40. Âme-sœurs

« He is Half my Soul
As the Poets say»
« Il est la moitié de mon âme, comme le dise les poètes »

Doucement, je me sentis émerger d'un sommeil de rêves blancs et d'une nuit merveilleuse. Les oiseaux gazouillaient autours de nous, emprunts de vie. À travers mes paupières, les rayons d'un soleil puissant traversaient pour me garder éveillée tout comme ses doigts qui caressaient ma joue et ma chevelure. Couvée par les yeux les plus mirifiques au monde.

Je souris tandis que les souvenirs de la veille revenaient sans faire naître la honte, mais un bonheur pur, heureuse d'avoir pris le bon choix que je ne regrettais pas un seul instant, sentant le besoin qu'il soit là pour nous compléter d'une manière différente qu'avec mon frère. Une autre moitié, une autre âme-sœur accompagnée d'un amour tout aussi puissant.

Les conséquences me souciaient peu, bien au contraire, je m'amusais déjà des réactions, sachant que je provoquais d'une manière plus brutale. Nul ne nous séparerait, car c'était ma décision, et mon destin, celui que je souhaitais.  Nous allions jouer avec le feu, et les choix qui susurraient les regrets. Et j'en ferais mon égal, car il était à moi, et je décidais de sa destinée.

Il avait remarqué que je m'étais éveillée bien que je gardais les yeux clos, mais je pouvais deviner le sourire au coin qui s'était dessiné. Je sentis son souffle s'approcher de mon cou avant qu'il n'y dépose un baiser délicat, puis il déplaça ses lèvres pour les déposer sur mon front, puis il vint effleurer ma mâchoire avant d'embrasser ma bouche avec un amour sans fond.

Je me délectai de nos lèvres scellées et de ses bras qui rapprochaient nos corps nus, parvenant à me faire oublier cette guerre que nous traverserions main dans la main, sous le sang et les larmes. L'amour l'accompagnait toujours, ce n'était un mystère pour personne. Raison pour laquelle la rose les représentait.

Un cri retentit, brisant notre enlacement, et j'ouvris les paupières, croisant deux autres pers. Hippolyte rabattit la couverture, qui autrefois était le tissu de ma robe, pour entourer nos corps qu'il saisit par la taille, m'écrasant contre lui d'un geste possessif sans me quitter des yeux avant qu'il ne les dévie vers les bois. Je suivis sa vue visée sur un point, et mes joues s'enflammèrent, faisant naître l'envie de disparaître loin sur une île inconnue de la mer.

– Je ne sais pas si me sentir soulagée, ou surprise, ou les deux, bredouilla-t-elle sans nous quitter du regard, perdant sa contenance habituelle. Je ne m'y attendais pas, réussit-elle à finir tandis que la deuxième tentait de nous fuir des yeux sans dire mot.

Elle revenait pourtant sur nos deux corps enlacés sous un tissu difforme au centre de quelques vêtements, et éléments de ma coiffure qui n'étaient plus retenues, tombant librement sur mes bras et épaules.

– Phoebe ? Skotia ? m'étonnai-je aussi gênée que les barbares.

À tel point que mon visage dans sa totalité était cramoisi. Et que je souhaitais disparaître sous les bras d'Hippolyte, et ce fut une pensée qui ne m'aurait jamais effleuré l'esprit auparavant.

– Que faites-vous ici ? questionnai-je enfin.

– Nous étions venues te chercher en pensant que quelque chose t'était arrivé, nous expliqua Phoebe, et dans sa voix je sentis qu'elle avait passé une nuit inquiète. Mais je vois que vous, allez bien.

– Pour aller bien, ils vont bien. Nous allons vous laisser remettre quelque chose sur vos corps, je veux bien que nous soyons grecs, mais je préfère ne pas entrer dans cette intimité. Je reste à moitié Scythe. Phoebe et moi allons vous attendre par là-bas, le temps que la surprise passe, nous dit-elle, désignant l'intérieur de la forêt à l'abri de la vue que nous offrions.

