55. Mort {partie 2}
« Then I fell in
Love
And everything went to
Hell»
« Puis, je suis tombée amoureuse
Et tout est allé en Enfer »
Je repris mon air qui s'entrecoupait à mesure que mes larmes montaient, brouillant le monde autour de moi qui l'était déjà, évaporant le rêve que j'espérais être. Elles obligeaient la souffrance à s'évacuer des montées douloureuses dans mon ventre qui le tordait, enserraient dans une cage de ronces mon cœur qui avait cessé de battre. L'illusion était bien réelle, mais je cherchais pourtant le refus dans les yeux satisfaits de mon frère, puis dans ceux d'Aphrodite qui les avait détournés.
La première larme coula le long de ma joue, s'engouffrant entre les coins de mes lèvres pour venir délecter ma langue de son goût salé, entrouvrant ma bouche qui poussa un cri répercuteur. Il ne fut pas suffisant pour changer le cours du fleuve de nos desseins si ce ne fut faire tomber Hippolyte au sol.
Secouée de spasmes, je dévalai la colline, soulevant des nuages de sable qui ne retombaient pas à terre, comme si le temps s'était arrêté, que les Heures avaient cessé de chanter à l'instant où Aphrodite leur avait demandé de la toiletter des lueurs écarlates du meurtre. Le chaos naissant dans mon cœur ne parvenait pas à combattre le trou béant qui s'y formait, creusant mon âme avec angoisse.
Mes genoux percutèrent le sol, giclant le sable tâché de son sang. Je ne cessais pas de nier la vérité, remuant mes lèvres inconscientes comme une mélopée priant le ciel.
Avec une douceur présente d'apaiser mes craintes, je posai mes mains sur son corps pour le retourner et voir son visage blafard. Ses yeux étaient clos, absents de tout sommeil, et sa poitrine ne se soulevait plus, trouvant le repos éternel. Le sang coulait abondamment de ses plaies, refusant de s'arrêter, me montrant le fleuve de la vie le quitter doucement comme mille ailes de papillon qui s'envolaient en une nuée annonciatrice des esprits de la mort.
Tout n'était qu'une illusion.
Je plaçai mes mains de part et d'autre du bout de flèche, celle que j'avais tirée, qui portait la marque de mes doigts autour des plumes pliées. Sanglotant, je l'arrachai d'un coup bref et en réponse, je ne reçus aucun gémissement de douleur.
Ce n'était qu'un rêve, un cauchemar, et je me réveillerais, car rien n'était réel.
Je posai ma paume sur sa joue, caressant de mon pouce sa peau glacée et l'appelai d'une voix cassée, mais seul le vent me répondit. Je l'implorai d'ouvrir les yeux, le suppliai ne serait-ce qu'esquisser un frissonnement tandis que je plaçai sa tête sur mes jambes, tachant ma robe blanche. Le bout de mes doigts détenait la rougeur de mes crimes, pourtant, sans m'en soucier, je caressai les contours de son visage, ne le souillant que plus.
Ses cheveux mouillés par la mer étaient tel un baiser salé qui collait à son front dont la peau était aussi froide que la mort. Il était comme endormi, si un souffle s'échappait, mais aucun ne franchissait la barrière de ses lèvres, ni même de son nez.
Une fine couche de givre prenait même forme sur son épiderme léger, le rendant aussi bleu que la froideur de l'hiver fourbe. Une larme de sang coula à la commissure de ses lèvres, ce sang que j'avais tant vu, ode à la nature captieuse. Je l'implorai une fois de plus, mais il persista à ne pas se mouvoir.
– Il est mort déesse, prononça une voix qui me sembla lointaine.
– Non ! répétai-je en criant, mais mon déni fut emporté par le vent et personne ne put l'entendre, me laissant seule dans ce cauchemar.
Je voulais m'éveiller, me retrouver dans une plaine fleurie où la chouette ne chanterait pas à travers les arbres, mais cela m'était impossible. J'étais dans la vie réelle, Hippolyte était mort et ce simple ensemble de sons me fit pousser un long hurlement de douleur.
