7x09

Blessed to be a witness - Ben Harper

---

Elles dînent en silence, après que Carol ne se soit pas gênée pour écourter la visite de Richard après celle de son chef.

Enfin seules.

"C'est quoi cet endroit ?

- C'est ce que je cherchais depuis longtemps... sans ces hommes, évidemment, lui souriant, complice. Mais pour le reste, c'est bien la paix que je cherchais.

- Un tigre, Carol ! C'est le roi des marteaux, celui-là !

- Pas forcément plus qu'un autre..." haussant les épaules, continuant de manger.

Puis elle pousse un soupir, n'y tenant plus en se reposant sur le dossier de sa chaise.

"Tu étais avec Rick ?

- J'allais les rejoin...

- Et le Chupacabra... Daryl, j'veux dire... la pressant, l'obligeant à lever son regard de son assiette. Daryl est avec vous aussi ?"

Emma ne répond pas, à nouveau envahie par son funeste pressentiment concernant leur ami commun.

.

.

Emma ouvre les yeux dans un soupir. Étendue sur le canapé, elle réalise qu'il fait plein jour. Ce n'est pas tant la lumière mais plutôt un courant d'air qui l'a faite remonter à la conscience. Elle se redresse rapidement pour découvrir avec stupéfaction que la porte d'entrée à quelques mètres à sa droite, est effectivement grande ouverte.

"Carol ? ", appelle-t-elle, sachant que le volume de sa voix est naturellement insuffisant.

Aucun retour, comme elle s'y attend. Sur ses gardes, elle s'enfonce d'abord dans la maison après avoir jeté un oeil au dehors, ne voyant personne dans le cimetière dépouillé faisant office de jardin.

"Tu es là, Carol ? répète-t-elle en ouvrant la porte de l'unique chambre à coucher.

Elle trouve sa réponse en voyant le lit fait, la pièce en ordre et propre.

Elle revient sur ses pas, contrariée d'avoir dormi sans aucune vigilance. Contrariée aussi que la femme soit partie en laissant la porte grande ouverte à moins que... ? Non, le fusil est toujours sur la table basse près du divan.

Alors quoi ? Ce n'est pas vraiment le genre de la Carol qu'elle connaît.

Emma s'approche de la porte ouverte, fronçant les sourcils en découvrant un bâton posé contre l'encadrement.

Elle le saisit avec précaution. Il est lisse, léger, un mètre cinquante tout au plus, lui arrivant à l'épaule en touchant le sol. Le diamètre parfait dans sa main.

"Morgan, dit elle avec un fil de sourire, ça colle bien mieux.

- Non, Benjamin... moi c'est Benjamin..."

Emma sursaute en levant les yeux à la voix claire, aimable et amusée qui s'approche. Un jeune homme, à peine plus vieux que Carl, pose un pied sur le perron. Il a les cheveux plus clairs, souplement bouclés, le regard bien plus innocent, l'esprit plus serein, l'âme moins torturée, moins vieille, aussi.

" D'où viens tu ? d'une voix trop rauque, trop serrée de surprise.

- De la rue, évidemment ! rit il doucement, en montrant un cheval attaché au reste de clôture.

- Excuse... je ne t'ai pas entendu approcher... baissant les yeux sur sa nouvelle arme.

- On pourra s'entraîner ensemble si tu veux... désignant l'objet du menton. Morgan...

- Je sais... que veux tu ? sans lever les yeux de sa nouvelle possession.

- Ok... ouvrant davantage les yeux, mais gardant son sourire. Eze n'a pas menti...", commente le garçon, davantage pour lui-même.

Emma se contente de le toiser, les sourcils froncés.

"... Ta taille, ta pâleur, ta maigreur... énumère-t-il en accentuant son dernier mot. Tu veux que je te ramène quelque chose à manger ? demande-t-il, tandis qu'elle secoue la tête en dénégation. Ok, tu te sers hein, hésite pas. Tes tresses aussi, c'est drôle ! s'exclame-t-il joyeusement. Y a que ton regard qui est plus clair que le sien... Et le sourire, aussi, qui semble non maîtrisé chez toi.

- Fous moi la paix, gamin... articule-t-elle à bout de patience. Qu'est ce que tu veux ?

- Ah oui, excuse... se recentrant. Je ne suis pas très poli.... Mais tu es tellement son contraire ! Même ton sexe ! Excellent ! rit-il, encore pris à sa sorte de jeu des différences ou des similitudes. Ok ok, j'arrête ! levant les mains face au bâton soudain levé à hauteur de son visage. Je suis venu savoir si tu avais besoin de quelque chose...

- Non j'ai à manger, merci...

- Pas que de ça.... Qu'est ce qui va dans ton étui là ? désignant encore le holster du menton.

- 357... ? tente-t-elle sans conviction.

- Ah ouai, quand même ... Ok ! valide-t-il d'un hochement de tête. Quoi d'autre ?

- Des munitions pour mon... H&K ? continue-t-elle sans conviction d'en obtenir.

- D'accord... plus concentré. Et... ?"

Emma s'élance subitement et lui passe à côté pour le guider vers un des murs de la maison. "T'as de quoi baisser la selle ?"

Le garçon regarde le vélo puis la femme tendue près de lui et encore le vélo.

"Tu circules en vélo dans les bois, toi ? Alors qu'elle hoche la tête. Toi... sur ce truc ?... toute seule ?...

- Tu peux ou pas ?

- Ouai ouai... ! Il faut une clé mais on a sans doute ça. Mais à quoi ça sert, maintenant que t'es là ? Toi aussi tu veux te barrer ? Comme Carol ?

- C'est pas tes affaires, gamin... revenant lentement vers le jardin.

