Chapitre 23. Ange Déchu
Chapitre 23. Ange Déchu
Hélène
Oh... Oh... Bordel, dire que je cours vingt fois cette distance tous les matins... Cette fois-ci est bien différente. Mon endurance ne m'est d'aucune utilité alors que c'est elle que je m'épuise à perfectionner. Si je ralentis, je meurs.
Seule ma vitesse compte. Mon cœur est bloqué dans un grand huit. Ses battements dépassent la vitesse de la lumière. Ma respiration est saccadée. Si je ralentis, je meurs.
Mon pied dérape sur la dernière marche de l'escalier. Mon bras cogne la barre en métal avec violence. Une plaie s'ouvre. La sensation de brûlure m'arrache presque un cri. Je me relève tant bien que mal et continue ma course. Si je ralentis, je meurs.
Alors que j'entends un sifflement, une munition atteint le mur devant moi. L'impact transperce la pierre, si bien que je peux voir l'intérieur de la salle. J'ai ralenti. Si je reste dans sa ligne de mire, je vais mourir.
Je n'ai pas le temps de réfléchir que je sens quelque chose filer entre mes jambes. La pierre cède à nouveau sous la force du plomb. Mon cœur cesse de battre. Le temps se fige.
Il aurait pu s'assurer de me toucher en visant mon dos. Il aurait pu me tuer en deux munitions à coup sûr. Il a raté ses deux tentatives en visant trop bas. Cette bonne nouvelle n'en est vraiment pas une. Il ne veut pas seulement ma mort. Il veut me frapper, me torturer, me briser.
La pire des destinées m'attend s'il m'attrape. Je précipite mes pas derrière un mur. Il va lui falloir monter toutes marches pour me viser à nouveau. Ce qui ne veut pas dire que je suis hors d'atteinte. Sans m'attarder, je concentre toute mon énergie pour piquer un sprint.
Tant pis pour madame Das qui râlait toujours pour qu'on ne fasse pas de bruit à proximité de son C.D.I. J'espère seulement qu'Eythan l'a sauvé. Mes yeux se portent au fond du « couloir des amoureux ». Une étrange tâche noire s'agrandit de plus en plus. Un homme se rapproche de moi. Un fusil à pompe dans ses mains.
En un éclair, je tourne mon corps vers la droite, en vue d'atteindre un escalier. Ma course continue tandis que l'intrus me suit de plus en plus vite. Je n'entends pas encore l'homme à l'AK47 dans mon dos. Seulement de légers tremblements dont je n'arrive pas à déterminer l'origine. Tant mieux, j'ai une chance de m'en sortir.
Je suis à deux pas de la cage d'escalier. Littéralement. Mon cerveau décide en vitesse qu'il est préférable de dévaler les marches plutôt que de les escalader. Une fois descendue, je me retrouverais au rez-de-chaussée, dans un couloir administratif. Une porte de secours m'y attend.
Mon pied gauche atteint le gravier fixé dans le sol, signe qu'il a quitté le couloir. Mes yeux s'attachent à une affiche contre les agressions sexuelles, à hauteur de ma tête. Mon pied droit cogne un objet au sol. Tout mon corps bascule dans le vide.
Mon regard part en vrille. Mes réflexes prennent le dessus. Mon instinct place mon bras gauche sous mon front. L'impact est très douloureux. Même si je n'ai rien de cassé, mon bras me fait un mal de chien. Ma tête a subi une partie du choc, alors je suis un peu sonnée. Malgré tout, mon crâne aurait pu être fracturé de part en part. Je ne peux pas faire la fine bouche.
Un hurlement retentit. Bien qu'il ne soit pas sorti de ma bouche, j'en ai le souffle coupé. Les tympans déchirés. Le sang glacé. Qu'est-ce que c'était que ça ?!
Mon esprit embrumé n'a aucune réponse. Mon corps engourdi se tourne tant bien que mal vers la source de mon brutal arrêt.
Flora est assise-là, contre le mur. Sa tête repose sur son épaule, le visage crispé. Comme si elle s'était évanouie de douleur... Tout s'éclaircit dans ma tête quand je vois ses jambes. Tout s'assombrit quand je vois ses jambes. Des trous dans sa chair, des litres de sang au sol, un os presque apparent.