L'instant suivant, elles disparurent entre les arbres, nous permettant de nous relever lorsque nous fûmes certains qu'il n'y avait plus de voyeurs qui pourraient nous surprendre dans cette position qui nous mettait dans une situation embarrassante. La surprise passée nous laissa libre cours de reprendre possession de nos membres, respirant à nouveau, mais les joues tout aussi rougies. Hippolyte déposa un baiser furtif avant que nous nous levions, toujours aux aguets.

Il s'habilla rapidement et sans un mot, m'aida à me vêtir à mon tour après que j'aie fait de même avec lui pour les épingles qui devaient être retrouvées avant d'être accrochées. Nos yeux et sourires parlaient à la place de nos voix, il n'y avait pas de mot suffisamment puissant pour partager ce que nous ressentions.

Lorsque nous fûmes fin prêts, nous prîmes une grande aspiration bien que les battements de nos cœurs eussent ralenti. Apercevant mon mal aise dans cette situation nouvelle, il enlaça nos doigts afin de m'inciter à me décoller du sol et affronter mes sœurs qui se trouvaient plus loin, dos à nous. À l'instant qu'elles entendirent nos pas, elles se retournèrent, le visage ni sombre ni lumineux. La pénombre totale.

– Nous sommes désolées de nous être introduites dans votre tente intime, s'excusa Phoebe sans obtenir la moindre réponse de ma part.

– Nous avons juste besoin de réponses, continua Skotia, les yeux excités. Vous êtes, quoi ? questionna-t-elle, et pour simple réponse nous nous embrassâmes devant elles sans autant de gêne qu'auparavant, comme des jeunes qui découvraient ce qu'était l'amour, et je ne me sentis pas honteuse pour la première fois.

– Je crois avoir ma réponse, et je pense que vous allez bien vous amusez les chasseurs sauvages, glissa-t-elle, les lèvres étirées dans un sourire qui m'incommoda.

Elles se jetèrent un regard avant de nous observer à nouveau, en particulier le bras d'Hippolyte qu'il avait passé autour de ma taille, exprimant ainsi clairement les attentions et les sentiments qu'il avait à mon égard sans laisser l'once de doute avec laquelle Skotia pouvait jouer. Mais elle le retourna contre nous, poussant à l'unisson avec Phoebe un cri aigu.

–Vous êtes adorables ! s'exclama Phoebe presque plus heureuse que moi.

Mais tout comme Skotia qui tentait de se réjouir, il y avait dans leurs yeux cette lueur préoccupée qui persistait, me prouvant qu'une chose inquiétante avait eu lieu durant cette nuit. Bien qu'elles tentaient de glisser une place à leur joie, leurs pupilles étant ailleurs mentaient. Et je fus heureuse que mon lien avec la nature ait crée un cocon qui éloignait les intrus en cette nuit.

– Vous avez été si lents ! se plaignit Skotia, fixant le ciel avant de nous regarder à nouveau, et mordillant sa lèvre, continua : Pourtant vers la fin, vous avez été rapide. J'en étais si certaine que Phoebe me doit un bracelet, Phoebe ? interpella-t-elle ouvrant d'un grand geste son bras, maintenant sa paume vers le haut sous le nez de la nymphe.

– Pourquoi donc ?

– Tu étais certaine que l'amour prenait du temps et que durant Corinthe, rien ne se passerait. Ton discours absurde qui ne prend pas compte les ardeurs, nous en avons la preuve juste devant nous. Même les bêtes sauvages ressentent des besoins, précisa-t-elle, et à l'unisson, Hippolyte et moi passâmes une main dans notre chevelure désordonnée par nos ébats nocturnes. J'ai affirmé le contraire, bien que je ne pensais pas que ce soit cette nuit de pleine lune.

