43. Tir à l'arc

We aren't step
We aren't half
We are family »

Il y a bien longtemps...

Le soleil brillait dans le ciel d'une étincelante lumière. Mes pieds nus dévalaient la colline d'une herbe douce, provoquant des petits rires par ses caresses sur la surface de ma peau. Mon corps frissonnait de cette liberté divine dont je peinais à goûter à la cour, envieuse du temps d'antan et de cette nymphe de qui s'était enquis mon jumeau qui était libre comme les précédentes de courir les plaines.

Mes cheveux volaient au vent avec violence sous les assauts de cet air sauvage, se faufilant en travers des arbres qui nous entouraient ici ou là. Ils se mouvaient d'une danse aussi frêle que les Laifairts au clair de lune, et des satyres jouant aux tambours aux alentours avec des ricanements graves.

Mes mains vinrent libérer mes mèches qui dissimulaient le paysage à mes pupilles étincelantes par cette liberté soudaine, fixant le bas de la pente aux rares fleurs de la campagne. Ma tunique était par chance aussi voileuse et simple que les nobles achéennes, permettant à mes jambes de sauter par-dessus les quelques pierres et déviations de la calme terre.

Un sourire apparut, mes yeux guettant mon jumeau qui courrait à mes côtés, quelques pas en retrait, apercevant mon coup d'œil derrière mon épaule. Je le vis accélérer sans un bruit, me poursuivant, mais sachant tout comme moi que je resterais plus rapide que lui. Toujours plus rapide.

Un faucon passa au ras de nos têtes, une masse sombre aux plumes brunes à peine distinguable, poussant un cri telle une masse qui tombait dans la mer aux trésors qui ne seraient jamais retrouvés. Coulant dans les abysses tous les espoirs des cœurs désormais brisés, aux cœurs lacérés. Seuls les pirates parvenaient à s'en saisir.

Je ramenai mon regard sur un arbre en particulier sur lequel la silhouette de notre grand frère se dessinait. Adossé au tronc, un arc en main et une flèche pointée dans notre direction, ses yeux d'aigles ne nous quittaient pas, patientant pour l'instant propice.

J'atteignis le bas de la colline qui n'était plus très éloignée de cet arbre aux traits qui se dessinaient, aux feuilles peu à peu visibles. Leurs formes allongées rappelaient celle des colliers en or ou des bijoux accrochés aux vêtements, apportant une couche de lumière aux êtres violents qu'étaient les achéens qui ne tentaient que de se rapprocher de leurs voisins. Les minoens qui ne nécessitaient pas ces figures accueillant tout leur corps nu, si ce n'était leur chevelure imposante qui tombait jusqu'à leurs hanches. La mienne bien que longue restait courte, et autrefois ramenée en une fine coiffure sur le sommet de ma tête, volait désormais au vent.

Le sourcil froncé d'Oarion émit un petit frissonnement, mais bien que proche, il ne me manquerait que trois pas pour lui arracher l'arc des mains, et il était trop tard. Le temps n'était pas celui aux décisions ni celui de la réflexion. Uniquement un instinct primaire envahissait nos veines, les brûlant ardemment, enflammant notre épiderme à vif par cet incendie ravageur qui n'appelait qu'à la traque d'une proie pour survivre.

La flèche fusa dans ma direction, et je roulai au sol, sentant les plumes caresser ma joue, l'entaillant à peine, et ne laissant qu'une simple rougeur sur ma peau hâlée par le soleil. Mes bras caressèrent la terre, atténuant une chute violente qui me glissait sur cette herbe désormais détruite. Je souris à la sensation de la poussière de boue qui se collait à mon épiderme, formant des éraflures sur mes genoux qui quittèrent l'astre, me retrouvant devant mon frère qui n'eut pas le temps de faire le moindre mouvement.

Ma main venait d'ôter mon poignard de chasse que je lui présentai au creux de sa gorge, lui arrachant de l'autre l'arc avant de planter la lame dans le tronc, l'y enfonçant comme dans les mers salées de la Grèce. D'une facilité déconcertante.

Il ne dit mot, car il ne fut pas assez rapide. Mes gestes précis et issus d'une âme endormie sans la conscience de l'humain, mais bien les réflexes animales, étaient si rapides, que les mortels quand bien demi-dieu ne parvenaient pas à suivre s'ils ne donnaient pas du leur. Et je savais qu'il voulait nous voir grandir après ces années. Qu'il voulait que nous soyons les meilleurs, de réels archers et combattants.

