42. Les abîmes des ombres

« When darkness branches to your soul
Light still finds a way to rise »

Les rues semblaient vides, et l'odeur des porcs assaillait mes narines. La terre déchue, piétinée par les paysans qui offraient la nourriture, possédait le don de soulever mon estomac, tels certains cadavres procédaient avec des âmes sensibles, comme Déméter dont le parfum était cette odeur répugnante.

Cet effluve ne faisait que dissimuler la véritable plaie qui régnait en ces rues traîtresses, celle qui offrait abris aux criminels, voleurs, assassins sans foyer ou or. Et les ombres qui me suivaient devaient sans aucun doute s'y tapir. La chasseresse plongeait dans le domaine d'ennemis qu'elle n'affrontait pas au quotidien, car des hommes n'étaient pas des bêtes. Les êtres qui les accompagnaient ne valaient pas les armes des crocs, des cornes, des pattes.

La douce chaleur de la lame que m'avait prêté Hippolyte suffisait à peine à me rassurer, elle qui avait sans aucun doute goûté à ces lieux, menaçante sous la gorge des victimes. Les deux poignards qui la complétaient étaient devenus glaciaux, et gorgés de sang comme celle de mon amant. Elles n'appelaient qu'au danger de se révéler, et leur origine olympienne n'offrait aucune dorure en leur intérieur.

La pulpe de mes doigts vint effleurer leur pointe étincelante comme une épine qui s'enfonça dans ma peau, la perçant lentement, et une goutte de sang coula. Si des êtres se dissimulaient, ils trouveraient ma trace plus rapidement. J'étais lasse de les traquer depuis l'aube, de ne plus ressentir leur présence qui m'épiait, les yeux et oreilles de la personne qui les avait invoquées, si tel était le cas. Cette présence pouvait jaillir d'un être trop puissant, et les souvenirs de leurs marques persistaient sur mon épiderme.

Je déviai mes pupilles vers le soleil haut placé dans le ciel, mais la lumière qu'il dégageait n'était pas celle de mon jumeau. Silencieux depuis qu'il m'avait toisé au sommet de la bâtisse, Merope à ses côtés, et qu'il avait finalement saisi que j'étais tombée comme il le redoutait.

Je m'étais liée de chaînes qui affaiblissaient ou fournissaient la force contée dans les légendes des temps anciens qui avaient goûté à Éros avant que Aphrodite ne vienne offrir la légèreté, de peur d'apeurer les nouveaux mortels. Une montagne de laquelle la chute nous y mener, effleurant de ses neiges brûlantes les tempêtes et le soleil aveuglant. Les ombres des bois ne me protégeaient plus, et l'armure puissante était tombée.

Chaque pas dans la ville aux côtés du chasseur n'ajoutait que le poids du temps, celui qui s'abattait sur nos épaules à mesure que nous avancions vers l'horizon obscurcissant. La quiétude n'était qu'un leurre, et il n'y aurait pas de combat féroce. Uniquement une pointe qui se figerait dans son cœur, jaillissant des tréfonds de la lumière aveuglante lorsque mon jumeau le déciderait. Il ne voulait pas me voir sombrer dans ce piège que je savais mortel, car qu'importait s'il avait révélé à nouveau une partie de moi éteinte, il apportait la souffrance de la destinée et du sort réservé.

Apollon n'était pas la seule menace à Corinthe. Ces ombres que je sentais, qui suivaient nos pas entre les rues. Un danger duquel je ne me fiais pas. Corinthe était bien une ruche dans laquelle les murmures seraient saisis, mais Skotia s'en occupait, et Opis préparait les chasseresses aux côtés d'une Phoebe écartée du chemin. Je m'étais permise de sentir les douces sentences de la fraîcheur d'une âme heureuse. À force d'avoir des cœurs qui nous craignaient, ils devenaient tous ennemis qui ne faisaient qu'effleurer le seuil de mon royaume, restant des ombres aux abords des frontières, n'emplissant que de menaces. Rares étaient ceux qui parvenaient à m'atteindre, et ils n'avaient pas le temps de me toucher. Le seul avait été Candeon, mais le passé révolu de celui qui s'était avéré digne n'avait plus lieu d'être.

La poussière de la tablette en terre trouvée sur un rebord était la neige qui s'abattait sur une plaine, glaçant les membres, les éveillant en un matin que nous pensions éclairé comme les précédents. J'avais eu de la peine à décrypter les mots, mais ces consonances résonnaient dans ma tête.