Skotia venait de parler avec une désinvolture que s'en était presque un supplice d'entendre ses propos explicites qui en si peu de mots, décrivaient ce que nous souhaitions garder pour nous. Sans vouloir en partager les propos avec un individu, proche ou lointain. Nos yeux la fuyaient désormais, remontant la rougeur à nos joues qui s'était envolée et provoquant un gloussement chez la fille d'Hécate qui s'en délectait.

– Tiens, souffla Phoebe, lui tendant un bracelet qu'elle avait acquis la veille en échangeant des plantes sauvages, me faisant réaliser que je trouvais inapproprié, mais à la hauteur de Skotia.

– Vous avez parié sur nous ?

– Oui, qu'il y a-t-il de mal ?

– Je suis désolée qu'elles soient ainsi, mais c'est Skotia et Phoebe, murmurai-je à Hippolyte, navrée.

– Je les connais depuis quelques semaines déjà, me rassura-t-il, et je souris.

– Avez-vous fini de vous murmurer des secrets les tourtereaux ? questionna Skotia, agacée, mais avec un ton si romantique, qu'il me dérangea. Nous avons des choses à nous dire, sans toi Hippolyte, donc sois gentil, disparais de notre vue et inscris-toi à la course de chars.

– Course de chars ? questionnâmes-nous, étonnés.

– Non, course de pigeons. Il est évident que je parle de course de chars ! s'exacerba Skotia. Tu iras concourir pour ta belle parce que tu as une chance de perdre contrairement à elle.  Retenez-moi, je vais vomir, ajouta-t-elle.

Elle feignit un malaise qui ne nous fit pas réagir, et elle précisa ainsi sa pensée, sourire absent.

– Trop d'amour, tenta-t-elle avec une moue révoltée et grimaçante. Les prix sont appétissants et prends ton temps le grand méchant loup, se moqua-t-elle. Nous allons discuter avec Artemis, en ton absence, mais tu l'as deviné, pouffa-t-elle. Prends le chemin opposé au nôtre, seul. Je vais t'aider pour ne pas te tromper. Nous descendons à l'auberge. Les filles, il est temps de le laisser et s'il se perd, je n'en suis pas inquiète. Ne nous attardons pas, les murs ont des oreilles, murmure le vent, mais les personnes trop curieuses sont celles qui savent entendre, finit-elle d'une voix mystérieuse comme à son habitude.

Le tout en faisant toutefois preuve de désintérêt, comme si tout était frivole à ses yeux et je fus soulagée de la reconnaître. Il y avait un espoir que la nuit n'ait pas été si sombre, et par conséquent ce que j'avais effleuré ne soit pas si important.

– Cela te convient-il ? lui demandai-je à voix basse. Je sais qu'elles tentent de te couvrir d'activités de mortels pour être entre immortelles, et je suis navrée de cette séparation.

– Si cela te va, je le fais avec plaisir. Et après tout, je ne suis qu'un chasseur. J'ai appris à jouer sur mon plateau de jeu.

– Je ne suis pas contre, je le souhaite même, répondis-je, me mordant la lèvre face à son ton doux. Je veux savoir de quoi ce mortel de qui je suis tombée amoureuse vaut.

– Je la gagnerai, tu peux en être sûr, me confirma-t-il, si sûr de lui, comme à son habitude. J'appartiens également au monde du divin, ne l'oublie pas. Je pense être à la hauteur, princesse.

– Avez-vous fini de chuchoter ? Je vous ai demandé de cesser ! nous interpella Skotia, empêchant l'éclat de se former.

Hippolyte déposa un dernier baiser qui me fit rougir, peu habituée à ces petites attentions sous une lamentation de Skotia implorant la pitié de ces actes qui semblaient la révolter. Ou jouait-elle cette comédie dans le seul but de nous mettre mal à l'aise et nous empêcher de tomber dans le jeu ridicule de l'amour que j'avais toujours fui ? Les roses étaient enivrantes par moments.

