47. Les murmures de l'Oracle

Les murs bruyants de la ville se succédaient de leur couleur terreuse. Les chuchotements qui émanaient des maisons résonnaient à mes oreilles qui suivaient les sons, tressaillant aux cris de joie, mais ne parvenaient pas à saisir les murmures de la richesse conspiratrice.

Hippolyte partit, je craignais que la ville soit en danger par ma faute, car chaque sol que j'effleurais...Les pleurs se mêlaient aux morts et les anges noirs, eux-mêmes me fuyaient. Thanatos et Morphée n'avaient jamais osé m'approcher, et ils auraient pu s'impliquer lors de mes nuits cauchemardesques. L'Autre Monde vivait sa vie et ne se mêlait pas à la nôtre, et j'en étais heureuse. Les abîmes nous séparaient.

Le visage crispé, les yeux foudroyants, la colère m'effleurait, mais le cœur glacial, mes pieds martelaient le sol avec la douceur des feuilles d'automne, brûlantes et incendiaires. Les marchands commençaient à se faire rares, mais quelques boutiques nomades persistaient à me héler sans reconnaître en moi la menace que je représentais. Leurs corbeilles d'osiers gardaient en leur sein les poissons frais, les graines ou même des métaux venus du nord, mêlés aux pierres d'orient.

Leurs voix stridentes résonnaient dans les ruelles, et les passants s'arrêtaient pour observer ces étrangers vendeurs qui n'hésitaient pas à conter leurs anecdotes de royaumes lointains. J'ignorai ces ragots de mortels et de paysans rêvant des palais qui étaient leurs maîtres par leurs richesses, de ces villes qui les contrôlaient, mais qu'ils n'avaient jamais aperçues. Certains s'engageaient dans les navires grandissant aux bords des mers, désireux de s'envoler de l'autre côté, avant de couler dans les abysses du monde.

Je vis enfin une maison à laquelle était accrochée des roses aux couleurs diverses, passant du jaune au blanc, du bleu au rouge, du noir au rose. J'y pénétrai sans y demander l'autorisation, atterrissant dans une pièce nue de tout meuble, mais pas d'êtres.

Une jeune femme à la chevelure aussi noire que ses yeux, vêtue de peaux comme autrefois et certaines chasseresses, se tenait là. Une image des premiers dieux, se mêlant encore à une humanité qui peinait à sortir de leurs villages de bois pour former des royaumes. La lisseur de sa chevelure aussi brillante que sa peau olive étincelait de sa nature d'immortelle, et d'être créé de la terre. Les mains qui s'entortillaient, restant impassibles, mais d'une curiosité aussi destructrice que sa beauté. Elle portait à ses poignets les traces des chaînes, vestiges de l'instrument des dieux qu'elle avait été.

– Pandore, la saluai-je, et elle me rendit le salut par un hochement de tête.

Le regard éternellement méfiant envers chaque être, elle ne me quitta pas du regard, veillant à jamais sur le monde. Elle n'avait fait que libérer les démons de l'humanité qui avaient été enfermés, fêtant ainsi l'aube de l'ère, et punissant les mortels qui avaient traité les dieux comme ils avaient traité les titans. Sans différences, et avec la même ferveur. Une trahison pour Zeus qui avait décidé de leur montrer qu'il valait bien plus, qu'il était le roi, l'empereur de tous. Elle n'avait été que la porte ouverte pour imposer une dominance, et désormais elle était partiellement libérée.

Je n'étais pas née lors de sa création, mais la femme des maux restait une divinité respectée, mais facilement oubliée. Les doigts fins comme sa taille saisirent le collier qui pendait à son cou, un tourbillon de métaux. Un présent de son mari, frère de Prométhée, Épiméthée, qui n'avait pas osé se soulever, mais qui avait un amour éperdu pour Pandore. Cette femme à tous les dons qui marchait aux côtés des esprits humains.

– Artemis, tu es enfin arrivée.

Je remarquai finalement la présence de Daphné qui, dans un coin, discutait avec Opis au regard noir. Sa cicatrice tressaillit de colère, au contraire de la nymphe. Cette dernière était vêtue d'une robe blanche aux manches parsemées de fils d'or, créant les mêmes contours du collier de Pandore que je reconnus enfin être un cercle de vie. Elle reporta son regard noisette pailleté d'or sur moi et me sourit avant de rajuster rapidement son chignon et d'effleurer le sol de ses sandales de cuir. Je perçus ses yeux s'arrêter sur mon pendentif de lune, tout comme Pandore, reconnaissant un nouveau symbole. Aucune ne dit mot, comme l'oubliant.

