Prologue

Bonjour à tous !

Voici le début d'Arthur Wills Holmes, le spin-off/suite de la saga d'urban fantasy Myrina Holmes.

Les précommandes numériques d'Arthur sont ouvertes sur toutes les plateformes si vous souhaitez l'acheter à prix réduit et les précommandes du broché dédicacé sont encore possibles jusque mi-juin sur la boutique Black ink éditions.

Sortie numérique et Audible le 3 juin, sortie broché le 1er juillet.

Belle lecture, j'espère que cette mise en bouche démoniaque vous plaira !

***********************************************************

« La paresse est le trône du péché. »

Axel Oxenstiern, Les réflexions sur la paresse


Arthur

Belle journée pour glander.

Du moins, après mon passage éclair à la CBI, la Central Bank of Infernum.

J'ai prévu de retirer 666 Fourches pour acquérir un nouvel Arcadus. J'ai cassé le mien hier dans un accès de rage après m'être bien pris les cornes avec mon père au sujet de ses affaires douteuses. Le vendeur n'accepte que les espèces. Je préfère rester au chaud dans ma tanière quand je suis en repos, mais je dois remplacer mon portail magique de toute urgence. D'autant plus que, résidant sur Terre, je me rends au quotidien dans le monde des démons. Aucune envie de me taper cinquante mètres à pied chaque jour jusqu'au café miteux de mon quartier pour emprunter l'un des passages qui relient nos deux univers parallèles.

Fainéant, moi ? Mon Orgueil réfuterait cette accusation d'un air scandalisé. Ma Colère se défoulerait en jouant des poings pour faire sauter quelques crocs. Ma Paresse hocherait la tête dans son sommeil. Ma Luxure nuancerait : « Jamais fainéant pour la bagatelle. » 

Bref, la flemme de trancher.

Je jette mon mégot de pétard sur le trottoir trop propre à mon goût, fourre les mains dans mes poches et pénètre dans le hall du gigantesque bâtiment éclaboussé de lumière sanguinolente d'un pas tranquille. Le dynamique hymne national d'Infernum, Sins and Virtues , est diffusé en continu dans les enceintes tandis que les quatorze drapeaux de nos légions flottent théâtralement au sommet des poteaux équipés de ventilateurs activés en permanence. Le summum du ridicule, à mon sens ! Certains citoyens se touchent la pointe de la corne devant cette vision, en signe d'amour de notre patrie. En ce qui me concerne, je brûle de dégainer mon majeur, mais ce geste m'a déjà valu une balle en argent dans l'estomac au Palais des Magistraux, que j'ai assez mal digérée. Le tireur – Sammaël, mon oncle et parrain, accessoirement – n'avait pas apprécié ma petite provocation. Il a une manière bien à lui de me rappeler à l'ordre.

Le gratte-ciel en forme de lingot géant de la banque est revêtu de baies vitrées teintées aux encadrements sculptés de faciès démoniaques kitschissimes rehaussés d'or. Au centre du hall, une fontaine en cristal figure son auguste directeur, le Magistral des Vénades, sous un lustre rutilant digne d'un palais. Cette statue est vraiment à chier ! La preuve, sous cet angle, on dirait que l'empereur des grippe-sous se torche avec un de ses tentacules.

Le nombre restreint de soldats Enragelés qui gardent les lieux est étonnant. J'ai entendu parler de licenciements massifs au sein de la légion des démons de la Colère à cause des dernières coupes budgétaires du gouvernement, mais je ne pensais pas que ces bouffons de politicards iraient jusqu'à dégarnir les effectifs militaires affectés aux institutions publiques. Sam a dû être vert de rage de faire cette concession sous la pression des autres Magistraux. Mon parrain déteste que l'économie prime sur la sécurité d'Infernum.

