Chapitre 19. Anciennes Dettes

Chapitre 19. Anciennes Dettes

Eythan

« Je suis censé me foutre dix mille euros dans le cul ? »

Une fois sur le parking, j'ai passé un coup de fil à L4cky, histoire qu'il débloque Isaac Ibarra et Hélène. Après avoir nommé les contacts, respectivement « Businessman » et « H. », j'ai regardé mes nouveaux messages. Le fameux multimillionnaire m'a donné rendez-vous à l'accueil.

Un gorille en costume vient de m'emmener dans un coin reculé pour ouvrir un sac de sport. Des liasses de vingt et cinquante euros le remplissent à moitié. Il est l'heure du goûter et on vient de m'offrir dix mille balles en cash. J'imagine que mon compte bancaire a lui aussi reçu un petit paquet d'argent. Alors où est le problème ?

Cette armoire à glace qui croit pouvoir m'intimider refuse de me laisser le sac. Selon lui, m'en faire cadeau ne fait pas partie de sa mission. D'où ma question. Où suis-je supposé stocker toutes ces liasses ?

Heureusement, il sort son téléphone pour demander de nouveaux ordres à son patron. Ma lame Châtiment n'aime pas être réveillée. Je ne sais pas si j'aurais fini par la contrarier dans un monde où ce mec avait l'intelligence d'un gorille. Ça aurait été audacieux d'agresser un homme venu me rendre service dans un hôpital.

Pas assez de personnes ne m'adulent pour que je me permette une telle action. Ce chauve en costume s'est contenté de raccrocher et de me laisser là. Une très bonne nouvelle, mais notre discorde n'est pas sans conséquences. Sa carrure et la puissance de mes paroles ont attiré l'attention. Toutes les paires d'yeux aux alentours se sont braqués dans ma direction.

Ce qui n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. De un, parce que je défie quiconque de seulement tenter de me voler. La morgue ne doit pas être très éloignée de l'hôpital, mais ce n'est pas une raison pour commettre un acte suicidaire. La deuxième raison se nomme Maxime.

Je ne sais pas quand l'hôpital l'a appelé, mais je ne suis pas surpris de le voir débarquer aussi tard. Son patron l'exploite lui et sa copine comme s'ils étaient des esclaves modernes. Comme si le code du travail n'était qu'une vaste blague. Malheureusement, il n'y avait pas grand chose que je pouvais faire. Jusqu'à aujourd'hui.

« Hola hermano.

Si Essaim est le camarade que je préfère, je suis loin de détester mon frère. Je me souviens qu'il s'est dressé contre mes parents à plusieurs reprises pour dénoncer leur comportement injuste envers moi. Je n'ai jamais eu besoin ou même demandé d'être défendu, mais j'apprécie ses actes.

Il représente efficacement la Jeunesse. Toujours prêt à faire face aux injustices, toujours prêt pour les combattre et toujours prêt à se moquer des punitions comme des récompenses si c'est pour faire le bien. Mais en même temps, incapable de détruire les démons qui le hantent. En tant que membre de la Jeunesse, je dois changer ce défaut que tous mes camarades ont. Je dois être le premier à ne pas épargner les injustices qui dominent mon cœur.

- J'ai entendu que ton collège avait été pris en otage, comment tu te sens ?

Dommage. Le premier inconnu venu aurait des raisons de me sous-estimer. Mais venant de mon propre frère, je suis vraiment déçu.

- Laisse-moi te donner un indice : pourquoi est-ce l'hôpital qui t'a mis au courant ?

- Parce que les forces de l'ordre étaient trop occupées à-

Il s'enfonce. S'il me voyait comme un simple solitaire, normal qu'il ne se doute pas de qui a résolu la prise d'otage. Mais il sait que je suis bien plus que cela. Même si je ne m'amusais pas à massacrer des animaux dans ma tendre enfance, même s'il n'assistait pas à mes rendez-vous médicaux, il sait que je suis bien plus qu'un simple solitaire.

- Mauvaise réponse. Les forces de l'ordre ne t'ont jamais appelé car la prise d'otage s'est achevée avant même que les intrus ne les appellent. Parce que la prise d'otage s'est achevée avec la mort de tous les intrus. »

Presque tous. Il détecterait le mensonge dans mes yeux s'il me connaissait autant qu'il le croit. Je ne me suis jamais vraiment ouvert à lui, alors je ne peux pas lui rejeter la faute. À vrai dire, la rédaction d'hier est le seul élément de ce monde auquel je me suis ouvert. Heureusement, cette trace de faiblesse n'est plus que cendres.

