Chapitre 26. Échec et Mat
Chapitre 26. Échec et Mat
Hélène
« Ou pas. »
Eythan vient de tuer son opposant, une fois de plus. Savoir qu'Eythan a mis fin à la vie d'une dizaine de criminels, et le voir faire froidement sont deux choses très différentes. Un choc sans précédents hante mon visage. Son détachement – si pratique soit-il – me fait vraiment flipper. Quand je contemple ses iris à la limite du noir, je me dis que rien ne l'empêcherait de me tirer dessus. Heureusement que je ne les croise pas souvent.
Mon compagnon saisit le cadavre par les pieds et le traîne... Le traîne... Il va le traîner jusqu'où ?
Son indifférence absolue me terrifie parfois. Mais certains de ses actes me perturbent tout autant. S'il a emmené cet homme si loin, c'est seulement pour le sortir de mon champ de vision. Même dans ces conditions, il ne pense qu'à me préserver de la réalité horrifique de cette matinée. Eythan n'a vraiment pas le sens des priorités... Je me demande même comment il est arrivé jusqu'ici sans rien devoir sacrifier.
« Prends tout ton temps, on est pas pressés. »
La voix d'Evaristo me fait sursauter. Il n'a pas tort d'un certain point de vue. Il ne vaut mieux pas le provoquer. Sinon...
Seuls des plans très bien ficelés et un cerveau qui fonctionne à trois cents à l'heure permettent un tel comportement. Par exemple, depuis le début, il sabote chaque arme qu'il croise. En voulant utiliser l'arme d'un mort, cet intrus s'est condamné. Je crois qu'on peut ajouter « visionnaire » à la liste des qualités d'Eythan.
Le voilà revenu face à moi, et par conséquent, face à Evaristo. Un silence absolu gouverne le collège, pourtant noir de monde. Les traumatismes des otages s'aggravent de seconde en seconde et les corps des intrus jonchent aléatoirement le sol. Evaristo et Eythan ont beau être plus calme que des moines, la tension ne pourrait être plus palpable. Le doigt du premier est posé sur la détente d'un fusil qui caresse mon dos. Le deuxième ne reculera devant rien pour protéger nos chers camarades.
Le deuxième s'est certainement juré d'éliminer la menace. Le premier doit être guidé par sa soif de vengeance. L'avenir de quatre cents personnes va être changé à tout jamais par qui réussira à dominer l'autre. L'histoire de la France va être marquée au fer rouge par les prochains instants. Et moi je me trouve entre les deux, entre deux armes affamées. Quelle idée géniale, franchement bravo Hélène !
« Soyons réalistes, ces armes sont des blagues, personne ne se sent menacé. Je ne tirerais pas si tu ne tires pas et inversement. Abandonner ne fait pas partie de mon vocabulaire, pas plus que la fuite. Tu n'as aucun intérêt à nous quitter pour l'instant, tu te mettrais en danger. Alors qu'est-ce que tu veux ?
Vu sous cet angle... Ils sont bloqués. Eythan sait qu'il a très peu de chances de tirer sans me tuer et Evaristo ne semble pas possédé par la haine comme l'autre. Paix à son âme. S'il voulait vraiment ma mort, il lui aurait ordonné de me descendre. Pourtant Evaristo lui avait dit d'attendre Eythan. Il doit avoir un plan en tête. Mais quel plan ?
À ma plus grande surprise, le fusil à pompe cesse d'inquiéter mon dos et Evaristo se place à mes côtés. Sa main gauche saisit mes poignets et les serre avec une fermeté impressionnante. Son emprise est digne de mes anciennes menottes.
– Attrape. »
Ce dernier sort un pistolet tacheté de sang de son pantalon noir. Il le lance à mon compagnon qui l'attrape facilement. Les pieds enracinés dans le sol, il lui porte un regard attentif. L'homme à mes côtés me désigne d'un mouvement de tête.
