48. Merope {partie 1}

« But on all Chaos
There is Calculation»

Les jours s'étaient écoulés sans pluie, mais se ternissaient, laissant la magie de Corinthe s'estomper jusqu'à aujourd'hui. Le dernier jour des fêtes. Les derniers instants où mon esprit divaguerait, emmenant dans son sillage mon âme délaissée qui pourtant gardait une partie d'elle qui effleurait la réalité. Elle la sentait croître et menaçait d'exploser tel un volcan à mon visage.

Le destin se délectait du plaisir qu'il obtenait par cette patience folle, celle de voir les événements arriver aussi gracieusement qu'une feuille morte tombant de son arbre pour venir se déposer sans bruit sur la terre d'automne. Le chaos ne tarderait pas, je sentais la répercussion de ses sabots qui résonnait vigoureusement dans mes os.

Les pieds ancrés au sol au milieu de la foule qui acclamait le spectacle face à eux, admirant les acrobates qui jouaient avec les animaux exotiques venus majoritairement d'Égypte. Pourtant, je ne voyais rien, et les bruits ne parvenaient pas à mes oreilles. J'étais ailleurs, si lointaine et proche à la fois comme si uniquement un voile me séparait du monde. Je me dissociais.

L'espoir qui avait habité mon cœur avait été éphémère, j'étais bien seule dans cette ville débordant d'êtres vivaces. Skotia était avec son cercle, jouant sur un autre tableau de plateau qui chevauchait celui des mortels, et des divinités.

Phoebe avait été portée disparue, nous ne la voyions plus qu'uniquement les soirs, les yeux différents, brillants d'une lueur plus sombre qui n'était pas la sienne. Elle remplissait sa mission avec éclat, mais se perdait, changeait. Et je ne pouvais m'y mêler, car Daphné s'en occupait. Notre dernière discussion l'avait clairement signifié. Hippolyte parti, je parcourais les rues accompagnée du chant du vent, solitaire comme je l'avais toujours été.

Nous n'avions jamais été aussi séparées, je ne m'étais jamais sentie abandonnée dans un chaos étincelant sous le soleil de Corinthe, la ville puissante dans laquelle les palais naissaient. Ils emmenaient dans leur sillage les villes d'ors formées de rois et de riches à travers la Grèce, marchandant avec nos voisins, nés des nymphes des étoiles.

Les Pléiades de Béotie, connues à une époque révolue et qui m'accompagnaient par moment, mais le temps s'écoulant, elles étaient au pied de leur père, Atlas. En pleurs éternels, descendant moins régulièrement de leur mont. Les Hyades, quant à elles, mortelles devenues déesses, tenaient compagnie à leurs amies et sœurs, abattant leur pluie sur le monde. Elles en mourraient, je le savais. À l'aube de cette nouvelle ère, les divinités mineures, symboles d'un élément, finiraient par se perdre dans leur nature première comme certaines nymphes, devenant des esprits, ou disparaissant derrière un voile.

La perte touchait tant d'âmes, effleurant à nouveau la mienne. Ce n'était que la première goutte de saveur amère déposée sur ma langue d'un plaisir malheureux. Le pire s'approchait d'une délicate violence, enflammant doucement les torches qui arriveraient jusqu'à nous.

Hippolyte était mortel, mon cœur se serrait chaque jour en l'absence de ses nouvelles. Je me devais de le protéger, mais il était bien loin de moi et ni même ma flèche pourrait atteindre nos ennemis.

Était-il à l'abri de l'infamie ? Elle avait quitté les murs des villes, voyageant à travers le monde, dirigée par les divinités mineures qui dès qu'elles étaient appelées, s'exécutaient sans questionnement, se sachant insignifiantes.

Thésée était un prince dont les capacités auraient pu être mises à une plus rude épreuve si les débuts de cette ère n'étaient pas aussi paisibles. Il laissait les immenses pierres se poser sur les anciennes ruines, mais ces capacités restaient en lui, attendant la gloire qui lui serait offerte.

Les brumes de la pythie murmuraient les noms des vivants d'aujourd'hui, contant des exploits qui n'avaient pas encore foulé les terres grecques, et certains mortels semblaient impliqués, se taisant sur leur futur. Les oracles n'avaient plus de maîtrise, expliquant par ce fait l'absence de mon jumeau.

Jusqu'à aujourd'hui encore, elles déliraient, mais le temps viendrait, murmuraient-elles. Cette guerre en serait-elle le fracas de l'épiderme du monde avant qu'il ne tremble ?

Les devins, les prêtresses et oracles, mortelles au troisième œil, s'occupaient de faire courir ces rumeurs anciennes comme mon âme. J'avais d'autres dangers qui couraient au recommencement après le déluge de haine et de larmes. Apollon n'était plus réapparu, mais il ne tarderait pas à abattre sa colère. Hippolyte était mon protégé, mais cela n'empêcherait pas qu'il le touche, et il savait que j'aurais fait de même.

