49. Palais (Partie 1)
« I am the
Designer of
My own
Catastrophe»
Les paysages aux variantes de la Grèce se succédaient, passant des collines déboisées aux montagnes d'arbres d'épines d'un vert sombre touchant presque les nuages. Ils les effleuraient de leurs pointes arrondies et plongeaient la région dans une ambiance sombre, mais ces forêts étaient pourtant plus lointaines. Pour l'instant, il n'y avait que ces bosses de terres de quelques buissons à peine, ou des arbustes qui se révélaient ici ou là entre des roches et les villes royaumes qui construisaient leurs palais. Elles craignaient l'arrivée des barbares du nord.
Le calme contrastait avec le souffle saccadé de nos montures fatiguées qui persistaient, sachant que plus loin les montagnes se révéleraient avant d'atteindre la dense forêt. Nous nous approchions de la moitié de la route, abandonnant le sud derrière nous et la mer qui menait à l'Afrique.
Le soleil brillait dans le ciel, menaçant de sa chaleur lourde nos épaules, nous suivant sans nous quitter du regard. Hélios garderait le secret jusqu'à ce qu'il y trouve à gagner à le révéler et le dieu de la lumière qui s'apparentait à l'éponyme de l'astre, Hélios, pourrait le lui offrir tant qu'il me gardait à l'œil. Moi, sa jumelle, pour la préserver des hommes.
Au rythme des sabots, mon corps se mouvait et je ne quittais pas l'horizon du regard tout comme la queue de ma monture qui ne cessait de battre l'air dans l'équilibre de la ligne droite. Skotia et Phoebe chevauchaient à mes côtés, mais nous étions muettes telles des statues aux traits délicats, mais pourtant à la peinture rustre comparée au royaume du fleuve dont l'éclat des eaux était semblable au lapis-lazuli que portait cette princesse vengeresse.
L'Orient du croissant, de la mer noire et des frontières à l'ouest de l'Égypte, possédait un art qui par le hasard des civilisations s'approchait plus au nôtre que l'empire du fleuve noir aux rivages verts. Bien qu'ils commerçaient et que ce dernier contrôlait les peuples de ses frontières. Les statues de lions prouvaient le commerce entre nos peuples et les traits ne possédaient pas la grâce humaine de Sekhmet, mais gardaient les traits animaux comme les lionnes de Mycènes. Pourtant, l'une ou l'autre restaient félines et prêtes à tromper par leur beauté doucereuse de la fureur sableuse. Les lions étaient tout aussi dangereux que les loups et m'affronter à un s'avérait plus difficile qu'une meute.
La famille n'était pas formée toujours par le sang, les liens pouvaient se créer et devenir plus forts encore que l'amitié. Tel était le cas avec mes sœurs, mais j'avais le cœur brisé que nous nous soyons séparées par ce séjour à Corinthe qui nous avait toujours réunies, avec d'autres membres de ma famille liés par le sang et dont le lien était d'une goutte rouge restait d'une invincibilité différente. Celle qui pour l'atteindre, le temps était nécessaire. Avec elles, je pensais l'avoir éteint au point que la douleur soit presque aussi vive que la perte de mon jumeau qui me détruisait chaque jour, ressentant un vide qui pouvait être comblé.
Rien ne reviendrait comme avant, bien que nos paroles soient un jour à nouveau échangées avec moins de fadeur. Phoebe aux robes si amples et simples, portait une plus divine à la ceinture d'or qui ne flottait plus sur sa monture, mais restait auprès de ses jambes. Le collier de cuir qu'elle portait n'avait jamais serti son cou de la sorte. Et ses cheveux qui tombaient d'un coup de son épaule dénudée ne lui ressemblaient pas. Elle ne paraissait plus innocente, et son visage teinté d'une fermeté affirmait mes doutes.
Skotia, quant à elle, ne semblait plus dormir, les pensées perdues et les traits rongés par l'absence de tranquillité. Elle ne jouait plus la puérile pour berner, elle affichait la sagesse mystique de la sorcière arborant à peine un sourire. Le visage livide, les cheveux tombant le long de son dos aux couleurs des ailes de corbeaux, aussi lisses que ses larmes. Elle ne se nourrissait plus des âmes.
Elles me paraissaient inconnues, me montrant des côtés que j'ignorais d'elles, plus sombres, moins accueillants. L'une n'était plus emplie de lumière préférentielle, elle avait mûri d'une manière pénombrale. L'autre, dont la désinvolture et les manières joueuses et provocatrices, avait perdu les envies de profiter de l'existence. Elle se concentrait sur des affaires aussi sombres que les sorcières populaires dont le visage souriait rarement et la sagesse du monde de la nuit obscurcissait leurs traits.
