5. Tournure du Destin

«Who hurt you so much

that you started to hate yourself»

Mes paupières s'ouvrirent en un sursaut libérateur de mon souffle. Apeurée, je scrutai les ténèbres de mes pupilles folles. Où étaient-ils tous ? Mon jumeau, mon père... Fenrir ? Les bruissements qui hurlaient dans le creux de mes oreilles, me visant ?

Je plissai le front, n'y comprenant goutte, et un couinement de douleur s'échappa à ce simple mouvement. Une souffrance qui ne dura que quelques instants se répercuta dans mon corps. Je fermai mes paupières dans le but de calmer ce mal et de l'oublier.

Ma respiration devint peu à peu régulière tandis qu'elle se taisait partiellement, mais les picotements persistaient sans jamais disparaître. Un éternel souvenir, des épines qui gravaient ma chair.

J'ouvris à nouveau mes yeux, éveillée et déterminée à ne plus forcer sur ma blessure nue, démunie d'un quelconque bandeau de lin. Elle avait été laissée pour cicatriser à l'air nocturne.

La pièce était sombre, je ne percevais ne serait-ce qu'une lampe à huile emmenée avec moi. Par ailleurs, était-ce réellement mes appartements ? Plus le sable s'écoulait, mieux je distinguais les contours des rares meubles d'origine asgardienne. Je m'y trouvais encore, mais depuis combien de temps ?

La nuit avait recouvert le ciel. Pourtant, je ne voulais pas attendre sagement le matin. Je ressentais la nécessité de jaillir de ce lit et de ces murs, de me sentir libre et non à la merci des prédateurs. Une panique s'était éprise de moi, cette panique de l'enfermement, une angoisse profonde venue des abysses noirs. Des sueurs froides accompagnées de tressaillements prenaient possession de mon corps. Appeler de l'aide ne me serait d'aucune utilité, je ne voulais plus attirer les regards.

La leçon, je l'avais partiellement saisie. Dans les lueurs de cette soirée mortuaire, l'idée de changer effleura mon esprit. Par la fenêtre qui laissait entrevoir un ciel sans lune, j'avais l'impression de distinguer des feux qui se mouvaient en harmonie, m'appelant à jouer, m'hypnotisant pour me faire dire la vérité.

Telle était celle que j'étais. Ce rêve n'était pas le mien, j'aspirais à plus grandiose. Je n'abandonnerais pas, je dévierais mon chemin, car tel il y était. Je n'étais pas née ici, je devais trouver mon destin dans cette route perfide pour arriver à celle que j'étais lorsque tous me soufflaient le contraire.

Ils s'éteignirent comme les illusions.

Je tentai de tendre mon bras, en vain. Il ne m'obéissait pas. Je fis de même avec mes jambes, puis ma tête. Le même résultat. Un sentiment d'effroi me prit. J'étais paralysée, bloquée dans une position faible.

Les souvenirs de l'empire des terres noires me revinrent. Ma blessure était plus grave, elle avait touché une branche de l'esprit. Je me souvins de ces hommes figés comme des statues avec la possibilité unique de bouger leurs yeux d'une manière horrifique. Ces visions me provoquèrent des cauchemars. Un état dû à une chute qui avait brisé leurs os, ou à un bout enfoncé qui coupait et immobilisait. Il était possible de bouger un jour à nouveau, mais c'était rare, et le plus souvent impossible.

Une larme coula. Je devais m'extirper de cette prison. Il fallait que je me rassure. Il fallait que... Un bâillement s'échappa, je me sentais démunie de toute force. Il fallait que je me trouve une meilleure position pour me rendormir et attendre le lendemain. Je me sentais si fatiguée, si épuisée.

Je pouvais me sortir d'ici, avec un peu de persévérance. Décidée, j'y mis toute ma volonté et tous mes sentiments pour me permettre de tourner mon corps. Des sueurs coulèrent le long de ma peau brûlante qui se forçait jusqu'aux douleurs. Arrivée à une énième tentative dans laquelle j'y ajoutai mon âme, je me sentis basculer avec une trop grande force. Le bruit de mon corps se percuta entre les murs lorsque je tombai lourdement sur le sol. Un cri m'échappa.

Je me mordis la lèvre pour ne pas éclater en pleurs au ressenti de ce tourment qui embrasait mon être. Je ne parvenais pas à appeler qui que ce soit, mes lèvres délicates ne voulurent émettre aucune syllabe. Les idées noires qui n'avaient fait qu'effleurer mon esprit quelques instants auparavant, à l'imagination de ces feux, s'imprégnèrent en moi.

L'envie soudaine de saisir la table et la renverser avec ce destin que j'avais tant convoité, poussée par ses paroles lacérantes emplies d'une vérité douloureuse, me toucha. Les sermons de mon père, les rejets pour ma différence l'accompagnaient et ses propos blessants de même. Les bijoux et les robes raffinés devaient brûler sous ma rage.