Souriante, je le vis disparaître à travers les bois, le cœur léger, avant de me retourner face à elles. Leur visage s'était métamorphosé, affichant une mine dépourvue de toute plaisanterie. Je déglutis, connaissant ces yeux assombris par une horreur abattue dans les ombres de la nuit, au milieu des rires festifs. Mettant ainsi fin à toute célébration d'un simple coup de lame qui taisait à jamais les voix, les laissant muettes d'effroi, emmenant doucement par la main l'âme innocente dans les ténèbres du malheur.

– Nous devons parler, marchons, m'ordonna presque Skotia, me menant à sa suite, permettant à mon cœur heureux se recouvrir d'un voile de deuil coléreux comme les orages, déterminée à en savoir plus.

– Je vis sans peine que vos airs joyeux, vous ne faisiez que les prétendre, attaquai-je la première, me mettant à leur niveau.

Les sourcils froncés avant de me détendre lorsque Phoebe me lança un regard qui habitait encore la lumière. Elle m'informa de son sourire empli des douceurs d'une fleur, que je me laissais emporter trop vite dans les courants du combat.

– Nous sommes ravies que vous soyez ensemble, débuta Phoebe, approchant le sujet d'une manière tendre. Tu renais, ton cœur bat à nouveau avec lui, il te fait revivre, te faisant gravir les monts, contrairement à nous qui n'avions été capables que de te maintenir à flot après, les accidents. Vous êtes destinés, et nous sommes heureuses pour vous. En particulier d'avoir réussi à ce que vous vous aimiez à la lumière du soleil et ne laissant plus ce sentiment tapi dans les tréfonds de votre cœur. Les sœurs servent à cela, à s'entraider, à atteindre notre destin. Nos cœurs sont illuminés dès lors que le tien l'a également été, finit-elle, me provoquant un élan de nostalgie à ces instants passés avec ma précédente famille.

Ses membres, nos proches, notre sang, nos âmes, nos sentiments plus forts qu'air et roche, que ciel et mer. Des êtres rassemblés dans un simple mot, famille, que nous aimions à notre manière. De cette façon plus solide que l'éphémère amitié, tout aussi puissante que l'amour des âmes destinées à s'unir. La famille était le passé, le présent et notre avenir, illuminant le cœur, partageant nos ressources, nous entraidant à gravir les nuages.

Il y a bien longtemps, sous les éclats de rire et les étoiles, profitant d'une vie qui nous convenait, échangeant des liens imbrisables, des personnes qui me comprenaient plus que quiconque. L'une qui faisait office de figure de proue, la paternelle qui m'avait manqué, et l'autre ma moitié, celle qui ressentait ce que je sentais.

Il y a bien longtemps, nous avions partagé ces mêmes promesses, désormais, tout était enterré dans la poussière, m'abandonnant. Il ne m'était plus inconnu que dans la famille, les trahisons débouchaient aux peines de cœur les plus douloureuses, provoquant un trou béant qui jamais ne pourrait être rempli, ni même par l'oubli. Et en cet instant, je ressentais le vide que lui ressentait malgré mon âme en joie. Apollon et Artemis seraient toujours liés.

– Que se passe-t-il ? Skotia ? insistai-je.

– Je suis moins méfiante à son égard et je suis de l'avis de Phoebe. Malheureusement, je ne parviens pas à me réjouir depuis hier soir.

– Que s'est-il passé ? répétai-je d'une voix plus ferme.

– Des attaques, des meurtres, lâcha-t-elle froidement.

Je sentis une flèche se planter sous mon cœur, s'enfonçant profondément dans ma chair, faisant couler mon sang d'une manière anodine. Les cris, je n'avais pas rêvé, j'avais pensé aux illusions qui à la tombée de la nuit, me chuchotaient leurs douleurs à travers les ombres. Étais-je réellement la seule à les avoir entendus ? Je n'avais pas le moindre doute, ces meurtres n'étaient pas le fruit de l'ivresse, me poursuivaient-ils donc jusqu'à Corinthe ? Et silencieusement, je remerciai la nature d'avoir éloigné tout être de notre clairière.