Les promesses d'une famille éternelle s'étaient transformées en cendre, une simple poussière qui s'envolait, emportée par le souffle meurtrier de cette guerre qui s'annonçait tempétueuse. Pourtant, le ciel limpide d'un bleu tendre revêtait le calme et l'absence de vent qui refroidissait les couleurs sous la brûlure de l'astre d'or.
Le destin frapperait encore une fois, il m'offrait le monde paisible pour que j'adhère à ses messages avant de m'attaquer dans un combat constant, me démontrant chaque jour que la paix était lointaine. Mais elle arriverait un jour où tout se finirait, après des guerres les plus terrifiantes les unes que les autres.
Cette guerre était la dernière de sa lignée, nous survivrions, ou perdrions. D'une simplicité si enfantine que comprendre que ce n'était pas une simple guerre de territoires était même acquis par Agrios. Une seule personne tenait les ficelles, et elle restait dissimulée dans l'ombre, observatrice des conflits qui se succédaient.
Les réponses arriveraient le lendemain et apaiseraient mon cœur. Le conseil de l'Olympe était fin là pour m'éclairer avant que la lame n'entrave ma route et se plante dans ma poitrine. Les ombres parcourraient encore la terre, restant cachées et protégeant les secrets et mystères, mais la partie révélée serait suffisante.
Une odeur d'eau salée et d'algues me chatouilla les narines, des effluves apportés par une brise marine. La mer ne devait pas être bien loin et du regard, je suivis le paysage jusqu'à une colline au pied de laquelle une ville, une forteresse ionienne, entourée de quelques habitations, se profilait.
La mer reflétait les lueurs blanches derrière Athènes, palais dans lequel Hippolyte se trouvait. Le besoin de le retrouver se saisit de moi, affichant un sourire sur mes lèvres et impulsive, je me décidai. Le besoin de parler à quelqu'un restait encore à mes côtés et de vivant, prêt à échanger des mots à vive voix, était plus fort. Je n'étais pas seule, qu'importai t l'ombre grandissante derrière son dos, car la mienne était semblable.
– Opis, continuez sans moi, je vous rejoins, lui ordonnai-je, tournant la tête pour la voir me détailler, intriguée tout comme les anciennes derrière nous dont Callisto elle-même.
Je jetai un autre regard à mes sœurs qui avaient relevé leur attention sur ma personne, me regardant enfin, et nous nous toisâmes quelques instants avant de détourner les yeux. Un craquement dans nos vies, une fissure sur nos fresques.
– Où allez-vous ? demanda Opis curieuse, sans se douter de cet échange sincère avec Phoebe et Skotia qui s'étaient tues, devinant pourtant mes attentions.
Elles les désapprouvaient des yeux sans me parler, préférant garder cette séparation qui s'était formée. Une protection avant de révéler au grand jour ce que nous dissimulions, à la veille d'une guerre.
– Elle va voir son chasseur, répondit Phoebe d'une intonation sèche qui m'étonna au point que je ne la quittai plus de regard.
Je cherchai le sien en vain. Il me fuyait sans que j'en connaisse les raisons. Chamboulée dans son âme comme je ne l'avais jamais vu, elle était devenue muette telle une femme du silence.
– Artemis, est-ce vrai ?
– Oui.
– Pourquoi ? insista-t-elle, m'irritant, mais je restai silencieuse.
– Ils sont désormais amants. Artemis et Hippolyte s'aiment, répondit Skotia d'une voix amère et prononcée lorsque ses lèvres articulèrent son nom.
Les chasseresses avaient cessé de parler, portant leur attention sur leur reine, la première à renier les règles du mariage, jurant de rester vierge et de condamnant l'amour d'amants et les plaisirs charnels. Elles étaient dégoutées, emplies de déception, et je le sentis jusqu'à la moelle de mes os. Prise au piège, je m'arrêtai tout comme elles.
– Oui, j'aime Hippolyte, nous sommes amants et j'ai brisé la règle principale qui fait de nous des chasseresses ! clamai-je pourtant avec une teinte de honte dans la voix.
– Vous faites une grossière erreur ! s'emporta Opis, la haine envers les hommes dans la voix, elle qui avait été violée et qui tout comme nous ne croyait pas en l'amour, faisant vœu de chasteté.
– Je l'aime, nous sommes destinés, je le sais, et ce destin nous est réservé à tous et même les chasseresses ne peuvent en échapper, si ce n'est le tuer.
