58. Les jumeaux archers

« Maybe it's time to forgive the past »

D'un mouvement nerveux, je déposai la missive sur la table d'un geste pourtant léger qui ne la froissa pas, ni elle ni ses mots qui me bouleversaient. Les contours de ce papyrus conçu à l'aide d'écorce obscure et à l'encre aux nuances d'or se soulevèrent sous le vent, et Agrios battit des ailes. Je vins caresser du bout des doigts le sommet de sa tête, et son bec vint se frotter entre mes doigts. La douceur de ses plumes ne suffit pas, un léger soupir exaspéré s'échappa finalement d'entre mes lèvres devenues sèches par le vent qui m'assaillait suite à mes longs entraînements.

Ses serres étaient encore tièdes de cette missive qu'il m'avait fait parvenir depuis l'Hyperborée, sans que j'en connaisse les raisons si ce n'était un appel de ma mère. Elle me l'avait offert, et je l'avais remercié de mon silence. Si mon faucon s'y était rendu et avait accepté de me transmettre le mot de mon frère, je ne pouvais pas m'y soustraire. C'était davantage qu'un signe.

Un message de paix, à l'intonation semblable que celle de l'Olympe. Une excuse teintée de l'absence des regrets d'avoir commandé sa mort il y a quelques lunes, et le solstice d'hiver ne saurait tarder pour avaler la lumière de la nuit. Il était temps que je foule une nouvelle fois les terres de lumière, le territoire entre Jotunheim et Vanheim. Mon sang, mon héritage qui illuminait la lune, mon symbole.

Mes mains s'emparèrent d'une lanière de cuir, et d'une gestuelle pressante, je nouai ma chevelure en une tresse qui retomba le long de mon dos raide. Je me redressai de ma couche en peaux de bêtes aussi douces que les pelages en hiver, et pris la ceinture des deux poignards offerts par les déesses qui m'avaient trahi, mais je nécessitais des armes d'immortelles.

Un regard à la dague d'Hippolyte posée sur mon coffre, et je m'approchai lentement, la saisissant, observant les lanières de cuir qui la soutenaient, avant que je ne l'ôte. Mes doigts vinrent caresser le métal tiède, le manche aux arabesques, et je perçus ces fragments de pierre. Une pièce d'orfèvrerie, une œuvre que je reposai bien vite.

Il ne fallait pas allumer l'huile de mon frère qui ne se méfiait toujours pas de lui. Lors d'une paix, il ne fallait pas mentionner les plaies du passé, ou nous restions dans cette roue infernale qui creusait nos mausolées. Quant au collier qu'Hippolyte m'avait offert, je le dissimulai sous mes vêtements, refusant de m'en séparer. Jamais, ni même si les blessures les plus profondes détruisaient mon cœur.

Je saisis la missive, et fis signe à Agrios de se percher sur mon épaule. Ses serres se posèrent de manière à ne pas me blesser, effleurant mon épiderme ferme. Ses ailes caressèrent ma joue, et son bec joua un instant avec ma chevelure avant de se figer sur la lumière révélée lorsque je sortis de ma tente.

Un sifflement retentit, et mes lèvres restèrent le temps d'un souffle dans la position de ce vent hurlé en un bruit strident, avant qu'un sourire ne se dessine à la vue de Sirius. Ses aboiements furent courts, et coupés dès que je lui montrai mon index, lui indiquant de se taire et rester tranquille.

– Ma reine ?

Je tournai la tête en direction d'Opis, des flèches tenues entre ses mains, se préparant à la guerre malgré l'interdiction de l'Olympe. Ma rage alimentait les cœurs des chasseresses déterminées à déclarer le combat, et la mission d'Opis et de Phoebe leur avait permis d'avoir de nouvelles armes pour la bataille approchante, car elle aurait lieu. Nous le savions, le sentions.

– Je pars en Hyperborée, continuez vos activités sans moi. Je serai bien vite de retour.

– Saluez-la de ma part, me demanda-t-elle, esquissant à peine un sourire, et sa cicatrice tressaillit.

J'acquiesçai, sachant de qui elle parlait, puis fermai les yeux, commandant la lumière d'exploser pour m'emmener sur des plaines qui était aussi les miennes. Une caresse vint effleurer ma joue, celle d'un soleil proche de la terre comme les oiseaux lorsqu'ils frôlaient les nuages.