« Tue-la. »
Mon dos vibre de peur. Eythan lève les yeux dans ma direction. Tous les traits de son visage semblent figés pour toujours. Comme s'il avait arrêté de fonctionner.
C'est bon, Eythan est Eythan. Il va inventer une solution qui assurera ma survie et la réussite de son plan. Certes, il lui est impossible de tuer Evaristo. Un fusil à pompe prêt à cracher ses démons métalliques est braqué sur lui. Je doute qu'il puisse presser la détente avant Evaristo, et une seule de ses munitions suffirait à le mettre hors d'état de nuire. Flora pourra témoigner, dans quelques heures avec de la chance. Mais c'est Eythan ! Cette situation, c'est du pipi de chat pour lui !
« À vrai dire, vous tuer ne m'intéresse pas. Obtenir la rançon non plus. Je suis tout seul, même en vous mettant hors d'état de nuire, je ne terminerais pas cette prise d'otage. Ce n'est pas faisable ni souhaitable. Eythan, sacrifie ta camarade et je me rendrais. Sois faible et tu auras échoué. Ce que je ferais si tu échoues ? Tu préfères ne pas le savoir. »
Mon cœur se serre, comme si une chaîne l'entourait et cherchait à le broyer. Si l'argent n'est pas son problème, alors pourquoi est-il ici ? Lorsque les autorités débarqueront, Evaristo ne tiendra pas dix minutes s'il doit courir aux quatre coins du collège. Confier des armes chargées à des otages peut être très risqué pour lui. Il ne veut même pas que les otages soient rendus contre une grosse somme. Il avoue presque qu'il veut nous voir gagner !
Alors pourquoi lui demander de me tuer ? Pour que ses collègues trouvent la paix ? Pour vérifier que mon camarade est « fort » ? Ça n'a aucun sens. Il joue avec nos vies et menace d'éliminer nos amis. Comment peut-il être de notre côté et tenir de tels propos ?!
Le visage d'Eythan se remet enfin en marche. Mais en le voyant, j'aurais préféré qu'il reste statufié. Même s'il arbore un air neutre comme à son habitude, sa bouche le trahit. Ses dents mordent à mort sa lèvre du bas. Des perles de sang commencent à apparaître.
Malgré tous ses efforts pour m'éloigner de la cruelle réalité de cette matinée, il sait qu'il ne peut plus maintenir l'illusion. Il sait que cette fois-ci, il n'y a pas de troisième solution magique sans risques. Il n'existe pas de fin heureuse possible. Je dois mourir ou d'autres mourront. Peu importe son choix, il le regrettera. Cette histoire se terminera dans un bain de sang.
Le retour à la réalité ne pouvait être plus brutal. Une chaleur effrayante prend le contrôle de mon corps. Si même Eythan panique alors... J'ai beau essayer encore et encore, Evaristo ne me permet pas de bouger le moindre ongle. Rien ne bat plus vite qu'un cœur brisé.
Eythanouch m'a toujours protégé et je ne peux pas lever le petit doigt pour lui ! Cogner les bijoux de famille de cet homme est une possibilité. Même s'il prévoit mon coup, il n'aura ni le temps ni l'agilité pour le contrer. La direction de son arme m'en dissuade l'instant d'après. Lorsqu'il fallait provoquer un homme armé et tendu, lorsqu'il fallait être poursuivi par des personnes armées, j'ai répondu présente. Je suis capable de prendre des risques inconsidérés mais...
Je refuse d'en faire courir à Eythan. Il suffit d'un mouvement infime et mon compagnon est promis à une souffrance inimaginable.
Plic, ploc. À force de s'accumuler, le sang a fini par quitter le menton d'Eythan. La première goutte a rencontré le pistolet d'Evaristo, la seconde le sol.
« Cette prise d'otage n'est pas une prise d'otage. Cette prise d'otage est une partie d'échec. Il ne reste plus qu'un roi et sa reine face à un autre roi. Fais attention à ton prochain coup. »
Evaristo suggère que je suis la reine d'Eythan. Mon visage aurait certainement pris une teinte rouge dans d'autres circonstances. Mon cœur va exploser. La terreur m'a coupé le souffle.