Une lamentation au ciel avant que mes lèvres ne forment des susurrements indistincts, baignant nos visages de larmes salées qui se mêlaient à celles de la mer. Je n'entendais plus le tonnerre, ne me souciais plus de la pluie future.
Dans un élan désespéré, je portai son corps vide à mon cœur, m'en emparant comme si un monstre pouvait me l'enlever. Je priais une pitié que ne viendrait pas, et bien que le temps se soit arrêté, la douleur en moi me battait à chaque instant avec plus de force. Mes cris noyés par mes larmes s'échappaient de ma gorge, les lamentations d'un animal blessé dont le cœur avait été brisé, piétiné et trahi.
Je ne comprenais pas la douleur qui persistait, perdue dans ce brouillard, bloquée dans le temps. Je refusais et acceptais à la fois, un combat intérieur qui n'apprendrait jamais, mais son cœur ne battrait plus et le mien avait cessé tout comme le sien.
Il ne pouvait pas être mort.
Je souhaitais hurler ma souffrance au ciel, mêlant ma voix à celle des nuages noirs et secs, mêler mes larmes à la mer, réduire le monde en cendres comme le sable à mes pieds.
Je voulais me taire et ne plus parler. L'envie de tomber au sol était aussi forte que me relever et me venger, tuer et même braver les lois, lui rendre la vie. La souffrance jaillissait de mes pores dans l'espoir de tout noyer, mais rien ne s'arrêtait, et son corps refroidissait.
– Artemis, laisse-le, me demanda une voix étrangement douce.
Je relevai les yeux vers Apollon et sentis la colère m'envahir. Instinctivement, mes bras serrèrent Hippolyte contre moi et, d'une voix tremblante et méconnaissable, je l'accusai du meurtre.
– Tu as tiré la flèche, répliqua-t-il calmement sans me quitter des pupilles, mais gardant une distance raisonnable.
– Je me vengerai, de vous tous ! les menaçai-je, m'abandonnant aux larmes qui coulèrent comme un torrent, se retrouvant dans l'embrasure de ma bouche tremblante.
– Il le fallait, le chasseur Orion devait mourir. Pour ton bien, et non pour ses crimes, non pour Candeon. Je suis désolé.
– Pourquoi ? Je l'aimais, je l'aime, sanglotai-je, lui jetant un regard et d'une main rabattis une mèche qui cachait ses yeux envoûtants, et clos.
– Il t'empêchait de faire le bon choix.
– Je refuse d'épouser ce monstre. Je ne suis plus une princesse de l'Olympe, une déesse mineure à vendre. Je ne l'ai jamais été, et je te pensais de mon côté, mon frère. Accepter mon choix, mon désir, mon amour comme j'ai accepté les tiens. Ne vous attendez pas à ce que je vous vienne en aide, oubliez-le. J'avais fait mon choix, lui, persiflai-je, la vue aveuglée.
– Nous sommes une famille, nous nous entraidons. Je ne pouvais pas le laisser auprès de toi, il t'aveuglait.
– Si tel est l'amour, je n'en veux plus, le coupai-je d'une voix sèche. Vous n'avez que détruit mon cœur, et je pensais que tu valais mieux que père et ton excuse de me préserver ne vaut rien. Une famille accepte le bonheur et ne proclame pas le malheur. Oarion aurait été en accord avec moi ! affirmai-je, provoquant un mouvement de recul.
Une voix osée me coupa, attirant mon attention meurtrière sur le pauvre mortel qui protégeait sa femme et son fils derrière lui. Sa progéniture dont les mains d'une marâtre empêchaient de voir le corps sans vie d'un homme qui lui avait appris la chasse, mais il avait rivé son attention sur l'arme tâchée de sang de son père.
– Vous le regretterez, soufflai-je avec haine.