– Qui ?

– Te souviens-tu des hommes, les mercenaires, qui nous toisaient ? me demanda Skotia, et je hochai la tête. Ils ne sont jamais revenus à la fête, et ne reviendront jamais. Ils ont été retrouvés morts, m'avoua-t-elle encore une fois par petits bouts.

– Comment le sais-tu ? Dévoile-moi l'histoire d'une seule traite, ne fais pas durer le mystère, m'exaspérai-je. Je suis la souveraine, et pour être digne, je dois connaître toutes les pièces et informations. Sinon, je perds.

– J'étais avec le cercle, commença-t-elle nullement impressionnée. Ils nous ont appelées pour inspecter les corps, leurs corps. Lacérés de toute part, la gorge tranchée bestialement, les membres et cœurs arrachés pour certains d'une manière horrifique. Une jeune a même vomi ses tripes. Un véritable massacre. Bien qu'il ne soit plus aussi sanguinaire qu'autrefois, il ne nous a pas été difficile d'en deviner le peintre. Le criminel du sud, il est revenu nous hanter, mais ce n'est pas tout. Les victimes étaient des loups à lycaons et non pas de nouvelles recrues, mais des anciennes, des simples suiveurs. Le chef manquait à l'appel ce qui signifie qu'un lycanthrope obéissant à Lycaon se promène à Corinthe ainsi que le criminel du sud. Comprends-tu donc notre inquiétude ? Nos cœurs qui menaçaient de perforer eux aussi notre poitrine à chaque lumière dans la rue, à chaque bruissement des feuillages du vent, craignant qu'un d'eux t'ait saisi et que tu n'aies pu, pour la première fois, te sauver ? Tu es saine et sauve, c'est ce qui importe, souffla-t-elle si soulagée, que je pus voir le poids s'ôter de ses épaules au mouvement de sa poitrine qui extirpa l'air bloqué dans ses poumons.

Muette, je n'ajoutai mot, refusant de leur avouer qui était Hippolyte, et ressentant encore moins l'envie de lui dire à lui, que je connaissais son secret et ses crimes. Je comprenais le soudain changement de vêtement, ma longue attente, et les blessures qui cicatrisaient sur son épiderme purifié avant de me rejoindre, ôtant par ce geste toute trace de son meurtre.

Je ne le jugeais pas pour ses actes, mais je n'en comprenais pas les raisons. Elles m'échappaient. Quel combat l'avait-il rattrapé ? Et pourquoi ne pas m'en parler pour que je puisse le protéger ? Ou craignait-il de me mettre encore plus en danger, moi qui menais ma guerre. Mais ne combattais-je pas aussi Lycaon dont ses loups avaient été assassinés par ses mains ? Je me sentais égarée, mes lèvres scellées de crainte d'ouvrir de nouvelles fuite dans la montagne. Il me faisait confiance, cela allait donc au-delà des puissances d'une déesse, mais bien d'une affaire privée.

– Sais-tu quelque chose ? me questionna Skotia, lisant sur mon visage, et je fis disparaître mon expression anxieuse.

– Non, je ne sais rien.

– Ni Phoebe ni toi ne savez quoi que ce soit, rien entendu, rien vu ?

Phoebe avait abaissé les yeux, aussi silencieuse qu'une sépulture. Elle nia d'un mouvement délicat de sa tête qui fit voleter sa chevelure bouclée. Je l'imitai tandis que les iris étincelants de Skotia nous inspectaient sans obtenir satisfaction. Je lui mentais, l'avait-elle décelé ?

La nymphe, quant à elle, ne mentait jamais, incapable même de fausser ses paroles, révélant l'éclat de la vérité innocente. Pourtant, sa réponse à peine soufflée m'insuffla le doute. Elle devait être bouleversée, mais elle n'était pas aussi fragile. Je la connaissais suffisamment.

