Chapitre 30. Meilleur Job au monde

Chapitre 30. Meilleur Job au monde

Eythan

Nous voilà au marché. Comme l'avait prédit L4cky, ils ne nous ont pas suivi dans un endroit peuplé. Kennedy s'est fait assassiné dans une place noire de monde. Les hommes à mes trousses semblent avoir des ordres plus restrictifs. Prévoient-ils de me kidnapper après m'avoir terrorisé ? Ou avaient-ils simplement oublié de charger leur arme ?

Peu m'importe. Je suis hors de leur portée. Une fois que j'aurais récupéré un pistolet et mes billets, je serai invulnérable. Loin de se dégonfler, le papy sans-abri m'a indiqué un nouveau distributeur à l'effigie de ma banque. Je lui ai refilé la MasterCard pour qu'il retire le restant des billets seul. Je me fiche bien de combien il va me voler.

En attendant, je traîne sur mon téléphone. J'envoie un message d'excuses neutres à Hélène, active mes données mobiles, réponds à Léa. Tiens, Anna m'a ajouté dans un groupe de discussion. Au vu des derniers messages, il s'agit d'un groupe pour fêter le nouveau départ de leur entreprise.

Leur donner un jour de congé était efficace pour les satisfaire un jour, mais il me faut régler le problème sur le moyen terme. Après trente secondes de réflexion intense, je donne mes directives.

« Tant que mon frère ne sera pas en état, je le remplacerai. Réunion demain à 14 heures pour décider du nouveau cap de la boîte, tout le monde est invité. Habillez-vous comme vous voulez, vous bosserez peut-être même pas. En tout cas, vous serez libre à 18 heures. Et à 18h01, vacances pour tout le monde jusqu'à début janvier histoire de profiter de Noël et du nouvel an. »

Après des mois sous le joug d'un esclavagiste, ils doivent se croire au septième ciel. Ils se contentent d'un roi après être passés par les mains d'un tyran. Ce n'est ni réconfortant ni surprenant. J'imagine que l'important est qu'ils soient satisfaits. Je verrouille et range mon téléphone sans admirer leur réaction.

À force de marcher sans prêter attention à la direction de mes pas, je me suis retrouvé face à un stand tenu par une mère et sa fille. Je pourrai leur cracher dessus et retourner au distributeur sans éprouver de culpabilité. Mais cette enfant ressemble énormément à une version miniature d'Hélène. Une large cicatrice sur la joue droite en plus.

Cette simple particularité me pousse à m'intéresser à leurs produits. Que des bijoux, des bracelets pour la plupart. Je slalome entre les objets moches jusqu'à poser mes yeux sur la zone dédiée aux pendentifs. Oh, bordel.

Une petite corde blanche passe au milieu d'un pommeau. Du pommeau à la garde, un noir mat. La lame est d'un blanc plus éclatant que le soleil. La gouttière, peinte d'un gris clair. La pointe, recouverte d'un rouge profond, comme si elle venait de se planter dans un ennemi. Magnifique.

Je jette un œil derrière moi. Le sans-abri à la barbe blanche est toujours affairé avec le distributeur. Belle initiative de commander plusieurs billets d'un coup. Ça accélère les choses et puis je me fiche pas mal d'avoir des billets de dix, vingt et cinquante qui se mélangent dans mon sac. Du moment qu'il revient vite.

Un petit homme trapu à la moustache bien taillée s'arrête devant moi. Il veut quoi lui ? Il me tend un livre que je saisis, méfiant. Après vérification, je soupire. Personne n'a caché de bombe dedans.

« On m'a demandé de le remettre au premier adolescent habillé d'un sweat violet que je verrai. »

Il s'en va se noyer dans la foule sans plus attendre. Sans que je n'ai le temps de lui poser des questions sur le visage de la personne qui lui a remis cet objet. Connaissant L4cky, il a probablement fait appel à plus d'un intermédiaire.

L'Art de la Guerre de Sun Tzu. C'est sûrement le meilleur livre que je pourrais offrir à Hélène. J'ai hâte de l'emballer et de l'échanger avec celui qui traîne dans sa chambre. Celui qui contient le Glock AA qui m'a servi à ôter la vie à douze reprises. Quelle ironie.

Le sans-abri s'empresse de me rejoindre. Tandis que sa mère se bouche le nez avec un air de dégoût, la fillette a les yeux qui se remplissent d'étoiles. Elle le confond peut-être avec le Père Noël. J'ouvre en grand le sac sans les quitter des yeux. Je saisis une grosse poignée de billets et la pose sur leur stand. Il y en a peut-être déjà pour plusieurs milliers d'euros.

Je lâche un autre tas de billets multicolores à côté de l'autre. Après avoir attendu quelques secondes que le choc domine leurs visages, je pose une main sur chaque dune. Ce serait dommage qu'ils s'envolent.

« En échange de tout votre stock de pendentifs d'épées retournées. »

Quelques secondes plus tard, la femme a retiré tous les modèles du stand. Elle les glisse dans un carton rangé dans son camion. Elle me le tend, mais quelque chose me gêne. En dehors du fait que j'ai gagné 200 000 euros à partir de presque rien, que j'ai forcé quelqu'un à vendre son entreprise et à changer de continent et que maintenant je claque plusieurs milliers d'euros pour des objets qui n'en valent que quelques centaines.

