6. Décision rebelle [partie 1]

«I will show them what it means

to put a lion in a cage»






Dix ans plus tard

Le regard vide, les membres las, l'absence de mon être reflétait ma perception floutée. Mes yeux rougis par mes larmes qui contrastaient avec le blanc éclatant de mes yeux avaient fini par disparaître avec les jours. J'étais finalement devenue aveugle et sourde, et les souvenirs d'une enfance avec des frères n'étaient plus, devenue brume. J'avais tout oublié, sans aucune forme de remords ou de regrets si ce n'était un gouffre dans mon cœur.

Les convives discutaient tranquillement autour de moi, mais leurs murmures me parvenaient à peine. Assise aux côtés d'Oarion qui, d'une main anxieuse, tenait le dos de ma chaise recouverte de feuilles d'or, je ne croisais plus son regard depuis des jours. Les rares éclats de lucidité qui nous revenaient, à lui tout comme à moi, ne suffisaient plus pour nourrir l'espoir que tout redevienne comme autrefois, en ces temps heureux. Hier s'était couché pour ne plus jamais réapparaître. Il n'était plus, remplacé par un inconnu dont les simples mots d'épouser avaient vidé mon ventre révulsé. Mes lèvres, elles-mêmes, n'arrivaient plus à prononcer de si simples mots que je chérissais tant.

La coupe d'or posée devant moi m'était indifférente. Les rubis reflétaient les éclats d'un mariage prochain. J'allais prendre homme. Je n'en voulais pas de ce cadeau empoisonné. L'amour, j'y avais cru jusqu'à ce des paroles contraires soient débitées par mon père fou. Cet acte immoral et affreux me rongeait de l'intérieur et bientôt, je serais détruite. La vie n'était plus et les tentatives s'étaient tus et moi, je n'y avais pas participé par ma sensibilité qui m'enchaînait.

J'osai lui jeter un regard, dans l'espoir qu'un miracle se produise et que je me réveille de ce cauchemar dont les monstres vivants se promenaient en toute quiétude devant mes yeux assassins. Décontracté, je le connaissais suffisamment pour savoir qu'il était tendu et je tentais en vain de rattraper l'espoir qu'il n'était pas parti, mon protecteur.

Les mêmes yeux qu'Apollon, les mêmes cheveux que moi. Cette ressemblance me frapperait jusqu'à ce que la mort résonne à ma porte et je l'attendais comme dernier recours. La dernière personne que je considérais comme mon frère dans ce monde était tout aussi démuni que moi, mais ses éclats de rire n'étaient pas inaperçus. Apollon savait jouer la comédie, pourtant, je l'avais surpris en pleurs. Je préférais rester silencieuse, la parole ne servait strictement à rien. J'en avais payé le prix.

Quant à mon père, il était au zénith de sa joie. Les cadeaux affluaient, les empires le félicitaient et il en profitait sur mon dos. Je le haïssais plus que jamais et le supplier n'était pas une option. Je refusais de plier le genou après ce qu'il avait provoqué, brisé. Il était la source des fléaux qui s'abattaient sur notre famille. Tout cela pour une raison que j'ignorais encore jusqu'à ce que la lune rouge n'apparaisse dans le ciel.

Mes doigts fins jouaient discrètement avec la coupe d'or et d'un œil distrait, j'observais les plateaux désormais vides en l'attente des fruits qui ne tarderaient pas à arriver avec le miel et le lait de chèvre des montagnes. Dans le reflet de mon vin, je pouvais presque apercevoir une couronne sur ma tête, celle de reine d'un royaume qui n'était pas le mien. L'Hyrie en Béotie, dirigée par les Achéens et non les Ioniens.

Ce rêve qui se réaliserait n'était plus souhaitable, pas de cette manière du moins. Je n'arrivais pas à penser aux nuits de noces, les envies de déverser mon repas me prenaient à chaque fois. À mes yeux, elles n'existaient même pas dans mes pensées. J'avais la certitude que Zeus ne briserait plus le contrat de mariage malgré mes supplications et mes sanglots qui résonnaient après des lunes encore dans les couloirs du palais.