– Nous t'attendions, je discutais des nouvelles avec Opis.

– Où est ton frère ? questionnai-je, les sachant inséparables.

– J'allais y venir, commença-t-elle, s'approchant de moi jusqu'à s'arrêter à mes côtés pour me glisser de simples paroles emplies d'inquiétude à mon égard. Phoebe m'a fait part que ton frère a menacé ton chasseur de mort, et qu'Aphrodite y est impliquée. Phoebe se porte bien, et elle a respecté la mission que tu lui as confiée. Pourtant, elle est consciente que c'est pour l'éloigner depuis que vous êtes arrivées à Corinthe. Ne craignez pas pour sa vie, elle peut être aussi sylvestre que moi bien que son innocence en fait un être de lumière. Ne sous-estime pas la nymphe, elle n'est pas ignorante. Ensuite. Je te remercie d'être venue.

Elle scella ses lèvres et me jeta un regard, patientant aucune réponse, mais je sus qu'elle me soutenait de plein cœur.

– Tu es tranquille pour quelques instants, Apollon s'occupe de l'oracle. Paraît-il qu'il y a, certains soucis au sujet d'éternels de l'avenir. Hyacinthus me le fit part grâce à Zéphyr, il a entendu les murmures d'autres ailés, très proches de ces êtres d'éternité. Aphrodite y est mêlée à cause de liens qu'elle refoule. Elle s'occupera pourtant de toi, mais se doit de patienter le retour de ton frère. Nous nous occupons de cette paix, tu n'as pas à t'inquiéter de cette façade.

– J'ai entendu des dires aux propos de ces murmures. Des éternels liés à la Grèce, n'est-ce pas ?

– Oui, mais une menace se prépare. Nous avons quelques années encore, pour l'instant. Je pense que ton frère saura te l'expliquer mieux que moi, lorsque tout sera enterré. Quant à toi, nous sommes inquiètes.

Elle se tut un instant, reprenant son souffle avec douceur, et l'étincelle civilisatrice de la sagesse des esprits brillait dans ses yeux. La messagère entre le monde d'avant, et le nouveau. Son souffle et ses actions ne se tarissaient jamais, et elle valait un rôle tout important que la reine, moi.

– Avant, sache qu'au nord, les attaques des jeunes femmes ont cessé, et les loups sont à Corinthe. Mais tu t'en doutais, n'est-ce pas ? me questionna-t-elle, plongeant ses pupilles dans les miennes et je me mordis la lippe aux souvenirs des deux simples démonstrations qu'ils avaient accomplies pour signaler leur présence. Ils se dissimulent. Pourtant, les dryades, néréides et naïades les ont vus, mais Opis le sait. Nous sommes ici pour que le passé t'inspire, car nul n'est à l'abri des dieux, ni même les immortels. Pandore ?

La femme d'antan ne cilla pas à l'entente de son nom, et se détacha du mur qui s'effritait par le temps. Les pas assurés, mais qui semblaient encore marcher sur une boue collante, réfléchissant à chaque mouvement de son corps, tressaillant à chaque cri venu de l'extérieur, aux claquements des portes et aux piaillements des oiseaux.

– Daphné m'a fait part de ton passé, ainsi que le fait que l'Olympe t'a gardé durant ton enfance enfermée entre les murs du palais. Je n'ai aucun doute sur le fait que tu es une arme à leurs yeux.

Les pupilles d'une profondeur abyssale qui me toisaient firent frissonner mes membres. Je me redressai et, d'instinct, levai le menton pour lui faire face, à elle. La première femme, la première à avoir subi le patriarcat des dieux. Les pattes de la bête qui revêtaient son frêle corps caressèrent le sol poussiéreux, soulevant ces fragments de temps qui se perdaient dans l'air ambiant.

– Qui te dit que les dieux me voient comme un pion ?

– Tu le sais, et l'Olympe ne tardera pas à te l'annoncer, mais à ce moment, tu oublieras que je t'ai parlé.

La voix sableuse écoulait ses mots de sa bouche à mes oreilles, trace du cycle du monde, des saisons, du destin. Pandore n'était pas qu'un symbole du joug des nouveaux maîtres, elle était l'inspiration traîtresse, la figure même de la femme qui marchait, portant sur ses épaules les malheurs du monde, la culpabilité innocente. Avide de curiosité et créée pour plaire sans toutefois continuer à suivre les pas des dieux, mais sa voie. L'ombre de la femme qui maîtriserait le monde au bout de ses ficelles, dissimulée dans les ténèbres de la nuit jusqu'à ce que l'égalité ressurgisse. Pandore était la boîte cupidement gardée, née de la terre mère.

