6. Décision rebelle [partie 2]
«The giant in front of you is never bigger
than the godess who lives in you»
J'observai la tablée, les invités et les plats vides qui me faisaient face. La sensation de tout voir, ma domination qui s'étendait et le contrôle élargit mon sourire. Le cuir d'or qui entourait ma tête en guise de diadème râpa mon front lorsqu'il se plissa, et je sentis ma cicatrice en forme de croissant. Mon père restait proche, bien droit, et pourrait me retenir. Le siège imposant bloquait toute échappatoire. Un frissonnement me saisit à la pensée de ce qui pourrait m'arriver si je ne parvenais pas à mon but.
J'aperçus la lueur fière de mon jumeau qui éclairait son regard et son sourire encourageant à mon attention. Nous n'avions pas eu l'occasion de partager, mais il savait ce que je m'apprêtais à accomplir. Les liens de sang en particulier entre jumeaux étaient puissants. Rassérénée, je pris une grande inspiration avant de débuter ma nouvelle destinée.
– Silence ! hurlai-je, et je fus étonnée que tous les regards se portassent sur ma personne l'instant suivant. Durant vos débats, j'ai eu une illumination et je ne passerai pas par de multiples croisements et routes.
Je déglutis et sentis ma bouche devenir sèche. Je ne pouvais pas me taire. Les murmures parcoururent la salle, mais le silence redevint rapidement maître des lieux au moment précis où je repris la parole et qu'une perle de sueur coula le long de ma tempe.
– Je romps ces fiançailles. Je décide à la place de rester vierge à jamais ! clamai-je d'une voix puissante, laissant les convives abasourdis, m'offrant ainsi du temps avant qu'ils ne reviennent de leur surprise.
Ma robe composée de multiples tissus aux couleurs chatoyantes et aux bijoux multiples fut ma première victime. Je me débarrassai des perles, de l'or et des pierres qui résonnèrent au contact du marbre et du bois. Rapidement, mes doigts s'attaquèrent à mes autres vêtements. Le voile qui recouvrait mes épaules fut lancé plus loin, ma robe tomba au sol. Mes pupilles ardentes s'attardèrent un instant dessus pour admirer la qualité bien orientale du tissu, un présent. Qu'il brûle. Je plaignais les femmes qui se vêtaient de ces fardeaux.
Le bruissement du déchirement du tissu était d'une telle douceur à mes oreilles, que mes paupières s'entrefermèrent. Je ne ressentis aucune pitié à ôter le corset de cuir qui m'empêchait de respirer à ma guise. La goulée d'air que j'insufflai brûla mes poumons avant que je ne m'en prenne à la robe légère et blanche qui était le dernier rempart entre ma peau et l'air si pur et froid.
Je déchirai le bas jusqu'au-dessus des genoux ainsi que les manches sans oublier une partie de mon haut dévoilant presque ma poitrine. Une longueur qui me permettrait toute liberté de mouvements sans pour autant me confondre avec une catin. La tenue des chasseuses qui disparaissaient. Je secouai mes cheveux pour les libérer de leur coiffure contraignante.
Une main posée sur ma hanche, je défiais chaque personne de remuer les lèvres à mon attention d'un regard sauvage et provocateur. Un sentiment de liberté me saisit lorsque je me rendis compte que ma cage s'était ouverte. Je me sentais puissante.
Leurs yeux sur moi étaient tantôt outrés, tantôt impressionnés. Dieux, déesses, autrefois j'étais une princesse exemplaire qui se vêtait avec des tissus riches. Était-ce un problème si je préférais désormais être plongée dans mon bien-être et non le leur ? J'étais consciente d'être vêtue comme ces femelles aux multiples fantasmes qu'ils n'appréciaient pas, trop sauvages. Les hommes me détaillaient et les femmes jalousaient de ma liberté que je saisissais.
– Sachez qu'à partir de ce jour, mon royaume s'étendra du sud du mont Olympe jusqu'au royaume d'Athènes. De la Thessalie à l'Attique. Toute la Grèce centrale ! clamai-je d'une voix impériale.
– Ma fille, siffla mon père. Ce royaume est grand et tu ne le peux, tu en as déjà qui t'est promis.
Un rire amer s'échappa de ma gorge tandis que je me retournais, lui lançant des éclairs de colère. Il m'avait suffisamment fait souffrir. L'agneau cachait une louve et il le comprendrait suffisamment vite. Sa cape n'étoufferait pas le feu.