J'encochai la flèche arrachée à son carquois que je glissai à la corde, visant les cheveux d'Apollon si proche qu'il aperçut ma mine sauvage et déterminée. Il poussa un cri d'horreur silencieux à l'instant ou la pointe d'obsidienne lui coupa l'une de ses boucles. Leurs nuances étaient étranges, car avec l'arrivée de l'hiver, elles passaient d'un blond ensoleillé à un châtain proche des nuances de mon brun sous le soleil. Se raidissant, perdant de ces belles ondulations, devenant plus achéens qu'hyperboréens.

J'émis un petit rire sous ses airs effarés qui reprenaient leur souffle, nous rejoignant. Oarion s'esclaffa et je le suivis bien vite dans notre rire, vite rejoints par mon jumeau lui-même qui ne put s'empêcher de se moquer de sa piètre prestation.

– Je t'ai laissé gagner, me fit-il part.

– Très drôle, l'artiste, le repris-je, lui donnant une frappe sur le dos, et mes mots étaient entrecoupés par ma gorge râpée à force de respirer sous l'effort.

– Je reste le meilleur.

– Apollon, ta sœur est bien meilleure que toi pour tout ça, accepte-le, coupa notre aîné.

– C'est faux, répliqua l'intéressé, blessé dans son amour propre.

– Petit frère, il faudra courir plus vite la prochaine fois si tu ne veux pas que je vise ton petit cœur.

À ces mots, je passai mon bras autour de ses épaules venant lui ébouriffer ses quelques cheveux aux rares boucles, presque aussi lisses que moi, aux mouvements dignes des chants et des paroles prononcées sous les airs d'instruments. Il se plaignit, tentant de m'écarter, mais je le retins plus décidément, riant de ce jeu de force qui s'instaura entre les deux, mais une simple étincelle illuminant nos regards dès l'instant où ils se croisèrent suffit à nous comprendre sur une simple idée fourbe.

D'un mouvement aussi vif que les griffes d'une bête jaillissant des sous-bois, prête à les planter dans le corps de la proie broutant tranquillement l'herbe verte, nous cessâmes de nous taquiner. Dans un seul dessein, celui de nous lancer sur notre grand frère qui riait doucement avant de se taire définitivement. Tels des enfants saisissant une poignée de terre au sol comme unique arme modulable comme la pointe d'une flèche, nous nous précipitâmes à sa poursuite.

Il esquiva l'envoi d'Apollon, ses pieds fouettant le sol, rapide et allègre à la fois par son sourire d'aîné qui plongeait dans notre jeu si enfantin malgré notre âge. Ses yeux d'un bleu océan nous jetaient des œillades tandis que ses bras serrés à bloc par la course qu'il menait formaient des cercles semblables aux vies qui se déroulaient. Plongeant dans différentes courbes.

– Apollon ! Par la droite ! lui criai-je, et je le vis acquiescer.

Il dévia dans la direction indiquée, le visage ferme, et toute la beauté ensoleillée de mon frère disparu un instant pour des traits cruels. Celui qu'il exerçait lorsqu'un mortel s'en prenait à lui malgré notre jeune âge. Une facette qui traduisait une énergie bouillant dans ses veines qui s'éveillaient telles les rayons de la lumière éclatante, et mortelle à la fois.

Tout comme mon énergie qui consumait une nouvelle fois à mesure que je m'éloignais au sens inverse puis de revenir en direction de notre aîné qui comprit trop tard notre stratagème.

Les poings serrés, un sourire impérial sur mon visage qui si souvent ne regardait que le sol par les maladresses de nos pères, écrasant celles qui égales ne devenaient plus qu'une silhouette tapie derrière eux. Des règles d'une noblesse qui ne pensait qu'à l'or et aux coussins sous leurs corps fatigués d'avoir pris un plaisir étrange, comme les femmes aux minoens qui les servaient, ou les achéens qui patientaient aux servantes. Nous n'étions plus qu'autorisées à faire des activités pour nous divertir, et la guerre s'était vue ôtée de nos mains. Quant aux paysans, ils n'avaient toujours qu'un but. Quand serait-il de demain ?

La noblesse de l'Olympe s'appliquait à nous, obéissant telle celle que j'étais après avoir brisée les règles. Nous souffrions dès lors où je commettais une petite bêtise dont les coups étaient reçus par Oarion même, un outil que notre père ne se gênait pas à utiliser pour me tenir enchaînée aux désirs de l'empyrée aux contours dorés. Je ne parvenais pas à le voir revenir couvert de blessures et continuer mes méfaits.

