7. La rencontre [partie 2]
« You should never underestimate her...
She has exquisite aim »
Un mouvement rapide et un jeune homme s'en extirpa, s'inclinant rapidement sans aucune maladresse avant de se redresser et que ses yeux plongent dans les miens. Je restai subjuguée par sa beauté irréelle. Ses cheveux étrangement courts pour un grec étaient aussi noirs que les ailes d'un corbeau, et aux reflets bleutés comme la nuit. Ses iris d'un bleu aussi pâle que la glace iridescente étaient parsemés de paillettes vert vif, créant un mélange entre l'azur de l'eau glacée et des écailles colorées d'un serpent de pierre précieuse. Je n'avais jamais rencontré un mortel aussi séduisant, aussi ravissant si ce n'était plus que certains dieux.
Le jeune homme ne portait qu'un pagne, révélant son torse et ses bras musclés qui me dominaient. Sa peau plus claire que les Méditerranéens me laissa étonnée. À son cou, un collier de cuir duquel un pendentif représentant une tête de loup qui avait été enfilé, pendait. N'ajoutant qu'une touche de beauté. Jeune, mon corps sensible réagit et mes joues revêtirent la couleur des grenades, et intérieurement je fus maudite. Je maintins pourtant mon regard plongé dans le sien sans pour autant le baisser et mes phalanges blanchirent lorsque je serrai la corde tendue à son zénith.
Quant à lui, à ma vue, son visage se déforma affichant un air surpris avant qu'il ne se récupère rapidement, laissant apparaître un sourire charmeur.
– Artemis, je suppose ? affirma-t-il d'une voix sûre. J'avais cru vous reconnaître de loin, mais lorsque vous m'avez repéré, mes doutes se sont confirmés, bien que je vous avoue avoir eu l'espoir de m'être trompé. Croiser une déesse qui plus est une combattante n'a jamais été conseillé par les prêtres, finit-il, ajoutant un clin d'œil à mon attention.
Je me repris aussitôt, confrontée à cette familiarité proche de l'irrespect. Il avait une trop grande estime de lui-même et qu'importait ses origines, il se trouvait devant Artemis. Je ne fléchirais pas face à son sourire enjôleur. Déterminée, je le foudroyai du regard, plongeant mes pupilles plus profondément dans les siennes, provoquant un effet irréversible qui résonnerait en moi à jamais. Et dont la description ne pouvait qu'être ressentie.
Une douce sensation se saisit de moi, chaude et rassurante, elle envahit mon cœur et mon corps. Mon âme fit comprendre à mon esprit que je pouvais lui accorder une intimité sans frontières.
Je clignai des yeux à maintes reprises pour m'échapper de cette étrange torpeur qui s'était saisie de moi, m'emprisonnant dans l'inconnu. Elle finit par se dissiper à l'instant où je détournai le regard pour fixer la pointe de ma flèche, mais bien qu'elle ait disparu, elle était gravée profondément. Confuse et perdue, ma première pensée était que tout n'avait été qu'une illusion, pourtant les traces étaient encore présentes... Non, rien ne s'était passé, je n'avais rien ressenti. Il était un ennemi.
Reprenant mes esprits et effaçant en vain cet étrange moment qui avait émergé d'une force antérieure, je repris une posture qui se voulait plus sûre sans y parvenir pour autant. Je décidai de l'oublier et le questionner, commençant par ce qui m'avait frappée.
– Comment as-tu su que j'étais Artemis ? demandai-je d'une voix tranchante.
– Votre diadème en croissant de lune et votre physique, me répondit-il, nullement impressionné par le ton utilisé.
Mes doigts fins touchèrent du bout de leur pulpe le métal froid que j'avais pour un instant oublié, et que j'allais désormais plus porter pour rester dissimulée et bien mieux punir. Et il était vrai que nombreux étaient ceux qui savaient à quoi je ressemblais, divinités et mortels étaient bien trop mélangés au goût de certains, et tous savaient que j'étais reine, un diadème pouvait être écarté sans cérémonie. Il aurait été naturel de me reconnaître, et le doute était écarté avec le symbole sur mon front. Me faisais-je des idées ? De simples excuses pour oublier des pensées irrationnelles.
– Qui es-tu et que fais-tu dans ma forêt ? continuai-je cette fois-ci abruptement.
Je devais continuer sur cette voie et prendre les dessus, il y avait bien une explication derrière cette sensation traîtresse. Il y en avait toujours une, plaisante ou pas, mais à faire disparaître.
– Je me nomme, commença-t-il avant de déglutir, Hippolyte. Je suis un chasseur, mais tout d'abord un prince, précisa-t-il, accompagné d'un léger rire qui ne me fit pas sourire.
Il le remarqua, se taisant avant de poursuivre avec un peu plus de retenue sans aucune forme de soumission.
– Je suis au service de la région de Trézène, princesse, ajouta-t-il et je fis abstraction de ce dernier mot.