Une menace qui suscitait mes démons, eux qui étaient inexpiables. Il n'y avait qu'un lieu où cette terre menait, les bas-fonds de Corinthe. Une menace qui se concrétisait comme Niobé ou d'autres de mes victimes, et j'avais ressenti la joie de chasser, et punir les effrontés.

Un craquement semblable au feu qui chantonnait éveilla mes sens, et je jetai un regard sur les parois vierges, fissurées, en-dehors de la ville et du palais. D'un mouvement d'une discrétion aussi invisible que mon souffle qui s'échappa d'entre mes lèvres, je sortis l'un des poignards. Mes pas ne cessèrent pas d'avancer, mais mon doigt vint étendre le sang sur la lame, attirant mes démons menaçants, ces ennemies qui m'espionnaient, ces ombres qui de leur présence écartaient la méfiance aux éclats de lumière d'Apollon.

Une brûlure naquit au creux de mon cœur, le glaçant de la sauvagerie des forêts, et mes yeux ne cessaient de traquer les mouvements.

Les sons et les odeurs m'assaillirent, et mes membres s'impatientaient. La chasse ne tarderait pas, et serait terminée avant que mes sœurs et Hippolyte ne s'inquiètent. Un ordre, et ils n'avaient pas questionné davantage, connaissant ma solitude pour verser un sang qui à mes yeux ne valait rien, si ce n'était un défi lancé sans connaissance de cause.

Un sourire cruel apparut à l'instant où une ombre passa sur l'une des parois, furtive, mais visible. Je m'arrêtai, hésitant un instant à saisir mon arc, mais préférant sentir ma poigne sur leurs corps, je n'en fis rien. Des flèches n'atteignaient pas toujours l'invisible de l'abîme.

Un souffle s'abattit sur ma nuque, et je me retournai, ma lame venant fondre l'air à l'endroit de la jugulaire. Le vide se présenta à moi, et nulle présence n'était percevable. Je fronçai un sourcil, et ma main saisit mon deuxième poignard de chasse. Mon amusement et la légèreté de cette chasse s'évaporèrent pour laisser place à une expression aussi impériale et rigide que mes muscles. Je cessai de sous-estimer, et mon âme fut prête pour un adversaire à la hauteur de mes griffes.

Un cri féroce se propagea entre les rues, et je perçus la présence d'êtres qui approchaient, n'appartenant pas au monde commun des mortels. Leur sang n'était pas celui d'animaux, mais de créatures plus dangereuses. D'un rayon d'argent, mon carquois et mon arc se matérialisèrent. Je me saisis d'une flèche tout en faisant volte-face, et je visai.

La pointe d'or et d'argent fusa dans les airs et se planta dans une ombre qui se volatilisa comme du sable. Un démon d'orient, mais qui ne constituait aucun peuple par leur cri guttural. De simples esclaves, de simples soldats.

Une deuxième flèche fut encochée, et elle transperça d'autres êtres qui disparurent, mais mon sourire ne revint pas, et mon cœur se figea dans ma poitrine, tambourinant à une vitesse trop effrénée pour être sentie comme mouvement. Ils ne cessaient d'apparaître à chaque ruelle, envahissant l'artère dans laquelle je me trouvais, et les flèches qui n'arrêtaient pas de partir pour revenir ne faisaient que les affaiblir sous une odeur de sang brûlé.

Mes doigts caressaient les hampes, les faisant briller des maux des forêts qui explosaient dans la lumière de la lune, mais désormais ce n'était qu'une étoile dans un ciel noir qui n'était qu'à quelques pas. Ce furent les craquements derrière moi qui me retournèrent pour tirer ma dernière flèche avant que je ne saisisse à nouveau mes poignards.

Des pupilles étincelantes de l'ivresse de la chasse, des mouvements fauves et mon aura dégagée ne suffirent pas à me calmer. Je pensais à quelques ombres, et non pas à une armée.

Je plantai la lame sur la première créature qui m'effleura, et débutai une danse au milieu de ce nuage qui m'entourait. Leurs griffes acérées se plantèrent dans ma chair, et je retins un cri à la vue de mes veines devenant noires avant que l'ichor ne chasse le poison de la mort, mais il m'avait affaibli. Moi, une immortelle, une déesse, une reine. Et je me maudis de n'avoir pas pesé le danger.