– Père, vous m'avez très bien comprise. Vos petites manigances sont terminées. Vous ne me contrôlez plus. Qu'importait vos motifs personnels qui n'avantageaient que vous et uniquement vous, ils sont réduits en poussière. C'est un royaume vaste, c'est pour cette raison que les villes royaumes des mortels continueront à suivre leur chemin, Achéens du centre ou Ioniens aux bordures. Ils me serviront et en échange, je les débarrasserai des bêtes sauvages qui les attaqueront. Mon campement se trouvera au pied du mont Pélion, de l'autre côté de la grotte de Chiron, à l'intérieur de mes terres et au centre de mon nouveau royaume. L'autre moitié de l'Attique sera laissée à Thésée et le Sud se débrouillera sans moi. Quant au nord, il est suffisamment barbare pour survivre sans mon aide et puis, les invasions ont débuté, ce ne sera pas mon territoire. Vous avez ignoré la braise cachée sous la cendre et aujourd'hui, la flamme se révèle. Ne me sous-estimez plus jamais, car vous goûterez aujourd'hui à ma puissance.
– Artemis ! Cesse donc de proclamer de telles absurdités !
– Cher père, répliquai-je avec sarcasme. Ma décision est prise, je ne reviendrai pas en arrière. Je suffoque sous ces murs, je vivrai dans une forêt. Elles sont désormais toutes sous ma protection et mon contrôle. Chaque colline, chaque arbre, chaque animal, chaque buisson, chaque herbe, chaque feuille. Je suis suffisamment bonne de ne pas saisir la Grèce en son complet, ricanai-je. Sauf les forêts, collines et montagnes que je partagerai, si la demande est faite avec amabilité, finis-je avec un air hautain.
– Vous perdez la tête. Guerriers ! Emparez-vous d'elle et enfermez-la dans ses appartements ! Le temps qu'elle se calme, ordonna-t-il.
Mon propre père se retournait contre moi ? Je haussai un sourcil tandis qu'un sourire joueur se dessina sur mes lèvres. Mon existence était emplie de surprises, et je m'en amusais aux éclats. Les bruits de pas des gardes s'approchant me réjouirent, j'étais lasse de rester assise, j'avais besoin de me détendre.
Avec une rapidité non feinte, je me déchaussai de ces souliers au cuir bien confortable et sautai sur la table avec une agilité étonnante. Satisfaite que ma souplesse soit restée en moi, je réagis sans faute et commençai à courir tout droit. Évitant les plats et gardant un équilibre pour ne pas choir sur un convive qui m'observait avec incompréhension.
– Artemis, attrape ! m'interpella une voix. Je pensais t'offrir pour ton anniversaire, mais étant donné les circonstances..., précisa-t-il d'un air espiègle.
J'attrapai en plein vol l'arc et le carquois que me lança Apollon avant d'effectuer une pirouette dans les airs, atterrissant plus loin, et de continuer au pas de course de mes jambes élancées. Je sentis la magie pure émaner d'eux. Les flèches d'or apportaient un magnifique contraste avec le cuir noir aux lueurs argentées qui les gardaient au chaud. L'arc d'un bois sombre avait le même cuir qui entourait la paume. Il n'était ni trop grand, ni trop petit. Il était parfait. Mon frère avait deviné mes intentions et m'avait surprise m'échapper auprès des cyclopes. Je passai le carquois dans mon dos et l'arc en bandoulière.
Effectuant ce simple geste, je n'aperçus pas le plateau d'argent sur lequel atterrit la plante de mon pied, le faisant glisser. Je rabattis l'autre par instinct sur le plat qui dévala la table sur plusieurs pas, détruisant tout sur son passage avant qu'il ne soit freiné par un plateau de fruits. Éjectée, je roulai sur une distance raisonnable avant de m'écraser, ma tête frappant avec force le bois. Je me relevai aussitôt, sonnée et les yeux brouilleurs. Je me sentais presque vaseuse.
Je repris mes esprits, clignant des yeux. En tournant la tête pour apercevoir les lieux, je rencontrai des yeux bleus que je pris d'abord pour ceux d'Apollon avant que je ne remarque que c'était ceux d'Oarion. Je me relevai aussitôt aux cris des soldats qui s'approchaient. Je fus saisie de lui lancer quelque chose en pleine face, lui annoncer ma décision en personne, mais aucun son ne sortit d'entre mes lèvres si ce ne fut qu'une chose :
– Je pensais te connaître, soufflai-je.
