7. La rencontre [partie 1]
« I'm not a princess
I don't need saving
I'm a queen
I got this shit handled»
Dix ans plus tard
La plante de mes pieds nus foulait le sol parsemé de la sueur de la terre avec la légèreté d'un félin. La forêt silencieuse vibrait du seul bruit des craquements des branches et de la caresse des feuillages. Seul le doux chuchotement de mes pas furtifs et ceux de ma proie qui effleuraient la peau du monde venaient déranger ce calme souverain.
Les chasseresses m'avaient déjà perdue de vue depuis si longtemps, que le soleil avait entamé sa course pour se noyer dans la mer. Je dansais dans les bois, le cœur gonflé, perdue dans ce monde auquel j'appartenais, cette bulle de paix, depuis que l'aurore avait caressé le ciel de ses doigts de rose.
La respiration rapide du jeune cerf m'indiquait qu'il arrivait au bout de sa course, mais ses pattes encore farouches et vives le maintenaient dans la fuite. À chaque foulée, sa vie se raccourcissait, m'approchant de la victoire de ce jeu sauvage qui me plaisait tant. Mes lèvres s'étirèrent dans un sourire carnassier proche de l'extase.
J'ignorais les ombres entre les arbres ainsi que mes démons. Les années s'étaient écoulées, goutte par goutte, coulant de mes plaies cicatrisées. Le diadème qui entourait mon front me remémorait sans cesse mes combats passés, mon siège à l'Olympe et le royaume que j'avais gagné. Le palais démuni de toute vie qui m'avait été construit était aussi froid que les trônes de la salle impériale qui brillaient des lueurs du soleil et de la lune.
Je ne parvenais pas à assimiler les faits qui s'étaient écoulés tel un tapis des sables aussi rouge que le sang qui m'indiquait le chemin de mon destin. Je courrais toujours plus loin, sans m'arrêter. L'ichor et la sueur s'étaient mêlés à la poussière du temps, les larmes et les rires avaient illuminé les nuits les plus sombres pour me permettre de caresser le seuil de mes rêves au lever du jour.
Je m'étais imprégnée du monde sauvage au point qu'il était impossible de nous désunir. Jour et nuit, je goûtais aux connaissances qui m'étaient offertes à la splendeur de mon existence. J'absorbais le chant des forêts comme certains buvaient le liquide écarlate de la vie, le chant et l'héritage dansant pour rester debout et survivre dans ce monde de fous. Oubliant de cette double lame sa réalité tranchante. Chaque jour passé ne faisait qu'accroître une soif incomblée. La vie tant rêvée nourrissait un trou béant dans mon cœur. Un besoin qui ne se taisait jamais, mais qui diminuait peu à peu depuis son dernier paroxysme dont le goût métallique imprégnait encore ma bouche.
Je passai ma langue sur mes lèvres dans l'espoir d'humidifier la sécheresse qui s'était installée. Dans le ciel, un faucon piqua pour se faufiler entre les arbres avant de disparaître entre les branches habillées. Je sautai par-dessus un tronc recouvert par la mousse, et tranché par un éclair qui avait une nuit lointaine zébré le ciel dans une foudre qui éveilla les habitants des bois de sa fureur lumineuse au bruit assourdissant. Les arbres se succédaient, identiques pour des visiteurs, uniques pour les connaisseuses. Les nuances de leur écorce cachaient une personnalité propre que les animaux exploitaient en harmonie.
Un cri d'oiseau happé par son chasseur résonna en moi comme un funeste présage. Il n'était pas le premier que je pensais apercevoir, il ne serait pas le dernier. Depuis que j'étais venue au monde, ils se succédaient, devenant mon quotidien.
Je sentis mon cœur se serrer, répondant à cet écho. Mon âme n'ignorait pas que quelque chose se mouvait dans l'ombre, nous le ressentions et mon instinct n'avait jamais goûté à l'erreur acide. Quelque chose qui me sauverait, ou me tuerait. D'une manière ou d'une autre, une destruction approchait. La mort était souvent la guérison à tous les maux, mais son prix n'était nul autre que des nouveaux.
Je ne pouvais qu'attendre, bloquée dans ce présent dans lequel tous me craignaient et si une haine était née, ils la dissimulaient. Leurs yeux effarés avaient gravé mes actes de vengeance. Quiconque s'opposait était tué ou subissait une punition bien plus douloureuse. Le crime de Niobé n'avait que jeté l'huile sur le feu, éveillant une défiance.
Cette femme qui avait osé critiquer notre mère, Léto, et qui avait fini par perdre ses fils et filles sous les flèches d'Apollon et moi-même. Désormais, au sommet d'une montagne, elle était devenue une roche à la source éternelle de ses larmes. Je ne me cachais plus, mais je savais que bien que leurs visages étaient tournés face à moi, leur dos ne l'était pas autant.
