48. Merope {partie 2}

« She hides stories
Behind her eyes
Secrets
Inside her soul
And poetry in all the places
She wants to be kissed»




À quelques pas à peine, dissimulées dans la pénombre d'un mur sable fait de terre, deux personnes s'embrassaient avidement, se dévorant la bouche contre un mur. Un homme à la chevelure apparemment châtain clair, blond foncé, qui m'était pas si inconnu, son visage collé contre sa partenaire qui l'emprisonnait contre la paroi d'une force étrange. Merope avait hypnotisé un homme.

Derrière eux, Oarion les observait lui aussi, avant de relever la tête, me permettant enfin percevoir ses intentions. Il m'avait mené ici pour m'aider, me montrer une scène qui se voulait aussi anodine que les bracelets à tête de lionne et de serpent d'or qui entouraient la princesse déchue dans une ville insécure.

Es-tu sérieux? ne pus-je m'empêcher d'articuler entre mes lèvres à son intention, écarquillant les yeux et mouvant mes mains dans l'air doux d'une fin d'automne. Qu'est-ce que cela veut dire? Ne peux-tu pas être plus précis ! m'emportai-je silencieusement.

Je le vis rouler des yeux et il sembla souffler de désespoir avant de faire un signe de ses yeux vers le couple, mais je ne compris pas plus. Détestant les devinettes depuis ma naissance, je les appréciais encore moins lorsqu'elles venaient de mes frères. Je ne devinais jamais.

Ils ne nous avaient pas encore remarqué, profitant de cet instant dans la chaleur me fit sentir intrusive. L'homme passait ses mains sur ses hanches et ses bras comme tentant de se libérer de son emprise qui le maintenait contre le mur avec l'unique possibilité de mouvoir ses lèvres contre les siennes.

Quoi? tentai-je une fois de plus des lèvres, n'expliquant pas en quoi leur plaisir charnel m'était intéressant.

Il abattit la main sur son visage, bien désespéré par moi et je ne pus qu'avouer que je le comprenais. L'impression de faire un pas dans le passé m'effleura, me souvenant lorsqu'il essayait de me faire voir une évidence plus profonde et que je ne saisissais pas le cohérent. Ce passé n'était qu'un miroir éphémère d'une réalité bien plus sombre qu'elle ne paraissait.

Je me trouvais à Corinthe sur un chemin entamé qu'autrefois j'avais cru impossible à atteindre. J'observais ma rivale embrasser un autre homme que celui que j'aimais et face à moi se tenait... Un mot que je n'osais prononcer, redoutant la réalité du monde qu'il impliquerait, mais je ne pouvais le nier plus longtemps. Oarion était un eidolon, un fantôme, un mort.

Je ne comprends pas, exprime-toi par toutes les divinités anciennes ! suppliai-je.

Réfléchis ! lâcha-t-il enfin, et la surprise qui me fit écarquiller les yeux et illuminer un instant mon cœur de joie passée, je répliquai :

Viens-tu de m'adresser des mots? répondis-je toujours dans un silence qu'il laissa planer, et je serrai les poings.

Des pensées sur le mérite d'avoir de tels frère envahirent mon crâne comme antan sans me permettre de couper définitivement avec le passé. Je jonglais avec hier et aujourd'hui, vivant dans une illusion qui ne m'accordait pas le loisir de m'envoler, me retenant fervemment à moitié sous terre. Cela me plongea dans une folie sous l'une de ses formes les plus importantes, celle née de la chute. Je devais m'en libérer, et la vie n'était pas éternellement la sortie de la grotte.

Je me perdais dans ce labyrinthe qui me plongeait dans le chaos constant sans parvenir à m'éloigner du chemin qui brumait ma vue, et sachant que le bout serait un miroir dans lequel je ne me reconnaîtrais plus.

Je t'en supplie, commençai-je. Un indice, je comprends que tu ne veuilles pas m'adresser la parole, mais pour cette fois, j'ai besoin de comprendre ce que tu veux me dire, s'il te plaît. articulai-je sans empêcher mon visage d'exprimer cette tristesse abyssale que je ressentais et qui s'accrochait à mes cheveux de ses pierres pour m'entraîner au fond de l'océan.

