Chapitre 31. La plus belle femme

Chapitre 31. La plus belle femme

Eythan

Trouver Axel dans cet amas bordélique semblait déjà relever du hasard. Personne ne peut prédire les mouvements d'une foule. Mais Essaim l'a amené ici en moins de deux minutes. À ma connaissance, Axel n'obéit à aucun ordre s'il n'en connaît pas les raisons. Peu importe si lesdits ordres viennent d'un père ou d'un ami. Je ne sais pas si Essaim en est conscient mais il vient de réaliser un pur miracle.

- Déjà là ?

- Ouais. J'le connais assez pour deviner où il était. »

Existe-t-il un ange nommé Essaim ? Bah, peu importe. Il est discret, efficace et autonome. Je devrais m'entourer de plus de gens comme lui. Ceux que j'ai fréquenté jusque là ne sont que vifs pour causer du mal. Je marche droit devant moi jusqu'à ce que mes pieds quittent le conteneur et laissent un nuage de poussière au sol. À nouveau.

Je détaille tour à tour Axel, son visage boudeur et fermé, Essaim et sa mine concentrée, mes chaussures usées et couvertes de poussière et d'autres substances, pour finir par porter mes yeux sur l'horizon. C'est ici que ma garde prend fin.

« Axel, tu m'as bien dit que tu sais conduire comme personne ?

- J'ai plus d'une centaine d'heures à mon actif !

Qu'est-ce qu'il est agréable ce garçon... Il me donne envie de lui planter exactement quatre couteaux dans le torse. Malheureusement, je n'ai pas assez de lames et trop besoin de lui pour m'offrir ce luxe. Je dois même déposer les clés d'une pièce à conviction dans ses mains.

- Voilà de quoi me prouver que tu ne racontes pas que des conneries. Tu vois le bolide en plein milieu du chemin ? Sur la banquette arrière, j'ai laissé Flora en très mauvais état. Conduis-la à l'hôpital. Essaim, ton bras.

Intrigué, l'ami d'Axel me le tend. Pour la deuxième fois aujourd'hui, j'écris mon numéro sur un bras. Il le lit avec attention avant de le laisser retomber à côté de sa hanche.

- Pourquoi je ferai ça ?

Au regard qu'Essaim lui lance, elle est plus qu'une simple amie pour le rouquin.

- Parce que tu pourrais faire la une des journaux ? »

Regardez-le courir avec enthousiasme vers la voiture. Je ne lui en veux pas de n'agir que par intérêt. Si j'en suis là aujourd'hui, c'est surtout parce que je fonctionne comme lui. L'humain est, par nature, égoïste. C'est sa manifestation de joie dégoulinante qui me dégoute.

« Toi... Essaye de calmer ses ardeurs ? Ce serait con d'avoir un accident sur le chemin. Dis-lui qu'il pourra garder la voiture à la fin. Ça devrait l'aider à se concentrer sur la route. Quand vous serez arrivés, je compte sur toi pour la confier rapidement à des médecins.

- D'accord... Et... Et ça ? me demande t'il en désignant son bras couvert d'encre.

- Ah oui ! Utilise-le pour me tenir au courant de l'état de Flora. »

Ça, c'est fait. Un rapide coup d'œil à la vitre de l'allemande me confirme que sortir de l'ombre de son père attire Axel depuis qu'il est sorti de ses bourses. Le moteur de la voiture, déjà prêt à atteindre les quatre-vingt-dix kilomètres heure, confirme ma crainte que mon ancien colocataire ne craint pas de partir sans Essaim.

Ouf, il a pu monter à temps. Heureusement qu'Axel l'a attendu, je ne sais pas si j'aurais osé lui tiré dessus. Hélène a pris la tête de l'essaim et commence déjà à avancer. Il ne me reste plus qu'à retourner au collège. Et un demi-kilomètre à pied...

***

... Ça use mes baskets déjà bien salies par la terre et le sang de mes ennemis. Pas sûr qu'on la chante en colonie de vacances celle-là. Enfin, peu importe. La probabilité que je retourne en colonie est aussi importante que je lise les aventures de Babar à une inconnue.