Pourquoi y a-t-il une étiquette « Tigre Style » sur le carton ? Ah. Cette mère et sa fille ne sont que des revendeurs, ils ne fabriquent aucun de leurs produits. J'étais déjà au courant que je payais cent fois trop cher, l'argent n'est pas mon problème. Mais cela signifie que je n'ai pas le monopole de ces pendentifs.

« Ça me gêne de vous le demander, vous avez déjà tant fait pour moi, mais... Pouvez-vous m'en offrir un ? Ma... Moi et ma défunte femme portions le même et... Ceux... Ceux qui m'ont mis à la rue m'ont volé jusqu'à ce dernier souvenir d'elle. »

À deux doigts de fondre en larmes. Moi aussi ça me ferait chier si Hélène mourrait. Je ne laisserai personne me voler quoique ce soit, mais j'imagine que tout le monde ne peut avoir ma rage ou ma force.

Pourquoi j'aime autant ce pendentif ? Au-delà de sa beauté esthétique, aucun élément ne semble avoir été mis là au hasard. L'épée avec la pointe vers le bas est un symbole évident de la Justice. Mais il y a beaucoup plus.

Ce jeu de couleurs. Le noir et le blanc, le bien contre le mal. Une zone d'ombre grise où personne n'est plus vraiment certain de ce qu'est la Justice, car elle est plus difficile à saisir que la fille d'un président. Des gouttes de sang sur une extrémité, car vu la nature injuste de ce monde, tout ne se terminera pas de manière pacifique.

Je pourrais même rajouter un commentaire sur le fait que la poignée soit la partie noire. La représentation parfaite de la vérité : « attention à ne pas devenir les monstres que l'on combat ».

S'il était unique et autour de mon cou, nulle doute qu'il serait parfait. Malheureusement, je me retrouve avec une centaine de pendentifs sur les bras. Une adolescente aussi mignonne que sage m'a fait comprendre que, puisqu'il n'y a pas de justice, chacun doit construire la sienne.

Punir un vol par la culpabilité ? Chacun sa vision. Récompenser un service par un autre ? Chacun sa vision. Appliquer la loi du talion sans scrupules ? Chacun sa vision. Entre celle qui trompe et celui qui se trompe lui-même, à chacun de choisir son camp.

Je m'occuperai de ce gros nounours plus tard. D'abord, je lâche les tas de billets pour saisir le carton et le poser entre mes pieds. Ensuite, je dévisage les deux vendeuses. L'une d'elle continue de se boucher le nez comme si mon acolyte était l'ancien patron de mon frère. L'autre secoue la manche de sa maman en lui demandant pourquoi le vieux monsieur a l'air aussi triste.

Je prends le second paquet de billets et le dépose dans la main de la petite fille.

« Achète-toi tout ce que tu veux avec ça.

– Merci monsieur ! »

Son sourire est aussi pur que celui d'Hélène. Il me contamine tout autant. Je caresse ses cheveux avec une douceur sincère.

La femme sourit déjà à l'idée de recevoir autant d'argent. Elle est dans sa bulle, voguant vers le septième ciel. Sauf que si sa fille m'a poussé à m'intéresser aux bijoux, cette adulte ne fait que me repousser. Je retire l'extrême majorité du paquet de billets et lui tends les miettes.

Je ne fais qu'un avec Châtiment, cela explique pourquoi il ne m'a jamais quitté depuis que je l'ai obtenu. Sans même le sortir, j'ai percé sa bulle rêveuse tel un poignard. Flemme de l'admirer s'écraser en Enfer.

Ma main droite descend chercher le carton. Une fois la lanière du sac conquise par ma main gauche, je marche en direction d'un coin isolé. Le sans-abri sort de sa torpeur et me suit en silence. Si quelqu'un m'avait foutu un vent aussi violent que moi, un coup de feu serait parti.

Il est quand même plutôt unique. Lorsque que je l'ai trouvé, il n'avait avec lui ni chiens ni alcool. La plupart des sans-abris ont au moins un des deux. Même s'ils ne remplissent pas le ventre, les animaux leur apportent du réconfort. Même s'il refroidit le corps, l'alcool donne une sensation de chaleur. Ce qu'il faut en retenir ? Lorsqu'il s'agit d'humains, peu importe la vérité. Seule compte la sensation.

La vendeuse peut se sentir arnaquée et en colère, on a disparu de son champ de vision. Je dépose le carton sur un muret. J'en sors trois pendentifs. Je fourre le premier dans ma poche, je garde le deuxième dans ma main et lui tends le troisième. Le sans-abri le saisit, les larmes aux yeux.

« Tu sais, j'ai connu ma femme à ton âge. On s'est rencontré en cours de technologie et depuis, on s'est plus jamais quitté. Dès qu'on a pu, on s'est marié. Oh, c'était pas facile tous les jours, il se passait pas une semaine sans qu'on se dispute. À cause de la belle-famille, de l'argent, de ses infidélités... Mais on s'aimait et on savait qu'on n'aimerait jamais personne d'autre.

