Chapitre premier

Sa mère ne lâchait plus Ary. Depuis sa «libération», quatre mois auparavant, elle ne voulait plus la laisser seule. Elle tenait toujours Ary dans ses bras, elle exigeait que la fillette dorme avec elle... La pauvre petite s'en sentait étouffée. Elle ne pouvait pas profiter de Drew comme elle le voulait. Les seuls moments qu'elle passait avec lui étaient lorsqu'elle arrivait à s'enfuir dans sa chambre et qu'ils se retrouvaient en tailleur sur le lit à parler de tout. Mais cela n'était plus arrivé depuis quelques semaines et cela mettait Ary dans une colère noire. Elle ne supportait pas le fait de ne pas pouvoir faire ce qu'il lui plaisait à sa guise. Mais elle ne disait rien... Jusqu'à ce jeudi de la onzième lune pleine de l'année.

Elle pouvait l'affirmer car durant les nuits où elle était enfermée et qu'elle n'arrivait pas à dormir à cause des bruits, elle observait les étoiles et la lune. Et grâce au papier accroché à son mur, elle savait que c'était la onzième fois que ce phénomène se déroulait depuis le début de l'année où ce manteau blanc tenait au sol, «Janvier». C'est ce qu'elle en avait déduit à ce que les Voix lui soufflaient et lui apprenaient.
À force de voir et revoir ce papier et à l'aide de ces Voix, la petite fille avait déchiffré les signes étranges qui recouvrait le «calendrier 1899». Elle avait aussi appris le mot chiffre et ce qu'il signifiait. Elle savait même les enchaîner les uns derrière les autres : «1; 2; 3; 4...». Des traces marrons imbibaient le papier du calendrier mais elle ne savait pas de quoi il s'agissait.

Ainsi, en cette onzième nuit de pleine lune, «Novembre» si elle se rappelait bien, sa mère la collait une fois encore. La petite fille en voulant s'échapper de ses étreintes étouffantes, se tortilla.

– Il y a un souci, mon ange ?

– Je voudrais aller dans ma chambre...

– Comme tu le souhaites, amour.

La mère lâcha douloureusement sa fille qui s'élança vers la sortie de la chambre en courant sur ses petites jambes.

– Je t'aime, Ary... murmura-t-elle en sachant pertinemment que l'enfant ne l'entendrait jamais.

Ary arriva à la porte de sa chambre pour la première fois depuis de nombreuses semaines. Quelle liberté que de pouvoir se trouver autre part que dans la chambre de ses parents ! La petite fille ouvrit la porte. Un chaise se renversa, comme si quelqu'un s'était mis à courir pour échapper à l'enfant. Ary poussa un cri d'effroi et retrouva sa position de protection, recroquevillée contre le mur, les mains sur la tête.

– Hey... Ne t'en fais pas, ça va aller ! chuchota une voix au-dessus d'elle.

– Va-t'en ! hurla-t-elle.

La personne s'accroupit auprès d'elle et l'effleura. La fillette se figea et cessa de respirer.

– Je serai toujours là pour toi.

Ary crut reconnaître la voix et leva la tête. Les cheveux longs et bruns du garçonnet venaient recouvrir ses yeux qu'elle savait d'un bleu magnifique.

– Drew ! Tu m'as fait si peur !

Le garçon sourit doucement.

– Il ne faut pas avoir peur, Ary. Jamais. La peur paralyse et empêche d'agir. Je suis là pour toi et seulement pour toi. Je te suis attribué...

– Je suis contente que tu sois là pour moi... J'avais peur...

La petite fille tendit la main à Drew mais celui-ci était à présent dos à elle et elle dut se relever seule.

– Suis-moi, souffla Drew. On s'en va d'ici.

Il s'avança dans le couloir sombre, dans la direction opposée à la chambre en toute confiance.

– Drew !

Il se tourna et fixa Ary, surpris.

– Attends deux minutes !

