20 - Pour le progrès

- Tonton ?!

- Assurément. Il vient souvent à la maison, voudrais-tu passer ? En l'attendant, je pourrais t'apprendre deux trois choses...

- C'est.. c'est très gentil, mais on m'attends, mais si vous me dites où vous habitez, je pourrai passer...

Le regard ténébreux de Narcisse s'intensifie, il plisse les yeux et marque un silence, puis finir par soupirer.

- Très bien.

Il lui a indiqué où il était, à sa plus grande surprise. Il vit dans un grand manoir qui surplombe le quartier des forges-coeurs, il ne pourrait donc pas le louper. Il devrait sonner à l'interphone, et demander monsieur Maylis Ambrose. Mais il est parti juste après ces informations. Retour à la case départ.

Arwan se retrouve à nouveau seul, abandonné, pris au piège au cœur d'une civilisation strictement différente de ce qu'il a l'habitude d'observer. À part la colonie de fourmis qu'il a pu voir dans le jardin, tout ça c'est nouveau pour lui. Il ne faudrait pas oublier qu'une grande partie de sa vie s'est tournée vers les dangers de l'océan, et qu'une autre s'est soldée par une zone forestière restreinte.

Être perdu dans un monde, lorsque celui-ci paraît si grand, est effroyable pour tout enfant. À taille d'homme, le monde peut paraître gigantesque. Quand est-il lorsque l'on est pas plus haut que trois pommes ? Quand l'écart entre les corps d'enfants et d'adultes sont si énormes ?

Cette fois, sa curiosité prend le dessus. Son âme insouciante se délivre de ses chaînes d'angoisses, pour se retrouver dans le flux de l'architecture ambiante. Il s'est retrouvé dans un des quartiers d'Oblivion, dans une grande hallée dallée, entourée de tours plus surprenantes les unes que les autres.

Il passe en dessous d'un gigantesque horloger-appartement. Il est doré, en spirale, entouré de multiples balcons-escaliers. Il attire tellement l'oeil par son mouvement, par les différentes machines qui s'exposent et les rires aux éclats des personnes y vivant, que son éminence choisi de s'y aventurer.

En attendant de retrouver son chemin, le jeunot commence à monter sur ces escalators qui font le tour de l'immeuble. Il ne croise que des humains dotés de gadgets.

L'un dévale à toute vitesse par des propulseurs à vapeur accrochés aux chevilles, tandis que d'autres montent et descendent de leurs fenêtres par le jet d'une machine à rebonds modulables. Il y a de tout, pour tout âge : Arwan est émerveillé.

À la différence des forges-coeurs, le progrès ici se matérialise avec un ensemble d'engrenages étranges, plus d'assemblages que de constructions tactiles et autres nouvelles technologies. Trop envoûté, il en oublie son objectif : retrouver ses compagnons. Jusqu'à ce qu'il se fasse bousculer par un homme.

Il le relève aussitôt et lui demande si tout va bien. Occupé à se frotter la tête, ses yeux contemplent par la suite une silhouette étonnante. Un jeune homme dans la vingtaine d'un regard rougeoyant, à la chevelure d'un bel aube. Il dispose d'une longue veste qu'il ajuste légèrement, dépoussière brièvement, avant de porter sa voix enjouée.

— Navré !  Vous semblez perdu, puis-je vous être utile ?

Un tel entrain pour une telle perspicacité, le petit maître a l'impression qu'il lit dans les pensées. Il s'empresse alors de lui répondre :

— Oh, ce n'est pas gr- Oui bien sûr ! Je cherche mes compagnons, sauriez vous où trouver... Il y a-t-il un endroit où il y a des bateaux ?

— Oh ? dit-il d'un intérêt curieux qu'il expose par sa voix grave.  Et bien, je ne saurai pas bien vous expliquer mais..  Je peux vous emmener au port, j'aurai quelque chose à prendre sur le trajet c'est à votre convenance ?

— Oh... Je suis un peu pressé, faites ça vite s'il vous plaît.

Il hésite. Impossible de ne pas douter après tant de déconvenues. Cependant, il est plus confiant, pensant pouvoir se défendre au cas où.

— Parfait, allons y, suivez-moi.

L'environnement semble si harmonieux, si joyeux qu'il se perd dans un mélange d'euphorie, d'excitation et de curiosité qui l'emporte ailleurs. Son esprit s'envole vers ses rêves éveillés, alors qu'ils descendent la tour pour passer dans un couloir plus sombre, plus étroit. Il se réveille pour stresser, mais le jeune homme aux cheveux orangés le rassure :

— Ça peut faire peur comme ça, mais c'est par là que j'habite, je vais simplement chercher quelque chose, je reviens très vite !