Il était trop tard pour nous. Apollon s'était échappé et j'espérais que jamais il ne goûterait à la condamnation de père. Ce choix contre les lois du cosmos bien que certains cas permettaient d'en fuir et qu'encore il y avait des dizaines d'années, les hommes des grottes le faisaient certainement... Ils avaient tout de même une forme de conscience qui était punie si elle était brisée. Nous avions évolué dans les pensées et les rares différences d'une espèce à l'autre retournaient le sablier. Titans, dieux, géants... Désormais, nous étions une nouvelle race qui ne serait plus renouvelée.

Pourtant, dans notre cas, les choses déjà stables n'y pouvaient rien pour taire ce mal-être. L'excuse même du sang ne suffisait pas, souillée par l'utilisation de mon père qui rabattait le lien que nous partagions à nous trois aux simples mots de cousins éloignés. Ces choses se faisaient, certes, mais pas dans une fratrie ou du moins, cela ne dérangeait pas lorsqu'il en était d'habitude comme dans l'empire du fleuve vert.

À l'Olympe, nous restions pour certaines choses proches des Occidentaux et pas suffisamment Orientaux. Même ainsi, je n'avais pas eu vent de ces méthodes chez les Hittites. Le scandale silencieux avait éclaté et aucun appui ne fut donné. Les cousins, peut-être et certainement. Les frères et sœurs, jamais.

Le courant de mon désordre brouilleur fut interrompu par l'homme ignoble qui me servait de père qui se leva de son trône à quelques chaises à peine, imposant sa domination à toute l'assemblée. Il les surplombait de sa stature sous le sourire amoureux de sa propre sœur. L'exception. Je ne pourrais pas finir comme eux. Je sentis quelque chose monter le long de mon œsophage avant qu'il ne redescende, oubliant encore une fois notre lien. Zeus ordonna le silence qui se fit.

Les lèvres de mon père prirent la parole et prononcèrent les mots fatidiques qui changeraient la donne pour qu'elle suive une voie que j'ignorais encore possible, mais dont la porte entrouverte serait révélée par ma main.

– Nous sommes en ce jour réunis pour fêter les quinze années de mon fils Apollon et de ma fille Artemis, commença-t-il sans avoir à préciser que c'était notre anniversaire d'années sur terre. Le sujet n'est pourtant pas là, mais il est bien dans le futur mariage de ma fille et d'Oarion, fils d'Hyrée qui naquit de la terre, prince d'Hyrie, ajouta-t-il sans préciser qu'il avait été marié et était veuf d'une mère qui avait eu deux filles d'un autre père.

Et sans oublier le fait qu'Hyrée était son père adoptif, contrairement à la légende réelle de sa naissance et à la semence de mon oncle, Poséidon, qui lui avait donné la vie.

– Il fera un excellent époux pour ma fille, affirma-t-il, omettant la vérité que tous connaissaient, désapprouvaient, mais qu'ils taisaient. Pour que la réputation de ma progéniture ne soit pas souillée comme d'autres, je vous fais part de cette loi, précisa-t-il, marquant une pause et observant chaque convive avant de continuer. Nulle divinité n'a le droit de s'unir à un mortel sous peine de subir une malédiction. Sur les eaux sacrées de la nymphe Styx, quiconque désobéira en subira sévèrement les conséquences. Les dieux et les mortels doivent être plus profondément séparés, tel est désormais la règle ! s'exclama-t-il, brandissant sa coupe sous les yeux approbateurs de son épouse.

Les divinités se levèrent d'une seule et même voix pour crier leur désaccord dans un chaos si lointain que je ne l'écoutais plus. Bien que les hommes étaient plus nombreux, les femmes n'étaient pas en manque.