Il n'était pourtant pas parvenu à m'ôter une seule liberté. Celle de descendre dans les Hespérides. Une seule fois par saison pour que l'air effleure mes poumons, ignorant qu'elle ne servait qu'à nourrir mes muscles, retrouvant une soif insatiable de mon enfance qui nous avait condamnés. Une soif qui avait été effacée et transformée en simples instants de jeux avec mes frères. Un entraînement ardu pour que nous puissions affronter ce monde cruel et divin, devenant dignes de notre puissance, et insoumis. Capables de vivre par nous-mêmes.

Les mains de terres s'ouvrirent lorsque notre aîné cessa de courir, se sachant à notre merci. Nous lui sautâmes dessus dans un petit cri guerrier, éclaboussant sa tunique des nuances brunes de la terre. Elles étaient si semblables aux taches de sang sur les vêtements des chasseurs rentrant sous les yeux mécontents des guerriers qui ne voyaient en eux que le fruit sauvage de nobles qui n'avaient pu offrir leur sang à Arès, que nous en frissonnâmes tel un augure avant d'oublier cette vision.

Il fit mine de se protéger et de tenter de combattre à mesure que nous lui tenions les bras jusqu'à capituler, se redressant et nous portant chacun. Nos doigts s'enroulaient autour de ses muscles, tentant de le ramener à terre avec des grimaces douloureuses, mais nos pieds quittèrent bien vite le sol et nous le relâchâmes, bredouilles.

– C'est de la triche, lui fis-je remarquer d'une voix sèche, croisant les bras tout en soufflant sur l'une de mes mèches échappée de ma tresse qu'il avait tenté de faire de ses grandes mains.

– Arrête de faire ton enfant.

– Je ne suis pas une enfant ! m'offusquai-je.

– Vraiment ? me charria mon jumeau, et je le foudroyai du regard,

– Tu ne vaux pas mieux que moi, le repris-je.

– Artemis, commença Oarion percevant que mon impulsivité me saisissait. Qu'avons-nous dit ? me questionna-t-il d'une voix qui changea d'intonation, devenant d'une inquiétude nécessaire pour la survie.

– Contrôle ? Je me contrôle !

– Vraiment ? En effet, tu es à deux doigts de nous sauter dessus, désolé ! me fit-il remarquer dans cet étrange humour qui me fit serrer des dents.

– Je ne vais pas écouter un mot de plus !

– Tête de mule, calme-toi deux secondes.

– Tête de mule ! s'esclaffa Apollon.

Ses iris du même bleu que notre aîné étincelaient d'amusement sous mes airs envahis par la colère rougeoyante. Mes phalanges blanchirent sous la pression de mes mains.

– Toi, ne te moque pas parce que tes beaux airs ne sont pas mieux.

– Pardon ?

– Calmez-vous et passons un bon moment ! Allez plutôt chercher les arcs, s'il vous plaît, nous demanda Oarion, nous forçant à oublier une querelle.

Je levai les yeux aux cieux tout en m'exécutant, les poings toujours serrés, suivie par mon jumeau tout aussi agacé que moi. Non pas uniquement par les paroles, mais par une victoire qui s'était échappée entre nos doigts, se faufilant entre les nuages et les étoiles, se dissimulant derrière les Pléiades qui menaient leur vie sous les caresses des astres.

– Nous allons le battre un jour.

– Je l'espère, Apollon. Dans une année, nous aurons quinze ans. Et là, je suis certaine que nous serons plus forts. Il est peut-être de la race des géants de la terre, mais nous sommes plus immortels que lui !

– À deux ?

– Toujours ! m'exclamai-je tout en m'abaissant pour saisir les armes.

Un nouveau sourire s'était dessiné, léger comme lors de mon enfance insouciante, avant que je ne brise tout rêve, avant qu'Oarion ne monte sur l'Olympe et nous prenne sous son aile. La figure de père qui nous manquait, aux yeux qui suivaient chacun de nos pas, chacun de nos gestes. Des paroles prononcées avec bienveillance et une maturité tendre pour nous enseigner la vie. Pour faire de nous une famille unie qui se chamaillait que par de rares moments, à cause de nos tempéraments. Et ma colère s'était évanouie, toujours. Grâce à eux.

Nous appuyions nos pas à travers l'Olympe comme les racines de ces arbres plantés à travers cette plaine entourant une colline lointaine au temple du dragon et des pommes d'or. Ni une once de brise glaciale ne soufflait sur ces terres lointaines de l'Olympe. Elles qui échappaient à l'œil de Zeus, appartenant à la noble Héra qui dans un souffle, nous permettait de respirer librement sous les feuilles dorées qui ne ternissaient jamais.

