Chapitre 18. Secret d'État
Chapitre 18. Secret d'État
Eythan
« Mais je m'en branle ! La quatrième a failli se faire violer, cette peste l'avait poussé au suicide, et j'aurais dû la laisser tranquille ? »
Vu les cicatrices de la rousse, je ne serais pas surpris d'apprendre qu'elle a autrefois tenté de mettre fin à ses jours. Je sais qu'elle fera un faux témoignage pour protéger mon mensonge si quelqu'un venait à lui poser des questions. Elle m'apprécie trop pour me nuire.
Je vois à leur regard qu'ils ont compris qu'il n'est pas nécessaire de me donner le numéro de la chambre d'hôpital de la peste. Bien. Leurs yeux ne témoignent plus d'aucun reproches. Il leur paraît juste de fracasser un crâne pour contrer le harcèlement.
« Dans un monde parfait, la morale se résumerait à « Nuire à ceux qui nuisent, ne pas nuire à ceux qui ne nuisent pas et œil pour œil, dent pour dent ». Mais dans ce monde-ci, ces trois règles sont rarement compatibles. Que faire quand la loi du talion nuit à ceux qui ne nuisent pas ? Que choisir entre nuire à tout le monde et nuire à personne ? Être cruel ou laisser des injustices impunies ? La Justice est difficile à appliquer, j'ai fait de mon mieux. »
Le yin-yang est une grossière simplification de la vie. Un schéma plus correct de ce monde serait plutôt un yin-yang dont les bulles contiennent un yin-yang dont les bulles contiennent un yin-yang. Un triple yin-yang.
***
Bordel. Pourquoi me faire raconter l'histoire de la prise d'otage une troisième fois ? Je le vois dans leurs yeux qu'ils ne se méfient pas de moi. Alors pourquoi ? Pour me faire perdre mon temps ? Il est déjà seize heures dix.
La vérité me saute aux yeux. Ils me font répéter pour la même raison qu'ils sont tendus depuis notre rencontre. Mon histoire peut leur révéler l'existence d'intrus en fuite. Mes mensonges peuvent changer leur vie. Heureusement qu'ils jouent en leur faveur.
Heureusement que j'arrive à la fin de mon troisième témoignage. Une fois celui-ci achevé, je leur confierai le téléphone des intrus avant d'enfin partir d'ici. Ce serait dommage qu'ils soient accusés de séquestrer un héros national.
Je me lèverai et me casserai. Et s'ils ont quelque chose à y redire, ils goûteront mon Châtiment.
« J'imagine qu'après avoir empoisonné Hélène, il est passé par les escaliers du personnel pour enfermer les adultes quelques secondes après que je les ai libérés. C'est logique puisqu'il a commencé par pointer son flingue sur l'arrière de mon crâne.
Heureusement que L4cky m'a aidé. Selon lui, c'est cohérent avec les plans du collège et ça nous permet de les laisser penser qu'aucun intrus n'a survécu. S'ils savaient ne serait-ce que le quart... Châtiment ne se serait pas endormi dans ma poche.
– Un flingue ? Sois plus précis.
Quel sens du détail. Surtout qu'ils le savent déjà. Ils veulent juste que je le répète pour ne laisser aucune zone d'ombre. Quel professionnalisme.
– Je vous l'ai déjà dit, ils étaient tous équipés de Glock AA. C'est l'expertise d'Hélène, la fille d'une militaire, alors vous avez intérêt à me croire, car j'ai abandonné mon arme au collège. Lorsqu'il s'est mis face à moi pour cracher sa haine, j'ai compris. J'ai compris qu'il voulait venger la mort de ses camarades. C'est pour ça qu'Hélène était au sol, il l'avait laissée pour morte. Et c'est aussi pour ça qu'il s'est contenté d'enfermer les adultes, sa vengeance ne les visait pas.
– Et c'est en voyant cette colère dans ses yeux que tu as compris que tu ne risquais rien.
Après quatre heures à répéter mon histoire constellée de mensonges, ils commencent à être rodés.
– Mon Glock AA n'avait aucune chance de s'enrayer. Alors je voyais ceux des intrus comme des menaces et non comme de potentiels remplaçants. Je les ai tous sabotés, sans exception. Et quelle meilleure vengeance que de me tuer avec l'arme de quelqu'un que j'ai moi-même tué ? Je ne risquais rien, mais lui si.