– Raison pour laquelle ta vie changera.

Les yeux perçants d'Opis et de Daphné dévièrent sur la venue qui s'était engouffrée sans même libérer la porte. La voix caverneuse ne laissait aucun doute quant à la messagère des mondes dont le nom m'était ignoré, mais sa douce voix m'était parvenue plus d'une fois, possédant Aphrodite à ses paroles révélatrices sur Candeon. Je l'avais reconnue, et je la craignais, sans le lui démontrer.

–  Mûré, salua Pandore sans étonnement.

La femme glissa sur le sol, s'approchant doucement, et la température baissa avec délicatesse, amenant un léger vent qui caressa nos cheveux. La main ferme d'Opis effleura l'un de ses poignards tandis que Daphné déliait ses mains sans pour autant s'en prendre à l'être qui abaissa sa capuche sanguine.

Les yeux d'un brun aussi obscur que sa chevelure frisée, elle souriait éternellement au coin. Les multiples bijoux d'or qui sertissaient ses bras et son cou apportaient la touche riche de son statut sacré. Le symbole qui m'étonna le plus fut les plantes bien connues qui s'étaient faufilées entre ses mèches désordonnées, celles de Delphes.

– Vous êtes l'une des pythies, n'est-ce pas ? Mon frère vous envoie ? Pandore, que sais-tu ? les attaquai-je, mais ni l'une ni l'autre frémirent à ma menace.

– Tu le sais, Daphné a fait appel à moi pour te rappeler que les dieux peuvent s'en prendre même aux immortels, tant qu'ils arrivent à leur fin. Mûré n'est que de passage, elle a vu ton arrivée et les voix des démons m'ont murmuré sa visite, me révéla-t-elle, consciente de son lien avec ces êtres de l'Autre Monde qui se mêlaient au notre, et qui apportaient souvent les maux des vivants.

Pandore était celle qui avait ouvert la voix, à l'âme proche de la maîtrise de ces démons qui ne s'apparentaient pas aux enfers. Ils la respectaient, tout comme ils admiraient Lilith, Ishtar, Inanna ou encore Astarté, qu'importait son nom. Elle était une seule femme des premiers temps, maîtresse des démons des deux mondes, êtres surnaturels qui se nourrissaient du flux des vivants comme les empousas ou les sirènes.

– Je ne suis pas envoyée par ton frère, il est bien trop occupé à comprendre la délivrance de l'une de mes sœurs au sujet d'une mortelle, affaire d'Aphrodite et de vengeance qui sera dissimulée aux yeux du monde pour quelques années encore. Je suis une oracle, une prophétesse d'Orient.

– Pourquoi êtes-vous ici ? Je pensais ne recevoir que des nouvelles, et non la visite d'une envoyée du destin murmuré, lui fis-je savoir, et un ricanement s'échappa de ses lèvres carmin.

– Et d'eux, l'ère recommencera. N'as-tu jamais entendu ces chuchotements ? Ma voix les murmure.

Un long frissonnement remonta le long de mon échine et mes poils se hérissèrent. Ils m'étaient même trop familiers, nous craignions cette ère nouvelle qui contait les grands héros, les monstres jaillissant de l'Autre Monde. Pourtant, le volcan n'avait pas encore explosé et l'ébullition peinait à s'embraser. Je me mordis la lèvre douloureusement et un filet de sang coula, suivi par les yeux attentifs de l'oracle.

– Tu en as pris connaissance, reine du monde sauvage. Ils mourront et renaîtront dans la souffrance pour les chants avides de tragédie qui se chanteront lors des banquets comme aujourd'hui, récita-t-elle calmement. Je viens du croissant, je suis proche de la Sibylle qui écrit ses dires éternellement sur les papyrus jusqu'à ce qu'un survivant de la ville puissante et grandissante ne les lui vole, et qu'elle meure.

– Que faites-vous ici ? répétai-je.

– La nymphe primaire craint pour ta vie, mais ne se mêlera pas, préférant protéger et te faire part de la vie des forêts dont tu es la reine. Telle une vizir dans les palais, la main droite du souverain, ou ici, la souveraine. Tes conseillères chasseresses sont auprès de toi pour ta communauté, mais elle te relie au monde extérieur. Quant à Pandore, une fois de plus, elle ne fait que passer un message, symbole de la décadence du pouvoir des femmes dont la position ne fera que faiblir. Et toi, Opis, celle qui a traversé la mer, blessée par un ami, ta haine mènera à ta perte et tu mourras souillée.