– Vous ne savez pas qui il est. Je vous l'ai dit, il ne peut pas mériter une confiance. Il est étrange, bien trop doué et même gentil, preuve de sa malice pour vous manipuler. Il n'est pas le chasseur fervent des idéaux de la déesse de la chasse à renier Aphrodite. Il vous a pris pour son égal, échangeant avec vous sans se soucier de votre puissance. Et vous, vous lui avez permis de ne pas s'abaisser et êtes tombée dans son piège. Il est dangereux, finit-elle, grinçant des dents.
– Opis, tu répètes les paroles de mon jumeau. Lui as-tu parlé ? demandai-je d'une voix dure.
– Non, mais nous sommes du même avis. Je ne lui fais aucune confiance, il ment, c'est un menteur. Nous murmurons sur lui, et nul ne le connaît lorsque nous venons de la Grèce entière, certaines des arbres proches des palais même. Il se cache, ou son nom est un mensonge et je ne vous parle pas du chasseur de Trézène qui a choisi le nom d'Hippolyte. Orion n'existe pas. Il a une mauvaise influence sur vous, vous rendant dépendante de lui. Il vous manipule, il vous trompe.
– Vous ne le connaissez pas ! hurlai-je, désireuse de le protéger et me sentant attaquée telle une bête au milieu des loups prêts à la déchiqueter pour qu'elle voie la mort prochaine en face. Vous n'avez pas à vous méfier, il est mon protégé, le mortel que j'affectionne le plus et que j'aime. À qui j'ai ouvert mon cœur et défié l'interdiction. Il me cache son passé, certes, je vous cache également le mien et ce n'est pas pour cela que vous arrêtez de me suivre et de m'écouter. Le passé est sombre et laisse des cicatrices qui peuvent s'ouvrir à nouveau. Je le sais jusqu'aux tréfonds de mon âme. Il ne ment pas, pas du sens que vous le pensez, il ne manipule pas non plus. Il se préserve. Je l'aime et je l'accepte enfin, il n'y a rien d'autre à dire, finis-je sévèrement, retenant ma monture nerveuse qui avançait et reculait, frappant le sol.
– Vous avez oublié que nous sommes en guerre et l'amour en ces temps est une faiblesse qui vous tuera, en particulier avec un mortel. Il va vous faire souffrir de multiples manières dont certaines, que vous n'imaginez même pas. Je vous ai juré allégeance et comme nous toutes, je vous suivrai et vous servirai jusqu'à la mort, liées par les vœux que nous avons prononcés aux lueurs de l'argent. Je me suis occupée des chasseresses tandis que vous étiez avec votre chasseur. Donc, écoutez-moi répéter le discours que vous nous disiez autrefois lorsque vous étiez une reine sans le cœur d'aimer pour ces erreurs, uniquement la faculté avec votre famille et celle de la communauté. Désormais, vous avez goûté à la grenade. Nous sommes des femmes brisées par les hommes, ayant juré de ne jamais tomber amoureuses, d'un homme ou d'une femme, car l'amour perd, nos vœux résonnent chaque nuit en nous. Notre communauté n'accepte pas les mâles, uniquement les femmes qui chassent sauvagement dans les bois, les nymphes qui ne peuvent plus de rire aux bords des clairières et des rivières, s'amusant avec des satyres. Aujourd'hui, notre reine nous a trahies, vous nous avez trahies. Vous ne pouvez plus être des nôtres, pas en continuant sur cette route ! me cria-t-elle avec l'insolence qui éveilla la colère destructrice en moi qui se traduisit par des mots, incapable de lever la pointe de la flèche sur mes chasseresses, ma communauté.
– Vous n'avez rien à me dire, votre ami vous a violé et ce n'est pas ma faute ni mon problème. Votre passé vous appartient, vos choix aussi. Nous pouvons changer de pensées et je l'ai fait, tel est mon droit. N'oubliez pas que je vous ai toutes accueillies et vous me remerciez ainsi ? Manquez-moi une fois de plus de respect et vous subirez les conséquences d'une chasseresse qui s'est éprise. Vous verrez pour la première fois ce que le mot punition signifie. La règle est la suivante. La chasseresse qui prononcera une insulte, qui tentera de nous éloigner ou qui informera mon frère, sera sévèrement punie. Je ne vous ai pas tourné le dos, je ne vous ai pas trahi. J'ai connu le véritable amour. Je reste reine, une déesse qui se fait un nom, protectrice et souveraine du monde sauvage. N'oubliez pas, je vous ai donné une famille, je vous ai aidé, tranchai-je avant de faire faire le tour à ma jument et de partir au galop en direction d'Athènes sous les yeux foudroyants des chasseresses.
Les limites de ma patience avaient été atteintes, réalisant qu'ils ne voyaient que ténèbres dans ma lumière. Nulle chasseresse, ni même Skotia et Phoebe, me soutenaient et je n'accepterais plus qu'elles s'opposent de la sorte. La fin de cette période était là et si mes sœurs ne voulaient plus de moi après avoir franchi ce pas, soit. J'avais perdu mes frères, je pouvais continuer aussi seule que les rapaces volant dans le ciel.
