44. Ce n'est qu'un au revoir (partie 1)

« Every man needs a woman
When his life is a mess,
Because just like in a
Game of Chess
The Queen protect
The king»

L'écume de la mer caressait le sable à nos pieds d'une ferveur pieuse, s'abattant corps et âme face à la terre mère qui barrait le passage à cette puissance naturelle, divisée par empires divins. Cette mer, dont l'esprit était séparé par plus d'une entité, récoltait la semence des eaux, l'avalant en son sein.

Cette mousse blanche et légère dessinait des figures dansantes à la surface, laissant entrevoir des Néréides qui observaient avec curiosité cette déesse épanouie dans les bras de l'homme qu'elle aimait. Ses pieds aussi nus que les siens se délectaient du sable fin et de la fraîcheur des vagues qui touchaient les orteils, provoquant des frissons si dissonants qu'ils remontaient le long de l'épiderme qui s'en enchantait.

Le soleil avait entamé sa course vers l'horizon, et bientôt ses rayons d'un orangé vif se mêleraient aux larmes aussi pourpres que le sang dans le ciel ou de l'écarlate de la passion destructrice, amenant avec moins de douceur à la voûte nocturne contrairement à l'aurore aux tons rosés et doux.

Le cœur allégé, la joie alléchante m'était enfin permise d'être délectée de son goût si apaisant. Les fêtes touchaient à leur fin, mais je reviendrais suffisamment tôt à la réalité obscure pour m'en préoccuper et ne pas profiter de ces derniers jours. Ces pensées étaient ignorées, autorisant à mon esprit de vagabonder entre les rues sans se soucier des dangers qui rôdaient aux coins des maisons, déterminés à abattre leur lame dans mon dos profondément.

Le fracas des vagues contre les rochers amenait une impassibilité dans cet air marin sous les cris des mouettes stridentes, enveloppant de leur bruit les hurlements de la guerre qui n'atteignait plus mes oreilles, mise à part la disgrâce de Phoebe qu'elle ne méritait pas. Elle, à l'âme la plus pure d'entre nous, elle qui semait le bien, tentant d'aider comme elle le pouvait par ses mots sans jamais perdre espoir. Aujourd'hui, elle en avait perdu une part. Elle ne se vengerait pas, une preuve de plus qu'elle n'était pas digne de recevoir la frappe du destin.

Les moires, ces vieilles femmes au courant qui nous reliait à cette chose qui était la destinée, étaient bien haïssables. Elles le savaient, avaient vu que les lycanthropes attaqueraient le village de Phoebe aux abords des terres Amazones. Ce n'était pas une simple causalité du hasard des temps.

Les amazones n'avaient pas vu venir cette invasion qui avait accouru sur la surface plane et asséchée à la lisière du continent et de l'orient. Comment ? Elles avaient été visées tout comme moi. Bien qu'ennemies des Grecs et en particulier d'Athènes, le véritable danger devait leur être connu, pourtant, un village avait disparu, emporté par le silence des anges de la mort qui habitaient encore cet endroit. Ils n'avaient été que spectateurs d'un massacre. Athènes, cette ville se répercuta dans mon esprit.

– Hippolyte ? l'interpellai-je, tournant ma tête appuyée sur le haut de son torse.

Le reste de mon corps était retenu par ses bras puissants qui m'entouraient comme dans un cocon, me garantissant une protection que bien que pas nécessaire, j'appréciais d'être sous son emprise. Je me blottissais contre son corps chaud, et étais couvée du regard par ses yeux hypnotisant d'un amour sincère qui ne me faisaient à aucun instant regretter mon choix. Je questionnai même sur la possibilité de m'interdire de l'aimer qui avait effleuré mon esprit indécis, et d'instinct, je vins effleurer le pendentif qu'il m'avait offert en cette nuit bénie sans plus ressentir les ombres de Corinthe.

– Oui ? répondit-il, affichant ce sourire au coin que j'aimais tant.

– Ton cousin, Thésée, il a provoqué les premières rivalités avec les amazones, sais-tu quelque chose sur cette attaque des loups de Lycaon dans leurs terres qui pourtant devraient appartenir à d'autres lycanthropes bien plus appréciés ?

– Je ne suis plus en contact avec lui, nous ne nous apprécions pas, mais ce que je sais est le suivant. Il a eu mon neveu, Diophème Hippolyte, avec leur reine qui est tombée follement amoureuse de lui. Il l'a trahi, enlevé son unique enfant, provoquant une haine sans fin qui n'a fait qu'augmenter. Ce qui m'étonne est que la reine Antiope n'a rien vu.

– Je me pose la même question, mais l'envie d'y penser durant ces fêtes est absente. Je devrais songer à questionner Phoebe, elle était présente. Une autre histoire à ne pas y réfléchir.

– Moi non plus je ne souhaite pas m'y attarder, me dit-il, déposant un baiser sur ma chevelure soulevée par la brise salée avant d'en déposer un sur mon front, sur ma cicatrice tel un rituel. Ces ombres se sont manifestées à nouveau ?