Je papillonnai doucement, m'habituant à cette lumière aveuglante à la dorure des cheveux de mon jumeau. Les contours se dessinèrent, une plaine vaste aux quelques collines et arbres, et au loin, je percevais une muraille de glace. La terre des géants, la terre de Fenrir. Mais les alentours étaient paisibles, et la ville de pierre étincelante n'était qu'à quelques pas, aux côtés de ce lac duquel je devinai les silhouettes des habitants à la peau d'or, et à la chevelure brillante pour les hyperboréens. Bien que certains étaient issus d'autres terres mortelles.

Je m'avançai en direction de l'entrée de cette ville, muraille ignorée par les habitants qui vivaient sur ces terres de bienheureux, ne se souciant ni de la guerre ni des ennemis qui les entouraient et qui souhaitaient se détruire. Les porteurs de lumière qui ne se souciaient pas, le cœur de ce métal précieux et brûlant. Emplis d'espoirs et d'espérances. Phoebe s'y serait plu davantage que chez les chasseresses.

Une petite enfant au bord de l'eau me salua, et je lui rendis son sourire avant de disparaître entre les rues de cette ville démunie de toute barrière féroce. La capitale était constituée de maisons de taille raisonnable et semblable, un reflet de Corinthe en fêtes. Des places aux sources se succédaient, et une femme s'amusait à l'aide de ses pouvoirs pour faire rire une petite foule d'habitants qui bien qu'ils ne possédaient pas le sang de ce peuple, ils étaient les bienvenus. Ni esclaves, ni riches, ni guerriers. Aucune caste particulière, si ce n'était la maîtrise de la lumière, des plantes ou autres instruments.

Un halo entourait ces lieux, apaisant nos corps pour permettre à l'âme et l'esprit de reprendre leurs droits, et je n'ignorais pas l'étendue des propriétés des herbes chamaniques dont ils étaient friands. À quelques jours de chevauché, la frontière scythe partageait cette passion pour la fumée mystique, et les pouvoirs de la lune qui éveillait les griffons, gardiens de l'or de ces lieux aux vertus d'éclats, et dont certains comme le reste du monde, possédaient des dons de métamorphoses. Et ce fait les liait à la nature d'une manière différente dont ma mère était l'exemple.

Une ombre passa dans le ciel, et je perçus la silhouette de deux cygnes repartir vers l'horizon d'où j'étais venue, leurs ailes battant les airs avec beauté. Des enfants les suivirent telle une comète dans la nuit, mais ici ce n'était aucun royaume des ténèbres, mais des luminescences, de la nature et de l'esprit. Nuit ou jour, des astres et des sources existaient, pleines. Phébé et Ceos, les dieux de ces terres, mes ancêtres et leurs enfants, liaient la lumière à la nuit sans jamais s'imposer dans le domaine de Nyx, si ce n'était Asteria, ou ma mère. Le pont était Hécate, fille de la Nuit, et de l'arc céleste.

Hyperborée. Un autre territoire lié à la Grèce, ses propres lois et ses divinités anciennes qui nous rattachaient encore par la Déesse Mère et son monde sauvage dont avait hérité en partie Léto avec la lune et la lumière, tout comme sa sœur. Un sang particulier, différent que les Achéens, astériens ou toutes autres divinités au domaine unique, coulait dans mes veines. Ce qui faisait de moi une déesse entre civilisation, et monde sauvage. Au crépuscule et à l'aube, entre chiens et loups.

– Artemis ?

Je relevai les yeux, percevant mon jumeau à la chevelure plus brillante encore qu'à l'accoutumée, et je n'ignorais pas que la mienne brune obscure s'était éclaircie, aux reflets devenus étincelants. Son pagne de cette blancheur éclatante qui éloignait les ténèbres était cousu de fils d'or, faisant de lui un membre royal de l'Hyperborée, mais tous connaissaient cette seconde nature qui l'habitait.

Cette nature héritée par l'autre moitié de ma mère, de la nature sauvage. Qu'une beauté dissimulait ses différents avec ces terres, contrairement à moi au chien qui talonnait et au faucon sur mon épaule. J'écartais Léto, mais sa présence était toujours présente. Partout, en particulier ici.

Nous nous toisâmes un instant, et Sirius mouvait sa queue, attentif, nous observant de ses yeux bruns. Je levai l'un de mes doigts, et les animaux partirent randonner entre les rues, et veiller sur moi de loin. Ils nous laissèrent seuls dans cette possibilité d'enterrer le passé, car malgré tout, nous avions chacun ôté à l'autre la vie d'un être aimé, malgré ma promesse de leur faire payer.

