60. Visions {partie 1}
« Some secrets hurt too much to be revealed »
« Certains secrets font trop mal pour être révélés »
Impuissante, spectatrice d'une vie qui n'était pas la mienne, prisonnière d'une cage qui plantait ses épines dans ma peau, m'empêchant de me mouvoir, de dévoiler mes bras pour exprimer mes sentiments, m'interdisant de libérer mes poumons pour insuffler mes paroles. Rivant mes yeux sur des images que je ne pouvais changer, recevant les poignards dans mon corps, écorchant vif mon cœur.
Une salle de palais, bien plus ancienne que la grandissante Mycènes, aux éclats de froids démunis des fresques vives des minoens, se dessina. Je ne distinguais pas les détails, uniquement les ombres des silhouettes, des tâches brumeuses de parois ternes et des formes métalliques des objets présents dans ce qui semblait être la salle du trône.
Le monde flouté, je ne voyais que les deux hommes qui menaient une discussion houleuse, mais seul des bribes me parvenaient que je suivis attentivement sans quitter des yeux Oarion que je reconnus. Bien que dos à moi, il faisait face à son père, vêtu d'un pagne simple contrairement à son géniteur aux bijoux imposants, aux drapés épais et à la couronne d'un or lourd venu du nord du continent, des mers froides.
– Comprenez-moi ! s'écria-t-il tout en s'efforçant de rester calme face à la colère explosive de son père, et la sienne grandissante, et je sursautai.
– Non, vous m'obéirez. Ce mariage aura lieu.
– Père, vous le savez très bien. C'est ma sœur, ma petite sœur ! Cette idée folle est à l'encontre des lois de l'univers, et vous le savez. Les mortels en sont punis, les dieux se permettent des impasses, mais nous ne sommes pas tous ainsi ! L'idée, rien que la mentionner me dégoûte, et je ne vais pas vous décrire la sensation que j'y ressens rien que d'y penser. Pourquoi avoir accepté cette atrocité ? s'emporta-t-il d'une façon que je ne l'avais jamais connu, serrant les poings jusqu'à en blanchir ses phalanges.
– Vous le savez très bien.
– Le pouvoir ? Les faveurs de l'Olympe ? La Béotie pourrait survivre avec moins que cela. Nous sommes les derniers héritiers de l'ancienne ère, nous sommes entre deux temps et il est le moment de se détacher pour ne pas finir comme ces tyrans dans le royaume des morts.
– Je leur dois beaucoup, je leur dois toi.
– Je le sais père, mais à leurs yeux je suis une pièce de choix. La preuve, ils m'ont fait grandir à l'Olympe et ce n'est pas grâce à l'amour de mes pères. Ils ne se soucient pas de moi, je ne suis qu'un instrument, comme d'autres mortels. Je ne l'ignore pas.
– Je leur suis redevable, rien n'y changera. Ils sont supérieurs à nous. Respecte-les, ou tu finiras comme nos ancêtres. Sous les flots.
– Changez donc de stratégie si vous souhaitez rester sur terre.
– Vous savez ce qu'exige Zeus, il n'acceptera pas une impasse. Il veut arriver à son but.
– Il ne l'obtiendra pas ainsi que bien même il le pense.
– Voulez-vous donc lui dire la vérité ? questionna-t-il, le mettant au défis, mais il n'était pas de ceux à berner.
– Je ne le peux, mais je suis suffisamment mature pour être instruit des jeux du pouvoir. La noblesse, les fêtes des palais, je les connais bien. Et encore plus leur hypocrisie, prononça-t-il avec la même haine que moi lorsque je touchais le sujet de ces puissances basées sur la richesse que j'avais toujours fui. Le contrôle de notre royaume, le silence des Ases, le continent, l'héritage sauvage... Ils le veulent pour eux, mais ne l'auront pas et je ne le leur offrirai rien bien que j'en sois la porte. Je préfère me battre et même me sacrifier que de les laisser franchir cette frontière.
– Il n'y aura pas de guerre, le coupa le roi d'un geste de la main, ferme, mais l'intonation tremblante laissait supposer le contraire.
– Car ils cherchent ce qui n'existe pas, du moins, à leurs yeux. Zeus ne mérite pas d'être empereur.
– Surveillez vos mots ou vous le regretterez, je vous croyais plus responsable, abattit-il d'une voix sèche.