Avant de passer par le portique détecteur de métaux, je me sépare de mes clés, de mon smartphone et de mes armes afin de les balancer avec négligence dans le bac prévu à cet effet. La jeune agente à la chevelure flamboyante attachée en chignon examine mes revolvers automatiques, mon couteau à cran d'arrêt et mes sept étoiles de jet d'un œil dérouté avant de relever la tête vers moi. J'esquisse un sourire en coin, puis soulève entre mon index et mon majeur le bord de mon béret noir décoré d'un liseré rouge, exposant mes prunelles couleur améthyste que je plante au fond des siennes. Sa respiration se bloque dans ses poumons. Elle se perd dans la contemplation des deux joyaux singuliers hérités de ma mère, oubliant mon autre arsenal. Je dégaine avec une indolence enjôleuse :

— J'ai pour principe de sortir toujours protégé.

La jolie démone en armure incarnate frappée du lion d'or de sa légion me renvoie mon sourire en détaillant minutieusement mes traits, intimidée par mon apparence. Ses joues rosissent à vue d'œil. Je suis accoutumé à ce genre de réaction de la gent féminine. Son esprit est limpide grâce à mes ondes télépathiques : elle réfléchit au meilleur moyen d'alimenter la conversation avec moi tout en me déshabillant d'un regard concupiscent. 

Quand je suis nu, je ne suis pas tout à fait comme elle l'imagine. Je suis encore mieux, mais elle n'aura jamais le plaisir de le vérifier.

— Ce sont des étoiles de ninja ? me demande-t-elle en désignant un disque en argent gravé des initiales « AWH » au centre et hérissé de quatorze pointes acérées.

— Exactement. Elles sont personnalisées. Chaque pique symbolise un péché capital et une vertu cardinale. Aussi tranchantes que celles d'une scie à métaux, elles coupent les écailles, les os et tous les appendices qui dépassent comme du beurre.

— Fascinant, souffle-t-elle d'une voix altérée, sans quitter mon visage des yeux.

Mon odorat exacerbé de Stuprène détecte la fragrance de son excitation sexuelle, en croissance exponentielle. J'en fais abstraction. Même si je pourrais obtenir son numéro en un claquement de griffes, je ne suis pas d'humeur à flirter. Je n'aspire qu'à rentrer manger, dormir et mater une série après cette corvée. Je suis ici pour retirer du liquide, pas pour en répandre ailleurs.

Son collègue, un monolithe Enragelé aux allures de Viking constipé, rapplique auprès d'elle derrière le comptoir en verre qui reflète ma belle gueule. Il transpire la méfiance et l'hostilité par tous les pores. Je suis également accoutumé à ce genre de réaction de la gent masculine. Celui-là est le mec de la démone qui fantasme sur moi. Il croit que je lui conte fleurette, ce qui a réveillé son instinct territorial et son péché. Je l'aurais deviné sans sonder son esprit, où deux neurones grabataires se livrent un duel amorphe. Je suis formel : la taille de ses muscles est inversement proportionnelle à celle de son cerveau. Il est donc désavantagé par rapport à moi, puisque je possède les deux, ainsi qu'un millier d'autres atouts dont il est dénué. Or, comme j'ai le péché d'Orgueil humble, je ne soulignerai pas ce détail devant lui.

— Vous avez un permis de port d'arme en règle sur vous, bien sûr ? lâche-t-il avec une suffisance agressive.

— Non. Je l'ai égaré dans ton colon quand j'ai procédé à ta fouille rectale pour te contrôler l'autre jour, répliqué-je sur le même ton que lui.

Les yeux des deux Pécheurs s'écarquillent. Ceux de la fille, parce qu'elle est stupéfiée par mon impudence à l'égard d'un représentant de l'autorité gouvernementale. Ceux de son molosse, parce qu'il est furieux d'avoir été rembarré par un client. Avec un grognement sourd, l'imbécile empoigne la crosse de sa mitraillette. Wow, nerveux, le garçon ! On se croirait à la finale d'un match des Death Horns* .