Les voilà dans une ruelle, le petit en prend conscience. Il s'arrête un moment, avant de laisser parler ses doutes sans pour autant les dévoiler à l'inconnu :

— Je préfère vous attendre là, si ça ne vous dérange pas ?

— Non pas du tout ! répondit-il sans sourciller.

L'attente est plutôt longue, si bien qu'il rebrousse chemin lentement, ne sachant pas s'il était préférable d'aller ailleurs, ou s'il devenait parano. C'est la deuxième fois qu'on essaye de l'attirer ailleurs, et il se dit que c'est peut-être parce qu'ils le pensent faible. Peut-être que c'est parce qu'être seul attire tous les truands...

Ça y est, il le voit sortir, mais il n'est pas seul. Il a vu juste : quelques personnes en noir avec un masque blanc sont venus avec lui. Arwan leur fait face en fronçant les sourcils, recule puis se heurte à un mur. On dirait une vitre teintée, brumeuse. Puis il voit la main de celui qui l'a amené ici s'illuminer de la même couleur. Une énergie grise le tire, le pousse par le mur derrière lui qui s'avance.

La menace semble plus grande qu'un monstre. Il retourne dans ses travers à se figer dès qu'il y a quelque chose d'angoissant. Il s'approche, de plus en plus, tremblant, fixant le regard de ses prédateurs qui ont ce sourire d'horreur, si grand et démoniaque.

Jusque là, son pouvoir n'avait réagi qu'en dernier recours, lorsqu'il fallait sauver, se sauver. Mais c'est sa rage qui l'avait activé. Cette fois, c'est sa peur qui l'a manifesté. La peur de voir sa vie s'écrouler. Il ferme les yeux brusquement. Soudainement il fait jour sous ses paupières. Une lueur intense, une chaleur étouffante, une énergie dantesque se propage, semble imploser, exploser d'un jet vertigineux.

Il les rouvre sous les cris des masqués, leur longue cape s'enflamme, des têtes cheveux enflammés qui courent en zigzag et fuient en courant. Et sous le bruit d'une pelle qui vient d'assommer l'inconnu responsable de ce bazar.

C'est derrière. Il se retourne et fait face à une jeune damoiselle aux tresses brunes. Elle déboule, pelle à la main, dans un croisement qui mène à une autre ruelle. Il la laisse s'échapper, mais elle revient avec un visage agacé qui s'illustre par son intonation :

— Bon ! Tu viens ? Crois pas qu'ils sont seuls, leurs copains vont rappliquer !

Encore embarqué malgré lui ? Elle est jeune, c'est ce qui fait la différence avec les autres. Les adultes, il n'avait plus confiance. C'est la seconde personne après Ayna qui n'a sûrement pas plus d'une dizaine d'années. Il ne réfléchit plus, fatigué par la débauche d'énergie et décide de la suivre.

Ils arrivent vers une espèce de plaque d'égout, et elle l'enlève difficilement de son socle. De loin, on ne voit rien. De près, c'est un lieu obscure qui est jonché par une petite échelle. Il la regarde et tape du pied puis s'écrie :

— AH NON, JE RENTRE PAS LÀ-DEDANS.

— Va-t-en alors, j'ai d'autres choses à faire.

Elle s'empresse d'y aller avant de fermer la plaque d'une main. Il entend des voix au loin qui braillent, des pas de courses qui semblent indiquer qu'ils sont à leur recherche. Ils courent en frappant le sol et l'empressement ne le conduit qu'au fond.

À contre cœur, Arwan a suivi la débrouillarde qui — apparemment, vit dans les égouts. Il tombe sur un sol visqueux et une puanteur qui le prouve. Si ce n'est qu'à quelques virages dans le noir, emporté de force par la main douce de la damoiselle, une porte en pierre est dissimulée sous un amas de lierre. Elle s'ouvre comme une banque, elle doit tourner avec panache une manivelle.

Si c'était ma porte d'entrée, je rentrerai moins chez moi...

En jaillit une lumière aveuglante, qui le fait criser légèrement :

— ARGH ! Ça sert à quoi tout ça ?!

— C'est pour le progrès, tu t'y habituera...

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Prochain chapitre : Je n'ai pas le choix...


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