Un cri de rage jaillit d'entre mes lèvres à l'instant où je laissai mon enveloppe disparaître pour ma forme la plus pure, et une tempête de sable se leva, composée des cadavres des créatures dissolues. Je sentis leur mort, et m'en délectai. Un vent puissant balaya les rues comme un souffle de colère divine, et le poison restant me fit tomber au sol.

La terre rougit mes genoux qui se redressèrent, les poignards visant la poignée de survivants dont les membres noirs comme les ténèbres de la guerre prenaient doucement un teint plus éclairci, celui des terres d'Orient, sans pour autant êtres humains. Un hiéroglyphe avait été marqué sur leur poitrine, faisant d'eux des serviteurs des dieux, des ombres.

– Que me voulez-vous ? scandai-je d'un ton impérial qui ne les fit pourtant pas reculer d'un pas.

– Vous parler, me susurra une voix derrière moi, au creux de mon oreille, et à l'intonation belliqueuse.

Je me retournai, et plantai ma lame sur son épaule, mais les démons chantonnèrent mon nom et l'homme face à moi plaça une amulette contre mon cœur qui me brûla. Je poussai un hurlement, la tête devenant un amas de nuages qui tapait mon crâne, lâchant mes poignards qui reviendraient trop tard.

Je gémissais de douleur, appelant des pouvoirs qui ne vinrent pas, et ma peau avait été marquée par ce sceau. Mes mains furent détachées de ma tête pour lier mes poignets, et mon corps fut traîné sur le sol, le noircissant de terre et de poussière. Je me débattis, mes mains cherchant à se libérer pour apaiser mes douleurs foudroyantes. Nul ne m'entendit dans ces rues à l'abandon.

Une douleur qui empêchait mes membres, mon corps d'être maître d'eux-mêmes, m'avait envahi. Le feu qui avait élu refuge sur ma poitrine ne cessait de prendre de l'ampleur, se logeant dans ma chair par ce symbole, en écho aux murmures de ces démons. Et d'un claquement, toute douleur disparue.

J'ouvris faiblement les yeux, et d'un mouvement sec, je tentai de bouger mes liens qui me maintenaient à une colonne en bois. Je jetai un regard à la pourriture, l'eau qui grignotait l'épave de cette maison abandonnée, mais de l'encre noire avait été marquée, des hiéroglyphes aussi anciens que les humains. Un pouvoir aux symboles, ancien, et puissant, compris-je bien vite.

– La magie de ces démons a fait en sorte que vous ne vous libériez pas.

Mes yeux foudroyèrent la silhouette qui se détachait de la pénombre, et je perçus deux ailes aux membranes démunies de plumes. Les bras de l'homme étaient rongés par une tâche noire comme des ombres, et ses yeux bruns possédaient des nuances orangées comme le feu. Quant aux traits, ils ne parvenaient pas à se détacher du manque de lumière dans la pièce, mais son teint venait de Canaan, ou les abords de la mer, et même des deux fleuves.

– Approche-toi, pour que je sache qui je tuerai lorsque je serai libre, car c'est une promesse. Nul ne survit dès lors qu'il m'a provoqué en conflit.    

Un silence envahit la pièce, et les ombres se murent d'une manière bien plus inquiétante que les précédentes que j'avais affronté, celles semblables à de simples soldats égyptiens. Des différentes dont je n'avais pas remarqué la présence, sans humanité, semblable aux enfers par leur noirceur. Ils n'appartenaient pas aux démons que je reconnus être d'Égypte bien trop facilement. À tel point, que j'étais certaine que l'empyrée de ce fleuve noir ne déclarait aucune guerre.

Les survivants aux hiéroglyphes brillant sur leur poitrine m'entouraient, leurs lames plantées à terre. Les mouvements nouveaux appartenaient à un différent empire encore inconnu, et dissimulaient de ma vue l'homme qui m'avait mené ici.

– J'ai des ordres. D'un côté, de vous faire parvenir un message. De l'autre, de ne pas me trahir, car c'est une autre guerre.

– Je ne connais pas la loi des enfers et de l'abîme, ni même celle des ailés, anges de la mort ou races immortelles qui jouent avec les ombres. Je suis une déesse de l'Olympe, de ce monde.

– Et moi, je suis un dieu à l'égal d'Inanna, sous sa protection. Et je me ferai un plaisir de te combattre, déesse. Malheureusement, cela sera pour une autre fois, clama-t-il avec véhémence, telle une déclaration de guerre.

– Si vous avez un tel esprit, pourquoi ne pas me libérer ?