« Pas besoin de te faire de dessins j'imagine. Pour répondre à ta question, je vais bien. Pour l'instant, seules deux choses ont changé. La première est en partie illégale, la deuxième non. Mais c'est plus facile pour moi de t'impliquer dans la première que de me confier sur la deuxième. Suis-moi. »

Se promener avec plus de dix mille euros sur soi est illégal, si l'on ne le déclare pas. Et j'imagine qu'Isaac n'en a pas eu le temps. Sa renommée d'honnête homme d'affaires et sa fortune lui permet de ne craindre ni le fisc ni les flics. Je n'ai pas encore cette assurance. Je ne tiens pas à ce que quiconque vienne saisir mon argent durement gagné.

Mon frère m'emboite le pas sur quelques mètres. Au moins ce gorille doit être un expert en coins isolés, puisque personne n'est passé se servir. J'élargis l'ouverture du sac au maximum, saisis une liasse de billets verts et la colle au torse de Maxime. La surprise domine son visage, mais il finit par déglutir et accepter la situation. Il doit se croire dans un film de mafieux, la sensation doit être incroyable.

Un sourire se forme sous mon nez. Désormais, je me promène avec moins de dix mille euros sur moi. Même si la liasse que j'ai confiée à mon frère reste mienne. Enfin, la question ne se pose pas. Je suis redevable envers quelqu'un. Ce serait injuste de ne pas clore cette affaire maintenant alors que j'ai repéré l'infirmière à l'accueil. Il est temps que je m'acquitte de mes anciennes dettes.

« Réunis cinq mille euros en priorisant les billets de cent. Chaque liasse est composée de vingts billets, et il y a des billets de vingt, de cinquante et de cent. Ce qui fait...

Nos mains n'attendent pas. Elles fouillent le sac à la recherche de billets de cent, peuple minoritaire face aux liasses de vingt.

- Une liasse de vingt vaut 400, une liasse de cinquante vaut 1 000 et une liasse de 100 vaut 2 000 balles.

J'aurais peut-être dû demander à avoir vingt mille euros en liquide. Je suis plutôt réaliste d'habitude, mon cœur sait que rien n'est ni tout blanc ni tout noir. Mais voir ce sac de sport à moitié vide me peine un peu. Mon frère a déjà réuni deux liasses de cent dans ses bras.

- Je suis étonné que tu sois toujours aussi fort en calcul mental. Tu dois plus beaucoup pratiquer depuis que tu travailles dans cette boîte de fringues.

Il est vrai qu'à part saisir une liasse de cinquante, me faire de l'air avec et la reposer au fond du sac, je ne fais pas grand chose. Mais dès que mon frère aura réuni cinq mille euros, le montant des liasses restantes dans le sac sera facile à deviner. Pas la peine de s'embêter à créer un deuxième tas.

- Oh, bien plus que tu ne l'imagines... J'ai fini ! Mais c'était pour quoi en fait ? Et comment t'as eu autant d'argent ?

- Disons simplement que j'ai fait un peu de business avec l'ancien boss de notre mère. »

Son visage se crispe à l'entente de ce dernier mot. Je sais qu'il ne l'aime plus beaucoup à cause de toutes les horreurs qu'elle a pu dire sur moi. À vrai dire, je la méprise plus que quiconque en ce monde. Autant dire que je le comprends. Mais il serait stupide de renier qu'elle nous a portés dans son ventre. À moins que ma famille ait des secrets dont je ne sois pas au courant. Peu m'importe à vrai dire.

« Attends-moi ici et surveille le contenu du sac. Je reviens bientôt, j'ai deux-trois affaires à régler. »

Je bascule les liasses soutenues par ses bras dans les miens. Après quelques pas, je stabilise ma démarche et avance aussi vite que possible. L'infirmière est accroupie, occupée à fouiller dans des tiroirs. Tant pis, je lâche tout en bordel au-dessus de l'accueil. J'essaie de repositionner les liasses les unes à côté des autres dans un semblant d'ordre, tandis que cette femme se relève et jette un regard plein d'incompréhension à son espace de travail.

« Dieu aime dire qu'il rends toujours au centuple. Mais, s'il existe, ce n'est qu'un petit joueur face à moi. Un petit joueur qui ne m'arrive pas à la cheville. Un petit joueur condamné à refaire mes lacets pour l'éternité. Bref, je m'égare. Vous m'avez prêté cinq balles pour acheter de la bouffe à ma camarade. Je pisse sur Yahvé, Allah, Dieu, appelez-le comme vous voulez. Moi, je rends toujours au milluple. Voici 5 000 euros. Utilisez-les pour que votre futur enfant ait la meilleure vie possible. Ou dépensez tout en coke et en putes. J'en ai rien à péter. »

Je n'ai pas à dire aux gens ce qu'ils doivent faire avec leur fric. Je rembourse mes dettes, je fais ce qui est juste, le reste, je m'en fous.