Mon repas dégueule par la voie express. Ma tête tourne lourdement.
***
« La torture mentale est bien plus efficace que la torture physique. Attendons que son petit camarade la rejoigne avant de la faire souffrir. »
Je tourne mon regard perdu vers la source de ces bruits. C'est l'homme au fusil à pompe qui vient de prononcer ces mots. Sa main est posée sur l'épaule de l'intrus à l'AK47. Celui-ci range dans sa poche un fin objet métallique que je peine à distinguer. La lumière qu'il reflète m'éblouit. Je ressens un drôle de picotement dans le bras alors que je recouvre la vue.
Les deux sourient d'un air démoniaque. J'essaie de fuir, mais rien à faire. Mes mains, comme mes pieds, sont menottés. Allongé sur le ventre, les mains dans le dos, impossible de simplement se relever.
« Monsieur Evaristo ! »
L'homme au fusil à pompe s'éloigne pour rejoindre un intrus debout devant l'emplacement d'une porte inexistante. C'est en observant ses bras pleins de bandages que je remarque deux changements majeurs. Je me trouve désormais à plusieurs mètres de la cage d'escalier, puisqu'un intrus s'y trouve à ma place. Et à la place de Flora. Dieu sait où elle est passée...
Grâce à l'éducation militaire de ma mère, je sais plus ou moins lire sur les lèvres. Pour la première fois depuis des mois, cette compétence va s'avérer utile. En effet, Evaristo et l'intrus à lunettes semble vouloir garder leur conversation secrète. Leurs chuchotements n'arrivent ni à mes oreilles, ni à celles de mon geôlier.
Je croise son regard. Dégoulinant, puant, sadique. La terreur prend le contrôle de mes yeux, et son sourire cruel en semble renforcé. Il vérifie qu'aucun de ses collègues ne le surveille avant de se rapprocher de moi. J'essaie de bouger, mais mon corps refuse. La peur me paralyse.
Il tourne autour de moi comme un vil rapace. À un moment, il quitte mon champ de vision. Le voir m'effraie, mais ne pas le voir me terrifie. J'essaie de me calmer, en vain. Je ne peux rien faire. Mes émotions sont hors de contrôle, tout comme mon corps.
Soudain, un poids écrase mon dos. Mes seins s'aplatissent contre le sol, et ça n'a rien d'excitant. Son corps, tourné vers ma gauche, pèse douloureusement sur mes os. Je ne peux que me soumettre. Réunir tout mon courage pour lui résister ne me conduirait qu'à subir un sort encore pire.
« On m'a dit d'attendre que ton copain se ramène pour te faire du mal... Mais si t'aimais être humiliée ? Ce ne serait pas très juste, tu ne crois pas ? »
Que je lui réponde ou non, il s'en servira contre moi. La raison du plus fort est toujours la meilleure, sans aucune forme de procès. Je ne comprends cette phrase que maintenant. Je comprends et fais les choses toujours trop tard. Je suis vraiment...
« Pas de réponse ? C'est dommage... »
Il se tourne vers mes pieds. Les siens écrasent mes chevilles, m'arrachant un cri. L'intrus à lunettes s'arrête de parler net, déstabilisé. Et, avant même que je ne le comprenne, une détonation parvient à mes oreilles.
Mon corps ne me signale aucune douleur, seulement des tympans en mauvais état. Il me faut quelques secondes pour l'assimiler. Et surtout, une explication de sa part.
« Je ne sais vraiment pas qui t'a mis ces menottes, elles sont pires qu'inutiles. »
Comme pour confirmer son affirmation, il fait passer mes mains menottées entre ses chevilles et colle le canon de son arme, le lien métallique et le sol. Juste avant d'appuyer sur la détente, il se penche à mon oreille :
« Essaye de m'échapper, de me résister ou quoique ce soit d'autre, et il se passera exactement ce que tu imagines. Compris ?
