Chapitre 21. Pas ta fille

Chapitre 21. Pas ta fille

Hélène

Je marche à travers le couloir. Depuis que ma mère l'a invité chez nous, Eythan est silencieux tel un moine bouddhiste. Arrivé au 2 rue du Courage, il nous a fait comprendre qu'il voulait se reposer. Depuis qu'il s'est isolé dans la chambre d'amis il y a deux heures, je ne l'ai pas revu.

À part quelques marmonnages de temps en temps, je n'ai plus aucun signe de vie. Peut-être est-il au téléphone avec quelqu'un, peut-être parle-t-il dans son sommeil. Ne pas savoir comment il va m'inquiète beaucoup. J'ai peur qu'il cède au désespoir et à l'idée que son père est décédé. Cette absurdité doit le terrifier depuis qu'il a perdu sa mère.

Maintenant qu'il est vingt heures passées, j'ai une excuse pour lui rendre visite. À ma connaissance, il n'a rien avalé depuis ce matin. Quoi de plus normal que de lui apporter le repas ? Là où certaines personnes assoiffées de haine n'y verraient que sexisme, j'y vois une fourberie digne d'Aves, le plus grand chef militaire.

Je descends les marches de l'escalier une à une, avant de sauter la dernière. J'avance dans un couloir menant à l'entrée, le salon et à la salle à manger. Des voix se font de plus en plus audibles à mesure que je me rapproche.

« Elle n'a que quatorze ans, et tu la laisses fréquenter un garçon ! Un tueur qui plus est ! Vire-le de cette baraque avant que je ne le fasse moi-même !

– Non mais tu t'entends parler ? Hélène fréquente qui elle veut. Tu sais quoi ?! Elle craque carrément pour lui, et tu vas rien faire ! Ce n'est pas ta fille, ni ta maison.

– Tu dis ça mais... »

La fureur dans les yeux, une vérité cachée sur les lèvres, un... Il s'arrête net. Je suis entrée dans son champ de vision. Il allait balancer une horreur. À propos de moi. Contenant mes larmes, je m'enfuis à toute vitesse, ne m'arrêtant qu'une fois face au frigo.

Mes oreilles perçoivent la suite de la dispute, mais je me concentre pour ignorer le sens de ces cris. J'extrais une assiette du frigo et me précipite pour la glisser dans le micro-ondes. Une fois la cuisson lancée, je place mes mains contre mes oreilles. Je lutte autant que je peux pour ne pas me faire submerger par la panique. Jamais trente secondes n'ont été aussi longues.

Je glisse deux parts de pizza toutes chaudes dans une nouvelle assiette. J'apprécierais l'heureux hasard que représentent ces restes si la situation n'était pas aussi dramatique. Des bruits de pas pressants font trembler tout mon corps. Une assiette dans chaque main, je me mets à accélérer. Les yeux embrumés, je fonce.

Après avoir senti des corps céder sous mon élan, je me force à recouvrer la vue. Histoire que ni les parts de pizza ni moi ne se cassions la gueule dans les escaliers. Je pose mes pouces sur ces dernières pour pouvoir aller le plus vite possible. Mon cœur bat la chamade.

Arrivée en haut des marches, je m'impose une petite pause. Mauvaise idée. Les souvenirs reviennent peupler ma tête et me torturent au plus haut point. Alors qu'un profond mal-être s'empare de moi, je cours vers la porte d'une chambre.

Sans plus réfléchir, je pose les assiettes au sol et l'ouvre d'un grand coup de pied. Je tombe sur un Eythan assis au bout du lit, le regard bloqué sur un mur vierge. Je m'effondre sur lui.

Ses yeux vifs comprennent la situation en un instant. Il bascule son corps en arrière et saisit le mien avant que je ne lui donne de coup de boule. Ses bras m'emprisonnent contre lui. Le voilà allongé sur le dos, me voilà sur le ventre collée à lui. Pourtant, il n'y a rien d'érotique.

« Que fuis-tu, petit ange ?

Son calme suffit à me mettre en confiance. Ses mots résonnent en moi avec une force inattendue. J'ai envie de lui confier toute ma tristesse. Pourtant, aucune larme ne sort. Sa main caressant mes cheveux n'y est pas pour rien.

– Rien, rien du tout. »

Je crois que personne ne connaît vraiment Eythan. Tout le monde a pu voir qu'il ferait n'importe quoi pour la Justice. Mais je suis la seule à savoir qu'il possède une douceur infinie. Derrière tous ces accès de rage se cache un garçon qui a de l'amour à revendre. Apparemment, il m'a choisi moi.

Combien de fois a-t-il veillé sur moi ? Combien de temps a-t-il passer à veiller sur Essaim ? Combien a-t-il sacrifié pour nos camarades ? C'est à moi de veiller sur lui maintenant.

« Assieds-toi, je vais te masser. »

J'ai suffisamment de connaissances pour savoir comment finissent tous les massages non-professionnels. Indice : les personnes ne perdent que leurs vêtements... Bref ! S'il reste assis et habillé, il ne devrait pas y avoir de problème.

Sans prononcer un mot, mon copilote s'assied en tailleur au bout du lit. J'imite sa position et me colle derrière lui. Sentir mon souffle rebondir contre sa nuque me fait prendre conscience de notre proximité. Mon cœur bat de plus en plus vite. Mes mains tremblent en se posant sur ses épaules.

En un instant, ses yeux se sont tournés vers moi et m'ont mises à nu. Sa main droite monte vers la mienne. Nos doigts se mélangent jusqu'à fusionner.

« Après la Tempête, toujours le Soleil. »

On dirait le deuxième Principe Universel revisité. Il nous ordonne de toujours garder espoir, même si ça n'a rien d'évident.

Il me sortirait des Enfers au mépris de tous les dangers. Il braverait les pires pièges, triompherait des pires monstres, abandonnerait même ses principes pour moi. C'est mon Icare à moi, sauf que je l'empêcherai de se brûler les ailes.

Cette pièce, autrefois inintéressante, est devenue mon petit coin de Paradis.

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