60. Visions {partie 3}

« Good people are Like
Candles
They burn themselves up
To give others
Light»

« Les bonnes personnes sont comme des bougies.
Elles se flambent pour donner aux autres de la lumière.

Je sentis mon cœur se serrer à le voir observer le lever du soleil sans aucune inquiétude du silence de la nature et les ténèbres qui pesaient encore. Une autre image, Oarion aux yeux bruns, Hippolyte qui le mettait en garde contre cette possession étrange. En vain.

Rien n'y fit, je revins à lui. Les pupilles fixées aux images que m'imposaient ces herbes traîtresses, œuvre de Delphes qui jamais ne les contrôlerait pleinement. Des forces bien plus primitives.

Une odeur de sang et de mort lui parvint, le tirant de ses pensées, et cette odeur provoqua un sursaut dans mon ventre et la douleur renaquit. Il s'arrêta, observant les alentours. Un cri puissant retentit, et se répéta en boucle. Le mien qui hurlait de douleur avant qu'il ne se taise et que des corbeaux s'envolent.

Il s'élança dans ma direction, ressentant le danger qui se répercutait dans la moelle de ses os jusqu'à apercevoir au loin un corps qui ne bougeait plus. Il était étendu sur le sable blanc et fin, craquant sous les pas comme des os.

À mesure qu'il s'approchait, les contours familiers se dessinèrent jusqu'à ce qu'il le reconnaisse, se laissant choir au côté du corps, entrevoyant la flèche près du cœur. La mienne, une flèche qui se voulait alliée. La tunique blanche, la lumière qu'il avait toujours été était tâchée de son propre sang. Je vis son torse se soulever avec difficulté, provoquant un élan d'espoir de sa survie.

Entendant les battements de son cœur irréguliers, il l'appela, suppliant, mais calme, s'efforçant de l'éveiller. Il le tenait par ses vêtements pour le secouer avec force jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent avec faiblesse, papillonnant, mais l'humidité vitreuse était percutante de vérité.

– Oarion ? Tu es vivant par toutes les divinités anciennes. Je vais t'aider, lui affirma-t-il d'une voix tremblante tout en cassant la flèche en deux et de la retirer avec connaissance.

Il tenta de se lever dans l'espoir de chercher des herbes, mais il fut retenu par un bras encore ferme, mais dont les veines viraient au noir.

– Candeon, c'est fini, ne fais rien. Un scorpion m'a piqué, prononça-t-il d'une intonation faible et mourante.

– Je t'ai promis de ne jamais te laisser tomber, répliqua-t-il, revenant à ses côtés, et je lus sur son visage qu'il n'avait pas compris la condamnation à mort, niant.

Je retins une larme, les lèvres fissurées, le cœur qui avait cessé de battre, enfermé dans une cage qui le pinçait, le tordait douloureusement. Les épines qui me retenaient furent senties avec plus de hargne. Elles me faisaient payer ces instants sans comprendre que la souffrance ne me quitterait jamais.

– Il n'y a rien à faire, le poison va bientôt atteindre mon cœur. Tu le sais, je vais mourir, insista-t-il, des larmes perlant aux coins de ses yeux, et je ressentis le désespoir du mourant qui avait échoué dans sa tâche.

J'étouffai un sanglot tout comme Hippolyte qui blanchissait à vue d'œil, restant statufié à ses côtés.

La respiration d'Oarion accélérait peu à peu, l'air lui manquait, le fil de sa vie allait être coupé tout bientôt et Hippolyte ne pouvait rien y faire si ce n'était être spectateur d'une mort insauvable. Il mourrait sous ses yeux, et il était impuissant. Tout comme je l'étais, et nous périssions lentement à ses côtés.

– Je vais réussir à te soigner, j'ai des pouvoirs, affirma-t-il, sachant très bien qu'il ne pourrait rien en tirer, car il n'était pas suffisamment puissant.

