Chapitre 15. Avant de Repartir en Guerre
Chapitre 15. Avant de Repartir en Guerre
Eythan
Sur le demi-kilomètre qui me sépare de l'entrée du parc, cinq hommes sont morts ou agonisent.
Déjà ? J'ai l'impression de me réveiller après un coma de cent ans. Mes chaussures glissent dans la boue et j'assiste à un spectacle rare. L'air empli de cris désespérés et d'hurlements douloureux se marie parfaitement avec le sol jonché de feuilles mortes et de cadavres naissants. Je ne connais pas la personne responsable. Sincèrement, je viens d'ouvrir les yeux.
Ma main droite confirme que je suis le seul à tenir un pistolet chaud. Ma main gauche confirme que mon cœur bat toujours. Moins gaspiller commence par ne pas distribuer des cœurs fonctionnels après la Mort. L'Enfer aime probablement gâcher mais ce décor représente trop de bons souvenirs pour en faire partie.
Je ne crois pas avoir rejoint l'autre côté. Ce n'est pas dans mes intentions, alors ce n'est pas arrivé. Que s'est-il passé ? Que s'est-il réellement passé ? Je n'ai pas de souvenirs relatifs à mes premiers pas sous ces géants écorchés. Je... Je ne suis pas tout seul. Deux autres âmes hantent ce lieu. Mon arme, prête à frapper, frisonne de plaisir.
J'ai besoin d'une pause. Juste souffler quelques secondes, après quoi je rejoindrais Hélène. Ma main gauche force mon œsophage à ravaler son air appauvri. Un cri dans mon dos écrase l'engourdissement de mes oreilles et fait basculer mon corps dans le vide. Je me rattrape in extremis à un morceau d'écorce. Le Glock AA tombe au pied d'un arbre, à deux pas d'une racine apparente dévorée par des oiseaux dont j'ai oublié le nom. Je n'aurais pas retenu grand chose de mes cours particuliers.
Que d'heures passées à s'ennuyer. Je ne les oublierais jamais. Je n'oublierai jamais ce qui m'a mené ici. Je ne répéterai pas mes erreurs. Je me baisse pour ramasser l'arme à feu lorsque mon regard est attiré par une racine maculée de sang. Vu sa teinte, il repose ici depuis des années. Il faut le faire pour s'éclater la tête à cet endroit précis. À moins que ce ne soit les restes un animal traqué par les chasseurs imaginaires de Schnabel. Va savoir. Sous le liquide rouge sont gravées six lettres. Les deux premières, souillées par le sang, sont illisibles.
Les quatre autres appartiennent à l'alphabet français. Respectivement D, T, L et E. Elles sont toutes piégées dans un grand cœur. Je me doute qu'il s'agit d'un mot d'amour ou d'une promesse, et que les deux premières cicatrices représentent les initiales des deux partenaires. Le seul mystère à élucider reste la signification des quatre lettres. Des initiales aussi ? Un message laissé par des extraterrestres il y a des millénaires ? Va savoir.
Peu importe la vérité, les blesseurs d'arbres courent toujours. Je ne supporte pas l'Injustice. Alors si j'en croise un, j'espère pour son bien qu'il court très vite. Ils ont tous intérêt. Je les traquerai tous jusqu'à ma résurrection comme le fils de Dieu. Peut-être devront-ils se serrer les coudes face à moi.
S'échanger des tuyaux, s'héberger les uns les autres, se distribuer des médailles pour avoir adressé la parole au colocataire de l'ami d'un de mes camarades... Monter une résistance en somme. Rien de mieux qu'un ennemi commun pour souder les hommes. Mais pour leur plus grand malheur, rien de mieux que la Mort pour les séparer.
Eythan... Se souvient. Je me souviens avoir donné mon feu vert à Hélène, je me souviens avoir suivi les cinq intrus à pas de loup. Je me souviens aussi les avoir criblé de munitions un à un avec l'appétit d'un loup-garou. Au diable la raison du retard de ces souvenirs.
J'ai beau avoir pourchassé et éliminé chacun d'entre eux ; ce ne sont pas mes actes. Ce n'était pas moi. Mon cerveau a donné l'ordre, mes mains tenaient le pistolet, mon index droit a pressé la détente. Plusieurs fois. Mon tronc cérébral a libéré l'hormone du bonheur. Plusieurs fois.