Je savais ce qui se tramait en mon for intérieur et ces envies étaient de sa faute unique. Il avait réussi à me dégoûter et, ce que je rêvais d'être, il l'avait détruit. La princesse n'était plus. Celle qui obéissait aux ordres disparaissait, celle qui contentait s'évaporait. Et que la foudre pourrait m'arrêter.

Un combat débuta en moi entre la surface et les profondeurs. Entre celle qui avait été construite aux bons vouloirs de mon père et celle que je m'efforçais de cacher. Cet être venu tout droit des enfers pour me tourmenter avait réussi sa mission.

Je ne le réalisais que cette nuit, dans mon esprit désordonné et encore en état de choc. Dans cette nuit éclairée par ce qui m'attirait. Les feux hors d'atteinte. Il avait été la flamme qui avait fait fondre chaque couteau pour que je ressente l'existence avant de les glacer de son souffle, me laissant un choix que je ne désirais pas. Lorsque le métal fond, il brûle sur son passage tel un volcan.

Je le haïssais pour ce qu'il m'avait fait. Je voulais qu'il paie le juste prix pour son cadeau empoisonné. Je souhaitais sa mort sans retour en arrière possible. Des paroles cruelles, mais vengeresses. Un affront était impardonnable. Et mon courroux en était le prix.

Je scrutais le noir, emportée par mes pensées abyssales avec la désagréable impression de devenir folle au plaisir de ces élucubrations sombres qui envahissaient mon être, incontrôlables et destructrices. La froideur faiblarde de mes larmes qui coulaient sur mes joues sans répit me ramena à la réalité barrant d'un brouillard ces pulsions. Qui viendrait me secourir ?

Le bruit léger d'un poids qui atterrissait dans la pièce me prit de court. Un être vivant avait pénétré par la fenêtre. Je sentis mes membres se refroidir et une goutte couler le long de ma tempe. J'étais à sa merci. Mes paupières se fermèrent, feignant l'endormie dans l'espoir qu'il me délaisse, et je priai pour que ma mort ne soit pas douloureuse.

Une délicate caresse se fit ressentir sur mon épaule et les poils doux d'un animal me redonnèrent confiance. Je bougeai mes yeux dans leurs orbites pour apercevoir la bête qui, comprenant mon désir, se plaça face à moi pour que je puisse l'observer.

Un loup au pelage foncé, jeune, mais aux yeux intelligents et vifs. Charmante, dangereuse, attirante et imposante, son aura ne passait pas inaperçue. Ses yeux aux nuances bleuâtres et vertes dansaient et se mêlaient en beauté et grâce. Je l'admirais, attirée par ses iris sauvages. Sans que je sache comment, j'avais la certitude que c'était un mâle.

Il frotta son museau contre la paume de ma main et je me sentis en confiance tout comme lui. Il ne me voulait aucun mal, je le ressentais. Je pris la décision de communiquer avec lui par la pensée comme j'avais déjà su le faire avec tant d'autres, mais à peine formulai-je mes désirs que je sentis une barrière. Un loup n'était pas un écureuil, et j'étais en état de faiblesse.

Pourtant, l'impression vague qu'il existait une autre voie entre nous me survola lorsque je croisais ses yeux et l'impression de nous comprendre se saisit de moi. Les grandes bêtes possédaient-elles donc un autre moyen de communication ?

Je grelottai dans cette pièce glaciale et me sentais fiévreuse, laissant ces questionnements sur mes pouvoirs partir à tir d'ailes. Le loup se coucha autour de moi et je me blottis contre lui. Sa chaleur corporelle revigora mes membres.

Mes yeux lourds se fermèrent doucement, emportés par ma fatigue physique et psychique. Mon esprit se laissait happer par Morphée, en paix, et lorsque je fus proche du monde des rêves, je sentis le loup se détacher de moi. L'instant suivant, deux bras me saisirent pour me porter jusqu'à ma couche. Je m'endormis lorsque je touchai la paille, sans percevoir l'inconnu qui m'avait sauvée.

Le lendemain matin, un miracle avait envahi le palais et rapidement j'appris que j'étais restée endormie un cycle lunaire. J'étais revenue, et ils le fêtaient sans que je n'en comprenne les raisons, mais tout était faux, sauf mon frère véritablement heureux.

Les jours s'écoulaient et bien que je sois clouée au lit, je recevais les nombreuses visites de mon frère qui m'amenait des discussions sans fin qui avalaient avidement le temps. Certains membres de la cour impériale, principalement des divinités et quelques privilégiés, vinrent également prendre de mes nouvelles. La famille royale en personne vint me présenter ses excuses sans le coupable. La raison fut rapidement donnée.