– Mais si tout le monde était mort, pourquoi a-t-on retrouvé quatorze corps dans les toilettes des filles ?
Quatorze ? Attends. Quoi ? J'ai tué douze intrus. J'ai vu le cadavre d'un surveillant. Il allait probablement appeler la police lorsqu'il les a vu. J'ai entendu un coup de feu alors que les intrus nous emmenaient dans la salle d'arts plastiques. En fait si, c'est cohérent.
– Mais je vous l'ai dit ! Ils ont dû les déplacer au fur et à mesure, par respect ou que sais-je. Pour les deux derniers morts, je suis coupable. Après avoir récupéré le nécessaire sur le dernier mec que j'ai buté, j'ai décidé de cacher les deux corps dans un endroit où j'étais certain qu'Hélène n'irait pas. Je vous l'ai dit : tout ce que j'ai fait, c'est pour protéger la santé mentale de mes camarades.
Quel bon joueur de flûte je fais. À l'origine, c'était surtout pour punir l'affront que représentait cette prise d'otage. Ensuite, il est vrai que j'ai commencé à me soucier de ma camarade. Un peu. Peut-être beaucoup maintenant.
– Raconte les événements dans l'ordre chronologique s'il te plaît.
– Une fois l'avoir descendu, je me suis précipité sur Hélène. J'ai vite compris qu'on l'avait empoisonné. Sur le cadavre tout chaud du dernier des intrus, j'ai trouvé deux seringues dans deux poches différentes. L'une d'elles était bien plus vide que l'autre. J'ai supposé, à raison, que la seringue neuve contenait l'antidote. Une fois le produit injecté, je me suis dirigé vers Flora. On lui avait déjà administré les premiers soins, mais j'ai pu vérifier son pouls et découvrir qu'elle était toujours en vie.
– Ce serait un des intrus qui s'est occupé d'elle ?
– J'imagine. Ce n'est ni moi ni Hélène en tout cas. C'est très probable, à condition qu'un intrus éprouvait des remords à son sujet. Ce dont je suis certain, c'est qu'ils ont des connaissances médicales.
– Une information qui va nous être très utile merci. D'ailleurs tu peux nous donner ce–
Ils sont vraiment pressés d'obtenir ce téléphone. Identifier les intrus leur paraît prioritaire. Tant que cette recherche ne se met pas en travers de ma célébrité, grand bien leur fasse.
– J'ai changé d'avis. Je veux que la personne la plus gradée d'entre vous signe un contrat officiel qui interdit à absolument tout le monde d'interroger Hélène. Faites passer ça pour un secret d'état ou que sais-je, je veux des garanties officielles.
L'un d'eux sort un téléphone de sa poche et quitte le véhicule. Je crois entendre un « passez-moi le procureur ». Les rayons du soleil pénètrent le van un instant avant que la porte ne se referme, nous coupant à nouveau du reste du monde. Ils adorent me séquestrer, à moins qu'ils ne craignent que le vent qui sape la qualité de leurs enregistrements.
– Tu auras des garanties suffisantes. Continue s'il te plaît.
Leurs yeux me semblent sincères. Ils n'ont pas l'intention de me doubler. Tant mieux.
– Avant de dégager les cadavres, j'en ai extrait trois choses intéressantes. Une clef de voiture, un détonateur et les clefs des salles où mes camarades étaient enfermés. Je vous passe la difficulté de traîner des corps sur plusieurs mètres. Je les ai laissés dans les toilettes des filles au premier étage si ça vous intéresse tant que ça. Une fois Hélène réveillée et en forme, je l'ai missionnée de libérer tout le monde et de les amener à ce conteneur à moitié enfoncé dans le sol. J'ai attendu que le collège se vide, puis j'ai porté Flora sur mes bras, loin de ce bordel. Elle pesait son poids la pauvre.
– Et pourquoi avoir attendu et ne pas avoir aidé Hélène Lamy ?
– Je ne voulais pas prendre de risques, à tripoter le détonateur alors qu'il restait du monde dans le collège. C'est pour ça que je me suis éloigné avec Flora. Et puis Hélène était assez grande pour tous les libérer. J'ai tenté d'arrêter le minuteur, en vain. J'ai préféré l'abandonner dans la forêt pour éviter de faire trop de conneries, après avoir noté combien de temps il restait, bien sûr. Et après avoir cherché quelques minutes, je suis tombé sur la voiture de l'intrus. »
L'inverse de Pokémon. Le but n'était pas de tous les capturer, mais de tous les libérer. Mais si je devais trouver un point commun, je dirais que la légion d'honneur me fera un magnifique badge d'arène.