Je relevai les yeux suite au frisson glacial qui remonta le long de mon échine tremblante, me sentant observée. Au-delà des bras qui s'agitaient dans un amas coloré sous les acclamations offertes aux acrobates qui faisaient des tours aux singes sous des airs orientaux et épicés. Derrière les enfants grecs qui observaient les hommes à la peau plus brûlée et aux vêtements plus étoffés, se tenait Oarion.

Nul ne l'avait remarqué, j'étais l'unique personne à le voir, à ma connaissance. Il apparaissait à maintes reprises, tous les jours même, gardant le silence des sépultures, disparaissant au bout d'un instant. Il ne souhaitait pas m'adresser la parole, pourtant il veillait à la fois sur moi. Avivant par cette présence silencieuse la plaie dont la croûte s'était brisée, laissant le sang chaud couler à nouveau le long de ma peau fanée.

Déterminée à tenter une fois de plus d'échanger avec lui, je me faufilai entre les spectateurs qui rouspétèrent sans le quitter des yeux. Je contournai la foule sans leur daigner mon attention et lorsque je fus enfin de l'autre côté, mon frère se trouvait déjà plus loin. Sans l'once d'hésitation ou de surprise.

Je le suivis, ayant appris à vivre avec lui, disparaissant et apparaissant. Les larmes avaient cessé, les effarements qui arrêtaient s'étaient taris, et j'étais devenue discrète lorsqu'il se révélait uniquement à moi, sachant que les autres ne le voyaient pas, mais curieux, me regardaient crier au vide. Il avait toujours tenté de me protéger et s'il constatait que je risquais d'attirer l'attention, il se pouvait qu'il se dissipe.

J'accélérai pour ne pas le perdre dans les rues animées de marchands et d'acheteurs. Ces maisons aux tissus colorés qui pendaient pour les fêtes, au bruit des artisans qui travaillaient, doublant leurs efforts pour les visiteurs qui se raréfiaient, la fin venue.

Oarion se dirigeait vers les limites de la ville, s'éloignant des passants denses qui finirent par disparaître, plongeant dans les tréfonds des rues plus serrées. Loin des collines de culte, du centre de la ville aux mille activités, quartiers des plus pauvres, habitant en dehors. Je connaissais ces lieux, mais les ombres avaient disparu, n'étaient plus que ressenties sans être présentes. Assurée que les seuls êtres à parcourir ces lieux pouvaient n'être que des esprits ou des eidolons, je commençai à courir, l'appelant et le suppliant de s'arrêter.

Il me jeta un rapide regard de ses yeux bleu océan avant de glisser sur le sol de terre et s'enfoncer dans une rue à sa gauche. Je jurai entre mes dents, consciente qu'ils disaient que j'étais la plus têtue des trois lorsque ce n'était qu'une plaisanterie. Il l'était tout autant que moi.

Malgré tout, la culpabilité qui me rongeait chaque jour, goûtant chaque instant une partie de ma chair rosée, la colère débordait, menaçant de me sortir de mes gonds. Je le comprenais, qu'il m'ignore, refusant d'établir un dialogue, mais la mascarade avait trop duré. Bien que je ne sois pas prête à échanger de vive voix avec lui sur le passé. Il était impossible que cette confrontation emplie d'un amour fraternel imbrisable n'ait pas lieu un jour, mis à part s'il passait définitivement de l'autre côté tout en restant muet.

J'eus le temps de l'apercevoir dans le coin de rue que j'avais également emprunté avant qu'il ne disparaisse à nouveau, s'enfonçant dans cet étrange labyrinthe étroit. Courant désormais, je ne souhaitais que le rejoindre, comprenant que s'il était encore parmi nous c'était qu'une affaire, une promesse, le retenait.

Je voulais l'aider, je le lui devais, pour qu'il parte enfin en paix. Pourtant, s'il ne contribuait pas, je ne pouvais pas le sauver comme il l'avait fait et je me sentais désespérée, consciente que tout m'échappait, depuis le début. Depuis mon premier cri.

Il avait ses raisons de ne pas me diriger la parole, des secrets et le loquet des portes de la vérité. Je ne pouvais pas le critiquer s'il ne voulait pas m'en faire part, car il m'avait déjà pardonné après ce que je lui avais fait, après que je l'aie assassiné. Ces mystères qu'il avait emportés ne sonnaient pas en harmonie dans mes oreilles. Je les ressentais presque d'un écho mauvais qui pourrait compromettre et mes oreilles en saignaient, tout autant que les larmes pourpres au coin de mes yeux.

Je tournai au coin de rue et restai statufiée face à la scène.

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