La fillette se rua dans sa chambre et en ressortit quelques secondes plus tard, un ours en peluche désarticulé dans la main.

– Je ne pouvais pas laisser Doudou ici...

Le garçon soupira, las et s'élança dans le couloir. Ary fronça les sourcils et le questionna :

– Tu n'as pas de doudou, toi ?

– Non. Je suis trop vieux pour avoir un doudou.

La fille fut surprise de sa réponse. De plus en plus de question l'assaillait mais elle ne dut en choisir qu'une.

– Tu as quel âge, Drew ?

Le garçonnet s'arrêta et sembla hésiter. Après une hésitation de quelques secondes il répondit :

– Je... Je ne sais pas vraiment quel âge j'ai. Je n'ai jamais eu d'anniversaire et de cadeau comme les autres à l'école... Mais j'ai vu quatre fois la neige dans ma vie... Alors j'imagine que j'ai un âge de quatre hivers. Et toi ?

– La neige ?

Drew rit et se remit en marche après s'être tourné vers Ary.

– Oui, la neige. Tu as déjà vu cette chose blanche qui tombe du ciel et qui reste au sol quand il fait froid ?

– Oui ! Je l'ai vu une fois je crois !

– Alors tu as un âge de un hiver. Après c'est une histoire de souvenirs. Si j'ai bien suivi ce qu'on m'a dit, tu dois avoir plutôt quatre hivers derrière toi, c'est juste que tu ne t'en rappelles pas... Moi je dois avoir sept hivers. On ne se rappelle pas des trois premiers en général.

– On va où, Drew ? s'inquiéta la petite fille.

Le garçonnet ne répondit pas et continua d'avancer. Pendant ce court silence, Ary comprit quelque chose.

– Drew ! (Il s'arrêta et se tourna pour la regarder.) On est où ? C'est pas la maison ici !

– Je t'emmène là où tu dois aller, répondit-il sèchement.

Ce changement brutal de comportement fit la fillette se stopper net et elle se mit à pleurer, son doudou sous son nez déjà dégoulinant.

– Je veux Maman ! cria-t-elle.

Drew se rua vers elle et papillonna des mains autour d'elle sans la toucher.

– Chut ! Tu vas les attirer !

– Qui ça ? s'enquit la fillette en relevant son visage mouillé de larmes.

– Les Ombres...

Ary pleura plus fort encore.

– Elles venaient le soir et me faisaient mal ! Je veux Maman !

– Tu as déjà vu les...

Les faibles illuminations du couloir s'éteignirent subitement. Les pleurs de l'enfant devinrent des hurlements de terreur.

– Drew ! Où es-tu ?! cria-t-elle du plus fort qu'elle pouvait.

Une voix inconnue, grave et sombre s'éleva.

– Avec nous.

Les ampoules de rallumèrent quelques secondes plus tard à peine mais restaient vacillantes. Le garçon avait ses bras cloués au mur du couloir et ne pouvait bouger, retenu par une force inconnue. Il était torse nu et de nombreuses coupures dégouttantes de sang lacéraient sa poitrine. Il se débattait et hurlait semblait-il, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Un homme tout de noir vêtu émergea des ténèbres, éclairé par un très léger filet de lumière venant de l'extérieur. La petite fille se rua vers son ami mais une chose la tira vers l'arrière et la fit tomber.

– Non, non, non. Toi tu ne bouges pas, dit l'homme.

Ary se sentit partir en arrière. Elle prit de la vitesse. Trop de vitesse... Son dos s'écrasa sur le mur face à celui de Drew, une douleur lancinante la parcourant des pieds à la tête. La fillette hurla de douleur et pleura à nouveau.

– Laissez-la tranquille ! s'écria son ami visiblement libéré temporairement de son bâillon invisible.

L'homme se glissa à côté de Drew. Il posa son index sur le torse de sa victime. Ary crut voir un ongle crochu au bout de son doigt et elle ne se trompait pas : il enfonça sa griffe entre les clavicules du garçonnet et descendit jusqu'en bas de son sternum. Drew hurla à la mort et se mit à pleurer.