Assise, j'observais le vide plus absent encore que dans mes rêves noirs. Ses mots avaient été comme une claque. Je le savais égoïste et que ses intérêts passaient avant toute chose, mais dans ce cas, il m'avait utilisée pour calmer les colères de son épouse en acclamant cette règle absurde qui condamnerait des innocents pour ses fautes.

Les hommes qui agissaient pour ce qui pendouillait sans gêne. Le matriarcat disparut, ils usaient de tout ce qui effleurait leur esprit pour nous faire comprendre à nous, les femmes, que les temps avaient changés. Il était plus marqué parmi les mortels, mais chez les dieux, un reflet était bien visible par la façon avec laquelle traitait mon père les femmes lorsque nous étions égalitaires et équitables depuis des siècles, bien qu'autrefois les femmes pesaient plus sur la balance. Telle était les faits parmi les immortels, reflet de leur propre civilisation d'une manière plus libératrice. J'avais peu d'années, et je ressentais qu'une injustice, bien que légère, était existante.

La rage montait à ma tête. Les déesses combattantes faisaient connaître leur nom, car elles s'imposaient. Héra pouvait mener la danse, mais d'une approche pas toujours admirable. Nous pouvions être ce que nous voulions si nous étions des divinités importantes. Les mineures subissaient et mon père n'hésitait pas à se comporter comme un mortel qui se prenait pour un dieu d'une manière bien plus immortelle. Il me dégoûtait. Il représentait tout ce qui me répugnait.

Derrière cette figure envieuse de nos droits communs entre sexes, nous restions regroupés sous une figure patriarcale. J'espérais qu'un jour les choses se calmeraient et que l'envie de bien clamer leur nouvelle domination diminue. Que nous revenions à un système où ce qui avait des seins ne soit pas mis à part et que tout redevienne comme avant, bien que ce soit sans plus de mère, mais un père, et ce cas dans certains peuples d'aujourd'hui disparaîtrait. Le changement se ferait sur des années et des siècles, mais il devait y avoir un moment pour arrêter la roue.

Pour l'instant, j'étais bloquée dans cette transition à subir les foudres d'un père qui me mariait jeune à un homme que je n'aimais pas, du moins de la manière attendue et même ainsi, il était mort à mes yeux. Le mariage forcé lorsque les dieux avaient la liberté de choisir et de courir. Cela n'avait pas empêché Zeus d'arranger le mariage entre Aphrodite et Héphaïstos. Mon oncle laissait plus de liberté aux enfers et j'en enviais les habitants.

Un violent mal de tête me prit tandis que je réalisais ces choses. J'avais cru qu'il n'y avait aucune différence parmi les dieux. Pourtant, des cas prouvaient le contraire et je refusais d'en faire partie. Je fus coupée du présent pour replonger dans le passé, me remémorant ces paroles venues d'un barbare qui n'acceptait pas la nudité comme ses semblables, mais dont les valeurs étaient meilleures que les nôtres. Bien que l'art était absent.

L'époque bien avant que ma conscience quittant l'enfance ne continue à écouter les ordres et les efforts d'obéir, menant à des insultes aux liens coupés avec Asgard. Certains souhaitaient mes faveurs en plaisantant, me montrant que cela leur était égal, mais au fond, cela ne l'était pas. Les remarques avaient juste évolué en d'autres formes plus faciles à introduire dans une conversation d'adultes et non d'enfants. Les prétendants ne me voulaient pas moi, ils désiraient les cadeaux des cieux. Mon corps s'était transformé, mon esprit s'était éteint, les braises brûlaient pourtant encore. Elles n'étaient pas cendres.

J'étais devenue une belle jeune femme et je réalisais enfin ce qui me manquait. Je n'étais pas celle que je laissais paraître. Une douleur au cœur me saisit tandis que j'acceptais ce que je niais. J'étais devenue un pion docile à la place de faire entendre ma voix, ce qui me transformait en une mineure enfermée sur l'Olympe sans la liberté de toucher autre chose que des murs de marbres. Ma vie n'avait plus de sens et un élan soudain me saisit tandis que mes iris s'enflammaient.