– Le plateau de l'empyrée et des mortels ne devrait pas être sur le même niveau, et me créer pour le lien ne leur servira à rien. Humains et dieux ne devraient pas combattre mains dans les mains. Ils ont en goûté le prix, pourquoi persister cette erreur ? Ils le montrent eux-mêmes, ils sont supérieurs à nous. Nous leur devons ce respect ainsi que l'obéissance, et en échange, ils devraient nous guider. Qu'importe, je ne peux pas donner un avis sur ces affaires, car j'appartiens aux deux. Et même ainsi, les dieux entre eux-mêmes montrent qui tient les rênes et crée des armes pour le prouver, tout comme la pauvre Pandore. Je refuserai.
– Vous ne pouvez pas.
– Je suis libre, j'ai été façonné sur terre et mer, foudroyé par le ciel, et cadeau des divinités pour vous. Je n'appartiens ni aux humains, ni aux dieux, et je n'obéirai à aucun si c'est pour ces affaires-là ! s'écria-t-il, et je me sentis sursauter une fois de plus par cette facette sans pour autant quitter des yeux ce qui se déroulait.
Des larmes silencieuses coulaient, accompagnées de gouttes de sueur qui glissaient le long de mon échine, provoquant des frémissements d'une angoisse qui me tirait en direction des abysses obscurs, une descente dans le royaume des morts sans pour autant parvenir à me détacher de la scène. Je ne comprenais pas les allusions, je ne saisissais pas le passé bien plus complexe que j'imaginais. Je le savais fils de Poséidon, mais je le pensais d'une mère mortelle.
Pourquoi avançait-il de faire partie de la race de la terre ? Façonné de la poussière de Gaïa par des mains, et la vie donnée, tout comme Pandore ? Elle-même l'un des instruments des dieux, et ses paroles s'éclaircissaient. Il avait été offert au roi de Béotie comme gage, mais il soulevait l'arme qu'il était, mais de qui ?
Seul le silence des lieux me répondit, pesant malgré le vent léger d'une fin d'hiver. Ils se jaugeaient du regard, attendant que l'un ou l'autre se décide à mettre fin à cet échange vain, et je fus étonnée de constater à quel point mon frère s'était battu pour nous. Je ne l'avais jamais vu aussi rude, coléreux, mais j'en fus heureuse. Moi qui pensais qu'il avait suivi sans mot dire, je m'étais trompée, je le connaissais bien mal.
Un grincement de porte retentit, et je tentai de tourner la tête, provoquant une grimace de douleur sur mon visage qui ne bougea pas lorsque mes cheveux s'entortillèrent dans les ronces qui me maintenaient.
Un jeune homme entra dans mon champ, et il me fut visible, se détachant du monde flou autour de lui. Il jeta un furtif regard en arrière, comme s'il m'avait remarqué, ou qu'il s'assurait que nul ne le suivait. Lui qui avait été alerté, et j'aperçus ses yeux pers qui faisaient défaillir, le reconnaissant. Hippolyte.
– Que se passe-t-il ? demanda-t-il comme s'il ne savait rien du monde.
Le chasseur dissimulé dans un royaume et dont les permissions se limitaient à la liberté sauvage et anonyme dans un monde puissant qui ne se souciait pas de ceux qui n'avaient de réel nom, d'appartenance. Et dont la réputation était insignifiante, trop semblable. Il se mêlait à la masse de la Grèce, se préservant de ses ennemis dont j'ignorais tout.
– Oarion, si vous refusez ce mariage je le livrerai à l'Olympe et avouerai toute la vérité sur lui, votre sœur, votre frère et vous-même, menaça le roi tout en pointant Hippolyte du doigt, mais je le vis frémissant de crainte.
– Vous ne pouvez pas me livrer, s'emporta le concerné, et je sentis la colère s'étendre dans la salle d'une aura dangereuse qui faisait craindre son nom à tous, dont le roi qui recula d'un pas tout comme les torches et leur flamme. Vous connaissez les conséquences, le mit-il en garde.
– Ils vous ont oublié, vous n'avez pas de nom, pas d'histoire, vous n'êtes qu'un fantôme en dérive, tenta-t-il, devenu pourtant livide. Ils ne nous feront rien, votre famille a perdu, votre père est en exil et les autres membres vous condamneront. Il faut savoir qui choisir comme alliés, j'ai choisi les vainqueurs, finit-il avant de sortir de ma vue et quelques pas plus tard, j'entendis la porte se refermer.
La panique habita le loup déguisé en agneau qui avait conscience que s'il était révélé, il était perdu et condamné à mort. Il ne craignait rien, sauf cela, et je ne comprenais pas l'ampleur du secret dissimulé dans ces âmes tourmentées par le poids du destin offert par les moires.
J'ai divisé le chapitre en 3 car il était trop long, mais les prochaines parties seront plus longues, je ne pouvais pas couper au milieu d'une scène ahaha
On se retrouve vendredi matin puis dimanche !
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