D'un geste vif, j'écarte un pan de blouson en cuir pour dévoiler mon badge d'inspecteur Traqueur sur mon pectoral, puis le décroche de mon tee-shirt pour le placer au-dessus de mes armes. Même en civil, j'emporte souvent ma plaque avec l'emblème de notre police spéciale, deux sabres entrecroisés devant le bouclier frappé d'une balance, pour bénéficier d'un passe-droit. L'Enragelé lâche son joujou à contrecœur. Ses billes rougeoyantes brillent d'une rancœur féroce. Il est conscient qu'il aurait beaucoup plus à y perdre que moi s'il décidait de se bagarrer avec un officier de l'ordre universel d'Infernum. Qui s'y frotte s'y pique avec les pattes armées de la vertu de Justice !

— Tu peux regagner ta niche et continuer à bouffer ta pâtée de déjections, Brutus, ajouté-je en me détournant pour lui montrer le désintérêt que sa face de cul m'inspire.

— Connard pète-sec de Traqueur, marmonne le soldat tandis que je me faufile vers le portique de sécurité en rajustant mon couvre-chef ultra stylé.

Comme je ne peux laisser passer cette offense, je lance sans me retourner :

— Outrage à agent, OK. J'ai mémorisé ton visage et ton nom. Attends-toi à recevoir un courrier de suspension du Palais des Magistraux dans les prochains jours. Manque de veine pour toi, garçon : j'ai la patte aussi longue que les crocs.

— Tu bluffes, raclure de bidet !

— Si tu me connaissais, tu saurais que je mets toujours mes menaces à exécution.

Ignorant ses insultes fleuries en langue démoniaque – cet attardé aggrave son cas, c'est amusant – je récupère mes affaires, m'engouffre dans le hall de la banque et contourne l'hideuse fontaine en cristal qui étincelle sous les rayons solaires d'Infernum. J'imagine la tête que ce soldat tirera lorsqu'il lira la lettre incisive de son responsable le plus haut gradé, Sammaël Daniels, Magistral de sa légion en personne, lui apprenant sa suspension pour avoir manqué de respect à son neveu Arthur Wills Holmes, le meilleur élément du CIT. Entre nous, je n'ai pas besoin de ma famille pour remettre les abrutis à leur place et j'abuse rarement des privilèges attachés à mon sang. Néanmoins, dans cette situation spécifique, je m'en réjouis d'avance.

En découvrant la file d'attente qui s'étire devant le seul guichet ouvert, je me renfrogne. Quelle perte de temps. Pour les montants supérieurs à 500 Fourches, on ne peut plus utiliser le distributeur. Il s'agit d'un décret récent justifié par l'encadrement des démons dépensiers.

Tandis que je prends mon mal en patience derrière un couple qui a emporté un coffre en bois et des objets précieux dans un caddie, j'écoute le message vocal laissé par ma patronne. Je lève les yeux au plafond en constatant que c'est la mère qui s'exprime et non la cheffe. Elle me remonte les bretelles avec le ton sec, sévère et endurci qu'elle emploie face aux Traqueurs qui commettent des bavures en mission. En général, ils se font dessus. Moi, je suis blasé, je la connais par cœur. Je parierais ma moto que ses iris étaient vairons lorsqu'elle a enregistré ce message. J'écarte le téléphone de mon oreille d'une dizaine de centimètres, car elle crie par intermittence. À tous les coups, la bête a ses chaleurs. Par le Trident de Satan, j'ai l'impression que c'est pire d'année en année !

— Arthur, nom d'une corne rabotée ! Je t'ai dit un million de fois de ne pas te mêler des magouilles terriennes de ton père ! Dois-je te rappeler qui le supporte au quotidien ? Moi ! Si je suis capable de fermer les yeux sur ses activités, toi aussi. Alors, fais un effort pour ma santé mentale ! Je veille à ce qu'il ne franchisse pas les limites depuis trois décennies, donc je n'ai pas besoin que tu mettes ton grain de sel Équitale avec tes gros sabots d'Enragelé aux tendances Arrogèses ! Il est sur les nerfs depuis votre dispute hier. Il a cramé un tableau de Léonard de Vinci et a envoyé un technicien de grande surface du Sin Palace à l'hôpital d'un coup de queue. Rappelle-le aujourd'hui pour le calmer, c'est un ordre ! Sinon, compte sur moi pour vous trucider l'un après l'autre. Je vous étranglerai avec vos entrailles respectives, ça vous apprendra à me casser les écailles durant mon cycle ovulatoire. Comme tu l'as deviné grâce à ton sens de la logique Holmesque, je suis énervée par procuration à cause du sceau démoniaque. (Sa voix s'adoucit subitement et adopte une tendresse glaçante, qui m'extirpe un petit frisson récalcitrant.) Bisous, chaton. Pense à aller chez le coiffeur, tu as une tête épouvantable. Tes cheveux sont bien trop longs, je déteste.