Une guerre, la famille pour maintenant et l'éternité. Oarion le souhaitait, je ne pouvais pas décevoir la dernière chose qu'il nous avait demandée, qu'il nous avait fait promettre. D'être ensemble, de s'ouvrir aux autres, d'accepter de l'aide pour avancer. Nous étions jumeaux. Nous étions des souverains, et puissants. Indomptables, sans être écrasés. Mais nous devions rester liés, à ceux que nous considérions famille, et en particulier entre nous.

Un pâle sourire se dessina sur le visage de mon frère, et les mots qu'il m'avait écrits me revinrent. Ceux d'oublier pour un instant nos différends, d'oublier le sang qui avait coulé de nos âmes sauvages d'où jaillissaient nos flèches et notre deuil. Nous ne nous rattachions pas à la ville de lumière, mais aux forêts qui l'entouraient. Par nos sangs, nous courions toujours entre deux royaumes, et cela me rassurait, car j'appartenais à la civilisation, et je ne sombrerais pas.

Je m'approchai sans un mot, me forçant à retenir ma colère, et le lieu choisi m'y aida, faisant brûler l'huile restante qui disparut pour éteindre le feu. Elle tournait la lumière paisible de la lune contre une âme tourmentée. Les deux facettes du monde, sans un autre toit que le ciel.

Il franchit les derniers pas qui nous séparaient, et me prit dans ses bras avec un tel désespoir, que tout disparut. Je le serrai à mon tour, et les douleurs que nous faisait ressentir notre lien s'apaisèrent. Les passants ne nous jetaient pas un regard, s'empressant de nous offrir l'espace de respirer, et cela dura de longs instants, et j'en fus reconnaissante.

– Que se passe-t-il ? finis-je par questionner, brisant la glace qui aurait pu se former, et il se recula, me faisant signe d'entrer dans cette demeure qu'était la nôtre.

Je franchis le seuil pour la première fois malgré mon nom retranscrit aux côtés de celui de mon jumeau à l'entrée en un cercle parfait de deux moitiés qui ne passeraient pas l'un avant l'autre. J'observai la pièce aux couleurs des sables, à une table d'or et aux herbes accumulées dans un coin. Arcs, flèches et instruments de chant avaient été accrochés, tous de l'or d'Hyperborée d'une froide tiédeur. Les colonnes blanches et peintes d'or étaient un reflet de mon frère, ma moitié, mais les murs et les peaux étaient à mon image sans que je ne l'aie souhaité.

– Bienvenue chez toi.

– Je me suis toujours refusée à venir, lui fis-je se rappeler, le rejoignant autour de cette table gravée d'animaux et ses esprits, comme ceux des aurores boréales. Est-ce réellement chez moi ?

– Artemis, commença-t-il avant de se reprendre, préférant ne pas aborder un tel sujet si tôt après la fin de notre haine, elle qui ne venait que de débuter. Je veux juste recommencer, comme avant tout ça, déclara-t-il d'un geste de la main.

– Nous sommes à l'aube d'une guerre à laquelle l'Olympe m'a interdit de participer, par ta faute, l'accusai-je du doigt, et il passa une main dans ses cheveux qui avaient bouclé.

– Artemis, l'Olympe aurait fait bien pire si je n'étais pas intervenu, et je ne voulais que te protéger, t'aider. Comme le fait une famille pour que l'autre garde un équilibre. Mais, je sais que je me suis trompé. Pour beaucoup de choses, et je m'en excuse. Sincèrement, lâcha-t-il d'une voix brisée, avançant doucement avec ma fureur comme j'avais tenté ces dernières années, et ce jour où il avait menacé Hippolyte dans ma tente.

Je m'éloignai de quelques pas, promenant mes yeux sur ces tablettes accumulées, ces papyrus négligemment jetés comme si des tourments l'assaillaient, des problèmes irrésolus comme j'en avais eu vent. Daphné avait raison, ses sources étaient bonnes, sans aucun doute des nymphes de ce royaume loin de tout. Mon frère était submergé au point d'abandonner Merope et ses conquêtes. Ces paroles étaient retombées doucement, n'animant qu'une colère grandissante, et l'odeur des plantes ne me calma en aucun cas.

– Je sais me protéger seule.