– Un loup est donc en liberté, résumai-je la partie qui m'intéressait le plus. Penses-tu qu'il pourrait être, commençai-je, hésitante, sentant ma bouche s'assécher.

– Le bras droit de Lycaon, son grand bêta dans ces meutes barbares du continent ? Le chef de guerre le plus puissant qu'il n'ait jamais existé ? finit Skotia, et je hochai la tête.

Un mouvement qui espérait que cet orphelin élevé par un monstre pour en devenir un, transformé contre sa volonté suite à la mort de toute sa famille comme tant d'autres, mais qui avait su s'élever, restait enfermé sur une île bien loin d'ici. Sans la possibilité de commettre ses cruautés par sa force et son sens de débrouillard qui lui accordait une part de lucidité pour survivre, tout en plongeant dans la folie de l'appel du sang. Il restait fidèle à son maître qui l'avait enlevé, et à son armée. Un véritable chef de guerre qui avait était contraint à être celui du mauvais camp. Il avait fait s'agenouiller tant d'armées que l'affronter était un écho à la mort, et à la perte de ses forces.

Il était le plus fidèle, exécutant les ordres sans sourciller, mais d'une intelligence qui étonnait plus d'un. Né pour mener, un guerrier qui aurait pu tant valoir. Il m'avait été difficile de le capturer, et de le battre. Une bête et un homme dans le même corps, pas aussi idiot que les autres lycanthropes bien plus animaux, mais un meurtrier qui tuait sans distinction, par devoir, d'un mouvement sec. Les légendes contaient que dans son sang coulait celui de la chasse sauvage du nord.

Certains murmuraient que sa nature n'était pas ainsi, que la malédiction avait pris place dans sa conscience. J'y croyais, mais les faits étaient là. Sa capture avait frôlé l'échec si Skotia n'avait pas réussi à l'arrêter de sa magie, remarquant que mes flèches le freinaient péniblement. Phoebe s'était également mise en colère, pour cause, elle ne nous avait pas accompagnées. Elle n'avait pas apprécié, bien que nous avions tenté de lui expliquer que pour elle, c'était un risque.

Elle refusait toujours d'écouter les légendes et les murmures à son sujet. Ceux que nous avions récoltés pour mieux le cerner, et l'abattre.

Skotia ne pouvait se tromper sur l'origine des loups, elle me cachait des évidences, mais je lui accordais ma confiance, la sachant puissante. La guerre était plus proche de ce que je pensais. Ils m'espionnaient, et s'il était de retour, sans que je ne sache la manière avec laquelle il avait brisé sa prison, j'étais en danger.

Les yeux étaient rivés sur moi sans que je ne les voie tapis dans l'ombre, attendant leur heure, s'attaquant à des mortels par plaisir, tuant sans ressentir le moindre remords. Tout comme moi à ces instants qui laissaient derrière eux des démons.

– Penses-tu que les dieux sont au courant ? questionna Phoebe d'une petite voix.

– Il se peut, Artemis, tu es convoquée, n'est-ce pas ? Au conseil, ils doivent certainement vouloir te parler de cela. Les mouvements prennent sens, que t'ont-elles dit ? Athéna et Aphrodite ?

– Rien, mentis-je. Si les lycanthropes sont ici, cela signifie donc que les prisons ont été ouvertes ? réalisai-je, la mine songeuse, et j'obtins une approbation de Skotia qui tentait de trouver ce à quoi j'en voulais en venir. Merope est princesse de Chios, n'est-ce pas ?

Je lui jetai un regard et découvris ses sourcils froncés avant qu'ils ne révèlent ses yeux. Tout comme moi, son esprit venait de comprendre l'objet de mes futures craintes, d'une ennemie, d'une victime ou tout simplement d'une femme piégée dans la guerre.

– Penses-tu qu'elle a fui son royaume, feignant l'ignorance des faits pour se protéger ? L'Olympe est-il au courant ? demandai-je, n'obtenant que deux regards dépourvus de toute lucidité dans une logique qui nous échappait.