Il afficha un sourire rassurant avant d'ouvrir la bouche, me soufflant ce que j'espérais.

L'indice est Apollon petite sœur, me révéla-t-il, et je l'entendis tel un murmure.

Mon cœur fut brisé à l'entente de sa voix attachée à mes souvenirs, rassurante et gentille, celle d'un grand frère. Mes lèvres se mirent à trembler et je me mordis l'inférieure pour ne pas éclater en sanglots. Je réfléchis rapidement pour ne pas tomber à nouveau et saisis le lien si évident. Ils étaient ensemble, d'une certaine forme, et il écoutait Merope, d'après elle-même, et je la croyais.

J'avais songé à l'implorer si ce n'était plus à mon avantage et Oarion le savait. Si je voulais sauver Hippolyte, elle était ma dernière chance avant que les fêtes ne s'éteignent jusqu'à l'année prochaine.

Sauver l'homme que j'aimais avait un prix, celui de faire la paix avec mon ennemie, la faisant alliée et même amie, et le choix ne m'était pas accordé. Nous ne nous apprécions pas, mais elle connaissait Hippolyte. J'étais déesse, elle était mortelle, mais dans cette guerre nous étions égales, car derrière chaque masque se cachait un être aux sentiments humains. Elle n'en portait pas un sans raison, elle avait fui Chios et ayant peu à perdre, je me devais d'essayer au risque d'ôter mon armure que je m'étais forgée tout comme elle son voile.

Décidée, je relevai les yeux pour l'interpeller, mais aucun son ne sortit de ma bouche.

Réagir fut le premier mot qui me vint à l'esprit, mais je sus que faire face à la scène qui se déroulait devant moi si ce n'était retenir ma respiration et rester discrète devant cette preuve d'un sadisme patient.

Elle avait interrompu le baiser, fixant son nouvel amant qui s'avérait ne pas être mon frère, pensée qui m'avait traversée, de ses yeux pétillants et envoûtants. Il était ensorcelé, admirant les parcelles de son visage sans voir le danger qui caressait sa corde de vie.

Merope avait posé ses doigts sur son épaule, le retenant et y en enfonçant ses longs ongles teintés de rouge. L'autre main était derrière elle, cachée, tenant entre ses phalanges fines qui s'entortillaient autour des corps pour les séduire avant de les manipuler, un objet qui brillait entre les tissus pourpres de sa robe. Un poignard à la lame acérée.

D'une délicatesse perfide, elle remonta doucement sa paume sans qu'il ne se doute de rien, le caressant même par moment pour le garder sous son emprise, provoquant ce désir traître dans les plaisirs charnels. Elle approcha ses lèvres charnues de son oreille pour venir lui susurrer de doux mots avant que, d'un mouvement brusque, elle n'abatte sa lame jaillissant de la nuit comme l'éclair dans son cœur, et qu'elle ne le pousse derrière elle avec force. Un sursaut de surprise fut provoqué chez l'homme qui ricocha dans mon corps en réponse à la violence du geste semblable à l'attaque soudaine des félins.

L'homme hoqueta, le sang envahissant sa bouche, et d'un regard rouge, il la menaçait sans obtenir aucune chance de riposter.

Le bras levé dans sa direction, une magie ancestrale et d'une puissance divine émanait d'elle sous la forme d'un nuage empli de filets couleur bronze qui s'enroulaient autour de lui. L'enchantant, le gardant à sa merci.

L'homme tenta un geste en direction de son cœur pour retirer l'arme, mais ses mains durent entourer sa tête qui semblait douloureuse, son visage s'en ridait. Il hurla d'une souffrance d'un animal blessé tandis que le sang coulait de ses orifices et celui de ses yeux commença à s'agglutiner, brillant de mille feux rageant avant qu'il ne les ferme.

Il poussa de derniers cris et gémissements bestiaux avant qu'un son rauque ne s'échappe de sa gorge et qu'il tombe au sol, agonisant. Merope s'approcha de lui, un sourire machiavélique étirait ses lèvres sanguines, et elle arracha de sa main libre le poignard pour lui tranchant la gorge d'un mouvement sec et précis. Le sang gicla à ses pieds, mais sa robe évita les éclaboussements par le mouvement reculé qu'elle engagea pour ne pas être souillée.