– Nous sommes une famille, et dans une famille, il y a toujours des instants où nous pensons que l'autre est aveuglé. Tu as fait de même avec moi, pourquoi ne pourrais-je pas le faire avec toi ?

Je me tus une nouvelle fois, posant mes paumes entre les mots laissés à l'abandon dans ce coffre d'or posé sur un rebord jaillissant du mur. Une porte, une entrée, une cachette qui n'avait pas de sens. Sa voix ne laissait pas place au doute. Il le tuerait à nouveau, comme j'avais tué la mère d'Asclépios, comme j'aurais tué un amant.

Nous pouvions nous excuser, tomber au sol et pleurer aux pieds de ceux à qui nous avions ôté un être cher, mais la vérité était bien établie. Il fallait vivre, et pardonner à ceux qui nous étaient proches, à notre famille. Sinon, nous restions seuls. Oarion avait fait ce geste envers moi. Un souffle s'échappa, et je me concentrai sur les paysages d'argile et de papyrus que m'offraient ma vue.

Le nom de la pythie de Delphes attira mon intention, et je me saisis de ces tablettes et des papyrus d'une poignée de ma main, les parcourant jusqu'à ce que mes yeux se posent sur des ratures, des phrases d'un homme qui affirmait être vivant, qu'il devait l'écouter, et de séparer. Des échos sans aucun doute à ce que je venais de parcourir sur les oracles devenus fous.

– Delphes a un problème, commença-t-il, et je vis ses yeux fatigués, touchés par ce don dont il avait hérité.

– Elles t'épuisent, tu devrais laisser ces problèmes à notre grand-mère. Je te rappelle qu'elle le partage avec toi, tu n'es pas seul souverain, et dieu des prophéties. Elle reste maîtresse des pythies et oracle, des paroles du futur, et ne compte pas abandonner de sitôt. Tu n'as pas ces responsabilités, Apollon.

– Je suis son hériter, et un jour je devrais affronter.

– Tu n'as qu'une place semblable à un vizir, tu t'épuises, et je ne veux pas que tu sois blessé lors de la guerre. Tu auras besoin de tes forces. Toutes tes forces, et tu atteindras un jour tes limites comme j'atteindrai les miennes.

– Cela ne risque pas d'arriver, petite sœur, ajouta-t-il, et un sourire se dessina au coin de mes lèvres, reflet du sien. Gaïa partage et possède l'oracle le plus ancien de la terre mère, et elle a envahi la vision de nos pythies. Notre accord de frontière flanche doucement, et les déesses mineures qui nous aident ont fui par peur.

– Tu as tué Python, séparant les deux déesses, et t'attribuant une place. Pourquoi Gaïa s'exprime maintenant, qu'a-t-elle à voir avec toute cette guerre ?

– Elle veut se venger de notre père à la suite de la chute des titans, et de Python. Les prophéties ne portent pourtant pas sur elle, mais sur des êtres libres et insoumis, affirma-t-il, croisant les bras après avec frottés ses yeux ternis, et une goutte de sueur coula le long de sa tempe par sa préoccupation.

– Qui ? m'empressai-je de demander, percevant à tel point ils l'inquiétaient au point de prendre de son temps et de l'épuiser à résoudre ce pacte brisé.

– Les éternels, ils prévoient de renverser les dieux, et des prophéties font d'eux des héros et héroïnes. Ils vont nous faire tomber. Tous, réduire les divinités à néant, et prendre un pouvoir qu'ils pensent être leur.

– Leurs noms ?

– Les Dioscures, Ariane, Dionysos, Orphée, Adonis, Psyché, Geshtinanna, Attis, et d'autres encore. Tu le sais, ils veulent devenir les maîtres à notre place, et prévoient de nous faire tomber. Ils ont les dons des âmes, ils sont liés aux mystères et aux magiciens.

Mes lèvres ne se murent pas, scellées, et mes yeux se plissèrent tout comme les siens à l'évocation des éternels. Ils possédaient des pouvoirs, directement liés à l'Éther, et soumis à aucun dieu. Ils ne se tuaient pas pour toujours, uniquement pour un temps, car ils renaissaient comme les Phoenix. Ils formaient deux clans distincts, sans les solitaires, et entre les ombres ils se préparaient à nous abattre. Depuis la nuit des temps tel était leur dessein, et il l'était lors des premiers, lors de l'ère des ailés. Ils le souhaitaient pour devenir les guides des mortels à notre place, nous qui l'avions eu de plein droit. Ils se pensaient légitimes, lorsqu'ils n'étaient que les guides de certaines âmes.