Avec un soupir excédé, je raccroche en enfouissant les doigts dans les mèches brunes soyeuses, au creux de ma nuque, qui dépassent du béret. Mes parents me fatiguent à un point... Ma génitrice me moralise d'avoir fait la morale à mon géniteur, c'est un comble ! En tout cas, boss ou mère, elle peut rêver pour que j'appelle ce borné d'Hybresang. Je suis en repos, merde ! Repos rime avec quiétude, insouciance, bon temps... autrement dit, tout ce que Kelen Wills n'est pas. Elle l'a choisi comme compagnon et l'a marqué : qu'elle se débrouille avec lui. Hors de question que je la plaigne. Si elle essaie de me faire culpabiliser, c'est raté. Après tout, je suis plus Pécheur que Vertueux, qu'elle ne l'oublie pas !

Une odeur de stress intense assaille mes narines. Les sourcils froncés, je relève la tête, en quête de sa source. Il ne s'agit pas d'une irritation impatiente liée à l'attente ou à la foule, mais d'une forte appréhension qui tend vers l'angoisse de ce qui va se produire. La nuance est évidente pour mon flair exercé. 99% de chances que ce nuage de phéromones provienne d'un démon mâle d'origine Insatiare. Mon instinct de Traqueur se met aussitôt en alerte. J'ouvre largement les yeux ainsi que mes capteurs télépathiques pour survoler les pensées des clients aux alentours, tout en saisissant la crosse d'un de mes revolvers sous ma veste en cuir.

Une salve de coups de feu retentit dans la banque. Les volets automatiques se ferment, trafiqués par les braqueurs qui ont certainement neutralisé les caméras de surveillance et les agents de sécurité à l'entrée. Des démons hurlent de terreur en se jetant à plat ventre. Je jure dans ma barbe. Forcément, avec mon karma familial, il fallait qu'une prise d'otages éclate le seul jour de l'année où je me déplace à la banque !

C'est loupé pour ton jour de repos, Wills Holmes.

Relativisons. Le péché de Paresse, c'est surfait.

Soudain, j'entends le bruit d'un cran de sûreté qu'on enlève derrière moi. Le canon d'une mitraillette se colle sur l'arrière de mon crâne, pile à l'endroit où mes cheveux sont censés être raccourcis. Ça me fait mal de l'admettre, mais ma mère a raison. Je ne dois pas tarder à aller chez le coiffeur.

Ton heure est venue, enfoiré de Traqueur Vertueux ! songe en jubilant l'Enragelé avec lequel je me suis gentiment crêpé les cornes à l'entrée de la CBI.

Je l'aurais grillé si j'avais pratiqué une incursion mentale plus approfondie dans son esprit avant de passer le portique. Ce n'est pas un véritable garde, mais un gangster infiltré, à l'instar de sa copine rousse et de tous les soldats sur place. Mea culpa.

Lui, en revanche, s'est triplement fourvoyé.

Primo, je ne suis qu'à un quart Vertueux.

Deuxio, mon heure n'est pas venue.

Tertio, je ne suis pas un enfoiré. Le terme « enflure » me convient davantage.

Je me retourne lentement, les mains écartées. Le bout de son arme suit le contour de ma tête jusqu'à stopper au milieu de mon front, sous le bord de mon couvre-chef. Mon nouvel ami sourcille, désarçonné par mon sourire enjoué qu'il juge incongru.

— Qu'y a-t-il de drôle, fumier ?

— Ceci, rétorqué-je en pointant le menton vers la droite.

— Si tu crois que je vais me laisser distraire et baisser ma garde face à toi, tu me sous-estimes ! ricane-t-il sans détacher son regard écarlate du mien.