Il ouvrit une dernière fois les yeux revenus à la normale tandis qu'il pâlissait, se vidant de son fleuve de vie qui se déversait dans la terre, la nourrissant. Dans un souffle paisible, la vie le quitta, le laissant avec rudesse plantée au sol.

Il était étendu tel un petit enfant au milieu d'une guerre, espérant survivre en s'alliant à l'ennemi avant d'être abattu comme l'ordonnait son destin.

Rictus satisfait, elle s'essuya la bouche d'une grâce chétive comme si le baiser l'avait dégouté, souillé. Je levai un regard vers mon frère, curieuse de savoir s'il s'attendait à ces faits qui avaient eu lieu. Il ne me regardait plus, mais eux, du moins celle qui vivait encore. Le visage inexpressif, démuni de surprise ou dégoût contrairement à moi qui étais restée sous le choc de cet acte de folie perverse semblable aux crimes qu'avaient commis les ménades en Asie.

Dans ce silence mortuaire, Merope tourna la tête, telle une lionne intriguée par une présence invisible, en direction d'Oarion qu'elle ne voyait pas, mais savait qu'un eidolon était perceptible. Elle le ressentait, en frissonnait même. Avec précaution, elle leva une main tremblante vers lui, l'approchant avec douceur vers son visage comme si elle souhaitait le toucher d'une délicate caresse, avant de l'abattre sans être suffisamment rapide, rencontrant le vide. Il était parti.

– Non, Oarion, attends ! criai-je d'instinct avant de réaliser mon erreur de ce réflexe traître qui espérait le retenir, mais je m'étais vendue à l'ennemie.

Merope se tourna, me remarquant enfin. L'expression trouble qu'elle avait revêtue en harmonie avec ses yeux sertis d'une voile humide d'une intrigue désespérée de lucidité, furent rapidement remplacés par son masque de garce insolente, ainsi qu'un sourire forcé par les légers tremblements de ses lèvres d'un rouge pur.

Elle s'approcha de ses pas certains et maîtrisés, bien plus gracieux que moi et prêts à séduire tout homme par sa démarche d'une provocation douce, mais digne d'une vipère. Ses yeux me toisèrent lorsqu'elle se trouva face à moi, brillant d'un éclat que j'avais toujours peiné à décrire et qui faisait flamboyer ses iris, en particulier les fragments de cuivre. Ils étincelaient de cette folie issue de la souffrance et de l'amour.

– Artemis, que faites-vous ici ? questionna-t-elle de sa voix mielleuse tout en saisissant un tissu qui pendait à sa ceinture de fils d'or pour venir essuyer son poignard.

Elle effaçait ainsi toute trace de son crime et les quelques gouttes sur ses doigts du teint pur de la peau olive, sa peau préservée du soleil des travailleurs.

– Ou plutôt, pourquoi avoir crié Oarion ? précisa-t-elle d'une voix mystérieuse qui me fit frémir par la connotation des réponses qu'elle connaissait déjà.

Elle n'ignorait pas qu'il était parti contrairement à ce qu'elle avait voulu me faire croire à Calydon. Elle connaissait son nom, tout comme la Grèce.

– Comment l'avez-vous senti ?

– Vous ne l'avez pas deviné ?

– Vous êtes une sorcière.

– Non, pas tout à fait. Une enchanteresse pour être exacte, mais je maîtrise la magie ancienne ainsi que sa puissance, raison pour laquelle je fais partie du cercle. Je n'aurais jamais imaginé que Skotia pouvait être une très bonne amie. Je me fais un plaisir de discuter avec elle, je dois vous l'avouer.

Je fus intriguée par l'évocation de ma sœur sachant qu'elle la détestait tout autant que moi. Jouait-elle à son propre jeu ? Elle avait semblé bien inquiète ces derniers jours, évoquant bien souvent les soirs son frère ainsi que son ami et amour révolu. Elle murmurait seule la nuit tombée, tournant des papyrus et tablettes empruntés au cercle et échangés avec une femme qui donnait l'impression de lui venir en aide. Le mouvement de mon sourcil parut amuser la princesse qui releva cette incompréhension de ma part.