Encore moins probable : la mort de celui que je nomme Evaristo. Mes yeux savent bien qu'il n'a pas bougé d'un millimètre. Mes doigts se souviennent avoir pressé la détente d'un fusil à pompe collé à sa poitrine. Je ne souhaite pas sa mort. Ce serait excessivement décevant et priverait mon futur d'un amusement certain.

Aucune voiture à l'horizon. Son fameux chauffeur doit être mort enterré ou trop lent et loin pour que je l'attende. Cinq heures et quarante-deux minutes se sont écoulées depuis mon réveil ce matin. Je rejoindrais ma maison pour le déjeuner, quoiqu'il en coûte. Le véhicule des intrus avance quelque part sur la route de l'hôpital. Bien trop loin pour que je puisse les rattraper. Et même si je le pouvais, ma réputation en pâtirait. Pas que l'idée d'être vu comme l'« Anarchiste du dernier des siècles » me déplaise.

Seulement, la presse hésiterait à parler de moi si la vérité leur chuchote que j'ai sacrifié les jambes d'une jeune fille courageuse pour regagner une quelconque console de jeu avec quelques minutes d'avance. Je ne peux pas non plus marcher jusqu'au premier rue de la Force. Hors de question de le laisser là. Je dois appeler quelqu'un d'autre. Ses contacts n'iront jamais saupoudrer de sable les rouages de leurs relations. S'ils ne décrochent pas, je serais contraint d'appeller mes propres contacts et « Evaristo » risquera très gros.

« Criminel le plus recherché par l'une des cinq puissances mondiales » ... Même en l'analysant avec toute la concentration dont mon cerveau est capable, je ne peux nier que ce surnom craint.

Bon... Son téléphone doit être sur-protégé. Reconnaissance d'empreinte digitale et oculaire, code à six chiffres, effacement automatique des données en cas d'erreur... Je vais avoir besoin de toute ma concentration et tout mon calme pour passer les différentes sécurités.

Il est entre mes mains. Je ne peux même pas m'imaginer la chance que je vais devoir réclamer pour accéder à son contenu. Les battements de mon cœur résonnent en force dans ma tête. Je ne peux même plus le contrôler... Puis je l'entends s'arrêter.

J'avais oublié. Son téléphone est aussi facilement pénétrable qu'une esclave en chaleur. Ce n'est plus amusant du tout. S'il est encore en vie, il va le regretter. La colère se contrôle, pas la capacité destructrice de la frustration.

Lorsqu'il le regardait comme un bébé observe une nouvelle couleur, aucune de ses lèvres n'a ne serait-ce que tremblé. Son interlocuteur n'aurait rien compris à sa bouillie de mots chuchotée et étouffée sous sa cagoule de toute manière. Son dernier correspondant date d'aujourd'hui. Étrange que l'heure du dernier message ne soit pas indiquée.

Surnommé « le Diable », il surplombe tout le reste de ses contacts. Curieux, j'appuie dessus pour lire les mots - ou les smileys - qu'ils se sont échangés. Magie. Un espace vide requérant cent chiffres pour accéder au contenu de la conversation s'ouvre. Il disparaît presque aussitôt. Aucun homme, même en remplissant l'espace au hasard, ne pourrait effectuer autant de pression en si peu de temps. Un sourire démoniaque me déchire le visage. Monsieur a plus de choses à cacher qu'il ne voulait me faire croire.

Toutes ses conversations ont subit le même traitement. Il ne me reste qu'à téléphoner au dernier numéro avec qui il a échangé de l'audio. Un appel manqué datant de ce matin, de la part de Seven. « Evaristo » fréquente des personnages avec de drôles de noms. Et selon l'historique, ce dernier ne l'a pas rappelé. Malgré l'éloge que je pourrais lui dresser avec une facilité déconcertante, la politesse n'a pas l'air d'être son fort. Heureusement qu'il a un « ami » qui pense à sa réputation.

Bip... Bip... Bip... Son autre ami n'est pas très ponctuel non plus. Brrr... Maintenant que la pression est retombée, le froid a remplacé l'adrénaline dans mes veines. Le ton glacé menaçant de cette forêt m'oblige à imiter une danse pathétique afin de limiter les dégâts. Autant dire que le spectacle auquel je m'adonne n'est pas glorieux.

« Al... Allô ?

- Bonjour Seven.