Je hausse les épaules au moment où sa petite amie, qui tend son revolver vers sa tempe, lui explose la cervelle sur mon ordre mental. Du sang noir et visqueux gicle sur mon visage juste avant qu'il ne s'écroule lourdement à mes pieds en reprenant sa forme démoniaque. J'essuie ma peau souillée sur ma manche en assénant un coup d'œil approbateur à la meurtrière, qui me sourit béatement, la mine énamourée. J'ai hésité entre la manipuler ou commander mon agresseur pour qu'il se suicide, mais je trouvais plus divertissant et ironique que sa complice s'acquitte de cette basse besogne.

Je possède un autre principe : quand les circonstances le permettent, j'évite de me battre et de me métamorphoser durant mon jour de repos, afin de consacrer toute mon énergie aux périodes travaillées. Par conséquent, je compte recourir à la solution de facilité dans cette situation délicate : mes pouvoirs Pécheurs et Vertueux. Il n'y a qu'une vingtaine de racailles à neutraliser. 

Une formalité administrative aussi simple qu'un retrait de billets.

L'Insatiare dont j'ai flairé la peur il y a une minute, qui a usé de sa polymorphie pour emprunter une apparence de soldat Enragelé, m'a repéré. Il hurle « TRAQUEUR ! » et appuie sur la détente de sa mitraillette. Il tire sur moi comme un forcené, imité par ses acolytes, à l'exception de la démone que j'ai hypnotisée.

D'une impulsion psychique, j'invoque un bouclier de glace pour parer les dizaines de balles qui pleuvent dans ma direction. Il forme un écran incurvé grandeur nature devant moi. Les projectiles létaux ricochent contre l'épaisse surface sombre aux reflets bleutés qui dégage de la vapeur. Je protège également tous les clients prostrés sur le sol autour de moi grâce à d'autres boucliers Équitales, afin qu'ils ne se payent pas une balle perdue.

Les bras croisés sur la poitrine dans une position désinvolte, je laisse ces andouilles vider leurs munitions sur mes boucliers. À l'instant où ils rechargent, je passe à l'action. Avec ma télékinésie, je leur arrache leurs armes des mains à distance et les propulse dans la fontaine, mais comme je suis concentré sur autre chose, j'évalue mal la trajectoire. Les mitraillettes percutent la statue en cristal du Magistral Vénade et la fracassent en mille morceaux dans un tintamarre qui me fait froncer le nez. Pendant ce temps, la braqueuse sous mon joug canarde ses camarades pour me défendre. Elle abat trois démons isolés. Les autres se cachent derrière des obstacles ou des otages, qu'ils tiennent par le cou.

Quelques gangsters ont eu la présence d'esprit d'emporter un revolver de secours. Sitôt qu'ils s'en emparent, je les désarme par ma volonté impure et retourne le flingue contre eux pour les shooter. Une balle dans la tête à chaque coup. Efficacité radicale !

De puissants jets de flammes simultanés jaillissent vers moi. J'abaisse mon bouclier de glace qui aurait de toute façon fondu puis, les bras en croix, j'éclate de rire en laissant le feu des démons de Colère m'envelopper d'une douce et agréable chaleur qui me chatouille. Mon sang Enragelé m'immunise contre ces flammèches. Mes vêtements se consument en partie ; ma chair, mon badge et mes armes, non. Sans me presser, je tapote ma veste et mon froc brûlés par endroits pour éteindre les langues de feu qui s'y attardent.

Les traits des gangsters se décomposent de désespoir lorsqu'ils réalisent que mes pouvoirs sont amplement supérieurs aux leurs et que cette opération criminelle, qu'ils ont organisée depuis des mois, est vouée à l'échec à cause de ma présence imprévue. Ils me feraient presque de la peine.

Presque.