– Que vas-tu faire ? Informer les dieux ?

– Les titans d'Hyperborée ont des pouvoirs en Anatolie et sont liés aux rares divinités qui s'y trouvent. Ils les surveilleront. Les éternels se sont établis à quelques montagnes du jardin d'Éden, et restent calmes, pour l'heure. Les Astrées les surveilleront depuis les étoiles, Phébé avec les oracles qui devraient nous revenir bien vite.

– Mère dans tout cela ? Elle est liée à la nature, et est la déesse lunaire. Que fera-t-elle ?

– Les animaux lui murmureront, et elle sera celle qui nous avertira si l'Olympe est menacé, mais ils commenceront par la Thrace. Ils ont plus de pouvoirs que l'empyrée sur ces terres, car les dieux sont aussi peu organisés que ceux des forêts.

Je ne fis que hocher la tête, tapotant mes doigts contre la terre figée dans le temps, venant caresser une peau de bête nue de tout symbole, m'y accrochant. Une guerre, des intimidations, tant de conflits à la fois au point de nous y perdre. L'éveil des combats. Chaque clan, chaque famille, chaque camp profitait pour déclarer sa part et espérer se faufiler entre les lames qui chantaient.

– Que sais-tu des ombres et des démons d'Égypte ? me surpris-je à demander, et il leva un sourcil, interrogateur, tout en se laissant tomber contre le mur. J'ai été menacée de mort, puis je n'ai fait que ressentir leur présence à Corinthe. Puis plus rien. Ce n'est pas la première fois, mais je m'inquiète.

– Lorsqu'une grande guerre entre immortels s'éveille, les mortels suivent. Il est rare que dans l'Histoire elle devienne universelle, et les oracles les connaissent des lunes et des soleils avant qu'elle n'éclate. De telles guerres en entraînent d'autres, car elles ouvrent la possibilité aux peuples de déclarer des combats qui règleront leurs conflits et différends, me confirma-t-il inconsciemment.

– Tu penses donc que ce n'est qu'un autre conflit ? Pourquoi moi ?

– Une déesse dans les rues, ils ont pris la première, et l'Égypte est en guerre. Ils se sont trompés, ou tout simplement avancent une bataille lorsqu'ils ne sont pas près, ou ont été un gage pour un tout autre ennemi. Je crois que Seth prévoit quelque chose, il a peut-être trouvé un compromis, mais j'ai discuté avec certains émissaires, dont un scribe royal. Ils n'y toucheront pas, et si c'est le cas, ce sera par des alliances d'alliances, nous effleurant tout simplement. Il n'y a aucun danger.

Je ne fis que hausser les épaules, évitant de parler davantage, ou je parlerai de Candeon et devrait lui avouer qu'il vivait encore. Ses yeux d'un bleu du ciel et de la mer me toisaient, me fixaient comme à travers mon âme, comme lisant en moi ou ressentant du moins mes peurs, angoisses, joies et espoirs.

– Comptes-tu te rendre en terres étrangères où ils te prient ? Amazones, Thrace, Aricie ?

Mes pupilles observèrent son visage impassible à l'entente de ce lieu, mais il ne laissa rien paraître, tel un hasard, et je ne dis mot. La crainte de me trahir persistait, et en vue de mon silence, il se leva pour saisir d'entre mes mains les tablettes et le papyrus que je serrai fortement au point de blanchir mes phalanges. Telle une bête qui s'accrochait à la destinée qui pourrait la sauver en la détruisant, car elle restait maîtresse de son lendemain. Qu'importait le monde.

– Tout s'arrangera, je l'espère, avança-t-il.

Il les déposa à leur place, mais joua un instant avec cette surface de mots tâchés par un désespoir et une supplication qu'il soit écouté. Celui d'un ancien ami sans aucun doute, qui en savait suffisamment pour éveiller le doute chez mon jumeau. Je le connaissais bien trop, et ses muscles du visage tirés avant qu'il ne la repose confirmèrent mes doutes. Il avait un contact, et au bout du fil des réponses que j'espérais qu'il partagerait si elles étaient importantes.

– Tu veux m'envoyer à l'étranger pour la guerre ?

– Je m'assure que tu ne partes pas, me surprit-il, me faisant face.

– Pourquoi ? L'Olympe m'a interdit formellement.