Pourtant, nous savions que si je disais vrai, la peine à son égard pouvait naître, mais elle avait su attirer notre animosité. Qu'importait ce qu'elle avait vécu. Elle n'avait pas le droit de se comporter telle une harpie.

Mais, tout cela n'était-il qu'une armure comme je portais la mienne pour me protéger du monde extérieur ? Elle était, à ma connaissance, l'unique habitante de cette île à se trouver sur le continent et dans cette guerre. Elle n'était pas innocente, elle ne le pouvait pas. Quiconque y était impliqué avait perdu sa pureté, et elle connaissait Candeon. Comment ? Je préférais l'ignorer.

– L'Olympe devrait le savoir et j'espère qu'ils tiennent les rênes, murmurai-je plus pour moi-même.

Mon âme était devenue anxieuse au sujet de cette histoire qui prenait des ampleurs que j'ignorais possible, annonçant le pire qui arrivait comme un souffle chaud sur notre nuque plongée dans l'ombre. Et mes poils s'hérissèrent, frissonnant et ressentant ce danger, et mes bras vinrent s'entourer, ne trouvant pas mes armes habituelles ni même mon diadème laissé.

– Ce que tu avances semble être vrai, débuta Skotia, se plongeant dans une profonde réflexion, posant son index sur son menton, et fixant tantôt le ciel et la terre. Cela expliquerait bien des faits, les formes se dessinent d'une logique qui me plaît.

– Comme quoi ? m'emportai-je. N'arrives-tu pas à partager ne serait-ce qu'une information ? C'est ma guerre, à moi. Je devrais en savoir davantage.

– Pas pour l'instant, répondit-elle, daignant à peine me regarder, une lueur mystérieuse et coupable dans ses iris qui semblaient se mouvoir. Je dois vérifier par moi-même avant de te partager ne serait-ce qu'une hypothèse. Tu dois te souvenir de mon frère, Ambros, et son frère d'armes, Melagaptel. Tu les as croisés justement à la fête de Chios. Des mercenaires au service de la reine. Ce jour a été la dernière fois que je leur ai parlé. Depuis, je n'ai plus de nouvelles d'eux. Je vais reprendre contact, faites-moi confiance, finit-elle, nous regardant tour à tour.

– Skotia, insistai-je, mais elle me coupa sans le moindre scrupule.

– Laisse-moi jouer mes pièces, car je n'y suis pas impliquée, et c'est un avantage rare sur un plateau de guerre qui nous intéresse. Il vaut mieux se taire, nous sommes arrivées. Ils sont partout désormais, et puis aucune de nous n'allait s'exprimer.

Elle nous dépassa, ouvrit la porte de l'auberge et monta à la hâte en toute conscience que je lui mentais, et qu'elle continuerait à me cacher ce qu'elle savait. Le regard noir qu'elle avait lancé à Phoebe ne m'était pas passé inaperçu. Et bien qu'elle soit celle qu'il fallait protéger, Skotia ne l'avait jamais regardé de cette lueur coléreuse dans le regard, la provoquant de remuer les lèvres ne serait-ce que pour la questionner.

Phoebe n'était pas la seule qui devait être préservée de la colère des divinités et de ceux qui avaient été punis, envoyés à leur sort pour un affront, un crime commis à l'encontre des lois célestes. Hippolyte avait une lame glissée sous le cou, prête à lui trancher la gorge au moindre pas à la lumière du jour. Je l'avais condamné, j'avais lié à ses poignets mes propres liens qui me retenaient au destin tout comme lui avait su devenir ma faiblesse, ma force et par conséquent, mon ennemi mortel.

Nos démons s'étaient désormais mélangés pour venir grossir les nuages obscurs du chaos qui se profilait à l'horizon. Nous les trainions sur le sol, laissant perler la sueur sur nos fronts, avançant et s'enfonçant dans la terre à chaque pas, espérant un jour courir librement dans les prés. Nous ne pouvions pas les détruire, et songer à faire la paix avec eux était synonyme de succomber à leurs désirs cruels.