Mes sept étoiles de jet en argent se mettent à léviter autour de moi. Claquant mes paumes l'une contre l'autre, j'expédie mes projectiles vers mes cibles à toute vitesse. Mes disques dentelés fendent les airs avec des sifflements mortels, traversant les crânes des hors-la-loi Enragelés un par un. Ils rentrent dans leur front et ressortent, ensanglantés, à l'arrière de leur tête. Les victimes s'écroulent comme des dominos sous les glapissements de terreur des clients à nouveau libres. Une splendide danse macabre ! Je balance mes deux index en rythme pour guider mes bébés métalliques en fredonnant le refrain d'Hells Bells, d'AC/DC.

Trente secondes plus tard, les gangsters gisent morts, les otages sont sains et saufs et je suis à moitié à poil, la peau fumante. Avec un raclement de gorge, je me tourne vers la braqueuse rousse, qui bat des paupières en toisant le cadavre de son compagnon. Mon influence est en train de s'atténuer dans son esprit. Son arme quitte vivement sa main et atterrit dans la mienne grâce à mon pouvoir. Les bras ballants, le teint livide, la nénette m'observe avec incompréhension. Ses yeux dévient vers mon entrejambe visible et s'arrondissent démesurément.

Et encore, ma belle, tu ne m'as pas vu au top de ma forme.

Je profite de sa confusion pour me rapprocher d'elle d'un pas plein d'assurance. En la maintenant sous la coupe de mon regard brûlant, je l'attrape par la nuque et plaque ma bouche contre la sienne en guise de diversion sulfureuse. Ma proie pousse un gémissement suffoqué, submergée par la cascade de phéromones incubes qui sèment le chaos dans son organisme fragilisé.

— Tu es en état d'arrestation pour vol à patte armée, chérie. Tu as le droit de garder le silence et de prendre un avocat Pécheur ou Vertueux, murmuré-je contre ses lèvres tremblantes.

Je couronne ma tirade par une claque brutale sur le cul bombé de la vilaine Pécheresse, ce qui la fait couiner.

Comme je n'ai pas mes menottes en argent sur moi, je cogne la crosse du revolver contre sa tempe. La criminelle que j'ai eu la bonté d'épargner mord la poussière à son tour, assommée. À vue de nez, elle écopera de trois siècles de taule dans le centre pénitentiaire de Hell Valley. Le plan parallèle des Limbes a été condamné depuis ma naissance : désormais, les malfaiteurs sont envoyés dans cet établissement haute sécurité perdu au milieu de nulle part.

Flingue sous le bras, je fouille la salle des yeux jusqu'à dénicher l'employé de banque, recroquevillé contre le guichet à proximité du corps en charpie d'un braqueur. Je m'éclaircis la voix en retirant mon béret à demi cramé. Dommage, il m'a coûté une blinde. Peut-être pourrais-je faire passer ce préjudice collatéral en note de frais au CIT ? Toujours est-il que j'adresse au guichetier mon charmant sourire de premier de la classe qui obtient toujours ce qu'il brigue.

— Bonjour, mon brave. Je suis venu effectuer un retrait de 666 Fourches. Auriez-vous l'amabilité de me servir en priorité ? J'ai rendez-vous chez un vendeur d'Arcadus, je ne peux pas trop traîner, précisé-je en recoiffant ma tignasse en pagaille d'une main.

Le type hoche faiblement la tête, l'expression hagarde. Fantastique, j'ai gagné du temps grâce à ce hold-up !

Après avoir rajusté mon pantalon lacéré et noirci pour dissimuler mes attributs virils et ne pas choquer davantage les Vertueuses traumatisées par mon massacre, j'emprunte un portable à un témoin – le mien est hors service à cause des flammes – et compose le numéro de ma mère. Elle décroche rapidement, toujours au taquet et prête à ruer dans les brancards.

— Myrina Holmes à l'appareil.

— C'est moi.

— Ah, te voilà, fils ingrat ! As-tu écouté mon message ?

— Non, j'ai eu une tuile avec mon smartphone.

Entendons-nous bien, ce n'est qu'un demi-mensonge.

— D'où le numéro inconnu qui s'affiche sur mon téléphone. Pourquoi m'appelles-tu au bureau sur ton jour de repos ? s'informe-t-elle, interloquée.