– Tu as mal, mon minou ? s'enquit l'homme en souriant cruellement.

Le garçon tenta en vain de retenir ses larmes et ne répondit qu'un regard meurtrier.

– Donne-moi au moins une réponse, poussin ! surenchérit le bourreau.

– Drew ! tenta la fillette.

Une sensation glacée vint lui obstruer la bouche, comme une main gelée. Elle tenta de crier encore mais en vain. La poigne froide l'en empêchait. Drew la regarda, peiné.

– Je sais ce que vous voulez. Jamais vous ne vous l'approprierez ! cria le pauvre garçon.

La fissure dans le tunnel qui illuminait l'homme sembla se fendiller. Des morceaux de plafond tombèrent au sol. Des cris stridents écorchaient les oreilles des enfants. Au fur et à mesure que la lumière se frayait un chemin, les Ombres disparaissaient en hurlant. Ary sentit son assaillant s'évanouir et bientôt, plus rien ne l'empêchait de crier. Comme plus rien ne la retenait non plus, elle tomba à genoux et se protégea la tête de ses poignets minces. L'homme en noir fut le dernier à se dissiper après avoir lancé un regard furieux mais brûlant d'envie à la petite fille.

– Ary !

Drew se précipita sur elle, les traits concentrés. Il vint la surplomber en se mettant à quatre pattes au-dessus d'elle. Offrant son dos nu aux projectiles, il en protégea Ary. Une fois l'éboulement terminé, il s'effondra aux côtés de la fillette le visage trempé de sueur. Ary s'approcha de son ami et tenta d'effleurer les blessures de son torse. Drew se rua en arrière en poussant sur ses pieds.

– Ne me touche pas ! s'écria-t-il.

Il semblait sur le point de s'évanouir mais tint bon malgré tout.

– Je vais bien.

Pour prouver ce qu'il affirmait, il se releva. Ary était à genoux, à terre, et prenait conscience de se qui venait de se produire. Ses yeux s'emplirent à nouveau de larmes mais elle resta silencieuse cette fois-ci.

– Qui étaient-ils ? demanda-t-elle, la voix faible et hésitante.

– Les Ombres.

– Je le sais bien ça, Drew ! Mais qu'est-ce qu'elles voulaient ? s'énerva-t-elle.

Le garçonnet baissa la tête.

– Je ne sais pas. Mais suis moi, je sais où aller. Ils te formeront pour échapper aux Ombres.

– J'ai peur Drew...

L'enfant se rapprocha de son amie puis s'accroupit auprès d'elle.

– Tu serais bien bête de ne pas avoir peur. Mais il ne faut pas, ça te rendra fragile et faible. Et ça tu ne dois surtout pas le devenir.

Ary se frotta les yeux, ce qui les rendit plus rouges qu'ils ne l'étaient déjà.

– Tu as peur toi ?

– Je ne connais plus la peur, affirma son compagnon.

– Moi si...

Ary souhaitais une étreinte du plus profond de son coeur mais le garçon ne semblait pas du même avis.
Il lui fit signe de la suivre hors du tunnel en sortant par le trou laissé par l'éboulement du plafond. Ils débouchèrent dans une forêt. Les arbres formaient un arc protecteur au-dessus de leur tête. Seul le vent qui soufflait entre les feuilles et les respirations saccadée des enfants venaient briser le silence.
Drew se tourna vers la fillette un sourire gigantesque sur ses joues.

– Je sais où nous nous trouvons ! s'écria-t-il. Nous ne sommes qu'à une après-midi de la maison !

– Quelle maison ? demanda Ary qui n'était pas entièrement convaincue par le bonheur de son ami.

Drew ferma sa bouche et plaqua sa main devant.

– Je ne peux rien te dire de plus, chuchota-t-il une fois ses doigts retirés de ses lèvres. J'ai déjà trop parlé....

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