Il était démuni de ses capacités et trop faible pour le sauver. Ses origines bien que divines ne lui permettraient rien. Pas face aux anges de la mort.

– Non, c'est trop tard, déclara-t-il, et Hippolyte vint lui serrer la main, fort, sans le lâcher jusqu'à son dernier souffle, l'écoutant en silence dans ce monde qui ne permettait aucun survivant, enlevant les plus héroïques au monde indigne de les accueillir. Te souviens-tu lorsque nous étions enfants ? La misère que nous donnions aux servantes ?  Détruisant le palais à chacun de nos jeux, tirant sur tout et n'importe quoi de nos flèches ? La fois où l'une d'elles se planta sur le fessier d'un émissaire et que le vizir de mon père nous a puni ? se souvint-il avec un léger sourire, et Hippolyte l'imita, et tous deux semblaient être un reflet des jumeaux archers sur l'Olympe.

– Oui, nous avions été punis de tir à l'arc pendant des jours et j'étais si hautain, que je fus vite remis à ma place par ma sœur encore présente. Ce qui a fait qu'elle est restée une année de plus à me tenir à l'œil, et effrayer la nuit les courtisans.

– Ce n'était pas la pire de nos bêtises.

– Loin de là même. La fois où nous avions confronté ces deux jumelles et que nous nous les étions échangées ?

– Elles en avaient été blessées.

– La marque de leur gifle était restée longtemps, rappela-t-il dans un sanglot étouffé.

Les lèvres entrouvertes, il désirait parler des jours encore, lui encore vivant, mais le temps courait dans un monde dont chaque chose avait une fin. Et la Mort le savait, volant sans différence. Le torse en sueur de la peur, pris de soubresauts du cœur. À mesure que la fin s'approchait, il s'agrippait à son frère dans l'espoir de le retenir davantage sur terre, le regard suppliant qu'il ne quitte pas la vie pour rejoindre un autre monde. Qu'il ne l'abandonne pas à sa merci dans un univers où tous le voulaient mort, et se dissimuler, tromper et être plus malin que les autres était sa survie aux limites.

– Je n'aurais pas dû te mettre dans cette galère qui voguait tout droit dans la gueule de Charybde, murmura presque Candeon d'une voix de plus en plus faible, sentant les remords et regrets bien qu'il n'eût pas choisi la Béotie comme refuge.

Et s'il avait le choix, sans même le connaître, il ne l'aurait pas condamné avec lui dans cette malédiction mortelle.

– J'ai décidé d'y monter avec toi parce que tu es mon meilleur ami. Je n'ai personne d'autre, j'ai tout perdu, mon frère, et tel fut mon choix. Je voulais qu'ils vivent, et sache-le, tu ignores bien des choses. Ce n'est pas toi qui m'y as embarqué, j'étais dans une autre galère. Je n'ai fait que rejoindre un second bord.

Il ne lui partagea pas la certitude qu'il se perdait et que seul, il devrait trouver un moyen pour ne pas mourir sous l'assaut de ses ennemis. Oarion toussota, et une larme de sang coula au coin de ses lèvres. Le poison remontait les veines, se faufilant dans le sang, prenant les morceaux de vie avec une avidité sadique, se délectant de cette souffrance démunie de sens. Un plaisir malsain que je ressentais à la mort de mes adversaires sans une raison précise du mérite qu'ils souffrent. D'une vitesse cruelle, il avançait vers le cœur prêt à le faire cesser de battre à jamais. Ses veines avaient viré au noir terreux des entrailles de Gaïa.

– Promets-moi que tu prendras soin d'elles, pour moi, le supplia-t-il sachant que le temps lui était compté et que bientôt ses paupières se fermeraient à jamais.

Il serait emporté dans les étoiles où il brillerait, célébrant le cycle du grain.

Hippolyte resta un instant silencieux. Je ne compris pas qui était ces elles, mais je vis une haine envahir son visage, certainement l'évocation de mon nom. Je souffris des mots acerbes à mon encontre qu'il lança avec rage à Oarion.

