Chapitre 28. Révolution

Chapitre 28. Révolution

Eythan

« Depuis que ta photo est en ligne, internet est en feu. #EnquêteVisageEythan est déjà en top tweets. T'es certain d'avoir laissé aucune trace ?

L4cky prête presque trop d'attention à notre alliance.

– S'ils fouillent bien, ils risquent de retrouver la trace de mes parents, leurs différentes adresses ainsi que les réseaux de mon frère. Mais rien ne permet de me retrouver à partir de ses comptes. Ils pourraient tomber sur mon Facebook où mon visage me sert de photo de profil. Mais, n'y ayant pas lié mon vrai nom de famille ou ma localisation, il n'y a aucun moyen de prouver que c'est moi. Et même pour trouver ce compte, il faudrait que quelqu'un passe en revue tous les Eythan de tous les réseaux sociaux. Je me dévoilerai un jour, mais pour l'instant je n'ai pas besoin de devenir une star. Goodbye L4cky. »

Depuis que je suis revenu du notaire, rien ou presque n'a bougé. Anna s'occupe toujours aussi bien de mon frère qui commence à accepter les choses, bien que la douleur ne le quitte pas. J'ai appris par divers médias que les journalistes ont laissé les invités de l'enterrement à peu près tranquilles.

Hélène est rentrée chez elle. Elle m'a raconté qu'Astrid et son oncle étaient un peu déçus de ne pas avoir été invités mais qu'ils comprenaient, au vu des circonstances. Je me suis endormi sur le canapé avec un « bonne nuit <3 » de ma blonde préférée.

Je ne lui ai pas répondu. Trop fatigué pense-t-elle, pas vraiment prêt en réalité. J'ai passé quinze ans à penser que j'étais asexuel, et voilà qu'on me réveille avec un seau d'eau brûlant. Aucune attirance pour personne, pire que le Sahara le bordel. Je finirai par m'y faire.

« Au fait, Hélène est venue déposer un sac pour toi hier aprem. Je l'ai déposé sur le clic-clac du bureau.

Il est vrai qu'elle aurait pu me le dire plus tôt. Hélène a dû penser que j'ai trouvé mes vêtements à chier vu que je l'ai jamais remerciée. Enfin, je ne peux pas en vouloir à Anna, elle n'a pas prise une seule seconde pour se reposer depuis le deuil de son copain. Elle a passé la nuit à s'occuper de lui et elle repart déjà au travail.

– Merci. »

Le sac est bel et bien là. Je retire plusieurs couches de vêtements, jusqu'à tomber sur plusieurs liasses de vingt et de cinquante. Une d'entre elle est à moitié vide. Je souris. Un seul sweat attire mon attention. Sur un fond noir est floqué une couronne très stylisée, surmontée du mot King. J'ai bien fait d'investir dans Tigre Style, leurs produits sont vraiment de qualité.

Je me demande si Hélène s'est prise le sweat Queen pour aller avec. Je me vois mal le lui demander après avoir royalement ignoré son dernier message. Je me contente alors d'un : « merci pour les courses, je vois que t'as de bons goûts vestimentaires :p ».

Elle a dû beaucoup s'amuser à choisir. Personne n'aime que quelqu'un pisse en amont du fleuve où on boit. Le rapport ? Pour éviter d'avoir à finir ses choux de Bruxelles, mon frère a préféré régler le problème à la source. Quand il était plus petit, il accompagnait notre père aux courses et se débrouillait toujours pour que les légumes « tombent du caddie ». Si Hélène décide de ce que je vais porter, elle contrôle ce qu'elle verra.

Quelques secondes plus tard, mon téléphone vibre. Une notification de ma banque et une autre d'Hélène. Je clique évidemment sur la seconde. S'affiche la photo d'une blonde devant son miroir, portant aussi bien un sweat Queen qu'un sourire espiègle. Elle est si belle dessus.

On peut voir la lune et un ciel sombre en haut à gauche de la photo. Elle date d'hier soir, elle a réfléchi avant de la prendre. Pourtant, une simple consultation de ses réseaux m'informent qu'elle ne l'a publiée nulle part. Oh. Elle l'a prise juste pour moi.

Je lui envoie un : « Pourquoi est-ce que tu me donnes autant envie de t'embrasser alors que t'es si loin ? ». La bave qui coule de mes lèvres ne peut que confirmer. Mes yeux espiègles scrutent une réponse qui ne vient pas.