N'ayant ni la force ni l'envie de m'intéresser à sa réaction, mon regarde dérive sur mon frère. Il pourrait se servir dans mon argent. Sincèrement, je pourrais ne jamais m'en rendre compte. La tentation est d'autant plus forte qu'il est largement sous-payé. Selon les dernières nouvelles, il a même prévu de demander sa copine en mariage, et s'il veut faire une cérémonie digne de ce nom, il aura besoin de plusieurs milliers d'euros. Ce genre d'occasion ne se présente qu'une fois dans une vie.

Mais non, il ne me volera pas. Il est bien trop fier et honnête pour s'abaisser à un tel acte. À vrai dire, l'idée ne lui traverse même pas l'esprit. Il pourrait me demander s'il peut en prendre une toute petite partie. Peut-être qu'à part me payer quelques folies, je n'en ferais rien.

Ces pensées doivent trotter dans sa tête, et elles n'ont rien d'illégitime. À part traîner sur mon téléphone et fixer le ciel ou le plafond, je ne fais pas grand chose de mon temps libre. Mais il n'osera pas demander. À raison, il ne pense pas mériter cet argent.

En revanche, il mérite plus que son salaire actuel. Mais il ne pensera ou n'osera jamais réclamer ce qui lui revient de droit. Son patron a des comptes à lui rendre. Et je m'assurerai qu'il passe à la caisse ou à la casserole. J'en fais le serment.

J'admire mon frère se décomposer devant son téléphone. Il me cherche du regard. Quel est le problème encore ? Sans plus attendre, il referme le sac de sport et l'emmène auprès de moi.

« Mon patron s'est rendu compte de mon absence et menace de virer Anna si je ne reviens pas tout de suite. Je sais, tu vas me dire que je pourrais porter plainte, parce que c'est logique que je veuille voir mon petit frère après ce qu'il a vécu et patati et patata...

- Tu sais que tu m'imites très mal ? J'ai compris, t'économises déjà pour le mariage, enfin si elle dit oui le jour où t'as les couilles de lui demander, t'as pas assez pour partir dans une guerre juridique. Il n'empêche que c'est un problème qu'il faudra résoudre, un jour ou l'autre. »

Il acquiesce sans conviction et me rend mon sac. Sa copine non plus n'a pas les moyens d'intenter un procès à leur patron s'il décide de la virer sans raison. Mon frère va probablement frauder le bus pour revenir travailler sous les cris de son patron. Ces deux jeunes sont muselés, ni plus, ni moins. C'est à moi de les libérer.

Pas parce que la famille est plus importante que tout ou parce que leur amour doit triompher. Mais parce que mon frère ne serait pas dans une telle misère financière s'il ne s'était pas opposé aux injustes punitions que ma mère m'a imposé. Il a préféré fuir dès sa majorité plutôt que de fermer les yeux. J'ai une dette envers lui.

Comme je l'ai dit à mon frère, deux choses ont changé depuis hier matin. La quantité d'argent à ma disposition, et la virginité de ma vie amoureuse. Même si mes parents sont très probablement multimillionnaires, je n'ai jamais vu aucun signe d'une telle richesse dans mon enfance.

Mon compte en banque n'avait jamais dépassé les cent euros. En gagner 200 000 en un jour ne fait que rééquilibrer la balance. Surtout si l'on compare à Axel, cet enfant roi qui a passé sa vie dans l'opulence.

Ma vie amoureuse n'était pas exactement vierge. Je ne reproduirais pas le cliché du mec qui se croit ténébreux et qui a enchaîné les conquêtes, face à la fille innocente à tous les égards. Je n'ai rien de ténébreux, je ne fais que ce qu'il me plaît et ce qui est juste. Rien de très sombre là-dedans. Mais je crois que Léa a un faible pour moi.

Peut-être. Je n'en sais rien. Je n'y trouve aucun intérêt. Notre relation restera platonique jusqu'à sa mort. Je pensais qu'il en irait de même pour toutes mes relations. Puis Hélène a été scolarisé au collège Voltaire.

Même si je l'avais remarqué dès le début, tant pour son physique que sa psychologie, et que j'en avais parlé à madame Dubois, je ne lui prêtais pas particulièrement d'attention. Avec les événements d'hier, on s'est drôlement rapproché. Et ce que je prenais pour une potentielle mine d'or s'est révélée être une véritable mine de diamants. Je n'ai jamais été très doué avec les métaphores.

Quoiqu'il en soit, je devrais régler le problème que représente le patron de Maxime. Mais chaque chose en son temps. Je dois d'abord comprendre la profondeur de mes sentiments pour elle. Ensuite on choisira l'avenir de notre relation. C'est dans cette optique que je me mets à sa recherche, un sac de sport dans la main.

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