9. Discussion
Running doesn't matter
I will hunt you down if
I have to
La masse sombre qui remontait lentement à la surface appartenait sans aucun doute à un mâle. Préférant ne pas prendre le risque qu'il me voit dénudée, je passai les bandes de ma robe sur mes épaules avec un certain calme royal tandis que les vagues caressaient l'avant de mes bras.
Une tête à la chevelure corbeau finit par surgir d'entre les eaux plus profondes de cette partie du bassin qui lui avaient probablement sauvé la vie. Mes pieds restaient rivés sur les rares cailloux qui s'enfonçaient dans les tréfonds du domaine de ces nymphes des eaux.
Je n'eus aucune peine à le reconnaître. Lorsque ses yeux pers croisèrent les miens et qu'une teinte d'embarras malicieux sans aucune once de perversité s'afficha sur son visage gouttelé... Il disparut à nouveau, emporté par les courants féroces.
J'apercevais sans peine sous les eaux claires ses bras affolés se débattre à la surface sans parvenir à atteindre l'air tant prisé. Me délectant de sa torture qui brûlait ses poumons peu à peu vides, je passai à ses côtés, lui jetant à peine un regard pour vérifier s'il tiendrait le temps suffisant jusqu'à jaillir des eaux tourmentées. La plante de mes pieds mouillée caressa l'herbe éclaboussée, se dirigeant en direction de mon arc que j'avais déposé proche de la source. Je possédais le temps des reines.
Une flèche s'accola à l'arme avec un doux frisson de complaisance tandis que je revenais à la source magique, et les doigts de mes pieds caressèrent la surface de l'eau. Les liens qui retenaient Hippolyte cédèrent. Le bruit rauque de sa gorge qui nourrissait son corps d'oxygène fut succédé de sa respiration saccadée. Ses yeux perdus suivaient les mouvements désordonnés de ses mains qui cherchaient une pierre à laquelle se tenir, soulevant de vagues puissantes le bassin calme. Ces sons brisèrent le silence des lieux magiques qui estompait la cascade bruyante.
J'attendis patiemment qu'il reprenne ses esprits, accroché à une pierre non loin et visé par la pointe d'obsidienne. Ses pupilles finirent par me fixer et un sourire mutin éclaira son visage à travers sa respiration devenue haletante.
– Artemis, je remarque que vous avez l'habitude d'accueillir vos visiteurs avec une flèche. Une délicate attention.
– Hippolyte, j'avais cru t'avoir précisé de ne plus pénétrer mon royaume, répondis-je d'un ton qui contrastait avec le sien. Inutile de me mentir, je sais que tu m'observes depuis des jours, à tel point que je t'ordonne de cesser de jouer ta semi-comédie de mortel fervent prieur et admirateur d'une déesse qui passe ses journées dans des temples recouverts d'un tissu sacré et suiveur des prêtres.
Mes lèvres se scellèrent après cette phrase si longue, prononcée sans la moindre aspiration, tel un simple ruisseau démuni d'obstacles. J'attendis une réponse de sa part. Il ne s'exprima pas si ce ne fut enfoncer ses yeux dans les miens provoquant une réaction étrange et électrique entre mon estomac ainsi que mon cœur. Cette sensation m'assurait qu'il était de confiance, et tout comme moi, à la recherche d'une liberté loin des temples de ceux qui pensaient me prier tout en suivant mes convictions.
Il bredouilla des mots qui me firent lever un sourcil, puis tendre l'oreille sans que je ne saisisse un traître mot de ses paroles sincères. Il détourna le regard et ses joues se teintèrent de la couleur grenade. Je n'entendis plus que pour de courts instants les gouttes de la source se mêler aux pétales des roses sauvages. Puis, finalement, les oiseaux apeurés se posèrent à nouveau sur les branches pour gazouiller, envahissant la forêt de leur mélodie régulière.
Le jeune homme le prit comme la conque du départ et se dirigea vers un rebord auquel il se hissa pour se redresser sur l'herbe, confiant de son action. Sourire espiègle, il s'avança vers moi sans retenue, sans crainte. Il avait pris mon conseil d'agir avec naturalité avec trop de liberté. Je restais déesse et reine.
Les liens d'eau qui l'avaient lâché précédemment refirent surface, mêlés aux plantes, et s'enroulèrent autour de ses chevilles, le ficelant. Quelques instants plus tard, il était à nouveau emprisonné sous les flots avec l'incapacité de bouger. L'arc à ma main s'évanouit, emportant la flèche à sa disparition silencieuse.
Un rictus déformant mes lèvres, je commandai à la source de le soulever dans les airs pour qu'il me fasse face. Des filets d'eau encerclèrent sa gorge et je le vis déglutir. Ses lèvres devenues sèches étaient entrouvertes, cherchant désespérément l'air qui s'échappait par goulées. Son visage devenu aussi rouge que le pourpre du vin menaçait de s'effondrer. L'étranglement s'avérerait lent.
