoutez les deux ailes de la Jeunesse quelque part sur le sweat et il pourrait bien faire un carton !

– Vous imaginez ? Après avoir passé des mois entiers à dériver sur une minuscule barque, dévorés par la soif et rongés par la peur d'être viré du jour au lendemain, notre beau navire sur lequel on est fier de naviguer, devenir une gigantesque flotte connue à travers le monde pour couler les injustices ?

Ils ont des étoiles dans les yeux. Et, je ne saurais dire pourquoi, mais ça me plaît. J'ai une folle envie de les aider à atteindre leur but. Peut-être un jour, mais le temps que Tigre Style réponde, chaque chose en son temps.

– Hélène, j'ai besoin de te parler en privé. »

Personne dans cette pièce ne semble nous en tenir rigueur. Elle se lève et nous marchons côte à côte, sans un mot. Sa main vient attraper la mienne et je l'accueille avec douceur. Ma blonde préférée se retourne et mon regard suit le sien.

Tamar lui jette un œil espiègle, comme si elle était son amie de toujours. Marie l'informaticienne nous fait un clin d'œil et pose son index devant sa bouche, montrant qu'ils garderont le secret. Thomas me regarde, un sourire simplement joyeux sur les lèvres.

Hélène semble aux anges. Je suis satisfait de la voir ainsi et de fréquenter des gens aussi sympathiques. À cet instant, je suis fier d'appartenir à cette belle communauté qu'est la Jeunesse.

Une fois isolés, Hélène me regarde comme si c'était la première fois. Sa timidité apparente me pousse à prendre les devants. J'approche mes lèvres des siennes et la magie fait le reste. Elle pose ses mains sur mes joues. Il n'y a plus la passion fougueuse de la première fois, c'est du pur a... Ttachement.

Merde, pourquoi j'ai autant de mal avec ce mot ? Je sais parfaitement qu'il n'y aura jamais personne d'autre. Mais... Eythan est Eythan. Je me croyais incapable de réellement m'attacher avant qu'elle ne me tombe dessus. Et puis... L'amour est la pire des faiblesses. Je ne suis pas faible, la force est l'un des trois pilliers pour devenir l'Être Parfait.

Je me détache d'elle. Ma blonde préférée me sourit, son cœur sur un petit nuage. Elle vient poser mes mains sur ses hanches. Je crois qu'elle adore ça.

« Jouons cartes sur table Hélène. Tu veux venir à Paris avec moi ?

– On dit que c'est la ville de l'amour mais... Pourquoi maintenant ?

– Quoi, t'es pas au courant ? Le gouvernement nous invite à l'Élysée pour nous remettre la légion d'honneur.

– En vrai ? Non, je savais pas du tout ! Écoute, si toi tu veux y aller, vas-y. Mais moi je me sens vraiment pas légitime, chaque fois que je parle à Flora je me sens coupable d'avoir échouée à la protéger. Et même si je le voulais, il faut que je reste ici pour veiller sur Alice, tout le monde l'abandonne depuis ce qu'il s'est passé... Mais je vois dans tes yeux que t'as soif d'aventures, alors te retiens pas mon cœur. Même si tu vas beaucoup me manquer, va vivre ta vie.

Elle m'a bien cerné. Rester toute mon existence à Angoulême, très peu pour moi. J'ai besoin de goûter au fruit que Dieu aurait dû interdire : le pouvoir.

– Merci petit ange. Vraiment. T'es la meilleure.

– Alors on forme une belle équipe.

Elle me fait un clin d'œil espiègle, auquel je réagis moins que dans ses rêves. Quelque chose me tracasse. Ce n'est vraiment pas normal que personne de l'Élysée ne l'ait appelée.

– Dis-moi... Ton oncle travaille dans quoi au fait ?

– Il est informaticien au gouvernement. C'est lui qui sécurise les fichiers top secrets et qui défend le pays contre les hackers du monde entier ! »

Elle continue de parler d'un ton enjoué, mais je ne l'écoute plus. Merde. Merde. Merde. Lorsque j'ai récupéré Châtiment, lorsque j'ai sorti mes mensonges à l'interrogatoire, lorsque j'ai su pour la mort de mon géniteur, lorsqu'on m'a pris en photo devant sa tombe, lorsque des tueurs en moto m'ont pris pour cible, lorsque j'étais face à la Bête Noire... Chaque fois que j'étais en contact direct ou indirect avec L4cky, je m'étais éloigné d'Hélène.

Ce n'est même pas tout. La simple existence de mon alliance avec lui m'empêche d'être complètement sincère avec Hélène. À force, ce secret pourrait bien nous éloigner, voire casser notre lien. Je comprends mieux pourquoi il acceptait avec plaisir tous ces services sans contrepartie. L4cky est Yvan.

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