L'unique personne qui connaissait mes retenues jugeait que je me retenais malgré mes antécédents. Pourtant, il restait le dieu des arts, de ces choses calmes démunies à mes yeux de mouvements libres. Tous tombaient à ses pieds sans qu'il ne bouge le petit doigt et la jalousie m'avait suffisamment rongée jusqu'à ce que je ne sois plus son ombre. Je ne l'écoutais pas par peur, me retenant aux paroles, en vain. J'assassinais, mais pas en vain. Tout comme lui, je démontrais mon pouvoir d'une manière similaire et décimante. Et cette fois, pas en vain.
Les chasseresses ne laissaient pas de place aux sentiments comme à leur bon vouloir. Elles étaient mes amies, elles étaient mes sœurs, elles étaient mon clan. Les prêtresses, les jeunes filles et femmes me priaient, ne me rendant que plus puissante, étendant mon nom au-delà des frontières. J'avais des sœurs de cœur, Phoebe et Skotia. À elles toutes, je ne sombrais pas dans mes démons, effaçant toute trace d'un passé brumeux qui ravivait aux moments de lucidité le ressenti que j'éprouvais à l'encontre de mes ennemis avant qu'ils ne soient enfouis jusqu'au jour où ils ressurgiraient par un appel sanglant.
Je m'arrêtai subitement à l'instant où mes yeux se fermèrent, aveuglés par les éclats du soleil venu d'une clairière démunie de tout toit de branche, laissant place à la pénombre que j'appréciais. À la frontière entre le jour que je défiais et à la nuit qui m'emportait de ses griffes.
Des fleurs aux couleurs vives parsemaient le sol, certaines pliées par les puissances extérieures, d'autres encore, debout, attendant les glaces de l'hiver avant de faner et mourir, brisées par la froideur des saisons. Ma respiration se tut tandis que je déviais mes pupilles sur la bête dont le flanc se gonflait avec avidité. Ses yeux scrutaient les bois, paniqués, sans me voir cachée derrière un arbre. Les instants s'écoulèrent et ses muscles se modérèrent, pensant qu'ils m'avaient semée. Pauvre bête, elle ne se doutait pas qu'elle m'affrontait.
Délicatement avec toute la douceur requise, je sortis une flèche de mon carquois et l'enfilai à mon arc avec une discrétion telle que tout bruit était imperceptible. La mélopée de la brise qui annonçait l'éveil de la saison de feu nous berçait. La mèche qui entravait ma vue se souleva à son contact pour retomber le long de ma joue d'une caresse que j'ignorai. Le visage démuni d'émotions, je ne la quittai pas des yeux.
Je levai l'arc pour que la pointe d'obsidienne trouve la hauteur de mes pupilles et vise sa gorge à la veine gonflée. Une inspiration engouffra l'air dans mes poumons avant que je ne cesse de respirer. Le temps qu'une goutte ne s'écrase au sol aussi silencieuse que la mort s'écoula, et le cerf tomba à terre. Un tir parfait, celui qui ôte la vie de la bête d'un seul souffle.
J'abaissai mon arc sans pour autant ranger la flèche inutilisée dans son carquois, la gardant en cas de danger. L'être qui avait commis cet acte n'était pas une de mes chasseresses bien trop éloignées et aux flèches différentes. Celle ou celui qui avait osé me défier en abattant ma proie ne devait pas être bien loin, ni conscient de son erreur.
Le léger bruit des feuillages qui se trémoussaient derrière moi attira mon attention, me faisant me retourner pour observer d'un œil attentif les lieux. Le bruit persistant me prouvait qu'il n'était qu'un amateur, ou un brillant chasseur. Les arbres occupés uniquement par des volatiles et des écureuils dévièrent mon regard sur un buisson à quelques pas. Je m'étais trompée, l'affronteur pouvait être doué pour la chasse, mais pas pour la discrétion.
Je m'approchai sans crainte malgré mon expérience, et m'arrêtai lorsque les feuilles encore vertes effleurèrent mes pieds de leur caresse pointue. Un sourire malicieux se dessina sur mes lèvres, ressentant une panique émanant de l'arbuste. Je brandis mon arc avec une lenteur perverse pour faire durer ce plaisir de la torture issue d'une frayeur. Je me délectais encore lorsque je visai le centre du buisson et attendis quelques instants pour percevoir sa respiration avant de l'interpeller.
– L'être qui se dissimule derrière ces branches, je t'ordonne de te montrer ! clamai-je d'une voix forte.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top