Chapitre 30. Explosion

Chapitre 30. Explosion

Eythan

Mon petit doigt vient de me chuchoter un scoop. Il suffit qu'un objet – quel qu'il soit – brise le mur du son pour exploser n'importe quel tympan à moins de dix mètres à la ronde. En comparaison, le bruit provoqué par des munitions subsoniques passe pour un petit joueur. Depuis que mon doigt a quitté la gâchette, un sifflement harcèle mes oreilles. Il est aussi insupportable qu'Axel. Mon ouïe était trop fiable, j'étais obligé de l'abîmer encore plus ! Je me demande vraiment ce qui me passe par la tête parfois.

J'ai l'étrange sentiment qu'une mouche se balade à l'intérieur de ma tête. Mais j'ai beau la secouer dans tous les sens, rien n'en sort. Peu importe mes gestes, cette nuisance me martèle l'esprit en permanence. Peu d'expériences sont plus désagréables. Il faut que je me concentre sur quelque chose d'amusant pour oublier cette torture infernale. Cette petite route tracée dans la forêt ne suffira pas. Mais peut-être que l'endroit où elle mène, si. L'endroit le plus reculé et pourtant le plus cool d'Occianth.

En attendant que j'y arrive, quels sujets pourraient être intéressants ? Un chauffeur va venir me chercher dans peu de temps et j'ai déjà prévu d'envoyer tous les ex-otages voir ailleurs si j'y suis, qu'ils arrêtent enfin de traîner dans nos pattes. La rousse a cassé l'ambiance avec ses pleurs, alors maintenant je me méfie d'eux. Je sais déjà à qui je vais confier Flora. Je n'ai pas eu besoin d'y réfléchir longtemps. Alors quelle question m'obsède ?

... Je sais. Mais non. Si j'y réfléchis maintenant, il risque de me faire oublier la route. Je ne tiens pas à avoir d'accident maintenant. Ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Je préfère encore subir cet horrible bruit.

***

Je suis arrivé. Encore heureux ! Ce sifflement a eu le temps de me rendre fou, c'était moche à voir. Avec le temps il s'est bien calmé mais j'espère que cet endroit paisible l'achèvera. Pas aussi paisible qu'à l'accoutumé apparemment.

Une grande masse noire s'émeut à quelques mètres de moi sur une petite plage verte. Ils sont là, à ma portée. Hélène a réussi à se faire obéir par cinq centaines d'élèves. Je pensais que plus de la moitié des otages partiraient de leur côté. L'autorité d'Hélène et leur crainte d'être vulnérables seuls les ont poussés à prendre la bonne décision. Plus ils sont nombreux, plus la future légitimité de ma camarade est importante. En temps normal, j'aurais trouvé cette situation trop facile. Mais au moins, elle me donne autre chose à gérer que ce putain de sifflement !

Un jet d'air frais sort de ma bouche et quelques instants plus tard, c'est moi qui sors de la voiture. Je claque la portière avant de m'étirer. Je n'ai croisé qu'un couple de chats solitaires pendant ces minutes de conduite. L'absence d'humains baladant leurs animaux domestiques ou leurs conjoints n'a rien d'étonnant. Le cœur de la forêt de Tilly se situe très éloignée d'Occianth, s'y rendre par le seul effort de ses pieds n'a rien d'évident. Et ça m'arrange bien ! Personne n'a vu d'adolescent conduire une allemande sans ceinture de sécurité aujourd'hui. Et personne n'en entendra jamais parler. Le caractère fantomatique de cet endroit me permet de garer ce véhicule en plein milieu du chemin sans craindre d'attirer les curieux.

Aaah... Revoir tous ces humains pleins de mépris et d'idées faussement altruistes augmente étonnamment mon envie d'avoir un tête-à-tête avec Hélène. En parlant d'elle, il faut que je la trouve au plus vite. Elle et deux autres garçons. Même si tous mes camarades – excepté cette dernière – sont inintéressants au possible, deux de mes « collègues » vont m'être utiles.