Les dernières paroles tranchantes provoquèrent un cri de rage auprès de la chasseresse qui osa un pas vers la femme aux murmures. Mais d'un geste du bras, je l'arrêtai, et elle fut forcée de m'obéir. Les muscles crispés, elle foudroyait du regard celle aux vérités de demain. La peur l'habitait, je le sentais. Lorsque la mort était clamée, le monde devenait incertain et la vie n'était plus vénérée, du moins, telle qu'elle l'était autrefois.

– Taisez-vous, ordonnai-je, et ses yeux nous scrutèrent au plus profond de nos âmes.

– Je vous suis, tous, depuis longtemps, et je sais comment l'histoire se terminera. Et, lorsque le feu brûlera les plaines, je partirai à jamais. Pour le moment, je serai dans les ombres, entre l'orient et l'occident, aux coins des rues pour vous susurrer les mots qui vous mèneront sur votre route. Mais je suis consciente qu'il vaut mieux pour moi que je me taise.

– Qui êtes-vous ? questionna d'une voix cristalline Daphné, mais avec une certaine autorité aussi douce que son cœur doré. Réellement, et veuillez excuser mon impudence, mais après ces années, continua-t-elle avec respect, mais elle la coupa d'un geste de la main.

– La fille d'un ange de la mort, une mi-ailée, une mi-mortelle au don prophétique, attirant le regard d'Apollon qui n'a su me charmer. Je parcours la Grèce, semant le chant du hibou à ceux qui veulent m'écouter.

– Je vous ordonne de disparaître, l'intimai-je d'un grognement.

Et ce ne fut qu'un frêle sourire aussi mystique que son âme qui me répondit avant que, d'un second geste de la main, elle ne demande à Pandore de quitter les lieux à ses côtés.

La porte se referma dans un claquement, et je ne repris ma respiration qu'à l'instant où le cri coléreux d'Opis fit s'envoler les colombes. Daphné posa une main sur son épaule qui tressaillait et je surpris ses doigts venir essuyer l'unique larme.

La tristesse qui habitait son cœur meurtri me bouleversa. La chasseresse était originaire de Nubie, et je la savais proche d'un homme qui l'avait trahi, abusant d'elle et bafouant son nom. Elle avait fui, vouant une haine aux mâles et brûlant l'amour, réduisant à néant les sentiments qu'elle portait en elle. Elle en oublia sa jeunesse dans son village, ainsi que la sœur de cet ami. Elle était ferme, dure et stricte, démunie de pitié, mais je voyais que les paroles de celle qui voyait l'avaient bouleversé.

– Opis, le futur se trompe parfois, tenta de la rassurer Daphné, mais elle se dégagea avec force.

– Je mourrai souillée, car je le suis déjà, je périrai l'arme à la main, et l'homme se perdra ! hurla-t-elle avant de se taire et, d'un pas ferme, nous abandonna.

Sa silhouette disparut derrière les murs, fuyant une réalité qu'elle préférait irréelle, mais nous savions que ces paroles qui tombaient dans les airs se réaliseraient, d'une manière ou d'une autre. Le destin était gravé à jamais dans les airs du cosmos, du chaos dont l'ordre était brumeux à nos yeux. L'oracle nous avait caressés, et ne nous lâcherait pas tant que notre vie ne s'était pas déroulée.

Les statues que nous devenions face au destin imbrisable, qu'importait les routes que nous empruntions pour l'atteindre. Les murmures de la terre savaient tout, même les mystères les plus profonds murmurés par les déesses mineures des régions de ces derniers. Les secrets restaient ancrés dans nos mémoires, nous rangeant de l'intérieur jusqu'à ce qu'ils soient murmurés à l'oreille de notre prochain, sans pour autant nous approcher, car ces rapprochements n'étaient pas des liens.

– Penses-tu qu'elle souhaitait nous effrayer ?

– Non, elle est venue nous mettre en garde, et nous rappeler que le passé persiste à jamais et qu'il faut l'entendre. La guerre est là.

– Et celle qui est à craindre en est la fin.

Elle ne fit qu'acquiescer avant d'ajouter d'une légère voix qu'elle parlerait à cette femme, fixant tout comme moi le bois calciné qui était les bases de cette demeure. Illusion d'un futur proche, image des paroles que prononcerait l'Olympe. Le monde brûlerait sous les flammes du Phœnix et sera condamné aux malédictions de la renaissance, et de l'aube naîtrait le temps des héros.

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