Je l'observai se vider de sa vie avec une lenteur délicieuse. Mes iris se promenaient sur ses membres qui perdaient en vigueur, puis passèrent dans les nuances chaudes que revêtait son corps perturbé par l'absence d'air qui excitait son sang. Ces teintes me rappelaient les peintures que créait le soleil dans le ciel à l'aube de la mort jusqu'au crépuscule de la vie. Les images sableuses s'imposèrent dans mon esprit et je vis l'horreur de l'aurore.
Un hoquet s'échappa d'entre mes lèvres tandis que je reprenais conscience de mon acte. Je l'observai avec attention, lui, pâle, et ses paupières closes. Il ne se débattait plus, proche du seuil de la mort. J'avais été prévenue, je ne pouvais plus transgresser au risque de m'y perdre. L'effroi me saisit à la gorge, m'empêchant de respirer tandis que je me souvenais de tout.
Un claquement de doigts et ses chaînes le libérèrent. Comme une pierre, il tomba à l'eau qui l'éveilla. Hippolyte s'en extirpa et se laissa choir, les yeux clos, sur l'herbe mouillée qui effleurait la surface. Haletant, il reprenait le souffle de la vie et je ressentis la peur émaner de lui. La respiration saccadée, je permis au mien de se rasséréner.
– Ne t'avise plus de m'approcher ! Tu es chanceux que je ne t'aie pas tué. Ne te crois pas supérieur, car tu n'as aucun privilège étant prince. Je suis la reine des forêts et des fauves, tu as pénétré mon royaume. Tu connais mes vœux, je l'espère. Je refuse toute compagnie venant d'homme, ai-je été claire ? déclarai-je, essoufflée.
– Pourquoi acceptes-tu la mienne, de compagnie ? réussit-il à me souffler entre deux goulées, sans oublier un sourire empli de sous-entendus. Je suis pourtant un ho..., commença-t-il, mais je le coupai, folle de rage.
– Je ne t'ai pas donné la parole ! Je n'hésiterais pas à revenir sur ma décision de te laisser la vie sauve. Lève ne serait-ce que le bras et Sirius te tranchera la gorge de ses crocs. Il est féroce, précisai-je en le sifflant.
Il se faufila entre mes jambes, jaillissant des bois et attentif à mes faits et gestes depuis que je l'avais recueilli, me protégeant s'il le fallait. En grognant, les babines retroussées, il s'approcha d'Hippolyte. Le son émanant de sa gorge provoquait la peur chez tous ceux qui l'apercevaient, jusqu'à ce qu'il se taise.
– Féroce ? J'ai l'impression qu'il est aussi doux qu'un agneau. Il cache son jeu.
Stupéfaite, je le vis caresser sa fourrure fauve d'une main épuisée. Toujours étendu, les yeux désormais ouverts, il me regardait avec des airs narquois, n'accentuant que plus le feu qui brûlait en moi. Les jointures de mes phalanges pressées blanchirent mes mains. Les dents serrées et les joues rouge carmin, je me retenais de mettre fin à ses jours d'un coup précis en plein cœur.
Me mordant la lèvre, je cherchais des mots qui filaient entre mes doigts sans que je puisse les saisir. Usant de ses charmes, elle ne m'était pas passée inaperçue, cette évidence qu'il me provoquait, et je ne savais que répliquer. Mon chien n'aidait en rien, sa queue qui s'agitait dans tous les sens de joie ajoutait une touche qui asséchait ma gorge. J'étais restée bouche bée. Rien n'était normal.
À ma vue indécise et sachant l'hésitation qui émanait de moi, lui répondre ou prendre la voie la plus directe au royaume des morts, un rire s'échappa d'entre ses lèvres.
– Pourquoi ne pas me tuer ? me questionna-t-il enfin, se redressant pour me faire face.
Ce simple geste provoqua l'once de colère qui s'enroula à ses pieds, le laissant tête en bas à la hauteur de mon visage en un battement de cœur. Son sourire qui ne quittait pas ses lèvres me faisait grimacer. Il ne connaissait aucune limite.
– Tu es prince d'Athènes et t'assassiner attirerait les foudres de l'Olympe.
– Je croyais que les divinités faisaient ce qu'il leur plaisait ? Mis à part si tu as atteint une certaine limite, ajouta-t-il, me prenant de court.
– Ma vie ne te regarde en rien, répliquai-je, tranchante.
– Se balancer sur une corde frêle au-dessus du gouffre avec l'espoir persistant d'atteindre un destin, plongé dans une nuit dans laquelle les prunelles cherchent la lune éclairante du chemin, se demandant sans cesse s'il est judicieux de vivre et franchir la limite ou se retenir par effroi... Je sais ce que c'est.
Il n'y avait plus de taquinerie dans ses propos si ce n'était une profonde sincérité qui me chamboula toute entière. L'oppression des visions se dissipa, me permettant de respirer avec une profondeur libératrice. C'était la première fois que je rencontrais un être qui comprenait mes démons. Et cette étrange entente me laissa plus apaisée que je ne le pensais possible.