Jetons un coup d'œil à ce... Ouh, cinquante-deux secondes. Je ne pourrais pas tout faire. Je parlerais aux gars après l'explosion, revoir ma camarade est prioritaire. De plus, elle devrait être facile à localiser. Sachant qu'elle a eu plus d'importance que n'importe quel professeur ce matin, certains adultes doivent être en train de la cuisiner pour obtenir des informations. Aucun adulte ne veut se sentir plus ignorant qu'une enfant.

Un groupe se dégage de cette foule pleureuse par son activité physique significative. Bingo ! Je longe tranquillement cette masse, la capuche relevée. Heureusement, ces ex-otages ont autre chose à faire plutôt que de prêter attention à l'un des leurs.

Arrivé à son niveau, je prends quelques secondes pour analyser ce que je vois. La majorité des adultes rassure les esprits les plus faibles. Seul quatre d'entre eux font face à Hélène. Ceux-là sont donc les plus égoïstes. Trois de ces visages familiers paraissent soucieux de comprendre la situation mais également d'obtenir des révélations chocs. Ils auraient fait de très bons journalistes.

Le quatrième interpelle bien plus mon cœur que les trois autres. Malheureusement, ce n'est pas une bonne nouvelle. Ni pour elle, ni pour moi, ni pour Hélène. Pour faire simple, madame Reynosa, la professeure d'arts plastiques, hurle gentiment des... Trucs ? Ce sifflement a vraiment réduit mon ouïe à son minimum. Peu importe, que ce soit un reproche argumenté ou des insultes, Hélène n'apprécie vraiment pas ce qu'elle entend. Dans ma gorge se forme une boule de haine que je ravale très difficilement. Ce n'est pas le moment d'exploser. Et puis, de toute manière, cette femme est condamnée à mourir avant ce week-end. Alors à quoi bon s'énerver maintenant ?

« Hélène ?

Le temps d'une seconde, une lueur de soulagement brille dans ses yeux. Celle d'après, ma blonde préférée fonce sur moi les bras grand ouverts... Avant de se raviser d'un seul coup. Dur.

– Eythan... Tu vas bien ?

– Mouaiis... Tout va bien dans le meilleur des mondes. »

Je sens plusieurs regards désapprobateurs se poser sur moi. Au grand dam de la pression sociale, ces critiques silencieuses me donnent plus le sourire qu'ils ne me font regretter mes paroles. Je suis fier de n'avoir jamais plié là où tant de mes compagnons d'infortune sont tombés.

« Quelqu'un a un stylo ?

– Euh... Tiens... bredouille un professeur d'histoire-géographie.

Parmi ces quatre adultes, ce doit être l'humain le plus avide d'informations. En bref, le plus soucieux de paraître socialement supérieur. Ces caractéristiques se lisent dans son regard. Mais peu importe. Qu'il soit la pire des ordures ou le plus sage des saints, je possède ce que je désire et Hélène se trouve à mes côtés. Que demander de plus ? M'isoler avec elle, naturellement.

– Viens par-là Hélène. »

Malgré son regard interrogateur, elle me suit sans poser de questions. Elle commence à bien me connaître. Les quatre cuisiniers nous regardent avec insistance, mais la distance qui nous sépare est trop grande pour qu'ils ne puissent s'instruire de notre future discussion. Sans lui demander son avis, je me mets à écrire une série de chiffres sur son bras.

« C'est mon numéro. Utilise-le pour me tenir au courant. »

Par réflexe, elle porte son regard sur l'encre bleue fraîchement déposée sur son bras. Après l'avoir lu à voix basse, un sourire satisfait hante son visage le temps d'une demi-seconde.

« Je retourne au collège m'assurer de quelque chose. Amène tout le monde au commissariat, mais ne raconte rien tant que je ne suis pas là.

– Et les autres ?

– Laisse-les parler s'ils veulent. L'important, c'est que ta bouche reste cousue.

Après un long silence de plusieurs secondes durant lequel Hélène a mystérieusement fixé mon torse, elle finit par décocher un :

– Ça va être difficile de capter l'attention de tout le monde...

Mon visage, tout autant que mon cœur, s'illumine d'un sourire.

– Je m'en charge. Contente-toi de te boucher les oreilles lorsque je claquerai des doigts. »

Sans lui laisser le temps d'assimiler mes paroles, je la prends par la main et l'entraîne sur le conteneur à moitié enterré. La raison même de notre venue ici. À quand remonte la dernière fois que je me suis tenu sur ce pavé ? Facilement quatre ans. En tout cas, la vue est toujours aussi belle.