Il ne dit mot, se détachant des ombres qui le protégeaient de ma vue, ceux venus des enfers, et je perçus l'esprit qu'il possédait. Il n'était pas un animal, mais une créature de la nuit sans pour autant appartenir au monde sauvage. Il n'était pas grec ni égyptien comme les démons qui étaient devenus rigides. Une alliance, mais d'où venait-il ? Que voulait-il à Corinthe ? Et quel lien avec moi, s'il existait réellement ?

Je le toisai, à mesure qu'il s'approchait, sans émettre un mouvement. L'une de ses ailes se détacha pour se poser sous mon menton, le soulevant davantage avant de s'écarter d'un mouvement semblable à la plume de la renaissance.

Il murmura des paroles akkadiennes, et je saisis trop tard leur sens. Telle une nuit de ténèbres, les ombres s'abattirent. L'énergie était primordiale, mais n'était pas celle de Nyx et de ses démons. Elle était plus guerrière, animée d'une passion supplémentaire, mais tout aussi obscure que la nuit et les étoiles.

Ma respiration se coupa subitement tout comme ma vue, et je me sentis être avalée entre deux mondes. Un vide viscéral naquit au creux de mon ventre, et mes reins se desséchèrent, s'approchant de la mort. Une lame d'or se posa au creux de mon cou, et dans mon esprit je perçus la puissance des esclaves de l'empire au fleuve noir. Une menace de mort qui se faisait ressentir à chacun de mes battements. D'une vengeance effrayante. Personnelle. Le message.

Nous te tuerons avant que Candeon ne te tue. Car nous ne voulons pas le voir se repaître de ton sang avant nous, qu'importe ses tromperies.

Je perçus entre les ténèbres sa silhouette se dessiner, avançant dans la nuit pour m'atteindre lorsque je serais assoupie, et je refusais, car ils se jouaient de moi. Ils mentaient, et si je restais un instant de plus, ils me tueraient. Les ombres ne parvenaient pas à leurrer sa silhouette que j'avais tant redoutée dont la lame s'approchait de mon épiderme pour m'assassiner. Je devais à ces instants puiser en ma puissance la plus pure.

Je laissai la douleur qui torturait les âmes par leurs abysses des ombres, venant des tréfonds des enfers et de leurs lois qui n'étaient pas les miennes, m'envahir. Je me concentrai sur la nuit, le pouvoir similaire que possédait Nyx et sa lignée, de la lune et de ma mère et dans la nuit, car il y avait bien un lien qui nous reliait, par Hécate. Doucement, je sortais des ténèbres, suivant les immortelles liées à cette puissance primordiale, mais qui cousines, possédaient une autre lumière qui aveugla un instant les entités, et leur magie.

Je rouvris mes paupières, percevant la porte devenue noire par le passage des ténèbres avant que la lumière argentée de la lune ne transparaisse à nouveau, marquant le temps passé dans cette torture. Je tordis mes poignets, brisant les lanières d'un éclat d'argent, et je me saisis de mes poignards pour les plonger dans les corps des démons égyptiens qui ne purent dégainer à nouveau leurs épées, et leur magie des mots.

Je lançai à travers les airs une arme qui se planta dans le dos d'un fuyeur, et je sautai sur le dernier pour l'abattre et l'achever telle une bête, plongeant la lame dans sa poitrine. Je fus tentée de plonger mes mains pour l'arracher et le réduire en morceaux. Ils se dissolurent entre mes doigts, et je fus déçue de les avoir chassés si vite.

– Plus que toi, dieu étranger, annonçai-je, me retournant doucement pour faire face à l'homme privé des ombres de l'être qui le contrôlait.

Il n'y avait aucune crainte dans ses yeux, ni d'ailes qui pourraient le faire s'envoler. Uniquement des iris qui s'enflammèrent comme ses bras recouverts des ombres, et d'un tatouage à étoile à l'emplacement de son cœur.

– Vous voulez un combat ? Réellement, déesse ?

– Être belliqueux ne vous servira à rien. L'esprit de la guerre n'est pas donné à tous, et ne vous sied pas. Tu n'es pas un guerrier, mais bien une créature de la nuit, des enfers, et des ténèbres. Mais cela n'empêche pas que tu sois devenu une proie. Ne joue pas avec le feu si tu te brûleras.

Un voile passe à cet instant sur ses yeux, et je compris sa nature. Celle du regret d'avoir acclamé une fois de trop, sa voix. Qu'importait sa condamnation, ma sentence serait toute autre.