Je sentis nos nez se frôler, mais je ne m'étais pas aperçue que mes pieds s'étaient avancés jusqu'à un point que nos souffles ne se mélangent. Je fixai ses yeux comme la glace pailletée de vert, ses cheveux corbeaux aux reflets bleus et rouges, variant de l'un à l'autre aux rayons du soleil et de la lune. Puis ses lèvres qui esquissaient ce léger sourire qu'étrangement j'appréciais malgré la forme irrespectueuse qu'il pouvait revêtir. Me mordillant la lèvre et taisant une folie, je me concentrai sur ses pupilles aussi noires que la nuit et profondes comme les abysses des bois.
– Que fais-tu ici ? articulai-je impérialement.
– Je..., commença-t-il avant de s'arrêter, cherchant ses mots.
– Tu as du sang divin qui coule dans tes veines, cela ne fait aucun doute. La teinte bleue de tes yeux est trop pâle pour que je l'associe au vif de Poséidon. Tiens-tu tes yeux de ta mère ? Et ce vert vif, également ? Ou de ton paternel ?
Il se mordillait la joue, se retenant de répondre une trop grande vérité qui pourrait le trahir, accentuant une curiosité maladive. Il s'était refermé sur lui-même.
– Réponds lorsque je t'adresse la parole ! À ma connaissance, la déesse en ces lieux, c'est moi, l'immortelle c'est moi. Cesse donc de m'observer de cette manière et concentre-toi sur mes yeux, finis-je sévèrement, les joues cramoisies.
– Tu es sublime, tu es impressionnante, tu es étonnante.
Les mots étaient sortis droit de son cœur, nous surprenant tout autant qu'à lui qu'à moi. Je ne cessais d'entrouvrir mes lèvres et de les clore. M'espionnait-il pour ces raisons ? Mais lesquelles étaient-ce réellement ? Ses aveux me laissaient mitigée, et je ne parvenais pas à saisir leur sens.
En tant que déesse à vénérer, ou de femme à conquérir ? Était-il plus fervent fidèle que je ne le pensais, ou ses intérêts étaient-ils tout autre ? Il était suffisamment intelligent pour ne pas être aveuglé, il avait connaissance de la déesse vierge que j'étais. Il n'oserait pas se jeter bras ouverts face à la mort et si tel était le cas, il ne tarderait pas à rejoindre les cieux comme une proie de plus qui avait eu la folie de m'affronter. Pour le moment, je laisserais place au doute.
– Pour quelles raisons ? Tu m'observes, moi, depuis des jours, n'est-ce pas ?
– C'est bien cela.
– N'as-tu pas peur de la mort pour me défier de cette manière, sans crainte que je ne te tus ?
– Je suis un chasseur, vous êtes la déesse de la chasse. Ayant eu vent des légendes à votre sujet, je vous pensais outrée par l'absence d'intérêt à votre personne, vos temples et sacrifices, et non le contraire.
– Sais-tu qu'un danger rôde ? demandai-je et un voile sombre se refléta dans ses yeux. Tu le sais, qu'est-ce ? Comment fais-tu pour le fuir ? Nulle ne souhaite me donner de réponse, me les donneras-tu ?
Il se tut et détourna le regard pour que les éclats de ses yeux ne le trahissent pas, mais il ne me fut pas difficile de deviner qu'il allait agir comme toutes mes chasseresses. Se taire et laisser planer le mystère s'intensifier à mon insu.
– Tu pourrais avoir la décence de répondre, continuai-je, haussant le ton. Que se passe-t-il dans cette forêt ?
– Cela ne te regarde en aucun cas.
– Oui, car c'est ma forêt, mon royaume, j'en suis la seule reine et je suis la seule à ne rien savoir.
La lueur déterminée dans ses yeux ne fit place à aucun doute. Il se tairait comme une sépulture, mais il était préférable que je le garde en vie.
– Je découvrirai qui tu es, ce que tu me veux et ce que cache ce mystère dangereux, Hippolyte. Je ne suis pas aveugle, je sens que quelque chose se tapit dans l'ombre et le hasard entre toi et ce réveil n'est pas anodin. Je ne te quitterai pas des yeux, tu peux en être certain.
Je tournai les talons, appelant mon chien à moi et ramassant mes affaires aux pieds de l'arbre. Un froid mordant hérissa mon échine et le froissement de la glace résonna à mes oreilles. J'entendis le bruit de son corps qui tombait pour la énième fois dans le bassin.
Rien n'était fini, cela n'était que le début d'un périlleux chemin empli de ronces qui lacéraient l'épiderme. La certitude que le destin allait faire des siennes n'était plus hypothèse et bien que des mystères s'étaient ajoutés, je n'étais que plus déterminée à percer ces secrets. Le calme n'avait que caché une tempête ces dernières années et ce que je craignais pouvait bien pointer le bout de son museau. La façon de jouer du destin ne m'était plus inconnue. Je le sentais se remuer en moi, m'effrayant et me comblant d'un plaisir malsain.
L'étau se resserrait.
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