– Trézène est bien loin d'ici à ce que je sache. Bien trop loin pour que tu ne te sois pas rendu compte que tu as dépassé la frontière, Hippolyte, fis-je remarquer, haussant un sourcil provocateur malgré moi. Et prince de quel royaume ?
– Dernièrement, j'étais au service de la région de Trézène, mais désormais je chasse pour Athènes. Je suis prince d'Athènes.
– Es-tu en train de me révéler que tu es le fils du roi Thésée ? m'exclamai-je, retenant mon souffle.
Pour un clignement d'yeux, son visage se décomposa avant de revêtir sa face habituelle qui me fit grincer des dents.
– Oui, affirma-t-il. Thésée m'a conçu avec une amazone.
– Tu es donc plus âgé que ce que je pensais.
– Fais-je donc plus jeune ? me demanda-t-il, me mettant au défi de poursuivre cette conversation à mon désavantage.
Je réalisai qu'il tentait de dévier l'échange, me mettant en pleine méfiance. Il était rare que les princes se taisent aussi vite sans débiter leur longue et prestigieuse histoire depuis que les hommes avaient débuté le travail du bronze et la construction de palais pour se protéger des envahisseurs du nord dont ils en étaient eux-mêmes issus.
– Qui es-tu ? insistai-je d'une voix tranchante, voyant clair dans son jeu.
Il ne se laissa pas prendre aussi facilement, affirmant qu'il était bon chasseur.
– Que puis-je dire de plus à propos de moi pour vous, princesse ? J'aime chasser en solitaire, mais je n'avais pas réalisé que j'avais dépassé la frontière du territoire. Une envie soudaine de m'aventurer au-delà me saisit et je la laissai prendre possession de moi et je pense avoir bien fait d'écouter mon instinct. Rencontrer la reine n'est pas donné à tout le monde, finit-il d'une voix teintée de dérision.
J'étais restée au mélange affreux du vous et princesse avant que je ne me souvienne que je ne devais pas suivre son courant et que l'unique solution était d'ignorer pour ne pas lui révéler mes faiblesses. Pourtant, il avait mis un autre nom sur moi et bien que la colère fût à son comble, j'étais heureuse de son intérêt.
La folle envie de me prendre les cheveux pour me remettre sur le droit chemin fut vite remplacée par son sourire malicieux. Il était impossible de se concentrer face à un homme à la beauté d'immortel, et à la stupidité de mettre au défi une déesse.
Je souhaitais pourtant tenter quelque chose, me prenant à son jeu. J'allais toucher son égo pour tester sa dignité, et même déceler une fissure. Il était amusant de les voir se craqueler, bien que je préférais abattre, mais il n'était qu'un mortel, et jouer un instant avec le feu pouvait me détendre.
– Tu tires avec excellence, le sais-tu ? Aussi bien que les meilleures de mes chasseresses, commençai-je avant de m'arrêter pour admirer sa fierté. Malheureusement, tu m'as volé ma proie. Mes fidèles t'auraient déjà tué depuis bien longtemps, mais tu es chanceux. Elles sont bien loin d'ici et je sais faire preuve de clémence face aux enfants d'un allié. Tu t'es montré à moi, tu as du cran. Je t'accorde la vie sauve, déclarai-je, abaissant enfin mon arc sans ajouter quoi que ce soit, jugeant avoir suffisamment parlé.
– Je t'en remercie, princesse...
Je me figeai et laissai tomber la flèche dans le carquois. La cause n'était pas ce surnom, j'avais fini par comprendre qu'il était irrécupérable, mais ce tutoiement et cette intonation. Comme si nous étions proches, comme si nous nous connaissions. L'impression de l'avoir déjà croisé précédemment dans ma vie vint murmurer son doute à mon oreille.
– Depuis quand me tutoies-tu ? Nous sommes nous déjà rencontrés, chasseur ? l'attaquai-je d'une voix ferme en sortant mon poignard que je fis jouer entre mes mains habiles.
– Non, absolument pas, noble déesse, affirma-t-il bien trop rapidement sans quitter des yeux la lame étincelante qui ne quittait plus la ceinture de cuir offerte par Aphrodite et Athéna il y a des années.
Il me parlait désormais en tant que supérieure, ce qui était le cas depuis un commencement, et cela ne fit que titiller encore plus cette impression. Il était revenu sur ses pas et cela ne m'avait pas échappé comme le fait qu'il avait trop de confiance en lui. Je voulais flatter son égo pour savoir ce qu'il allait me répondre et ma première analyse fut balayée par la certitude encore cachée d'avoir déjà croisé son illusion.
– Je sais ce que tu as tenté de faire, mais cela est étrange que tu cesses à la remarque que je t'ai faite. Tu me rappelles quelqu'un, mais qui ? Aucune idée. Il est dit que tu as du sang divin qui coule dans tes veines, est-ce vrai ?