– Pourquoi elle ? Pourquoi Diane ? J'ai reconnu sa flèche. Diane, c'est elle ?

– Oui, c'est elle, mais pardonne-la comme moi je l'ai fait, souffla-t-il, perdant en intensité, et je sentis un soulagement dans mon cœur. Elle n'était pas elle-même comme moi je n'étais pas moi. Cette île nous a rendus fous, la terre me contrôle, car je suis son fils, mais elle n'aura pas les autres. Une autre manipulation allait contre elle, mais liée à ma mère. Vous êtes tous en danger, quelque chose arrive, confirma-t-il avec un voile qui recouvrait peu à peu ses pupilles comme s'il était déjà en parti de l'autre côté. Pour la première fois, je n'ai rien maîtrisé, ajouta-t-il dans un rire avant de continuer. Je ne pourrai pas vous aider, plus vous sauver, car je n'ai pas su comprendre que tel était son destin, confia-t-il dans un sanglot, et des larmes de peine coulèrent de ses yeux, provoquant d'autres le long de mes joues, et mes lèvres se gonflèrent d'eau salée.

– Il doit y avoir une solution, sanglota Hippolyte, serrant encore plus fortement la main de son frère, tentant de prendre sa douleur.

Mais rien n'y changea et je sus qu'il partait dans un semblant de paix, du moins physique, car il affirmait que tel était son destin.

– Je vais mourir, je le sais, mais mourir n'est pas douloureux. Cela libère nos souffrances, nos démons, observa-t-il, sachant qu'il ne partait pas en paix, que sa mission n'était pas terminée et l'eidolon qu'il était devenu n'était que le reflet de ses pensées. Nous nous reverrons, j'en suis certain. Promets-moi que tu les protégeras, je les laisse entre tes mains. Je te fais confiance, mon frère.

– Elle t'avait prévenu, elle t'a dit que ta sœur avait tout oublié et tu ne l'as pas écouté, lui fit savoir Hippolyte en pleurs. Je te le jure, pour toi mon frère, rien ne lui arrivera, mais sache que pour Diane... laissa-t-il un instant son souffle suspendu dans l'air avant de continuer. Je te vengerai, je te le promets, fut son unique réponse en larmes devenues muettes qui ne faisaient qu'humidifier ses yeux, et cette haine à mon encontre s'était transformée en amour.

– Non, Candeon, je t'en supplie, commença-t-il avant de s'étouffer avec son propre sang qui commença à jaillir d'entre ses lèvres, et je vis sa bouche s'en remplir, l'étouffant et l'obligeant à se redresser pour se calmer.

Ce geste provoqua des pleurs plus bruyants qui par le geste imposant enserra l'emprise des ronces sur mon corps, le lésant, mais je ne le sentis pas.

Il mourrait et Hippolyte l'aida à s'exprimer une dernière fois, l'asseyant sur le sable et le serrant dans ses bras, se retenant d'éclater tout comme moi. Il ne le lâchait pas. Oarion partait, son cœur ralentissait et l'ombre de la mort rôdait autour de lui, faisant même fuir les anges noirs. Elle était prête à couper le fil de la vie d'un coup bref.

– Tu n'es peut-être pas né mon frère, mais... Mais tu mourras comme tel, et tu le seras toujours jusqu'à ce que je meurs à mon tour, prononça-t-il d'une voix sincère, retenant ses larmes de peine et regardant droit devant lui avant de fermer les yeux sans croire ce qu'il se passait.

Il souhaitait devenir aveugle, mais même ainsi il ressentait cette peine comme je l'avais ressentie. Moi qui plongeais dans les abysses sans parvenir à la taire, me noyant dans la folie noire, luttant contre un appel qui pourrait me faire oublier, et j'avais réussi contrairement à l'avenir d'Hippolyte.