- T'es vraiment son négatif, ma parole... la suit-il. Rien d'autre ?"

Une fois revenus devant la clôture, Emma réfléchit encore une seconde.

"Du ruban adhésif...

- Pour quoi faire ? Des paquets cadeaux ?

- Celui pour les cartons...

- Ah ! un sourire amusé, tu veux bricoler ! ravi d'avoir deviné. Ou déménager ?!" réfléchissant tout haut.

Emma croise les bras en le fixant sans ajouter un mot.

"D'accord ! haussant les épaules. On s'entrainera une autre fois... ou pas. Par là, en montrant sa droite, se tenant face à Emma et dos à la sortie, c'est le village. Par là en montrant l'opposé c'est d'où tu viens, dehors, la forêt. Le danger. La mort... le ton de plus en plus théâtral.

- Merci Benjamin, conclut elle froidement.

- Oh la la, t'es vraiment... ! Je sais pas c'qu'il te trouve, hein...

- Moi aussi j'préfère un autre môme, va... dit-elle plus bas, tournant les talons alors que le cheval et son cavalier s'éloignent calmement vers la ville.

.

.

Le soleil est haut dans un ciel limpide. Des touffes d'herbes jaunies bougent paresseusement sous l'air chaud au milieu de la cour s'ouvrant devant elle.

Carol n'est pas revenue de la matinée.

Emma est assise sur le seuil du perron, des mèches se lèvent avec la brise du début d'après-midi qui commence à monter en température, le bâton sur ses genoux. Elle l'a manipulé ces dernières heures, n'ayant pas grand chose à faire d'autre. Incapable d'arrêter d'attendre.

Les bruits de la nature autour d'elle cessent au vrombissement du gros pick-up qui approche rapidement et vient s'arrêter devant l'entrée du cimetière.

Sans se lever, elle reconnaît Ezekiel qui en descend, seul, basculant un sac à son épaule avant d'emplir le passage du petit portail ouvert.

Elle voit déjà son sourire blanc, lumineux, si bienveillant. Il fait un pas quand il est subitement bousculé, poussé en avant, contraint de laisser passer un monstre trapu, une tête énorme qui surgit, galope, est là, en une seconde à peine.

"N'aies pas peur ! Ne cours pas !" conseille l'homme en riant à moitié.

Emma ne peut que se reculer, poussant sur ses talons, toujours assise, paralysée par la terreur, se voyant déjà dévorée par un tigre.

"Doucement Shiva !" ordonne calmement le maître.

La bête s'approche plus lentement, le museau, la mâchoire, à hauteur de la tête de la jeune femme, tétanisée, haletante mais immobile.

Shiva flaire.

Shiva explore.

Shiva inspecte.

Shiva fait connaissance.

Puis l'animal monte sur le perron, fait demi-tour dans le dos d'Emma et vient se laisser tomber, dans un bruit sourd et lourd, tout contre sa cuisse gauche.

La femme, livide, lève les yeux sur l'homme qui s'est approché tranquillement, planté face à elle, tout sourire, la dominant.

"Bonjour Emma", lui tendant la main.

Elle la saisit et il la tire doucement pour qu'elle se mette debout. Pour éloigner son visage de la tête du fauve, surtout.

"Elle a fait le même accueil à Carol... Vous devez avoir le même bon fluide rassurant, décrète il amusé en admirant la grosse bête docile allongée sur le sol..

- Sans doute... meilleur que pour les voitures visiblement... néanmoins plus dubitative, regardant encore la tête énorme à ses pieds qui souffle bruyamment.

- Elle sait qu'on parle d'elle... dit il plus bas en se penchant sur Emma, les yeux pétillants.

Emma avait préparé une salade composée et mis la table. Elle était restée sur le perron en espérant encore voir Carol rentrer. Mais c'est Ezekiel qui était venu.

Alors après une timide invitation, l'homme aux dreads grisonnantes a cédé sans grande difficulté, et ils déjeunent paisiblement dans la maison silencieuse, gardée par le meilleur des surveillants.

"Les munitions, le 357... même avec ton gabarit, j'ai compris ta demande... continue Ezekiel entre deux bouchées.

- Merci Mon Roi... Votre Majesté, j'veux dire... plongeant le nez encore dans son assiette.

- Mon Roi... Ca sonne mieux dans ta bouche que dans celle de Carol... sourit il. Mais tu peux m'appeler Eze quand on est seuls si tu veux, lui adressant un clin d'oeil. Ce que je n'ai pas compris c'est le ruban adhésif...

- J'ai dit ça comme ça. .. haussant les épaules.

L'homme se porte en arrière, contre le dossier de sa chaise qui grince de protestation, tout sourire subitement envolé.

"Tu ne me feras jamais croire ça, croisant les bras sur sa poitrine, le rendant soudain bien plus imposant.

Emma joue avec les légumes de son assiette, n'osant relever les yeux.

"D'où viens tu ?

- ... , faisant une moue en secouant doucement la tête.

- Tu ne venais pas de très loin avec ton pauvre vélo mal réglé... commence-t-il, comme s'il réfléchissait à voix haute.

- ...

- Et tu ne peux pas être toute seule, aussi maigre es tu... constate-t-il encore.

- ...

- Tu es propre, Emma. Tu es quand même en bonne santé, globalement. Tu ne vis pas dehors. Je me trompe ?" demande-t-il doucement, se penchant très près d'elle.

Elle le regarde enfin à quelques centimètres d'elle, ses dreads posées sur la table.

"Connais tu les Sauveurs, Emmanuelle ?"

Elle hoche la tête, lentement, une crainte évidente sur le visage, alors qu'il se laisse noyer par ses yeux oranges.