– Vous devez l'épouser, tenta-t-il, insolant. L'amour viendra, l'acceptation aussi.
– Votre femme vous aime, mais votre cœur appartient à la mère de votre enfant, Antiope, précisai-je dans l'espoir d'ouvrir une plaie, mais il s'attaqua à moi en retour.
– Fenrir vous aime, accomplissez votre devoir, me fit-il part d'une voix qui sonnait vraie, mais je le refusais, sachant qu'il tentait de me pousser à comprendre une réalité impensable.
– Vous mentez, et à moi, nul ne me manipule. Vous, vous tous ! commençai-je, foudroyant chaque assassin devant moi. Vous avez participé à son meurtre de mains froides, et je me vengerai. Un jour, ma malédiction s'abattra sur vous tous, je vous ferai payer le prix du sang. Une vie pour une vie, promis-je d'une voix emplie de haine et de souffrance, et je les vis reculer de quelques pas face à ma colère grandissante et mes menaces malveillantes et réelles. Je vous ferai ressentir la souffrance que je ressens, finis-je d'une voix presque inaudible par la tristesse.
Je posai mon regard sur son visage désormais froid. et de mes doigts, descendis de son front à ses lèvres glacées avant de me recroqueviller, la force disparue et les larmes qui se mêlaient à mes gémissements. La pitié, bien que je la suppliais, ne venait pas, et je répétais mon désir de l'éveiller.
Moi, qui n'avais jamais souhaité vivre dans une telle souffrance, finissant seule, comme il en était, maudite. La mort ne permettait pas les adieux éternels, elle s'abattait sans pitié aux moments les plus inattendus, jaillissant des ténèbres.
Dans cet enfer de douleur, dans ce temps qui avançait plus, interminable, dans cette impossibilité de recommencer. Consciente du futur et de changer le cours à cet instant fatal, une unique personne me vint à l'esprit pour lui demander de l'aide. Ma mère, qui dans une pensée, je la priai de venir à mon secours. Moi, sa fille qui ne tenait plus, souhaitant rester à terre sans pouvoir se relever.
Personne n'avait jamais entendu mes cris, mes pleurs implorés que je poussais dans la nuit noire bien qu'ils soient forts et stridents. Mais ils n'entendaient jamais mes souffles au seuil de l'obscurité nocturne. Pourtant, elle m'entendit et dans un éclat de lumière, je disparus avant l'éveil qui n'en était pas un, une claque qui me mena dans un monde lumineux.
Je sentis l'herbe humide sous mes pieds, laissant le temps reprendre où il en était resté. Tremblante, je rouvris les yeux, observant les lieux. Une clairière éclairée par un soleil chaud et couchant dans ce crépuscule accueillant, parsemée de fleurs colorées et à quelques pas, une petite hutte avait été installée.
La porte s'ouvrit, révélant un garçon d'une dizaine d'années qui, étonné de ma présence, s'approcha de moi sans pour autant rester muet. La curiosité de l'âge, d'un âge innocente avant que la vie ne nous lance d'une falaise.
– Tante Artemis ? me demanda-t-il tout en accourant vers moi avant de s'arrêter et observer le corps que je tenais dans mes bras sans vie et de formuler sa question. Est-il mort ?
– Asclépios, ne regarde pas, il vient de mourir et tu ne dois pas voir son corps souillé. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, lui expliquai-je après avoir acquiescé, sans avoir le courage de prononcer le mot.
– Grand-mère Léto t'a amené, n'est-ce pas ? affirma-t-il de sa petite voix, tout en passant une main dans ses boucles brunes.
Il nous scrutait de ses yeux aussi bleus que l'azur du ciel, et perçants comme ceux de mon jumeau.
– Comment connais-tu ta grand-mère ? demandai-je, intriguée.
– Elle vient me voir de temps à autre tout comme Chiron. Ils m'ont élevé, m'avoua-t-il d'un air triste, délaissé par son père qui ne trouvait que mieux de me sauver, comme il me le répétait.