J'y crus déceler un éclat de fierté et son visage rayonna avant qu'il ne se crispe et ne se lève, me faisant réagir. Je bondis en avant pour le fuir, mon propre grand frère.
– Artemis ! Attends ! Tu vas le regretter ! Laisse-moi...
Je l'ignorai, sachant pertinemment que le temps était écoulé. Mes vêtements en lambeaux et les guerriers qui s'approchaient étaient de ma seule volonté. Je me sentis soudainement seule, prise dans cette folie. Avais-je fait une erreur ? Le doute s'insinua en moi, effacé par mon nom qui résonna dans mes tympans.
Athéna et Aphrodite effectuèrent des signes. J'accélérai ma course tandis que mes muscles se contractaient, me laissant souffrante par le manque de liberté. Les personnes reculaient à mon passage comme face à une reine. La confiance refit surface, illuminant mon visage.
Arrivée à la hauteur des deux immortelles je ralentis pour accueillir leurs cadeaux. La ceinture que me lança Aphrodite entoura ma taille et les deux poignards forgés par les cyclopes trouvèrent leur place dans les fourreaux de part et d'autre de mes hanches. Je remerciai silencieusement les deux déesses.
Je freinai brusquement apercevant la fin de la tablée et le vide sous mes pieds. Je ne pris pas la peine d'observer les nuages blancs qui s'étendaient à perte de vue, et je me retournai à la hâte prenant un élan de peur. Ils m'entouraient. D'un côté mon père, les guerriers et Oarion. De l'autre, mes alliés.
– Artemis ! Descends donc de cette table !
– Écoutez-moi tous, oui, vous tous autant que vous êtes à prendre votre bon plaisir sur ce mont sacré ! hurlai-je à leur attention, les pieds ancrés au sol. Vous avez participé à détruire mon cœur, me maintenant enchaînée et enfermée dans une cage. Je ne l'ai pas montré, me concentrant sur des choses qui me tenaient à cœur, mais aujourd'hui, vous avez réussi à tout m'enlever. J'ai suivi, aveuglée par un voile, ce leurre qu'était mon chemin tout tracé. Je me suis trompée. J'ai fait l'erreur de croire en vos paroles, m'assurant être celle que je pensais être lorsque je suis une autre. Je m'efforçais de m'enfouir au plus profond de mon âme tourmentée, noircissant chaque jour cette part de moi qui finalement jaillira sans contenu. Car je la libère pour suivre ma propre voie et me trouver dans ce labyrinthe de mensonges murmurés. Vous avez tenté de m'apprivoiser, vous n'avez fait qu'accroître ce désir inassouvi dont je me nourris à petite goutte dans mon enfance, profitant des rares occasions qui menèrent à ma mort angoissante. Je m'éveille finalement, je renais des cendres que vous avez cru éteintes lorsque sous elles brillait encore une braise qui aujourd'hui s'enflamme une nouvelle fois. Le passé n'est plus et les rivalités avec Asgard ne firent qu'aiguiser et de leurs étincelles, me brûlèrent. Chaque action de votre part ne me rendit que plus forte. Je ne suis plus la princesse Artemis Diane Olympus. Je suis Artemis, reine du monde sauvage, protectrice des enfants, des jeunes filles, de la nature et de tous ceux qui y vivent comme les chasseurs. En cette nuit de grâce, à l'aube de mon quinzième anniversaire, je fais vœu de rester chaste. Que toutes les femmes qui souhaitent me rejoindre viennent à moi. Nul homme ne sera autorisé sous risque de subir mon courroux. Je suis née de mes cendres et qu'importe le nombre de fois que vous tenterez de me tuer, je ne mourrai jamais. Je brûle de l'intérieur et vous ne ferez qu'éveiller la bête en moi, finis-je d'une voix devenue basse et sombre. Je n'abandonnerai jamais.
Une promesse.
Un silence pesant s'ensuivit et seuls les souffles lourds et saccadés des convives effrayés se répandaient dans la pièce. Le plaisir de leur crainte à mon égard me combla au point que ma langue vint humidifier mes lèvres, me retenant de me venger. Leur montrer suffisait pour le moment, et je n'étais pas au bout de mes peines pour m'imposer. Je n'avais fait que gagner la bataille.
– Artemis, si tel est ton choix tu...
– Je quoi, père ? Je verserai mon sang pour ce chemin que j'ai décidé d'emprunter. Je ne suis pas celle que vous connaissiez.
– Tu es bannie de l'Olympe. Emparez-vous d'elle !