– J'ai juste voulu vous aider et j'ai failli... Je vous aime et je suis désolé, furent ses dernières paroles d'une voix faible et presque muette, un aveu volé par le vent qui l'emporta à l'horizon, loin de ses proches.

– Je te promets, mon frère, que tu ne seras pas mort en vain.

Il n'obtint aucune réponse, et il serra plus fort sans le lâcher, sentant qu'il rendait son dernier souffle dans cette île souillée. Les battements du cœur cessèrent et il le reposa doucement sur le sol, mais il nia, agrippant ses vêtements de sang qu'il malmena dans l'espoir de le ramener, les yeux en larmes rouges.

– Ouvre les yeux ! Mon frère ! Non ! cria-t-il, et il finit par poser sa tête sur son torse dans l'espoir d'entendre repartir son cœur, en vain, car nous n'avions jamais de seconde chance.

Il ne réagit pas, son âme avait quitté son corps et ne reviendrait plus. Le vent froid fut l'unique être qui lui répondit, séchant ses larmes qui avaient arrêté de couler. L'unique personne qui comptait désormais dans sa vie d'exilé était partie. Le soleil avançait toujours dans sa course tandis que l'espoir et l'humanité le quittaient.

Il serra la main froide de son frère et dans un silence mortuaire, il éveilla ses pouvoirs. Le bras puis le reste du corps se solidifièrent, devenant glace, une statue mortelle. De ses yeux humides de larmes, regardant le corps glacial se briser en morceaux comme des perles d'eaux froides et éternelles, comme un cœur qui n'avait pas pu résister aux tempêtes, qui avait brûlé sa flamme de vie pour l'offrir en sacrifice aux autres.

Il se leva et chaque flocon s'envola avant de prendre feu. Dans un geste rageur et empli de souffrance, il les lança dans le ciel où elles brillèrent comme des étoiles durant des jours et des jours. Un dernier hommage, mais pas un adieu, juste un au revoir. Un geste déférent.

Il resta là, un instant, à pleurer de chaudes larmes de tristesse qui se muèrent en colère, provoquant un cri bestial qui jaillit de sa gorge qui me fit frémir de crainte. La haine à mon égard dans ses yeux me donna envie de fuir, car lorsque nous perdions tout, il y avait bien peu qui nous maintenait en vie et j'avais eu la chance d'avoir encore des personnes à mes côtés. Contrairement à lui qui désirait me tuer.

Son cœur devint glace, et au loin des aboiements retentirent, mes chiens, et il sut qu'il était temps de fuir, de disparaître, de partir, de se volatiliser avec une cible en tête. Précise, sanguinaire. Il allait me tuer, je le sus. Il voulait me détruire, me faire souffrir, et sans un regard en arrière, il partit de cette île maudite, abandonnant de côté son humanité et cédant à l'appel du sang. Les démons qui m'avaient murmuré à Corinthe connaissaient la vérité.

Devenant un meurtrier, le criminel du sud jusqu'à ce que son cœur ne se réchauffe par la main d'une jeune femme qui me ressemblait, un écho d'un rêve lointain que j'oubliais, nous ôtant tous deux de cette période de ténèbres qui nous enterrait. Il était devenu Hippolyte avant que nos routes ne se croisent une dernière fois, réchauffant nos cœurs, et les sentiments noirs échappés pour garder l'amour.

Il avait dissimulé pourtant ces secrets pour lui. Haïssant, mais aimant à la fois une seule et unique femme aux deux visages, tout comme lui. La lumière lui avait souri de nouveau, tout comme pour la déesse meurtrière.

La cage se resserra sur moi, le monde s'obscurcit, me plongeant dans une illusion cauchemardesque d'un passé que je ne pus rattacher.

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Tout va bien mes petites victimes, ce n'est que le début ! Donc gardez vos larmes au chaud que le bouquet final n'y est pas encore.

Voici mon état en écrivant cette scène:

Ne vous inquiétez, l'une des dernières scènes écrites (à venir pour vous) j'étais comme ça:

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