22 - Ma famille.
Tout bourdonne dans la tête du petit maître qui se réveille lentement. Les premiers battements de ses paupières sont lourds, et l'odeur de l'humidité alliée à la pierre fraîche et mousseuse ancre une atmosphère maladive. Tout résonne, son ouïe est décuplé, comme ralenti et amplifié pour ne laisser aucun son s'échapper.
Il se sent suspendu, hors du sol. Le jeunot tente de bouger ses bras quand explose un tintement de chaînes dans ses oreilles : il est attaché. Il veut crier, hurler de douleur mais il ne forme aucun son, car l'ouverture même de sa bouche est infernale.
Ses yeux se gorgent de leur source fluviale avant de sécréter leur courant. Il décide de lécher ses lèvres qui en sont aspergées. Soudain, son état se stabilise. Sa fatigue semble prendre le dessus, comme s'il venait de s'écraser très fort contre un mur, ses muscles en pâtissent.
Ses alentours s'éclaircissent. En face : une porte à barreaux, fermée. Le pan de mur à sa droite se démarque par les nombreuses créatures enchaînées : un poney à queue de poisson, un oiseau doté d'écailles suivi d'un genre de cochon à corps d'hérisson ailée. Ce dernier s'exprime sans voix, ça résonne dans la tête. Le ton monte de plus en plus jusqu'à ce que les mots deviennent audibles :
- À l'aide...
La porte s'ouvre brusquement : l'étrangère est là. Elle apparaît étrangement triste, ça se lit sur son visage refermé sur lui-même. Elle ne dit mot et vient joncher, à gauche, une petite table en bois blanc où de nombreux instruments sont réunis. Elle glisse ses mains dessus, hésitante. Ce sont des objets assez étranges, il ne reconnaît que le marteau.
Il y a un bol contrasté de noir et de violet sombre, mais aussi une tresse de cheveux enveloppée de volutes d'ombres. Sa fumée noirâtre disparaît très vite, mais l'objet ne cesse de scintiller de son brillant ténébreux. Elle y rajoute un objet : une plume, sa plume à lui.
Elle devient luminescente au contact de du bois blanc sur lequel elle est désormais posée. L'hôte de la maison dévoile de nouveau sa voix mélodieuse :
- C'est tout un processus, tu sais. L'arbre fantôme ne se trouve pas partout non plus. C'est difficile d'en trouver, et encore plus de le faire agir pour toi.
Il est difficile pour lui d'articuler, encore plus de faire pousser sa voix, mais il lui répond en colère :
- Qu'est ce que c'est censé vouloir dire. Libère moi ! Je ne t'ai rien fait !
- Non, c'est vrai. Si ce n'est que je n'ai plus de temps à perdre. La vie est faite de choix difficiles, et j'en ai fait un. Je le referai mille fois s'il le fallait ! Mais rassure-toi, je ne vais pas te faire de mal, du moins pas trop. Tu vas vite comprendre...
Elle place ses mains en éventails, en parallèle et à l'horizontale. Sa peau luit d'une énergie arc-en-ciel, tout le cercle chromatique se met à déferler de couleurs. Une explosion d'énergie blanche fait trembler la pierre. Ce flux est visible telle une flamme opaque, tout autour de sa silhouette.
Son corps se transforme, fume, sa peau retire toutes les impuretés, et dévoile son véritable visage : c'est Ayna.
La plume qui brillait d'un filet orangé, semble se faire aspirer : elle lévite, puis se compose, se matérialise d'une forme animale. Un autre faisceau lumineux vise son cœur, puis sa tête, reliant l'objet et la damoiselle.
Une douleur immense surgit de ces deux endroits. Arwan se débat avec acharnement. Son corps réagit en brûlant les chaînes qui commencent à fondre. Il hurle de toutes ses forces, s'écrase au sol et n'arrive plus à se lever.
Les douleurs s'amenuisent, mais il reste des séquelles. Il y a une nouvelle sensation de déjà vu. Le petit maître voit la même scène : un coin sombre qui dévoile une ombre ailée et des petites craquelures où s'écoulent des coulis de flammes. Survient un nouveau cri animal, saccadé, comme s'il faisait face à un ptérodactyle.
Devant lui se trouve un mythe. Une légendaire incarnation élémentaire qui s'impose dans l'obscurité. Une chaleur étouffante embrase l'air devenu chaud. Le petit manque d'air et son corps entier ne semble plus lui répondre. L'oiseau s'impose, se tourne vers lui : il est en colère. Il s'approche et révèle sa silhouette. Il est deux fois plus grand qu'un faucon royal, et son allure est identique à celle de Noor.
Un fantôme ? Pense-t-il.