– Je ne suis pas sot, nous sommes jumeaux. Tu es prête pour cette guerre, s'ils franchissent la frontière. J'ai parlé avec Héphaïstos, je sais ce que Phoebe et Opis ont fait pour s'assurer des armes fournies aux chasseresses. Je serai à l'écoute et le premier sur place si les dieux se sont trompés, chose qui reste probable, car tout semble trop facile, et les signes diffèrent pourtant.

– Que veux-tu dire par là ?

– Que je te soutiens, Artemis.

Ces simples mots résonnèrent dans ma poitrine et brisèrent l'argent qui s'était formé dans mon cœur. Un argent qui avait enterré ma famille, un argent qui espérait désormais que la prochaine fois que nous nous reverrions, nous franchirions la prochaine frontière.

– Ma reine ? retentit une voix au seuil de la porte.

Une jeune femme à la peau noire de Nubie, aussi foncée que l'écorce, mais pas onyx comme celle d'Opis, se tenait là. Ses cheveux tressés retombaient avec grâce le long de son bras, et son sourire d'intelligence réchauffa mon cœur lorsque je la reconnus.

– Satis, comme tu as grandi ! la saluai-je, me souvenant de la petite enfant que j'avais laissée après ma dernière venue en ces terres, rencontrant Opis et l'emmenant avec moi.

– Comment va Opis ? questionna-t-elle tout en s'avançant.

– Bien, elle est l'une des meilleures chasseresses et ma lieutenante, lui fis-je part, et je perçus la fierté dans ses yeux.

– Sourit-elle ? questionna-t-elle comme la petite sœur de cœur qu'elle était devenue pour elle, et je lui mentis. Pourrais-je vous rejoindre ?

– As-tu bien réfléchi ? Tu quitteras ce havre de paix où tu te fais choyer, et les conditions de vie sont semblables à celles après ta capture, même si la liberté est celle que nulle n'a jamais eue.

– Je suis prête, ma reine, déclara-t-elle. Je le rêve depuis toujours. J'ai même eu l'occasion de montrer aux Vanes des figures pour leurs entraînements que j'ai créé, et j'ai pu pour quelque jour me joindre à eux, et aux walkyries. Je suis prête, et je pense que vous avez besoin de mes innovations, pour chasser, et vaincre vos ennemis.

Un sourire se dessina à la vue de cette jeune femme aussi guerrière que le caractère du royaume de Koush qui jamais ne se laissait envahir. Ni par l'Égypte ni par les Hyksos. Je la savais douée, vite repérée par les femmes guerrières du nord qui cherchaient les héros, et en Nubie elle n'aurait jamais eu la possibilité de se joindre aux architectes. Et désormais, elle était prête à tout abandonner, sa destinée haut placée, ses vêtements d'or, et ces plaines sans craintes pour rejoindre mes rangs.

– Après l'hiver, je viendrais te trouver, lui promis-je, et la jeune fille devenue jeune femme claqua dans les doigts avant de faire signe en dehors.

L'instant suivant, j'entendis les aboiements de Sirius et le cri de Agrios retentir, amadoués par Satis dont les œuvres de combats étaient impressionnants, et au caractère doux malgré son tempérament qui n'était en rien semblable à certaines chasseresses à la rage pure.

Je m'avançai vers les bruits des animaux, me retrouvant dans la rue et au soleil se couchant à l'horizon. La jeune femme caressait Sirius, révisant des tours avec autorité, et un petit instrument que je ne connaissais pas fut sorti.

– La lune aux griffons se lèvera bientôt, fis-je remarquer à mon frère qui me rejoignit, tout aussi apaisé que moi.

– Restes-tu pour voir leur envol ?

– Non, je devrais rentrer. Ne le penses-tu pas ?

Il ne dit mot, conscient tout comme moi que l'heure n'était pas encore à observer comme autrefois la nature nocturne s'éveiller. Il avait tué, la plaie était encore ouverte, qu'importait qu'il ne l'ait pas mentionné. La prochaine fois, peut-être. Pas à pas nous gravissions la colline, et il était temps de faire preuve de patience.

Il déposa un baiser sur le sommet de mon crâne, un geste de paix, et je lui souris. Sous ces lumières du jour et de la nuit, l'espoir d'une famille s'éveillait avec la douceur des ailes, et le vent des astres qui se joignaient à l'horizon avant d'échanger leurs rôles. Mourant pour leur astre jumelle, respectant le territoire, mais restant toujours liés, et ensembles dans le ciel qui lentement, devenait étoilé.

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