Il avait raison. Involontairement ou pas, il avait déblatéré des paroles avec lesquelles j'étais désormais en accord, bien que je ne l'assumais pas, sans façon. Fenrir n'aurait pas un mot de ma part.

Je ne serais plus un pion, je ne me vêtirais plus avec des robes aux multiples couches pour montrer la richesse de nos tissus. Bien que fins, ils n'étaient pas aussi nus que d'autres peuples ou des terres noires, nous restions grecs, crétois, achéens ou encore ioniens. J'avais raté une enfance contrainte sans que je réalise quoi que ce soit. Je ne trouvais pas ma place entre déesse combattante ou exemplaire. J'avais opté pour la mauvaise comme une majorité. Je n'étais pas ainsi et la question ne se formulait plus. Mes rêves jaillissant de mes désirs profonds, parlaient.

Les hommes s'intéressaient à tout ce qui ne faisait pas de nous des femmes différentes, capables d'être maîtresses de leur destin. Dans l'unique but de nous tenir au bout de la corde. Notre pouvoir les effrayait, et les fascinait à la fois. Inanna en était la preuve.

Les hommes qui toquaient aux portes des femmes puissantes et fortes ne se comptaient plus, mais il fallait qu'elles soient établies fixement au sol et plus nombreux étaient ceux qui les dénigraient. Je pensais particulièrement à cette pharaonne, la première, Nitekris, et également aux reines qui étaient toutes aussi respectées que leur époux. Un reflet de certaines déesses.

Les Grecs n'avaient jamais apprécié les amazones, mais j'avais entendu quelques murmures d'envies de goûter à ce qui était farouche. J'admirais les peuples de femmes qui résistaient à ces changements, indomptables et acharnés. Sumériennes ou scythes, sans oublier les Thraces et les voyageuses.

Les yeux baissés, j'avais tout accepté. Désormais, c'était à moi de planter la lame d'obsidienne sur le bois. Je n'étais pas parfaite et ne le serai jamais, je l'acceptais désormais. Je l'avais même compris.

Fenrir m'avait blessée, et avait détruit une partie de moi, mais pour certaines choses, il avait vrai. Me les avait-il lancées dans le but involontaire de m'ouvrir les yeux, ou était-il conscient et son achèvement bien précis ? Je ne le pensais pas d'une telle bonté, il ne faisait pas partie de ces personnes et il avait été vil avec moi d'autres façons. Ses méthodes avaient fait plier mes genoux.

Je me concentrais sur son ton sarcastique lorsqu'il visait à me blesser me montrant cette vérité. J'allais user de ces mots et oublier quelques instants l'aile qu'il avait arrachée. Je réfléchirai de moi-même. L'autre ne leur plaisait pas, à quoi bon continuer à combattre une cause qui n'était pas bonne ?

Un sourire sanguinaire étira mes lèvres, semblable à ceux qu'il me lançait autrefois. Ma décision était prise. Je ne me marierais pas, je resterais vierge à jamais. Je ne serais pas une femme faible, mais forte et combattrais pour mes rêves. Je soufflai finalement un remerciement à ce jeune garçon que j'avais tant haï, et je laissai planer le doute quant à sa véritable personne. Je ne pouvais pas faire plus.

Je me redressai de ma chaise et me dirigeai vers mon père, passant aux côtés de mon frère qui me jeta un regard interrogateur. Arrivée à la hauteur de mon paternel, je me penchai pour lui demander de me céder sa place pour que je puisse faire une déclaration à propos de mon mariage. Je tentai de contrôler ma voix, et il mordit à l'hameçon.

J'allais mettre un terme à tout ceci, m'affirmer pour une fois. Personne ne s'attendait à ce que j'allais leur servir. Chers convives, cette soirée sera marquée à jamais dans vos pauvres esprits.

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