Tant pis, il y a une chose dont je dois m'occuper au plus vite. Quand j'ai appris pour la mort de mon père, je n'ai pensé qu'à trois choses : le deuil de mon frère, toutes les démarches administratives liées à l'enterrement et ma propre adoption. Anna s'occupe très bien de Maxime, j'ai confié toute la paperasse au notaire. Il ne manque plus que l'adoption.

Mes deux parents étant décédés, je suis désormais orphelin. Pour que plus aucune autorité illégitime ne pèse sur moi, il faut que j'en choisisse une juste ou une qui me laisse libre. Je toque à la chambre de mon frère et jette un dernier coup d'œil à mon téléphone.

Hélène m'a répondu : « On pourra se voir aujourd'hui ? ». Je tape : « Malheureusement je ne crois pas petit ange » en vitesse. J'ouvre la porte. Mon frère s'est assis au bout de son lit, tentant de faire bonne figure malgré sa tête encore à moitié endormie.

Eh bien, on y est. Je ne pensais jamais prononcer ses mots un jour. Je me suis vite fait à la mort de mes parents, pas à mon statut d'orphelin. Ce serait un comble que les services sociaux viennent me chercher. Je plus droit que la ligne d'horizon. Mes muscles sont tendus à l'extrême face à ce zombie à la tête dans le cul.

« Il faut que tu m'adoptes. »

***

La lune est déjà haut dans le ciel et on a à peine fait un petit pourcent du travail. On va clairement devoir trouver une combine pour accélérer le processus, parce que je n'ai pas ma vie à y consacrer.

« Elle est toujours pas rentrée ta copine ?

– Elle m'a envoyé un message y a trois heures pour nous dire de pas l'attendre pour manger, et un autre y a une heure pour me dire de pas l'attendre pour dormir.

Putain de fils de pute. Elle est partie travailler alors que je finissais mon petit déjeuner.

– Lève-toi. Ni toi ni moi ne dormirons tant qu'elle ne sera pas rentrée. Ce soir, on corrige les injustices et on condamne les maîtres cruels. Ce soir la Jeunesse prend le pouvoir. »

Ce soir je fais la guerre.

***

Mon frère toque à la porte. Un collègue essoufflé vient lui ouvrir. Il transpire comme après un marathon. Il lui demande si ça va, si l'enterrement s'est bien passé, s'il est là pour voir Anna. Mon frère hoche silencieusement la tête à toutes ces questions. Eh merde.

Je n'ai toujours pas récupéré mon Glock du cadeau d'Hélène. Je lui fais confiance, je sais qu'elle ne l'ouvrira pas. Mais mon couteau n'est pas aussi traumatisant qu'un pistolet. Je pourrais demander à mon frère le nom de son boss puis appeler L4cky pour qu'il trouve de quoi le faire chanter.

Malheureusement, je ne sais pas combien de temps cela lui prendrait de trouver les bonnes informations et je n'ai pas toute la nuit. Il va me falloir trouver autre chose. Un petit attroupement se crée autour de mon frère alors qu'on s'enfonce dans la gueule du loup. La voilà, ma porte de sortie.

Sur un cou, deux ailes tatouées. L'une au-dessus de l'autre, l'une camouflant l'autre, l'une protégeant l'autre. Les membres de la Jeunesse sont partouts. Nous revoilà en 1789. Le roi s'est trop entêté, il va perdre la tête. Je serai le bourreau.

Je monte debout sur une table. Tous les regards se tournent vers moi. Je n'ai pas vraiment l'esprit de famille mais bon. La politique n'est qu'un jeu d'apparences après tout.

« Il y a quatre jours, j'ai été pris en otage. Mon frère n'a pas eu l'autorisation de me rendre visite à l'hôpital. Il y a quatre jours, j'ai perdu mon père. Mon frère aussi. Sa copine n'a pas eu l'autorisation de prendre des congés pour le soutenir. Levez-les mains, ceux qui ont travaillé plus de soixante-dix heures la semaine dernière. Levez-les mains, ceux qui peuvent être virés du jour au lendemain sans justification ni indemnisation. Jetez un œil à vos voisins. Pourquoi êtes-vous autant, à votre avis ? Parce qu'à force de chantages, de menaces et de promesses, votre patron a oublié qui fait tourner sa boîte. Après autant d'heures passées ensemble, vous connaissez sûrement mon frère autant que moi. On n'a pas la même mère, mais on est tous de la même famille ! Ce soir, les injustices cessent ! Ce soir, nous prenons le putain de pouvoir ! »

Je lève mon poing au ciel. Ils m'imitent tous dans la seconde. Ils sont en transe, prêts à faire trembler la terre et à reconquérir le monde. À fond dans leur illusion, ils courent hurler leur colère à leur patron. Certains doivent se faire exploiter depuis plusieurs mois. Dommage.