– Je ne vous ai jamais rencontrée, noble Artemis, et je ne sais pas qui je suis.
Il mentait, je le décelais dans ses yeux et je sentis cette pression en moi. J'étais proche de ma limite, je pouvais à tout instant perdre le contrôle et l'assassiner. Je pouvais facilement perdre la maîtrise de mes pulsions, mais je me ressaisis. Je ne souhaitais aucun problème avec le roi Thésée.
– Pars et que je ne te revois plus par ici ! hurlai-je à son unique intention, provoquant pourtant la fuite des oiseaux.
Il saisit son arc avant de partir au pas de course sans émettre aucune réponse pour la première fois, m'accordant le dernier mot et comprenant que le jeu était fini. Je repris mon souffle qui s'était coupé. Le comportement que j'avais adopté avait été bien trop désordonné à mon goût aigre. J'avais perdu le fil conducteur, m'égarant. Ce jeune mortel ne m'avait pas laissée indifférente et je me maudissais pour cet acte.
Bien que je niais ce que j'avais ressenti au croisement de nos pupilles, ces sensations ne me passaient pas inaperçues. Il m'intriguait et je refusais de laisser un être inconnu à moi gambader proche de mon territoire. Je devrais connaître son histoire, mais elle m'échappait.
Encore une fois, tout était flou à mes yeux teintés d'une étrangeté. Inexpliquée, aucune réponse ne pointait le bout de son nez. Il fallait à tout prix que je m'éclaire avant que cela ne se retourne contre moi.
Ce qui s'était déroulé aujourd'hui dans cette clairière sous le regard bienveillant du ciel éclatait mes tympans comme des cymbales. Le destin faisait des siennes et mon pressentiment commençait à prendre sens. J'espérais que le débouché ne serait pas une guerre, elle n'était pas la bienvenue. Je venais à peine de trouver ma place.
Une guerre... Les cieux me faisaient-ils parvenir un message ?
Je les fixai, interrogatrice, mais uniquement mon faucon franchit l'espace dans le sens contraire de la course du soleil. Limpide, aucun nuage noir ne se profilait à l'horizon. La lumière éclatante et pure me provoqua un mal de crâne. Je me massai pour calmer mon esprit et mon âme ainsi que mon corps encore brûlant. Mes sentiments, mes pensées, mon cœur et ma conscience semblaient mener un combat acharné en mon absence par cette sensation étrange, surnaturelle, et son appartenance à une famille royale liée aux dieux ne devait pas en être l'unique cause. Je ne l'avais pas tué d'une flèche.
Je me devais juste de prendre le tout comme je l'avais toujours pris. Ce n'était pas réellement moi, mais je suivrais les mêmes procédures de défense. J'allais m'informer sur Hippolyte. Prince du royaume voisin, il était vrai que je ne me préoccupais peu de lui. Sous la protection d'Athéna, et par conséquent mes alliés. Calme et bien vu par les divinités, je ne m'en étais jamais souciée. Des informations m'avaient donc échappé.
Jusqu'à aujourd'hui, j'avais cru le fils du roi plus jeune. Je m'étais certainement trompée, bien que quelque chose me chuchotât que je l'avais déjà vu et que son nom avait été prononcé en ma présence une fois, ou à plusieurs reprises. Je n'arrivais pas à saisir ces souvenirs de ma main délicate et violente, et ces sensations commençaient déjà à me hanter.
Néanmoins, une partie de ses dires étaient la pure vérité qui pouvait être prononcée dans des eaux sacrées, sans oublier tout ce qu'il avait gardé pour lui. Je n'avais qu'à démêler cette pelote de fil et séparer le vrai du faux avant que je ne voie la lame se retourner contre moi. Il n'était pas un chasseur de passage, je le ressentais.
Et malgré cela, ce n'était qu'un inconnu, un inconnu qui avait suscité une réaction inconnue en moi aussi brûlante que le feu, un inconnu que je risquais de croiser une nouvelle fois. Un inconnu que j'étais censée avoir déjà aperçu sans que je ne m'en souvienne. Un inconnu qui me paraissait connu.
Ma main balaya l'air avec ferveur avant que je ne me retourne et saisisse la carcasse encore allongée. J'arrachai la flèche que je gardai, puis passai le jeune cerf sur mes épaules, pliant quelques instants les genoux. Me dirigeant en direction de mon campement, des perles de sueurs glissant sur mon visage et mon dos, je laissai derrière moi ce qu'il venait de se produire, répétant dans ma tête un ensemble de sons.
Hippolyte, son nom était Hippolyte.
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Enfin le moment tant attendu! La rencontre entre nos deux personnages principaux!
Hé hé hé... Enfin le début de cette histoire!
Des avis sur Hippolyte?
Et ah oui... Ne cherchez pas Hippolyte sur Wikipédia s'il vous plaît! Sinon gros risques de spoil hé hé
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