Cachés sous un ciel de feuilles, rien de mal ne semble pouvoir survenir. Aucun arbre, aucune plante, aucun buisson ne s'est enlaidi. Tout est pareil ou plus beau que dans mes souvenirs. Après n'avoir fréquenté que du bitume des années durant, ce paysage me rafraîchit vraiment. J'ai l'impression d'avaler un grand bol d'air frais rien qu'en le regardant.

Seule ombre au tableau, seul changement depuis ma dernière visite – excepté la taille de certains de mes membres – la masse horrible et humanoïde autour du géant pavé bleu. Regardez seulement ce rassemblement de traîtres et de lâches se traîner comme s'ils avaient tout perdu. Leurs gémissements ne témoignent pas comme ils devraient de la chance dont ils ont bénéficié avec ce spectacle gratuit. L'humain se comporte de manière paradoxale en certaines occasions.

Je sacrifierais beaucoup pour n'en garder que quatre sur les centaines de créatures d'horreur peuplant mon alentour. Qu'est-ce qu'on serait bien à admirer la verdure du décor entre membres du Gang Fleyhess, sans tous ces parasites. Enfin, entre blâmer les humains et élogier la nature, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai jamais.

L'espèce humaine a le don d'accumuler tous les vices possibles et imaginables. Mais aussi de produire un peu de bon dans cet océan de malheur. Avantage caché dans le défaut du paysage, j'arrive à avoir tous les membres de la basse-cour dans mon champ de vision. Le risque qu'un comportement indésirable m'échappe ne peut exister.

Objectivement parlant... La chance d'Hélène pourrait faire évanouir l'humain le plus pragmatique. Elle est la deuxième personne la plus impliquée dans l'événement de ce matin, loin devant tout le personnel du collège et du gouvernement. Elle m'accompagne sur scène durant un tour de magie dont on parlera encore dans un siècle. Elle est le premier témoin de l'avènement de ma Légende. Mais ces soi-disantes coïncidences répétées s'arrêtent ici. Si elle se trouve toujours à mes côtés dans le futur – ce qui est fort probable – ce ne sera plus de la chance, mais uniquement de l'a... Ttachement. Comme si j'allais cracher le morceau aussi facilement.

Quelques têtes se lèvent vers moi... Vers nous. Quelques centaines d'autres suivront le mouvement à intervalles réguliers. Peu importe si Axel, trop occupé à bouder pour aucun motif valable, ne puisse témoigner en ma faveur. Plus que trois secondes. Je ne gâcherai jamais ma réputation pour quelques têtes brûlées. Sentir le pouvoir couler le long de ses doigts est pire qu'agréable. Plus précisément, mon pouvoir se situe dans la conséquence du frottement de deux de mes doigts. Enfin, mes descriptions sont bien trop imagées depuis tout à l'heure. Il est temps de passer à quelque chose de concret.

Clack.

Une bourrasque nous souffle tous. Des colonnes noires ne tardent pas à se former dans le ciel. Le collège vient d'exploser. Personne ne retournera dans une salle de classe avant plusieurs mois. C'est littéralement la fin du collège Voltaire. On devrait tous sauter de joie ! Pourtant la plupart de ces incapables sont trop occupés à être tristes. Pourtant, une part de moi cède à la déception.

La détonation est moins forte et spectaculaire que je ne l'imaginais. Bah, après tout, un demi-kilomètre nous sépare des explosifs. En outre, j'ai l'entière attention de mon public. Tant que mon objectif est atteint, je me fiche bien des moyens.

« Vous allez tous suivre Hélène. Elle va vous emmener au commissariat. Axel et Essaim, venez me voir. »

La professeure d'arts plastiques peine à provoquer le silence de trente élèves, j'obtiens le respect absolu de quatre cents d'entre eux. Pardon, il est malpoli de se moquer d'une mourante.