Ils rentrent tous dans son bureau tel un véritable troupeau de bêtes féroces. Je descends de la table et vais m'adosser à un mur. Le résultat était prévisible. Ils ont fait le plein de courage. Pas le plein de pouvoir. Ils n'ont toujours pas les capacités de le traîner en justice pendant plusieurs mois.

Les chantages et autres menaces tiennent toujours. Bref, une vraie douche froide.

« Le peuple a renversé le roi ». Il n'existe pas de phrase plus fausse que celle-ci. Jamais, que ce soit dans une démocratie, dans une royauté ou dans une dictature, le peuple seul n'a renversé l'autorité. Pour une raison simple : le peuple en soi n'a ni force ni pouvoir. À chaque fois, une force armée l'a laissé faire, voire l'a aidé. Je suis cette force armée. Contrairement à ce qu'ils croyaient, ceci n'est pas une révolution. Ceci est un coup d'état.

Ils sortent tous un par un du bureau. Leurs regards déçus et désolés m'indiquent que mon plan a fonctionné. Je ne m'attendais pas à ce que le peuple renverse le roi. Quel était mon objectif alors ? Ceux qui ne le comprennent pas ne savent pas comment rester au pouvoir.

Ils sortent tous la tête basse. J'avance dans ce bureau, les yeux vers les étoiles, leur mettant des étoiles dans les yeux. Après tout, c'est moi qui ai initié cette « révolution ». Je ferme la porte derrière moi. Leurs avenirs est sur mes épaules désormais. Rien à péter.

« Je prends pas de stagiaires. Au revoir.

Il ressemble à ce que j'imaginais. Sa queue de cheval va de paire avec son mépris. Je soupire et m'assois sur la chaise face à lui.

– Je m'appelle Eythan, vous avez dû entendre parler de moi. À vrai dire, je suis là pour négocier.

Je jette un coup d'œil à la corbeille placée à ma gauche. Sachant déjà comment cette rencontre va tourner, j'extirpe discrètement mon couteau de ma poche.

– C'est pratique hein, que le type ait pas dévoilé son visage pour arnaquer le monde. Je me ferai pas avoir, hors de ma vue.

Évidemment. Avant qu'il ne le comprenne, j'ai mis ma main au-dessus de son crâne et plaqué sa tête contre le bureau. Je pose ma lame à l'origine de la catastrophe. Châtiment découpe ses cheveux avec une facilité déconcertante. Il faudra que je me renseigne sur sa composition. J'avance ma bouche de son oreille et lui murmure :

– Je ne voulais pas la justice, j'ai tué ces gens juste parce qu'ils me les brisaient. N'imite pas leurs erreurs.

C'est dommage que menacer ce mec soit réduit à brasser du vent. J'aurais préféré un peu plus de concret. Avoir mon Glock, en somme. Tant pis, je vais faire avec les moyens du bord. Sans sourciller, je glisse mon bras gauche vers l'avant afin de récupérer mon couteau. Je ne voudrais pas qu'il ait de mauvaises idées pendant que je jette sa queue de cheval à la poubelle.

– J-je vais porter plainte ! Oui, c'est ça ! Et si t'essaies de faire quoi que ce soit contre moi, je balance tous les dossiers que j'ai sur eux !

– Tu pourrais et ça ruinerait ma réputation naissante. En réaction, je pourrais lister toutes les lois que tu as violées, avec témoignages à l'appui. Je pourrais même trouver des preuves en cherchant bien... À la fin, je ne serais plus un monstre qui s'est amusé aux détriments d'un pauvre homme, mais le sauveur d'une dizaine d'innocents pris en otage. Ou alors, lassés de sauver des otages, je pourrais trouver ton adresse et revenir, mieux armé, plus déterminé. Il paraît qu'il n'y a rien de mieux qu'une perceuse électrique dans les genoux de quelqu'un pour le faire changer d'avis... Ou alors, je pourrais me satisfaire de ton départ de ce continent. Évidemment tu devras me vendre cette entreprise pour que je m'en occupe. Toutes les solutions me vont, certaines prennent juste un peu plus de temps. Et vas-y, met en ligne les dossiers que t'as contre eux. Ceci n'est pas une révolution, ceci est un coup d'état. Je n'en ai rien à foutre de ruiner leurs vies.

Brasser de l'air n'est pas mon genre, mais je dois être convaincant. C'est pourquoi je commence à lécher le plat de ma lame avec un regard à faire froid dans le dos. En réalité, j'espère simplement ne pas me couper. Ça rendrait douloureux mes prochains baisers avec Hélène. Ce qu'elle peut être mignonne...