Eythan n'a absolument pas réagi à ce qu'Evaristo vient de dire. Seule sa bouche s'est légèrement ouverte, mais rien n'en est sorti. Il n'a ni hoché, ni secoué la tête. Comme s'il ne l'avait pas entendu.
Toute son attention est bloquée sur ladite arme. Il ouvre successivement le magasin et le canon. Merde... Ils sont tous deux remplis de munitions. Evaristo souhaite réellement qu'il me descende. Ce n'est pas du bluff. Aucune chance qu'Eythan puisse le prendre de vitesse. Merde, merde, merde, merde, merde ! Si quelqu'un m'entend, peu importe si c'est le Diable, je le prie de nous venir en aide.
Eythan... Son visage est impassible. Quelque part, son expression neutre me rassure. Il ne tirerait pas la même tronche s'il n'avait pas trouvé de solution. En soupirant, il referme le canon, range le chargeur à l'intérieur de l'arme et... La braque sur mon cœur ? C'est une blague ?!
« Je fais toujours ce qu'il faut. »
Je me suis demandé si j'allais mourir avant d'insulter ce pauvre Jo'. J'ai rendu les armes face à un violeur et je me suis demandé si je n'allais pas subir le même sort que la quatrième. J'ai passé plusieurs minutes à fuir des criminels armés prêts à me descendre. J'ai été littéralement écrasé par un homme qui ne vivait plus que pour me faire le plus de mal possible. J'ai toujours survécu sans trop de dégâts grâce à une personne. Et à la fin, c'est cette même personne qui va m'abattre... De sang-froid.
Je n'en veux pas à Eythan de me sacrifier. Beaucoup trop de vies sont en jeu pour écouter ses sentiments. Mais seulement s'il en avait ! Il me fixe d'un regard vide. Comme si je ne présentais aucun intérêt. Pas une seule once de tristesse ne se cache dans ses yeux. Il m'observe comme on admire les ailes d'un oiseau avant de les arracher.
Je ne dois pas penser à maman. Hors de question que je me noie dans mes larmes. Ce serait trop facile pour Eythan ! Ne pas penser à maman, ne pas penser à maman, ne pas penser à maman, ne pas penser à maman, ne pas penser à maman...
Ça me troue le cœur de savoir que tout ce qu'on a traversé ne nous a pas rapproché d'un pouce. Tous les moments gênants, effrayants, amusants et romantiques que nous avons partagé n'ont de l'importance que dans ma tête. Tous ces souvenirs si chers à mes yeux vont partir en fumée avec moi...
Click.
Je rouvre les yeux. Ma tête bouillonne sur place. Mon cœur s'arrête de battre. Evaristo se fiche de ma mort. Evaristo testait l'audace d'Eythan. Ou la folie ? Ou son obéissance ? Je ne sais pas. L'arme était inutilisable, c'est pour ça qu'Eythan devait tirer avec. Est-ce qu'il le savait ? Je ne sais pas. J'espère. J'espère qu'il a pris sa décision éclairé par cette théorie. J'espère que ses yeux indifférents me cachaient la terreur qui le rongeait. Je le sais. Eythan tient plus à moi qu'il ne le montre. Enfin... J'espère.
« Échec et mat. »
Je suis crevée... Toute mon énergie est passée dans ce que je pensais être mes derniers instants. Je baille à m'en décrocher la mâchoire et laisse mes yeux s'humidifier quelque peu. Evaristo... Est un vrai mystère. Il aurait pu fuir par la cage d'escalier. Le temps qu'Eythan change d'arme, il ne courrait aucun risque. Pourtant, il vient de baisser son arme avant de s'accroupir, les mains derrière la tête. Forcément, Eythan en a profité pour lui sauter dessus. Je vais m'assoir contre ce mur et le regarder faire maintenant que le danger est écarté. Je suis vraiment...
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