Des ombres apparurent autour de lui, et un clignement d'yeux il se retrouva face à moi, des crocs luisants que je perçus à peine avant qu'ils ne se plantent dans ma gorge. Je poussai un cri de surprise à la douleur, à la sensation d'une bouche avide de ce liquide de vie en moi, et de mon sang qui coulait le long de mon cou, de ma poitrine et de mes bras.

Je tombai au sol, ma main tenant ma plaie en sang, et la dague d'Hippolyte avait fendu l'air, en vain. Il avait disparu bien trop vite, m'abandonnant après s'être nourri de mon énergie vitale matérielle, attirant l'écarlate et non la dorure.

J'abattis mon poing sur le sol, soulevant du sable qui fut emporté par le vent. Je me redressai faiblement, les jambes tremblantes par les ombres qui s'étaient faufilées dans mon corps en un avertissement. Celui d'ennemis inconnus, mais liés à Candeon. Et nul ne pouvait le savoir.

Titubante, je sortis de cette maisonnée aussi silencieuse que des fantômes, et me retins au mur. La lune brillait dans le ciel, et les étoiles de la nuit avaient fait fuir celle de la noirceur étrangère. Nyx avait abattu son territoire, et cet immortel avait compris que lui, et l'être qui le commandait, n'étaient pas les bienvenus sous cette voûte qui protégeait mes pas gauches qui rentraient à l'auberge sans croiser le moindre passant.

Ma main appuyait ma plaie qui se refermait doucement, ainsi que les griffures et le poison qui avait fui. La maîtrise sur ma personne n'avait plus aucune emprise sur moi, ceux qui l'avaient invoqué étaient morts, et la marque disparaîtrait bien vite. Du moins, l'espérai-je. Nul ne devait savoir, car la vérité mènerait à Candeon, et je n'y pouvais rien si ce n'était attendre. Cette menace détachée tarderait à se révéler, et serait accompagnée. Pour l'heure, ils semblaient être bannis par le pouvoir primordial qui envahissait les rues à mon appel.

Les divinités anciennes, issues d'avant les temps, n'appréciaient pas la présence d'étrangers. Et certains noms avaient été oubliés, au contraire d'autres. Leur essence se déposait dans celle des divinités des empires, mais parfois il y avait l'éther aux nuances. Comme la Nuit, et les ténèbres que possédait l'homme au message.

Quant aux démons d'Égypte, ils servaient l'assassin qui souhaiterait me tuer avant Candeon. Les tromperies du criminel, avaient-ils avancé, et mon souffle se mua en brume comme cette nuit lointaine. Une menace, un secret, ou un mensonge ? Je devrais l'ignorer, mais Hippolyte ne me tuerait pas, qu'importait les silences que nous avions dissimulé jusqu'au moment opportun qui ne s'était pas encore présenté.

J'abattis ma main sur la porte qui s'ouvrit sous mon poids, et je poussai un gémissement à la première marche de terre que je gravis, tenant mon ventre et la brûlure qui s'estompait doucement, gravissant jusqu'à une chambre annexe dans un coin, bien vivante.

Ce furent les yeux violets de Skotia qui se posèrent les premiers sur le hiéroglyphe, se détachant des plantes qu'elle préparait dans cette salle, et une dernière brûlure l'anima avant qu'il ne disparaisse.

– Artemis ? résonna la voix de Phoebe.

– Rien, uniquement une chasse plus difficile que je ne l'avais pensé. J'ai besoin d'un bain. Skotia ?

Elle murmura des mots en direction d'une bassine en terre cuite utilisée également pour les tombeaux. Elle était suffisamment grande pour nous accueillir dans cette pièce annexe faite de poteries. L'eau qu'elle contenait fuma au fil des flammes violettes qui l'entouraient, jusqu'à ce qu'elle devienne brûlante.

– Où est Hippolyte ? demandai-je tout en me dévêtant, et jetant plus loin ma tunique tachée de quelques gouttes de sang.

– Il ne tardera pas. Que s'est-il passé ? insista la fille d'Hécate, descendante de Nyx. Tu es salie, et ces marques étranges. Ton cou saigne.

– Une chasse qui a mal tournée, et ce n'est que la trace d'autres blessures, dissimulai-je de mes mots.

– Que chassais-tu ? persista-t-elle, et je lui jetai un regard en biais.

– Des êtres semblables aux créatures de ta mère, des démons, ou Deavtukulilu.