C'est un phénix qui rayonne de la même fumée blanche que la gardienne. Il surgit d'un coup vers Arwan qui se baisse par réflexe. Sa patte réussit à trancher un bout de ses cheveux. Le petit tombe vers l'arrière, se rattrape avec les bras et observe les sauts enragés de la bête qui est enchaîné au niveau du cou.
Derrière lui, Ayna s'explique calmement :
- Je vais enfin pouvoir sauver ma famille, je devrai te remercier finalement.
- Qu'est ce que tu as fait ? Peine-t-il à dire, ne pouvant que ramper au sol.
- Je t'ai volé l'essence de ta plume et je vais l'utiliser pour sauver l'orphelinat. Et ma famille sera en sécurité si je te livre, sans rancune hein.
La jeune à l'armure de cristal défait les chaînes de l'oiseau, et le phénix rétrécit avant de se poser sur son épaule. Elle repart sans croiser son regard, puis s'apprête à refermer la cellule.
- Attend. dit-il en ayant trouvé une force monstrueuse pour se relever, les bras ballants. Tu prétends vouloir sauver ta famille, mais tu en sacrifies une autre. C'est mon tonton qui m'a donné cette plume, s'il te plaît, ne fait pas ça. C'est tout ce qui me reste de lui, c'est ma famille.
- Qu'est-ce que tu aurais fait, si la seule solution qui s'offrait à toi pour sauver ta famille, c'était d'agir au détriment des autres ?
- Ça ne peut pas être la seule solution. Je t'aurai donné toute l'aide qu'il aurait fallu, tu aurais pu me parler Ayna !
Ayna se revoit lorsque ça a débuté. Le changement de gouverneurs, suivi de la maladie, et enfin la quarantaine. Elle répondit sèchement :
- Voilà. Encore des mots et des promesses. Tu n'es pas le premier à m'en faire. Eux aussi, avait promis qu'ils allaient tout faire pour les soigner. Au lieu de ça ils les laissent à l'agonie, malade dans un orphelinat que maman et moi payons. Ils les laissent à leur sort et lorsqu'ils ne seront plus de ce monde, ils brûleront sûrement le bâtiment comme si de rien était. Tu sais pourquoi ? Parce que des gens comme toi ont besoin de s'attarder à devenir des grimpeurs. À suivre ces stupides lois de Noor pendant que d'autres s'attardent à survivre. Vous êtes tous pareils, des égoïstes, des égocentriques, et vous savez quoi ? Je vais faire pareil.
- Non ! Je-
Elle claque la porte, l'enferme à double tour, et se retrouve nez à nez avec les différentes créatures. La seule qui est douée de parole communiqué de nouveau avec lui. Mais cette fois, il sent bien qu'elle lui parle dans sa tête.
- S'il-vous-plaît, sortez-nous de là...
- Mais qu'est ce que... Euh, je veux bien mais je n'ai plus mes...
Il se rappelle étrangement de ce qu'il s'est passé pendant l'extraction de l'esprit du phénix : son pouvoir s'est activé, et il a carrément fait fondre les chaînes. À peine s'est-il concentré sur ce souvenir qu'il aggripe fermement les chaînes du cochon ailée. Ses yeux s'illuminent d'un flamboiement crépusculaire : le métal fond sous ses mains.
Un petit sourire fier et narquois se positionne sur son visage. Le cochon-hérisson ailé titube et le remercie :
- Oh merci, merci infiniment.
- Il n'y a pas de quoi, on est tous dans la même prison. Par contre, je me demande bien ce qu'elle vous voulait à vous tous.
Une autre voix surgit dans sa tête. Plus grave et élégante, elle vient du poney à queue de poisson.
- Nous sommes des mystiques, c'est pour ça. Tout comme le phénix, mais les esprits retournent, un temps du moins, à l'état sauvage, docile envers ceux qui l'ont invoqués. Ça aurait dû être toi, jeune homme. Mais elle t'a volée ce titre. Elle lui appartient désormais.
- D'accord. Et je peux savoir ce que c'est que des mystiques ? Il y a tellement de nouveaux concepts que je vais finir par avoir une migraine éternelle.
- Ha. Faire de l'humour dans cette situation est signe d'une grande force mentale, si j'en avais eu la force j'aurai bien ri. Les mystiques, sont des espèces animales et pourtant dotée de sensibilité, d'une personnalité qui leur est propre. Nous sommes tout aussi issue d'une créatrice, comme vous, humain.
- Et donc ? Quel intérêt pour elle de vous capturer ?
- Elle tente de créer un remède. Si nous sommes aussi rares que vous le pensez, c'est parce que nous devons nous cacher. Personne ne peut nous comprendre, personne, excepté vous apparemment.
- Moi ?! Mais qu'est ce que j'ai de si spécial ?
- Votre âme... elle possède une force qui dépasse l'entendement.
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Prochain chapitre : Case prison.
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