Je lui souris gentiment sans oser encore lui révéler que j'avais tué sa mère, le rendant orphelin, sans un père qui s'inquiétait pour lui. De ses mains encore potelées, il ôta le collier de son cou sur lequel deux petites fioles pendaient. Il en saisit une.
– C'est Athéna qui me les a donnés. Du sang de gorgone. Normalement, elle ramène à la vie, ou du moins l'une des deux fioles ramène à la vie tandis que l'autre fait bien pire que la mort douce, m'expliqua-t-il, me la tendant. Une goutte suffit, ajouta-t-il toujours d'un calme médical.
Je regardai Hippolyte sans même une hésitation et posai mes lèvres chaudes sur les siennes bleutées, y déposant un baiser d'amour. Le givre qui recouvrait son corps mortel brillait aux derniers rayons du soleil. J'ouvris le flacon et laissai tomber une goutte entre ses lèvres, et rien ne se passa, mais avant que mon espoir ne s'envole, mon neveu me sauva.
– C'est long, plusieurs jours même pour que l'âme revienne dans le corps, mais au moins, il vient de mourir. Cela devrait marcher. Il vaut mieux l'emmener à l'intérieur, me conseilla-t-il gentiment comme s'il était l'adulte et moi l'enfant à rassurer dans l'incident.
Je me relevai, tremblante, et portai son corps étrangement léger, comme si je ne tenais que son âme. Les larmes s'étaient éteintes par ce présent offert par ma mère. Celle qui m'avait conçu, élevée de courts moments que j'avais oubliés et que j'avais ignorés.
Asclépios me précéda et d'un signe de la main, me montra une chambre dans laquelle un lit gisait. La douleur s'était apaisée, mais était toujours présente. Je déposai son corps dans cette unique pièce.
– Je crois qu'il vaut mieux pour toi d'aller dehors prendre l'air, me prescrit-il, me saisissant par la main et me sortant de cette sépulture, me forçant à m'éloigner. Veux-tu quelque chose ?
– Non, merci, je vais rester ici, dans l'herbe, répondis-je, lui ébouriffant les cheveux.
– Tu resteras ici ? Plusieurs jours ?
– Oui, affirmai-je, illuminant son visage.
– Je vais à l'intérieur, je faisais une pommade ! me dit-il fier de lui, ôtant un sourire de ma part.
– Tu seras un grand médecin, Asclépios.
– Merci, tante Artemis ! Je te montrerai lorsque j'aurai fini, me promit-il avant de partir en courant sur ses petites jambes.
Lorsqu'il disparut, je poussai un long soupir, me laissant tomber sur le sol, ramenant mes genoux, et d'autres larmes coulèrent, mais cette fois-ci en silence. Refusant d'alerter Asclépios en martelant le sol et en hurlant de mon cœur, battant la terre fleurie, envolant les pétales colorés en direction du mon Pélion et de la plaine. Je devais préserver au moins un être, les enfants si innocents, et j'en étais la protectrice.
L'infime espoir qu'Hippolyte ouvre les yeux était l'unique chose qui me maintenait éveillée, et debout. Pourtant, je n'ignorais pas que ramener un parti était une légende, moi qui n'y avais jamais assisté. Le cœur devait être pur, l'âme devait être digne, et Hippolyte s'appelait autrefois Candeon.
Je souhaitais plus que ma propre vie qu'il s'éveille, moi qui l'avais choisi par-dessus toutes mes promesses. Je ne pouvais pas le perdre, mais la balance de sa vie penchait entre la renaissance et la mort.
J'espérais un jour exprimer mon amour pour lui à nouveau, avant que le monde ne s'enflamme et que nous nous ôtions la vie.
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Bonjour mes victimes!
Comment allez-vous?
Oui, il y a un espoir que notre cher Hippolyte revienne à la vie! Infime mais il est là!
Réponse dans le prochain chapitre!
Je n'ai rien d'autre à dire
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