– Ne joue pas sur ce terrain-là. Même les rois des dieux les craignent, Artemis. S'ils te menacent directement, tu me le diras. Je peux te protéger.

Son expression était ferme, ses yeux en amandes avaient formé des rides au coin de ses yeux par sa crainte. Je perçus transparaître à travers son corps sa nature véritable à l'évocation de ces êtres qui lui étaient semblables.

– C'est par chance, réglé. Rien de personnel, ajoutai-je. Tu n'as pas d'inquiétude à te faire. J'ai besoin d'être seule, ordonnai-je, glissant mes jambes hâlées dans l'eau, et je les entendis disparaître, refermant la porte.

Mon corps se laissa submerger et je fermai les yeux, ma tête noyée. Je soufflai un soupir d'aise qui se propagea dans l'eau à mesure que mon corps remontait et qu'uniquement mon visage soit à l'air libre. Mes bras frottèrent de courts instants ma peau pour me nettoyer avant que je ne me laisse me reposer comme au fond de l'océan, d'une source sauvage ou dans la mousse d'une clairière.

La brume se dissipa tout autant que la magie et l'épuisement, et je me remémorai ces ombres jaillissantes, cette magie égyptienne alliée à cet homme qui n'était là que pour contrôler l'exécution de la menace. Un éclat différent sur une fresque, une tache sur une peau, une strie sur une poterie.

Mon esprit se laissa emporter dans le calme paisible de l'eau, une ambiance apaisante semblable à la cascade aux roses, et je laissai ces menaces retomber. Elles n'étaient pas les premières ni ne seraient les dernières. Je devais oublier, et atteindre qu'elles se manifestent, ou que les réponses se révèlent.

Des doigts brûlant malgré l'eau chaude se posèrent sur mes épaules, les massant doucement, et un soupir de plaisir s'échappa, devenu voluptueux comme nos gestes. J'ouvris lentement les paupières, et les lèvres d'Hippolyte se posèrent au creux de mon cou, déposant des baisers sur mon visage dont mon front, jusqu'à trouver les miennes. Des décharges parcoururent mon corps entier qui l'appela, et mes seins jaillirent de l'eau un court instant de mouvement.

– Alors, princesse ? me questionna-t-il, continuant avec douceur à apaiser les douleurs de mes muscles. Cette chasse ?

– Mes sœurs t'ont-elles parlé ?

– Elles ont dit que c'était des ombres, pourquoi ne pas nous avoirs laissé t'accompagner ? Les enfers ne sont pas ton terrain.

– Phoebe et Skotia sont toujours occupées, commençai-je, et il me coupa, m'obligeant à tourner la tête pour apercevoir son visage au sourire narquois.

– Il y a moi. Un chasseur aussi talentueux que moi n'aurait pas été de refus, n'est-ce pas ?

– Toujours une grande estime, à ce que je vois. Tu es mortel.

– Et un loup puissant.

Je le giclai, et son rire envahit la pièce, mais je ne joignis pas le mien, préférant sourire, et plonger mes doigts dans l'eau. Des filets se levèrent doucement, aux reflets des eaux des forêts et de ses sources sauvages, indomptables. Mes doigts pivotèrent, et ils l'attrapèrent, le tirant dans la baignoire dans laquelle il tomba, aspergeant le sol et m'écrasant. Et à cet instant, mon rire s'échappa, accompagné par le sien, la malice envahissant son visage, ses traits toujours détendus et certains. Ses yeux étaient semblables aux aurores boréales, si pers aux nuances qui se fondaient à merveille.

Il se redressa, se nichant dans le fin espace qui restait et ses iris surnaturels brillèrent, se détachant des lueurs des lampes à huile et de la lune qui se faufilait par l'ouverture. Ce sourire au coin qu'il m'offrit effaça toute crainte et doute quant à Candeon, et aux menaces de mort qui se mêlaient à tant d'autres. L'amour était bien étrange, au point d'écarter la lame du creux de nos gorges.

Nos lèvres se scellèrent en un baiser tendre et aimant, l'eau dégoulinant sur nos visages, et éloignant nos démons. Nos corps ne faisant plus qu'un dans les ténèbres de nos nuits que nous illuminions, car la forêt sauvage, à l'obscurité dangereuse, était notre domaine. Et nul ne pouvait s'y aventurer sans goûter à nos flèches, car nous chassions et vivions aux côtés de notre passé à la nuit qui était éclairée par de simples astres qui nous maintenaient sur notre chemin.

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