Je suffoque. Il n'a même pas eu besoin de frôler certains de mes vêtements pour que son message passe. Son ton a très bien rempli ce rôle.
J'ai les chevilles et les mains libres. Cela suffit à calmer mon cœur et à apaiser ma peur, bien que cette liberté soit illusoire. Je ne sais pas... C'est comme si cet excès de peur commençait à se saboter lui-même.
- O-Oui. »
Pourquoi cet homme est-il si déterminé à me torturer mais ne fait-il aucun effort pour expliciter sa menace sur mon intimité ? Parce qu'il ne s'intéresse pas à mon corps, seulement à me faire souffrir. Il ne tient qu'à sa vengeance. Toute cette haine ne vient que du meurtre de ces personnes qui ne devaient pas être que des collègues. Sombre affaire que le deuil.
Le deuil donne des ailes noires. Je comprends qu'il hait la personne qui lui a enlevé des proches. Ce qu'il fait est donc presque juste. Après tout... Tous les démons sont des anges déchus.
Mon esprit est plus clair que jamais. Je dois rester immobile et subir sans rien dire. Mais rien n'indique que je ne dois pas profiter de ce moment. Il est temps de s'entraîner à lire sur les lèvres !
« Certes elle s'est échappée et on n'allait pas la laisser faire mais... Elle s'inquiétait pour l'asthme de son frère ! »
Une main empoigne mes cheveux et tire ma tête en arrière. Mon visage se crispe mais je me retiens de lui donner ce qu'il veut. Son poids quitte mon dos quelques secondes... Avant de revenir s'écraser sur mes mains et mes lombaires. Sans appui, mon regard ne peut que se fixer devant moi.
« Oublie-les, nous avons tant à nous raconter. »
Que veut-il que je dise ? La réponse à cette question est bien inutile. Il me fera autant de mal qu'il le peut de toute façon. Alors autant ne pas donner de bâton pour se faire battre.
« Non... Je ne veux pas de tes excuses larmoyantes... Je veux t'entendre hurler comme tu les as fait hurler ! »
Je regrette beaucoup d'avoir participé à tous ces meurtres. Qu'il fasse de mes derniers instants un Enfer, je suis prête. Eythan n'est pas là pour me voir. Ainsi, l'intrus a choisi de désobéir à Evaristo. Tout ce que je peux espérer est, qu'aveuglé par sa colère, il me tire dans la tête.
Ma mort est inévitable. Seule la douleur la précédant peut varier. Je ne peux qu'espérer qu'elle soit minimale. Si un dieu existe, caché quelque part, je le prie d'exaucer ma dernière volonté : qu'Eythan ne voit jamais mon corps.
Mes oreilles me signalent le bruit caractéristique d'une munition glissée dans un chargeur. Puis une autre. Puis une autre. Puis une autre. Puis une autre. Ce son me glace le sang à chaque fois.
J'ai le sang d'êtres humains sur les mains. Rien ne peut laver mes péchés. Il est normal que je finisse assassinée. Injustice punie par une injustice. Œil pour œil, dent pour dent. N'y a-t-il pas de règle plus juste que celle-ci ?
Il pose la mort contre le haut de mon dos.
Juste derrière mon cœur.
Son doigt sur la détente.
Je mérite sûrement ce qu'il m'arrive. Mais... Il n'empêche que mon cœur est terrifié ! Enfermé dans une cage au milieu du vide. Un froid sombre me dévore. Alors je vais mourir ? Alors c'est la fin ?
Je ne passerai aucune soirée à la belle étoile avec Eythan ? Il ne m'épousera jamais ? Je ne l'embrasserai plus jamais ? Je ne verrai plus jamais son sourire ?
Je ne parlerai plus jamais à maman ? Elle ne me cuisinera plus jamais de crêpes ? Elle ne me prendra plus jamais dans ses bras ? Je ne lui dirai jamais à quel point je l'aime ?
Je ne veux pas partir sans lui dire adieu ! Je ne veux pas qu'Eythan m'oublie ! Je ne veux pas mourir ! Par pitié, si quelqu'un m'entend, même si c'est le Diable...
Je ne veux pas disparaître !
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