Pourtant, ce n'était pas moi. Ce stupide médecin se serait trompé sur mon diagnostique ?
Eythan doute de sa nature. Mais Eythan n'en a rien à faire. Peu importe qui, le but de la mission a été marqué en reprise de volée dans la lucarne. Le danger ne plane plus. Du moins, plus au-dessus d'Hélène ou de moi.
Et si je me trompais ? Mon hippocampe ne m'a rien rendu à propos d'elle. Dans l'instant, je ne la vois pas à mes côtés. Ni à mes côtés... Nulle part. Personne ne sait où elle s'est encore fourrée... Je ne parierais pas un sou sur sa bonne santé si son potentiel ne s'était pas aussi bien illustré. Tout le monde a besoin de savoir que ses trésors sont en sécurité avant de repartir en guerre. Tout le monde, sans exception.
Et si je m'étais trompé ? Si le danger rampait jusqu'à moi pour se venger ? À bien y regarder, les cylindres de plomb n'ont pas tous transpercé un cœur ou une tête. Hors de question de mourir d'une balle dans le dos.
Changement de programme. Je vais m'assurer que chaque homme cagoulé et armé ne dérangera plus jamais personne. Il me suffit de suivre les empreintes de pas creusées dans la boue pour retrouver l'ensemble des intrus. Ou de retracer le chemin qui m'a mené ici, en sens inverse. Ce ne devrait pas être très difficile.
Mon regard quitte les cicatrices de l'arbre à mesure que mes jambes luttent pour redresser mon corps. Je pivote de cent-quatre-vingts degrés avant de marcher, face au collège. Garder mon arme en main commence à devenir une mauvaise habitude. Je repose le Glock dans la poche centrale de mon sweat. Maintenant que j'y pense, pourquoi les deux chargeurs qui accompagnaient l'arme devant mon nombril ne sont pas tombés en même temps que mon pistolet ? Je ne vois aucune explication.
Il n'y en a pas. Et je n'ai pas besoin de fouiller ma poche pour le prouver. Je retourne sur mes pas et précipite mon bras au pied du géant blessé. Cet aller-retour m'a fait perdre du temps. Ne pas avoir fait attention aux contenus de mes poches m'a fait perdre du temps. Rester concentré sur l'écorce meurtrie m'a fait perdre du temps. J'espère que ces cinq abrutis ne continueront pas sur cette lancée.
Génial ! Je suis tombé sur la pire configuration possible. Au lieu de chuter chacun de son côté, les chargeurs se sont entendus pour atterrir l'un sur l'autre. Sauf que la gadoue causée par l'averse de cette nuit a imité l'eau bordant le Titanic. Le nouveau Jack est trempé jusqu'aux os. Sans avoir jamais essayé, je trouve les bains de boue très énervants. Va t'assurer que personne ne te poignardera jamais au lieu de pleurer pour cinq cylindres. Il te reste une vingtaine de munitions pour moins de dix hommes.
Pour quatre cylindres. Je viens de vider le nouveau Jack, tête en bas. Il ne contenait que quatre balles. Dieu sait si la dernière ne m'a jamais vu ou si elle s'est faite la malle en me voyant. Mais à choisir, j'aurais sacrifié ce magasin-ci. Le temps risque de manquer à Hélène si je cherche à nettoyer Jack. Si je le garde, la boue pourrait infiltrer les autres et les rendre inutilisables au pire des moments. Je n'ai d'autre choix que de l'abandonner.
Selon l'échelle, les dommages collatéraux peuvent causer autant d'haussements de sourcils que d'envies suicidaires. Je le sais depuis plus de dix ans mais je ne le comprends qu'aujourd'hui. Cette perte involontaire m'attriste un millier de fois plus que la mort de ma mère, à l'inverse de cette voix dans ma tête.
Ses interventions, toujours de bon conseil, se multiplient depuis ces derniers jours. Il est temps de ne pas mourir. Je crois qu... Je crois qu'il est temps que tu te taises. Si je ne suis pas libre de commettre des erreurs, ma liberté ne pourra jamais se relever. Comme un oiseau sans ailes. Trêve de...
Trêve de rien du tout ! Je ne ferai jamais la paix avec quiconque. Les intrus ne sont pas tombés dans mon piège, tant pis. Aucun d'entre eux ne s'en sortira en vie. Me... Nous traiter de la sorte était une erreur à ne pas commettre. Je trinque à leurs futurs remords.
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