Je retins un rire mauvais, défensif, et me pinçai les lèvres, provoquant un filet de sang qui coula sur mon menton. Le goût métallique réagit dans mon corps mêlé à leurs regards fortifiants. Je devais accomplir ce que j'avais déclaré.
– Chères divinités de l'empire de l'Olympe. Souvenez-vous de ce jour sacré comme le jour où la puissante déesse Artemis se rebella pour sortir de sa cage et prendre son envol, lâchant dans l'air ses cendres. Souvenez-vous que vous ne pouvez maintenir bien longtemps la soif de liberté en cage. Le loup sauvage trouve toujours le chemin à la forêt.
À ces mots, je me laissai tomber en arrière, chutant dans le vide, emportée par cette décision rebelle. Le vent sifflait dans mes oreilles tandis que je traversais les nuages et que mes yeux se fermaient. Je savourai cette effervescence et cette approche de liberté avant qu'un rayon aveuglant n'éclaire les cieux devenus noirs pas la nuit.
Je sentis une herbe douce sous mes pieds et mes pupilles admirèrent le paysage autour de moi éclairé par les rayons de lune. Une clairière. Au loin, j'aperçus le mont Pélion. J'étais parvenue à m'enfuir et briser la porte.
Un cri de joie fit s'envoler les oiseaux de leurs nids, parcourant les dessins que formaient les étoiles. Parsemé d'éclats, un rire nerveux s'échappa tandis que je me détendais, que ma respiration accélérait, que mon âme adhérait au vent sauvage qui faisait voler ma chevelure désordonnée avant de trouver son calme nocturne.
J'avais été exilée, mais j'avais définitivement coupé tout lien avec l'Olympe de mon passé. Mes aspirations étaient bien là. Libre et reine. Maîtresse de ma destinée. Le début d'un rêve qui j'espérais ne faisait que sortir d'un cauchemar et n'entrerait pas dans un autre auquel je doutais réussir à me réveiller.
J'étais moi-même.
Le chant d'une cascade qui résonnait dans la forêt silencieuse aux bruissements communs me ramena à la réalité. Je connaissais ce puits d'eau dans la pierre. Je touchais le fond dans l'air libre, et les abysses apparaissaient lorsque je pénétrais dans la minuscule grotte éclairée aux nuances bleues.
Ma tente s'y trouverait, mais avant toute chose, j'avais d'autres priorités. Je ne devais pas me réjouir plus longuement. Il me fallait des chasseresses et j'espérais que mon appel se répandrait et bien que l'Olympe était ce que j'avais fui, je devais récupérer une place au conseil, et qu'ils m'acceptent. Je n'avais pas tout gagné, je devais encore me battre pour l'impossible, pour enfin vivre. Je devais être reconnue et que la guerre n'éclate pas, ou que je finisse au Tartare. Je pensais grand, mais les marches étaient nombreuses avant que je n'atteigne le sommet. Je restais seule, mais pas pour longtemps.
Mes pieds nus s'enfoncèrent dans les bois en direction d'Athènes et du palais du roi Thésée. Mortel, suffisamment proche de l'Olympe et roi de la ville d'Athéna, dernier survivant ionien puissant et reconnu sous les attaques des Achéens. Je lui présenterais les changements qui allaient s'opérer et dans l'espoir d'y trouver un appui contre les autres petits rois. Si les choses tournaient mal, je maîtrisais l'Éther et n'hésiterais pas à me servir de mes nouvelles armes. Mes doigts effleurèrent la manche en cuir de l'un de mes poignards que j'ôtai de son fourreau.
La lame resplendissait au clair de lune. Je la caressai de l'extrémité de ma main qui s'y enfonça avec une naturalité déconcertante. J'observai l'entaille à mon doigt que je portai à mes lèvres, aspirant ce goût métallique, avant de la ranger à nouveau, sourire au coin et yeux lançant des éclats lumineux.
Le monde allait désormais voir qui j'étais réellement. Mes principes, mes combats, ma vie, mon royaume. Solitaire comme je l'aimais être. L'habillement aussi libre pour me permettre de voler entre les arbres. Plus de robe contraignante qui m'exaspérait et plus de règles imposées, je ferais ce qu'il me plaisait désormais.
Jeune, libre, aux alliés tout de même puissants. Ils m'avaient arraché les ailes pour m'empêcher de m'envoler au loin, mais ils avaient omis la possibilité que je cachais des griffes et des crocs. Il était temps d'enterrer la princesse Olympus et de voir s'élever la reine Artemis.
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