Sirius et Agrios étaient des bêtes solitaires, l'une vivant éternellement au campement et l'autre me suivant dans les airs lorsque je revenais dans mon territoire, poussant des cris stridents qui retentirent à mes oreilles tandis que je m'éloignais au galop. Je frappai le sol asséché des sabots de ma monture au rythme de cette rage naissante en moi qui durcissait mon cœur, m'aveuglant. Nul être ne m'empêcherait de vivre, ni même les arbustes de la plaine du Péloponnèse.
Les problèmes dans ce cauchemar réel engloutissaient le rêve éclairé par les rayons d'or du soleil qui était avalé par la nuit mortelle, pressant cette éclipse en les laissant me dicter mon chemin et mes choix. Le passé était désormais enterré sous terre et je me savais libre et seule comme le vent, nul ne me contrôlerait, ni même moi. Uniquement cette force de ne jamais abandonner et vaincre tout obstacle qui s'opposerait à moi, reine du monde sauvage, car telle était ma force. J'étais Artemis et l'absence d'abandons ne me rendaient que plus puissante tout comme les chutes.
Le palais s'approchait, révélant ses murailles qui le protégeaient, grandes et d'essence divine, imprenables et protectrices de la ville d'Athéna éternellement chère à l'Olympe. Les quelques maisons de terre et de bois se souciaient à peine de mon passage à travers la montagne et par chance, la ville n'était pas face à moi, mais de l'autre côté de la colline et du palais.
Les gardes postés ne furent pas longs à m'apercevoir, et les portes s'ouvrirent à mon approche, me laissant pénétrer au trot dans l'enceinte. Mon regard noir les défia de me parler et, dissuadés, ils se saisirent de ma monture suivant mes ordres de la garder prête à repartir avant de les quitter sous leur révérence respectueuse.
La cour possédait une source qui, issue de la montagne qui nous surplombait, coulait, asséchant le sol de son sel. Les murs colorés de fleurs montaient jusqu'aux cieux, créant une petite lumière qui avec ferveur éclairait les jardins de tout le palais ainsi que les cours comme celle-ci. J'ouvris une porte qui grinça et entrai dans la bâtisse devenue sombre par l'absence d'ouvertures qui permettaient au soleil de pénétrer dans cette partie plus réservée du palais.
Un escalier interpella mon attention, menant aux trois étages de cette forteresse imposante et étrangement froide que je gravis jusqu'à arriver entre deux niveaux. Les murs couleurs terres revêtaient des fleurs noires et des traits rouges qui dansaient aux lueurs des flammes dans des brasiers de bronze, brillant sous les éclats orangés.
Les airs s'approchaient plus des Nordiques qui persistaient encore en Grèce, mais l'influence crétoise ne tarderait plus, imposant les couleurs aux teintes grisâtres. Les courants d'air, semblables aux souffles, s'engouffraient dans le couloir sombre et pénombral, courant, se mêlant dans les airs sans avoir de fin. Ce couloir, enfermé en lui-même comme le palais de Minos.
Le pendentif qu'il m'avait offert se retrouva entouré par mes doigts glacés de crainte sous les murmures des eidolons anciens qui couraient les murs. Ils annonçaient comme tous le recommencement de chaque génération des grandes familles pour revivre leur vie et la continuer dans l'ère qui grandissait dans l'âtre.
– Il y a-t-il quelqu'un ? murmurai-je, sentant une présence qui me suivait, dissimulée dans l'ombre faisant, naître au creux de mon ventre un sentiment de danger mortel, mais désiré à la fois, me faisant frémir.
– Oarion ? tentai-je, mais n'obtins aucune réponse, et je crus qu'à une impression.
Je n'étais plus à Corinthe, nulle ombre ne tenterait de m'atteindre pour me menacer. Et si tel était le cas, je les attendais patiemment, prête à leur faire subir le courroux d'avoir pénétré la forteresse protégée.
Je continuai à marcher sur le dallage dénudé, mes pieds résonnant dans l'antre d'Athènes comme dans une grotte qui menait au royaume des morts. Arrivée à un croisement, je décidai de saisir ma chance dans la courbe qui se présentait à quelques pas. M'apprêtant à tourner, je jetai un regard en arrière, sentant comme un regard pesant muni d'éclats de bronze dans ce couloir terne.
JE VOULAIS JUSTE VOUS REMERCIER POUR LES 30K DE VUES ET LES 2K DE VOTES!!! C'EST FOU!!! MERCIIIIIII !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top