– Voici, annonçai-je à notre aîné aux yeux rivés sur le lac qui s'étendait, le soleil qui teintait au matin les cieux de l'aurore rosée.

– Encochez votre flèche.

Nous nous exécutâmes, moi la flèche tenue de la gauche, Apollon de la droite. Le dos désormais droit, les pieds parallèles posés sur l'herbe tendre, je tirai sur la corde jusqu'à ce qu'elle frémisse dans un susurrement annonciateur. Mon souffle devint plus doux et contrôlé, mes lèvres entrouvertes qui venaient chauffer la pulpe de mes doigts soutenant la pression nécessaire pour que la pointe ne s'envole pas sans mon accord. Une mèche de cheveux tombait le long de ma joue, mais je n'y prêtai garde, fixant le bout d'obsidienne qui visait un tronc dérivant, certainement lancé par Oarion en tant que cible comme à notre habitude, notre jeu.

– Artemis, le menton plus droit, commença mon aîné, s'approchant et redressant ma position.

– Comme ça ?

– Exactement, maintenant les doigts moins tendus, et visualise la pointe non pas comme une arme, mais comme la prolongation d'un fil invisible qui jaillit de ton œil. Tu as un don, tu peux le faire. Tu es proche de la maîtrise.

– D'accord, soufflai-je, m'imaginant une lueur d'argent qui se figea dans le tronc, et l'instant suivant, ma flèche fusa pour se planter entre une brindille naissante et l'écorce ravagée par la pointe d'une lame.

– Parfait ! me félicita-t-il, m'ébouriffant tendrement les cheveux.

– Arrête, le repoussai-je, remettant ma coiffure en place, et il rit doucement tout comme Apollon qui cessa dès le moment où notre aîné effectua le même geste, et son rire franchit désormais mes lèvres.

– Apollon, ce n'est pas un instrument de séduction, mais de chasse. Tu n'es pas Éros.

– Je suis bien plus beau et meilleur archer.

– Ne provoque pas un dieu primordial, le mit-il en garde. Tu risques de le regretter.

– Nous sommes les jumeaux archers ! lui fis-je savoir, me penchant pour saisir puis encocher une autre flèche à disposition.

– Peut-être, mais vous êtes encore jeunes et il faut vous perfectionner. Apollon, je t'ai dit plus de fermeté, le reprit-il, lui montrant comment tendre le bras et acquiesçant lorsqu'il corrigea sa position. Tu peux le faire, tu as la grâce pour rendre vivante ton arme. Tir.

La flèche se planta aux côtés de la mienne, et un sourire arrogant s'afficha, me mettant au défi de le détrôner. Je fis voler mes cheveux derrière moi comme une vague foudroyante d'un volcan en éruption dont le nuage ruisselait le long de la pente. Je n'hésitai pas un instant, laissant cet instinct naturel prendre possession de mes membres sans la moindre réflexion humaine. Si ce n'était la chasse pure, le vent qui pousserait le bois, le courant de l'eau et du tronc ainsi que la nature environnante.

Un sifflement fendit les airs pour venir briser la hampe de la flèche de mon frère et la pointe se planter profondément au bout même du tronc.

– Alors ? Qui est la meilleure, petit frère ?

Il ne dit mot, mais me félicita d'un regard tout comme notre aîné, éveillant une fierté dans mon cœur, car je savais la famille sincère. Une famille qui s'était faite la promesse d'en être une pour maintenant et l'éternité. Ne jamais s'abandonner malgré la souffrance engendrée par la noblesse de l'Olympe, d'un empereur qui ne prenait pas compte de nos sentiments et nos plaisirs. Nous nous aidions à survivre dans cette prison d'un marbre coloré, mais aussi glacial que la terre des géants de glace. Nous protégions pour que nul ne reçoive les coups. Oarion se mettant en travers des dangers, et nous deux faisions de notre mieux pour remercier ce grand frère que nous n'imaginions pas avoir un jour.

Qu'importait nos colères, ma tête de mule et ma fougue dès l'instant où un être osait aller à l'encontre de ma voix. Ou de mon jumeau qui prenait le monde à la légère ou qui pouvait s'avérer bien arrogant à la cruauté dévastatrice que je possédais sans aucun doute. Ces instants étaient aussi vite oubliés que les feuilles d'automne à la descente de Perséphone aux enfers. Les rires et les sourires se mêlaient à nos jeux, offrant une lumière à nos ténèbres.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top