Arrêter le minuteur ? Tu parles ! Je suis celui qui a activé le détonateur, juste histoire de ne pas retourner en cours. Les bâtiments ne peuvent subir des injustices. Heureusement que je portais des gants à ce moment-là. Jamais ils ne découvriront mes empreintes digitales.
J'ai la flemme de raconter la suite. Je n'ai même plus à mentir et ils savent très bien ce que je vais raconter. Je le leur ai déjà dit deux fois et tous les anciens otages aussi. Ce n'est que pure torture.
***
« Une dernière question : pourquoi n'es-tu pas resté aux côtés de tes camarades ?
– Après tous ces événements je voulais du calme. Marcher plusieurs kilomètres jusqu'à ma maison m'ont permis de faire le point sur ce que je venais de vivre. Je peux m'en aller maintenant ?
Plutôt ironique de savoir que j'ai fui en voiture avec deux intrus et que je n'ai profité du calme que pour réfléchir à ma relation avec Hélène. Si j'avais plus réfléchi à l'histoire que j'allais servir aux autorités, j'aurais conservé mes chaussures. Même moi ne suis pas exempt de faire des erreurs.
Ils me font suffisamment confiance pour ne pas vérifier. Il n'y a plus aucun obstacle, ils ont gobé tous mes bobards sans résister. Les jeux d'enfants sont moins amusants que prévu. Lassé de cet entretien, je me lève sans attendre leur réponse. Pourtant, un homme, resté muet jusqu'alors, gagne mon attention.
– Les intrus, comme tu les appelles, se sont embêtés à vous changer de salle, n'ont jamais contacté l'État et n'ont jamais répondu à ta proposition de faire la paix. Ce sont trois événements plutôt inhabituels. Étant arrivés après la bataille, nous allons passer nos journées à essayer de comprendre leurs comportements. Enfin, comme l'a dit Sun Tzu, « tout l'art de la guerre est basé sur la duperie ». À la tête que tu tires, tu n'as jamais entendu parler de lui. C'est une sorte d'Aves oriental.
Il faudrait que je me renseigne. Pour être comparé à Aves, être parfait sur bien des points, ce Sun Tzu doit valoir quelque chose. Un brin de force, de courage ou de sagesse. Ces quatre heures et des poussières n'auront pas été une totale perte de temps.
Je saisis le papier que me tends l'homme autrefois parti du van. Je lis en diagonale et découvre qu'Hélène est née la veille de mon anniversaire. Le 12 août, je retiens. Je laisse ce document estampillé du symbole officiel de l'État français et leurs yeux emplis de sincérité me convaincre que la version de ma blonde préférée ne sera jamais découverte.
« Puisque notre relation est basée sur la confiance et que vous avez rempli votre part du contrat... »
Je plonge ma main dans ma poche. Je suis sur le point de leur confier le téléphone d'un intrus quand je remarque le regard hésitant de Xavier.
« Quoi ?
– C'est confidentiel mais... La police scientifique a retrouvé un quinzième corps au rez-de-chaussée. »
Deux choses. J'ai entendu un ordinateur s'allumer alors que le collège était supposé vide. Je n'ai aucun signe de vie de mon géniteur depuis la fin de la prise d'otage. J'ai comme un mauvais pressentiment.
Mais comme l'ont dit des milliers d'idiots avant moi, je ne compte pas m'arrêter de vivre. En définitive, ces heures m'auront bien servi à quelque chose. Si savoir c'est pouvoir, alors obtenir des informations revient à acquérir de l'or.
Je fais glisser un téléphone déverrouillé sur la table. Mon regard quitte ces adultes alors qu'ils sautent sur mon joker. S'il venait à se verrouiller à nouveau, je ne doute pas des capacités informatiques de l'État français.
J'ouvre l'arrière du van. Les rayons dorés du soleil viennent caresser mon visage d'ange. Peut-être que des informations précieuses valent de l'or, mais ce qui m'attend vaut bien plus qu'un banal minerai.
Il est temps de récupérer ce qui me revient de droit.
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