- C'est qui ?

- Mon nom n'a pas d'importance. J'ai neutralisé Evaristo et j'aurais besoin que vous veniez le chercher.

- ... Qui ?

Quelle bêtise m'abrite ? Parce que je le sais déjà que jamais il ne se présenterait sous son vrai jour.

- Le propriétaire de ce téléphone.

- C'est pas ton style les blagues téléphoniques...

- Parce que c'en est pas une ! Écoute, je suis pas du genre à découper des doigts alors il va falloir me croire sur parole. Ramène-toi dans les cinq minutes ou je changerais d'avis sur la torture. »

Les gens ne croient plus en rien aujourd'hui, c'est incroyable. Enfin, mon bluff à deux balles a peu de chances de faire bouger les choses.

***

Si j'étais l'antagoniste de l'Histoire, je conduirais la voiture la plus classe possible. Laquelle ? Je ne le suis et ne le serai jamais donc la question ne se pose pas. En tout cas, pas celle-ci. Le prix d'un Glock AA doit être le même que ce tas de ferraille. La seule bonne nouvelle est que cette caisse roule encore. Et qu'il ne s'agit ni d'un scooter ni d'un vélo. Les engins à moteur à quatre roues sont préférable pour transporter des cadavres. Et je dois reconnaître qu'un véhicule extravagant plaqué or aurait attiré trop d'attention.

« Où est-il ?!

- Derrière l'arbre, tout là-bas. »

Si la crainte de la mort de son contact suffit à lui faire oublier la politesse, leur relation doit s'être embelli depuis leur alliance initiale. Du moins, de son côté. Rassurez-vous, je ne compte pas m'en plaindre. L'Amour l'a empêché de se rendre compte qu'un arbre n'est pas le meilleur des repères dans une forêt. L'aveugle dans ses yeux l'a empêché de voir la grosse tache noire à mes pieds. Comme on dit : plus c'est gros, mieux ça passe.

Arrivé sur le bitume, je me rapproche un maximum du véhicule avant de lâcher le corps comme un vulgaire sac à patates. Il pèse son poids le bougre. Craignant son retour d'une minute à l'autre, je me précipite pour défaire mes lacets d'une main pendant que j'ouvre une portière de l'habitacle de l'autre. J'y balance mes chaussures à la va vite et, à la seconde ou elles chutent d'un siège pour rencontrer un tapis très bien entretenu, je tourne mon regard vers la foule d'arbres.

Je la repère au loin, tentant d'arracher une ronce de sa botte en envoyant son pied dans la direction opposée à la racine. Heureusement que cette jeune femme semble vouloir fouiller l'entièreté de la forêt avant de revenir me péter les genoux.

***

« Il est où ?!

- Sur la plage arrière. Je connais quelqu'un dans une déchetterie qui fait disparaître les corps sans poser de questions. »

Son visage passe de la peur la plus compréhensible à l'incompréhension la plus totale et finit sur la colère la plus meurtrière. Je comprends ceux qui prétendent que la plus belle femme est énervée.

« Et qu'est-ce qui m'empêche de te tuer ici et maintenant ? crie-t-elle en installant un couteau sous ma gorge.

Amusant.

- Et moi, qu'est-ce qui m'en empêche ? J'ai beau ne pas avoir le permis, je sais conduire une voiture sur deux kilomètres. »

Quel beau pistolet elle a sur son front. Je l'envie tellement !

« C'est vraiment dommage qu'on ne puisse pas se venger depuis l'Enfer...

Cette nouvelle rencontre retire le couteau de ma gorge et me tourne le dos. Pourtant, j'aurais parié que mon sourire provocateur doublerait sa haine. À voir si cette facade n'existe pas pour me poignarder dès ma garde baissée.

- Véridique. En route ! »

Quelqu'un a dit un jour : « Si tu parles comme un pilote et que tu ressembles à un pilote, les gens te prendront pour un pilote. » Et il avait raison. Mes paroles ressemblent à celles d'un criminel et des crimes parsèment mon jogging. Malgré mon âge, elle avale mes fantaisies comme si c'était la fontaine de Jouvence. Soit il s'agit d'une poupée que son cher Maître manipule à sa guise ; soit elle cache quelque chose d'énorme.

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