— Il serait judicieux d'envoyer une équipe à la CBI. Agents de terrain et cellule psychologique. Il y a un léger bordel à nettoyer.

Un silence interdit s'installe à l'autre bout du fil. Dans ma bouche, l'adjectif « léger » signifie en réalité « énorme ». Ma génitrice le sait. C'est un truc entre mes parents et moi. Mon père prétend que je commettais de « légères » bêtises quand j'étais petit.

Elle expire longuement.

— Qu'est-ce que tu as encore foutu ?

— Très chère mère, pour ta gouverne, sache que cette statue était déjà cassée avant mon arrivée, me dédouané-je en promenant la pulpe de mon pouce sur ma lèvre, mon regard pensif flânant sur les bris de cristal qui jonchent le marbre ensanglanté parmi les cadavres.

— Arthur Wills Holmes ! Tu vas tout m'expliquer, maintenant ! tonitrue Myrina, ce qui me fait bâiller par réflexe physiologique – oui, je bâille quand elle m'enguirlande.

Je me hâte de raccrocher avant de restituer l'appareil à son propriétaire. Aucune envie de rendre des comptes ou de livrer des rapports de boulot durant mon jour de repos. Je serai parti avant l'arrivée de mes collègues Traqueurs. J'ai un Arcadus à acheter et à monter aujourd'hui, ne lui en déplaise. Ces merdes sont pires qu'un meuble Ikea.

Je le ferai après ma sieste bien méritée, évidemment. Cet échange avec ma génitrice m'a épuisé.

En craquant mes phalanges entrecroisées, j'avance vers le guichet bancaire. J'enjambe les macchabées et slalome entre les clients ahuris, qui se redressent en me fixant sans un mot. Je sens une petite fraîcheur caresser mon musculeux pare-chocs arrière : j'en déduis que j'ai le cul partiellement à l'air. Ce n'est ni la première ni la dernière fois. Je n'en ai pas honte. Mon postérieur est aussi magnifique que le reste de mon anatomie. Ce n'est pas de la vantardise : on lui a décerné un titre officiel qui trône dans mon salon. J'ai raflé le prix du plus beau fessier Pécheur au concours de Mister Sexy BadAss lors d'une mission d'infiltration où je chassais un Vertueux voleur de couronnes capable de se rendre invisible. Je n'ai pas eu à soudoyer le jury pour remporter l'épreuve, cela va sans dire. Mon cul les a tous convaincus d'office.

Pour mener cette investigation en profondeur et tester moi-même la marchandise, j'ai couché avec chaque candidate de l'élection Miss Sexy BadAss. Il vaut mieux ne pas l'ébruiter auprès de mes collègues et de ma patronne : je suis censé interroger les témoins, pas les sauter.

Entre nous, j'ai déjà accompli les deux tâches en même temps. C'était cocasse d'entendre la fille menottée ahaner sous mon corps en s'efforçant de répondre à mes questions d'inspecteur pendant que je m'activais sauvagement entre ses cuisses luisantes de sueur.

— « Où étiez-vous le lundi 6 mars à 10h03 lors du crime, mademoiselle ?

— Dans... Oh ! ... mon... Ouiiiiiii ! ... lit ! »

J'ai bien ri sur le coup, car l'ironie du sort voulait que nous soyons justement dans son pieu sur le moment.

Accoudé au comptoir, je destine un large sourire garni de crocs blancs et acérés à l'employé de banque qui se charge de mon retrait.

Décidément, belle journée pour glander.





*Les célèbres « Cornes de la Mort ». Ce n'est pas une corrida, mais l'équipe de Fireball préférée d'Arthur. Pour savoir en quoi consiste ce sport populaire sur Infernum, imaginez un mix entre le foot américain et le Quidditch (sans balais, car les joueurs, sous forme démoniaque, ont des ailes). Sept Pécheurs et sept Vertueux baraqués et féroces s'opposent dans un stade pour attraper un ballon qui est, littéralement, en feu. Tous les coups sont permis. Un match de Fireball qui ne comptabilise pas minimum trois joueurs ou arbitres morts est, je cite les supporters : « Une perte de temps et d'argent. »


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top