– Disons–

Attends. Quoi ? Mais quelqu'un lui a chié dans le cerveau !

– T'es pas trop en position de négocier tête de gland. Donne-moi un prix réaliste histoire qu'on éveille pas les soupçons.

– T-trois millions.

Je m'y connais tellement peu que s'il m'avait sorti dix mille ou cinquante millions, je l'aurais cru quand même.

– Bouge pas. »

Je déverrouille mon téléphone. L4cky m'a envoyé un message : « l'Élysée t'a appelé cet aprem ». Ravi de savoir que le gouvernement s'est décidé à prendre position. Mais en ce moment, je m'y intéresse autant que de la couleur de la culotte du pape.

Je réponds un simple : « capable de vider un compte en banque précis ? ». Ce serait injuste de laisser ce patron de mes deux s'en sortir avec plusieurs millions sur son compte en banque. Isaac Ibarra décroche au bout de deux sonneries.

« Eythan ? Comment tu te sens ?

– Bien. J'ai besoin d'un service : j'aimerais acheter une boîte mais légalement j'ai pas l'âge. Vous pourriez venir l'acheter à ma place, genre maintenant, puis engager mon frère pour qu'il la dirige officiellement ?

Un rire mêlant surprise et joie résonne dans mes oreilles.

– Envoie l'adresse, j'arrive tout de suite ! Toi aussi tu as l'ambition d'entreprendre ! Comme le dit le dicton... »

Rien à péter des dictons. Je jette un œil à l'ancien boss, désormais recroquevillé sur sa chaise. Il croyait être assis sur le trône, il lui semble désormais recouvert de ronces.

« Un multimillionnaire va venir acheter ta boîte. Comporte-toi normalement, n'oublie pas ce qui t'attend si tu joues au con. Car moi, je n'oublierais jamais ton visage. Mieux vaut s'en tirer avec quelques millions plutôt qu'avec des trous dans les genoux. »

Il hoche nerveusement la tête. Bien. L4cky m'a répondu avec une liste d'informations sur le compte bancaire à lui renvoyer. Je les obtiendrais lorsqu'Ibarra sera là pour signer les papiers. J'envoie un message à mon frère.

« Dis à Anna et à tes collègues que j'ai réussi. Félicitations pour ta promotion Maxime, j'espère que passer d'un seul coup d'esclave à maître te permettra d'être aussi juste que la Jeunesse l'exige. »

« Eythan, t'es toujours là ?

– Ouais ouais.

Je sens une vague d'excitation traverser le mur. Ils doivent avoir appris la nouvelle et ont la sensation qu'ils peuvent de nouveau conquérir le monde. À part mon frère et sa copine, je ne connais aucun d'eux. J'ai admiré le cou d'un gars ou d'une fille pendant quelques secondes mais ça s'arrête là.

Malgré tout, je ressens une grande satisfaction à les entendre faire une ola. C'est plus qu'une question de corriger les injustices. J'apprécie vraiment sentir ces humains exploités passer la meilleure nuit de leur vie. Je vais me débrouiller pour passer un peu de temps avec eux, histoire de comprendre pourquoi l'hystérie générale me contamine à ce point.

– L'adresse s'il te plaît.

– 11 rue du Pouvoir à Angoulême. Au fait, le prix de vente est de 3 millions, tu peux me les prêter ?

– Étrangement t'as pas commencé par là ! C'était quoi déjà ta règle ? Toujours rendre au milluple ? Tu te sens d'attaque pour obtenir 3 milliards ?

Sa voix amusée me fait sourire. Il aime jouer, au-delà du raisonnable. J'aime ça. Comme je l'ai dit, l'argent n'est rien pour moi. Trois millions ou trois milliards, quelle différence ?

Je jette un œil à l'humain sur la chaise face à moi. Il a repris des couleurs. Il a exploité ses meilleurs alliés pour des euros, je trouve ça déplorable. Je suis un membre de la Jeunesse. Je ne serai jamais un adulte de leur société.

Car ils sont tous stupides. Ils dépensent leur capital santé pour de l'argent, et le jour où ils ne sont plus en capacité, ils dépensent leur argent pour retrouver la santé. On ne fera jamais partie du même monde. Je suis un membre de la Jeunesse.

Je ne me contenterai pas de lui reprendre trois millions. Oh que non. Il espérait tirer de ses actes une vie de rêve, il n'aura qu'un sommeil sans rêves.

– Ça me va, réponds-je d'une voix froide. »

Je finirai par rembourser Ibarra. Ou par lui coller une balle entre les deux yeux.

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