– Non, répondis-je, secouant la tête. Une chasse sans suite, je pense.

– Dommage, me murmura-t-il au creux de l'oreille, et ces mots étaient contraires à ce qu'une majorité aurait dit, celle du soulagement qu'il n'y ait pas de danger.

Au contraire de lui, tout aussi avide de tirer ses flèches que moi. Un sourire se dessina sur mes lèvres, écarlate.

– – Je t'aime, lui confiai-je dans un souffle, ressentant le besoin de laisser s'échapper telles les ailes d'une colombe dans le vent cet aveu pour qu'il atteigne ses oreilles et son âme avant qu'il ne soit trop tard.

– Je t'aime encore plus, répliqua-t-il, et je devinai un sourire étincelant qui me fit émettre un léger rire amusé de son besoin d'être au-dessus, tout comme moi.

Nul, ni même mon esprit, aurait avancé que la déesse Artemis ayant fait vœu de chasteté aurait succombé à ce qu'elle avait toujours fui inconsciemment. L'amour, le véritable, les sentiments qui lient jusqu'à l'union charnelle. Mais ne m'avait-on pas avancé que nous étions tous liés à un être, une âme-sœur ? Et dont n'importe quelle promesse ne pouvait nous en faire échapper ?

Enfant, je m'imaginais le pouvoir et le désir d'être reine en épousant un prince immortel par obligation, préférant omettre ce détail. J'y étais parvenue par moi-même, une alternative qui reflétait celle que j'étais, et non la déesse que je m'efforçais d'être comme toutes les divinités mineures destinées aux caractéristiques qu'elles étaient, et nommées par l'empereur. Des années passées, je me trouvais dans les bras d'un criminel, un chasseur, un loup et un mortel que je préférais bien plus que mes premières illusions.

– Qu'est-ce ? m'interpella-t-il, pointant du bout du doigt l'un des fourreaux de mes deux poignards.

Sous les éclats étincelants de l'or argenté qui solidifiait le cuir noir de mon arme, un bout de cuir écrasé s'échappait, cherchant l'air. Du bout des doigts, je le sortis et reconnus la petite sacoche qui ne semblait pas avoir changé. Je humai et sentis les odeurs apaisantes qui pénétrèrent par mes narines, et je souris avant de le lui tendre pour qu'il l'observe longuement, un visage indéchiffrable. Il inspira finalement une bouffée des fleurs jaunes.

– Mon loup a senti quelque chose ? le taquinai-je.

– Fleur de lune ? me répondit-il d'un air sérieux, et je le regardai, étonnée qu'il connaisse cette plante dont j'avais longtemps ignoré l'existence.

– Je pense que tu dois avoir raison, je te fais confiance, comme toujours et à jamais, lui soufflai-je, me mordant la lèvre inférieure, provoquant un sourire au coin des lèvres de sa part.

– Ce n'est pas grec, n'est-ce pas ? Le sachet.

– Tu as l'œil, mortel.

– Bien meilleur qu'une déesse devenue reine, répondit-il de sa voix d'une douceur malicieuse que je ne me lassais jamais d'entendre.

– Le mortel devrait être heureux et honoré d'avoir attisé le regard d'une divinité, et pas des moindres, continuai-je sur la même lancée, et ses yeux brillèrent.

– Il est l'homme le plus comblé des mondes, me susurra-t-il, déposant un baiser sur le bout de mes lèvres.

– Et moi la plus comblée des déesses, fis-je écho à ses paroles, lui rendant le même baiser.

– Où l'as-tu eu ?

– Je te laisse deviner puisque tu es si doué, le provoquai-je.

– Ce n'est pas celte, ces décorations bien qu'abstraites possèdent des formes plus guerrières et animales, presque d'une spiritualité plus complète, mais le cuir provient de par-là. C'est nordique, plus précisément asgardien. Les Vanes n'ont pas cette culture.

– Bien deviné.

– Je croyais que tu n'y étais jamais retournée ? me questionna-t-il, et aucune syllabe ne trahissait ses mensonges.

Je me mordis la joue, hésitante à lui avouer que je connaissais le secret qui nous reliait. Celui de Candeon et de Diane à la frontière à laquelle il avait tenté de me tuer, bien que je l'avais payé pour qu'il me mène à Asgard. Je décidai de suivre son jeu et de me taire jusqu'à ce qu'une meilleure occasion ne se présente, ou que lui vienne à moi. Après tout, il était l'assassin qui avait laissé tomber l'arme.

– J'y suis retournée il y a de cela cinq années pour ma tenue unique, mon armure, ce mélange des trois communautés de femmes que j'admire, les amazones, les chasseresses et les guerrières du nord, les valkyries. Le chemin a été dangereux, un homme a tenté de m'assassiner, glissai-je, guettant sa réaction qui ne vint pas.

Il savait mentir à sa manière pour garder ses secrets, déformant la réalité. Je détestais ne pas parvenir à déchiffrer ce loup, mais je refusais de briser une quiétude, car nous la méritions.