Leurs langues se délient enfin. À cause de mes tympans explosés, je ne peux connaître avec précision la teneur de leurs chuchotements. Mais vu leurs têtes, mon claquement de doigts ne les a pas laissés de marbre. Que c'est bon de se sentir supérieur. Je pourrais passer une journée entière à déclarer ma flamme à ce sentiment. Mais, dans une surprise générale, ce n'est pas une urgence.

Trouver mes deux camarades avant que cette imposante masse ne commence à trop s'agiter, ça, c'est une urgence. À pieds joints, je bondis et laisse un nuage de poussière à mes pieds. Peu impressionnant comparé à mes précédents exploits, je sais.

Fendre la foule. Cette expression porte bien son nom. Comme une épée cherchant son chemin jusqu'au cœur de son adversaire, je dois forcer le passage avec toute la rage du monde. Je rêve du jour où j'aurais un garde du corps pour le faire à ma place... Je ris. Évidemment. J'ai déjà deux anges ou deux démons pour veiller sur moi.

Un garde du corps serait du gaspillage d'argent, de temps et de compétences. Les trois bases de la vie de tout être humain civilisé. Mes futurs piliers se résument en un mot commençant par H et en un amusement suprême. Je ne suis pas particulièrement fan de l'ordre. Il n'y a rien de plus divertissant que le chaos. Il n'y aura probablement pas d'année 2100. Autant profiter d'être né au Dernier des Siècles pour se faire plaisir.

En voilà un. Essaim a eu l'intelligence de venir vers moi, pas comme ce chieur d'Axel.

« Tu sais où il est ?

Je le plains. Sincèrement. Être en tee-shirt avec l'absence de chaleur qui règne sur cette forêt... Hélène aussi ne porte qu'un tee-shirt. Pourquoi je ne la plains pas ?

– Absolument pas. Tu veux qu'on se sépare pour le chercher ?

Axel a beau m'avoir ouvert son cœur d'enfant pourri gâté pendant la colonie, je préfère de loin son unique ami. Mon ancien colocataire est tout aussi manipulable, mais bien plus énervant. J'hoche la tête en signe d'approbation. Je n'ai pas plaint Hélène parce que je compte bien la réchauffer. Alors qu'Essaim, non.

– On se retrouve derrière le conteneur. »

Deux secondes ont suffi pour que cette horrible masse l'engloutisse. Quelle tristesse qu'il disparaisse maintenant que plus aucune menace ne plane au-dessus de nous. Sa bénévolence l'aura perdu. Se mêler à la population pour retrouver Axel était-elle la chose la plus intelligente à faire ? Sûrement pas.

Nous sommes deux ayant le devoir de retirer un criminel d'une foule de lâches et de traîtres. La théorie des jeux prédit qu'il est préférable de se rendre au point de rendez-vous sans détour. Mais elle aussi, elle se trompe. La meilleure chose à faire est de grimper au sommet du conteneur.

« C'est ici qu'on se quitte...

– On se revoit dans moins d'une heure.

Ce qu'elle est sensible cette fille.

– M'oui...

– Le plus dur est passé. Il ne te reste plus qu'à voir ta vie devenir un rêve.

– M'oui...

L'envie de saisir ses mains fait fureur auprès de mon cœur. Mais je dois me retenir. Je serais bientôt reparti, et je tiens à prendre mon temps, histoire d'éviter de faire des bêtises que je regretterais.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

– ... Rien.

– Mmh. Tu m'appelles s'il y a un problème. »

Je n'apprécie guère son air inquiet. En plus d'enlaidir son visage, il représente son malaise. Je ne devrais pas la laisser toute seule. « Evaristo » n'est pas si important...

« Eythan ! »

Je l'admire un dernier instant avant de lui tourner le dos, le cœur lourd. Je n'ai aucune envie de me séparer d'elle. On n'est pas pareil, c'est sûr. Chacune de ses réactions a quelque chose d'enfantin. Tout en elle transpire la pureté. Elle rayonne, tout simplement.

L'être qu'est Hélène a transpercé beaucoup des protections de mon cœur avec une facilité plus qu'embarrassante. Le sourire qu'elle affichait en me revoyant a illuminé mon être entier et la grimace qui déchire en ce moment son visage étouffe mon cœur avec une force insoupçonnée.

« Eythan ! »

Pardonne-moi si le devoir m'appelle.

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