– Elle ne te l'a pas dit, n'est-ce pas ? s'enquit-elle d'une voix faussement désolée. Je suis navrée, mais le sais-tu, les amitiés doivent se briser. Je fais preuve d'amitié, j'espère que tu n'es pas dérangée par ce changement, nous nous connaissons depuis longtemps déjà, précisa-t-elle hypocritement, cherchant dans mes yeux coléreux, et se délectant de ma perte de patience à son égard.

Elle savait que je ne lui ferais rien et que j'étais entre ses griffes comme le bœuf dont la vie dépendait de la lionne.

– Pourquoi l'avoir tué ?

– Tanguy ? Il m'a servi un certain moment, mais je ne pouvais pas me fier à lui, et il ne m'était plus d'aucune utilité. Je pensais que tu savais que pour rester en vie, il fallait se salir les mains. Nul ne peut obtenir notre confiance, en particulier nos amitiés. Il vaut mieux les garder bien plus proches que nos ennemis où ils finiront par vous planter une lame dans le cœur, m'informa-t-elle, une haine dans la voix, avant de dégager ses cheveux, révélant des boucles d'oreilles de lapis-lazuli en provenance d'Égypte par les ailes d'Isis. Tanguy pensait qu'il me maîtrisait, mais il est tombé dans mon piège. Je le plains, les hommes deviennent vite aveuglés par le désir que nous provoquons. Ce désir qu'ils ont pour nous, femmes, n'est pas une faiblesse qui nous laisse prises par leurs assauts. Bien au contraire, c'est un avantage à utiliser pour les vaincre avant qu'ils ne deviennent un danger et se doivent de mourir. Il ne manquera à personne, tu n'as pas à t'inquiéter. Ni même à son frère.

– Qui es -tu réellement, Merope ? Pourquoi mon frère, puis ce pauvre homme ?

– Je ne suis pas certaine qu'il soit à plaindre. Quant à ton frère, il m'a laissé comme le font les dieux, m'avoua-t-elle d'une voix brisée, prise dans les filets plus forts que les siens que pouvaient être ceux de mon jumeau.

Ce séducteur bien plus redoutable qu'il ne laissait paraître, un chasseur tout comme moi, mais à sa manière. Cette faiblesse décelée chez la princesse avait été une possibilité de tenir les rênes et je les saisis à mon avantage, tombant dans le piège du jeu manipulateur que j'avais toujours dénigré, préférant frapper. La noblesse me rattraperait à jamais, et cette envie de puissance par le sang dans nos veines pouvait être déviée de son cours.

– Tu es triste, je le vois, rongée par cette souffrance. Tu peux me parler, le sais-tu ? Tu me l'as dit, nous sommes devenues proches, ironisai-je malgré moi.

– Tu veux m'aider ? répéta-t-elle sur le même ton que moi. Je t'en prie, je n'ai pas besoin de ta pitié et nous ne sommes pas amies, ajouta-t-elle amèrement.

– Nous pouvons le devenir, tu es déchue, je peux te venir en aide. J'accueille les femmes telles que toi, que nous.

– Tu n'as aucune idée de ce que c'est ! haussa-t-elle la voix, perdant le contrôle d'elle-même.

– J'étais en exil.

– Tu es une déesse, je suis mortelle, répliqua-t-elle, reprenant ses esprits qui ne tarderaient pas à s'ébrécher.

– Tu es protégée de l'Olympe, affirmai-je, et un rire s'échappa de sa gorge, grinçant les murs de fissures.

– Qu'est- ce qui te fait dire cela ?

– Tu es princesse de Chios, et les prisons ont été ouvertes. Tu te retrouves sur le continent, et je sais reconnaître les femmes brisées.

Elle rit à nouveau, riant d'un rire forcé tandis que ses yeux s'humidifiaient de haine, laissant son visage se révéler à moi. Mais elle luttait, déformant ses traits de la folie pour ne pas perdre ce combat qu'elle ne gagnerait pas aussi facilement.

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