– Je me suis transportée sur place en dernier recours, et l'épouse de Thor m'a aperçu la première grâce aux divinités anciennes, sinon je serais en train de croupir dans une prison. Je l'ai trouvé dans une chambre condamnée tout comme son propriétaire depuis des années, cachée, dissimulée dans un coin poussiéreux. Je sais, le vol n'est pas la plus grande des vertus, mais pour ma défense son propriétaire n'en avait, disons, plus besoin, et j'étais attirée par cette plante. Cette époque n'était que noirceur, elle a été un éclat de lumière dans mes ténèbres qui m'a empêché de sombre, finis-je d'une voix qui perdit de son intensité.

Il vint avec douceur enlacer nos doigts, et ses lèvres déposèrent un baiser sur ma chevelure, avant que, une fois de plus, il les pose plus longuement sur cette partie particulière de mon front. Ce geste parvint à peine à m'apaiser.

– Je ne te juge pas, et si tu es appelée par une chose, il faut la prendre mise à part si notre âme nous cri que c'est une erreur. Tiens, garde-la précieusement si tu es attirée par elle, me conseilla-t-il, passant le sachet autour de mon cou pour venir attacher les deux bouts de cuir tel un collier avant de déposer un baiser au creux de ma nuque qui me fit sursauter. Quel effet a-t-elle sur toi ?

– Elle m'aide bien plus que la liberté des cieux, elle m'apaise et a mis une fin à des cauchemars qui m'éveillaient, plongée dans une panique étouffante. L'illusion de la nuit répondant à cet appel auquel je résiste. Je ne sais pas ce que c'était, un appel sauvage qui me pousse à tuer. Mon frère a le même, mais sait se contrôler, gardant les pieds dans la civilisation et les arts contrairement à moi qui me tapis dans la forêt. Les divinités sont cruelles, mais je suis sanguinaire. Elle a atteint son paroxysme lorsque je l'ai tué, soufflai-je, hésitante, trébuchant sur ces simples mots. Cette fleur de lune m'a sortie de l'impasse, me permettant de dissembler mes pensées désordonnées et de me raccrocher à l'humanité paisible. Elle a été comme envoyée du ciel, finis-je, la voix devenue fragile.

Ces derniers temps, à chaque fois que je le mentionnais d'une manière ou d'une autre, mon cœur de pierre n'était plus insensible et commençait à ressentir cette douleur du deuil. J'avais besoin de lui comme jamais, j'avais besoin d'une figure fraternelle, et même devenue paternelle par le rôle qu'il avait endossé, celui de nous guider étant le plus grand. Il avait tenté de nous préparer aux mieux, mais il nous avait quittés lorsque nous étions loin d'être prêts. Qu'importait la couronne sur ma tête.

Skotia, Phoebe et Apollon ne pouvaient pas être ceux avec lesquels je pouvais partager ce que je souhaitais, elles et lui étaient mes égaux, mes sœurs et frère. Mais ni l'un des trois n'avait cette figure de grand, d'exemple d'autrefois avec qui je pourrais parler des immortels et des enjeux, puisqu'il en avait connaissance. De ce qui pesait sur mon cœur, et d'Hippolyte.

Il n'était pas là, il ne serait plus jamais là pour que je puisse me reposer sur ses épaules, pour que je puisse l'embêter utilisant le lien de jumeau que j'avais avec Apollon comme antan. Mon jumeau était mon autre moitié, celui qui me perçait comme personne, celui avec lequel un simple regard suffisait pour nous comprendre, mais il n'était pas là lui non plus et nous nous aidions mutuellement. Aucun ne s'emparait du contrôle de la situation, car nous étions jumeaux. Lui, il avait pris sur ses épaules nos poids.

– Je sais que sa mort te hante, veux-tu en parler ?

Les paroles affectueuses et maîtrisées qu'il venait de me murmurer me firent revenir à la réalité. J'essuyai mes yeux embués par l'eau aussi salée que l'étendue face à moi. Je réfléchis, et il me laissa le temps de prendre ma décision. J'avais tout oublié ces cinq dernières années, mais tout ressurgissait des abysses de mon âme par cette guerre. Mes démons sortaient de mon enfer dissimulé dans l'ombre, se manifestant en plein jour et non plus sous l'obscurité de la nuit. Ils tiraillaient mes pensées instant par instant et non plus d'une manière éphémère qui d'un simple geste de la main, s'évanouissait dans les airs.

Laisser s'échapper les paroles qui restaient en travers de ma gorge ne me soulageait que d'une douleur que je refusais de ressentir. Je ne pouvais pas lui parler, à lui, mais avouer la vérité à Hippolyte pouvait m'aider à apaiser mon âme brisée. Je lui faisais confiance, je voulais partager avec lui cette partie sombre de ma vie, et peut-être que mes paroles feraient écho dans son âme, lui qui avait été touché par mon crime comme tant d'êtres.

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