Son comportement n'était plus tolérable et cela avait été le coup fatal. Fenrir avait été envoyé auprès de sa mère, en exil, chez les mortels ou dans les terres glaciales. Son père avait revêtu un voile de tristesse. J'avais su que ses deux autres enfants lui avaient déjà été retirés pour des raisons que j'ignorais. À mes yeux, la sentence n'était pas suffisamment importante.

Plusieurs semaines durent s'écouler avant que je puisse marcher seule et plus encore pour que je sente la liberté sous mes pieds et les caresses du vent dans les plaines. Le séjour ne fut que plus long et les divinités ne souhaitaient pas que je prenne le risque de me téléporter. Nous dûmes attendre que mes jambes n'aient plus besoin d'aide pour qu'elles foulent la terre.

Les relations entre nos deux empires se muèrent en froideur très rapidement, comme la chute des neiges des flancs des montagnes pour tout détruire. Elles étaient si tendues que moi-même je le ressentis au plus profond de ma moelle. Lors des repas, les regards noirs m'étaient lancés sans que je ne le sache, comme si j'étais responsable d'un quelconque conflit. Des discussions longues étaient engagées sans que je n'y sois conviée jusqu'au zénith de notre départ.

J'avais attendu toute la matinée derrière une porte sans la moindre information. La même porte qui m'avait surpris des mois auparavant et dans laquelle j'avais découvert un autre visage de mon monde. Mes pupilles se promenaient sur mes pieds qui traversaient le couloir, lasse de patienter seule.

Finalement, les gardes ouvrirent les portes, et j'entrai dans cette salle close et étroite sous les œillades pesantes de quelques divinités triées. Des larmes, de la haine, de la colère, de la pitié traversaient les regards. Le premier à prendre la parole fut Odin qui, me regardant droit dans les yeux de sa pupille sage sans la moindre once de reproche, m'annonça la nouvelle.

En plein cœur, je reçus la lame du poignard et, impuissante, je sentis une larme se créer au coin de mon œil. Il avait été tué, assassiné sur les routes. Bien que ce fût mon souhait, le juste prix, cette larme qui coulait le long de ma joue m'affirmait un sentiment contraire que je séchais. Il était mort. Il ne reviendrait pas. Frigg me hurla sa tristesse avec haine.

À l'instant où mes lèvres s'entrouvrirent sans que je puisse exprimer le plus profond de mes pensées, ils m'attaquèrent. Certains me pointaient du doigt, d'autres hurlaient tandis que des personnes de leur sourire carnassier me félicitaient.

Dans tous les cas, ils étaient dans un accord commun. J'étais la source de sa mort et bien qu'intérieurement rares étaient ceux qui le pleuraient, leur hypocrisie n'ajouta que de la graisse au feu.

Un prince avait péri par ma faute et ils sautaient sur l'occasion pour que les désaccords grandissent entre nos empires. Je savais que certains se battaient pour la paix, mais des conflits antérieurs s'étaient éveillés. Mon père m'ordonna de sortir avec mon frère abattu par la mort de son ami, avant qu'ils ne se jettent sur moi et me fassent payer le prix du sang comme il en était coutume. Si semblable à la loi née de Sumer, celle du Talion.

Le retour à l'Olympe se passa en toute tranquillité, mais les visages mornes reflétaient une réalité. Asgard disparut de nos traités et les routes furent coupées. Aucune guerre n'éclata grâce à la prise d'armes du continent qui souhaitait se séparer de cette puissance, bien que certains peuples appartenant à Asgard priaient des génies, des divinités des bois. Mais certains qui acceptaient de partager ne purent pas soutenir la puissance d'un continent entier à certains dieux appartenant à de rares régions.

Les souvenirs de l'empire s'estompèrent et mes pensées noires firent de même, gardées précieusement dans l'ombre de mon âme. La promesse de ne toucher à aucune forme sauvage qui pourrait s'approcher de mes désirs inassouvis de la lune fut prononcée dans le même espoir de l'oublier. Pourtant, certains soirs de pleine lune ils revenaient me hanter et ses paroles résonnaient dans mon esprit. Et mon aîné avait trouvé un moyen d'évacuer ces flammes qui grandissaient, nous emmenant chez les Hespérides pour tenter de nous préparer.

Bien que seule, j'avais la chance d'avoir un jumeau et un grand frère qui bien que nous ne partagions pas le même sang, je le considérais comme tel, et nous restions cousins parmi tant d'autres que je possédais.

Lorsque nous avions la certitude que le fleuve avait repris son cours, le courant rencontra des rochers et lors de la veille de mes quinze ans d'existence sur terre, les paroles de mon père m'éveillèrent une nouvelle et dernière fois.

Les lèvres rouge sang avaient laissé s'échapper la mélopée des tragédies sans que je ne puisse esquisser un geste pour dévier la destinée.

😈 R.I.P Fenrir

Des avis sur cette fin plutôt... Tôt? (Non, je ne suis pas toto XD)

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