Ça me toucherait sûrement si je pensais que j'allais vivre la même chose avec Hélène. Je laisse volontiers ce scénario à d'autres.

– Dommage que ça se soit si mal fini pour vous alors. Prends ces billets et le carton. »

Quelle différence entre un méchant et un gentil qui fait des mauvaises actions ? Aucune. Quelle différence entre un gentil et un méchant qui fait des bonnes actions ? Toujours aucune. Je ne suis pas plus gentil que méchant. Je ne fais que ce qui me plais, comme tous les autres humains.

Ce sans-abri dépensera peut-être ces milliers d'euros à retrouver sa famille et pourra ainsi rattraper le temps perdu. Il les échangera peut-être avec une maison de retraite contre un toit, des couverts et le droit de mourir dans un lit douillet. Peut-être claquera-t-il tout dans un bonheur à court terme comme le casino et s'en mordra les doigts jusqu'à sa fin. À vrai dire, je ne le saurai jamais.

« Blablabla je t'ai déjà tellement aidé, blablabla tu mérites pas. J'ai un deuxième boulot pour toi. Avance droit devant toi. Chaque fois que tu croiseras un arbre, tu déposeras un pendentif sur une des branches. Lorsque le carton sera vide, tu seras libre de commencer ta nouvelle vie. »

Chacun a sa propre justice. Hélène m'a adouci, c'est certain. Mais il se peut qu'elle ait raison dans le fond. Je pourrai détruire tous ces pendentifs pour rendre le mien aussi unique que parfait. Mais je ne viendrais pas à bout de la soif de justice de tous les humains. Les membres de la Jeunesse sont devenus trop nombreux. Nous sommes tellement nombreux. Partout, tout autour du globe.

Je soupire, un sourire sur les lèvres. J'espère que mes camarades sauront en faire bon usage. Merde, Hélène m'a vraiment atteint. Je finirai par savoir si c'était une bonne chose.

Le sans-abri se lève, un pendentif au cou, un autre dans la main. Seul le bruit d'une légère brise vient chatouiller le silence. Il se met sur la pointe des pieds, tel un enfant. La corde glisse sur le long de la branche. Cet après-midi, ce soir ou demain matin, un enfant, une adolescente ou une vieille personne saisira cette douce épée. Dieu sait ce qu'il ou elle en fera.

Personne ne pourra jamais savoir ce qu'il y aura après lui. Là est toute la tristesse ou la beauté de ce monde.

Le sans-abri n'est plus qu'une silhouette parmi d'autres. Ce doit être le meilleur job au monde. Je le paie mille fois trop, tout comme ces vendeuses. Il faut croire que je m'adoucis, pour lui avoir offert le symbole de la justice au lieu de le descendre sur place.

C'est l'épée la plus puissante au monde. Je glisse mon pendentif Excalibur autour de mon cou en soupirant.

« J'imagine qu'après ce qu'il vient de se passer, on annule le rendez-vous de cet aprem.

L4cky ne se donne même plus la peine d'attendre la troisième sonnerie. De mieux en mieux.

– Il va falloir que je m'habitue, mon petit doigt me dit que c'est pas la dernière fois qu'on braque un flingue sur moi. Dis à ton pote de pas oublier un deuxième pistolet efficace.

Hélène s'est faite crier dessus comme jamais alors qu'elle venait de sauver tous nos camarades. Cette professeure ne s'en sortira pas aussi facilement.

– Comme tu veux. Ce quartier est très peu fréquenté et même si mon homme de main sera avec toi, il faut que tu t'attendes à te refaire attaquer.

– Prie pour mes ennemis plutôt. Équipé de Châtiment, d'une arme à feu et d'un cerveau en diamant, je suis invulnérable.

– En tout cas, mon homme de main sera là pour te protéger en cas de problème. Tu veux toujours pas savoir son nom ?

– Non, rien à foutre. Je sais même pas pourquoi t'insistes autant. Par contre, Tigre Style font de très beaux pendentifs. Le seul problème, c'est qu'ils les refilent à n'importe qui ayant un peu d'argent. Tu pourrais pas leur commander un pendentif original ?

– Mais je suis pas ta secrétaire ! Tu sais quoi, je vais te créer un compte Instagram certifié, ça devrait me prendre quelques heures. Tu m'enverras ce que tu veux comme pseudo, mot de passe et biographie par message.

« Le seul, l'unique » sonne vraiment bien. Pour le pendentif que je vais créer sur mesure.... Un mystérieux monsieur m'a parlé d'une colombe et d'un corbeau qui sont les deux faces d'une même pièce, ou quelque chose comme ça. Je n'ai aucune nouvelle de lui d'ailleurs. Comme le dit l'adage : pas de nouvelles... Pas de nouvelles.

– Je remets pas en doute tes talents, mais si tu y arrives en une aprem, n'importe quel informaticien un peu talentueux peut créer un compte certifié en quelques jours. Il faut une autre preuve que c'est bel et bien moi.

– Prêt à montrer ton visage au monde entier ?

– Lâche les chiens. »

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