Les menaces de mon frère guettaient, son passé attaquait, notre lien le murait dans mon temple éternellement en flamme. J'ignorais les conséquences de chaque acte, permettant au rêve de planer avant que les cauchemars ne m'éveillent.

– Lave-toi et change-toi, m'ordonna Skotia d'une voix plus détendue, tout en me désignant une robe et une bassine à mon entrée dans la chambre.

Sans aucune protestation, je m'exécutai, réfléchissant à cette princesse, à ce chasseur et aux lycanthropes avant que, d'un geste ample de la main qui provoqua une secousse de ma chevelure, je fis s'envoler ces pensées déchirantes qui me mèneraient sans cesse au temps d'antan. Skotia avait raison, il fallait avancer au risque de rester en arrière et non plus seulement apprendre du passé d'une vue extérieure, mais y rester plongée.

– Alors ? me questionna Skotia tandis que je finissais d'enfiler ma robe couleur sable.

– De quoi parles-tu ?

– Hippolyte, toi, précisa-t-elle avec naturalité.

– Skotia, un peu de pudeur ! s'exclama Phoebe, embarrassée pour nous.

– Nous sommes comme des sœurs.

– Vous êtes mes sœurs, précisai-je d'une sincérité venue des tréfonds de mon cœur fragmenté.

– Vois-tu ? Cesse donc de faire cette tête, tu es une nymphe ! la taquina-t-elle avant de se tourner vers moi, le regard insistant.

– Je ne vois pas où tu veux en venir, feignis-je l'innocence tout en sortant de la chambre puis de l'auberge, me dirigeant vers la grande place suivie de deux curieuses aux pupilles intriguées qui ne souhaitaient uniquement qu'une chose, que ma langue se délie.

– Cesse de faire ta vierge, tu ne l'es plus, même Phoebe a compris la mauvaise fille que tu as été hier ! s'exclama-t-elle dévergondée. Hier, répéta-t-elle, sous la lune, raconte-nous. Nous sommes de pauvres chasseresses qui avons fait vœu de chasteté à jamais et qui ne pourrons connaitre les plaisirs de la chair, se plaignit-elle, hurlant dans la rue et attirant des coups d'œil dont elle se moqua royalement.

– Je vois que vous voulez réellement savoir ?

– Oui ! lâcha Phoebe avant de baisser les yeux, honteuse par son intérêt sous nos gloussements amusés. Pas dans les détails, mais... comment était-ce ?

– Bien, soufflai-je, les joues cramoisies.

– Bien, c'est tout ? répéta Skotia, relâchant ses bras le long de son cœur.

– Je ne vais pas vous le décrire !

– Pourquoi pas ? Nous avons dit pas beaucoup de détails, mais des petits avant-gouts...

– Skotia, la remit à sa place Phoebe que je remerciai avant de préciser à la sorcière qu'elle n'obtiendra rien de plus.

Elle ne me lâcha pourtant pas, laissant ses paroles virevolter dans les airs aux illusions indiscrètes qui me poussèrent à accélérer le pas jusqu'à ce que la construction de bois ne nous surplombe. Les hennissements des chevaux qui arrivaient pour être préparés brisèrent l'harmonie des mots qui dansaient dans les cieux, accompagnés des effluves.

Skotia nous saisit chacune par un bras et nous faufila à travers les passants jusqu'à trouver une vieille femme qui vendait des pains. Elle lui en acheta deux. Je saisis le mien et sa texture moelleuse et chaude fit gronder mon ventre affamé. Je savourai tranquillement mon mets sous les yeux abattus de mes sœurs.

– Nous sommes trop curieuses, attaqua à nouveau Skotia sous les acquiescements de Phoebe. Deux détails, rien de plus.

– Nous sommes dans un lieu public.

– Nul ne nous entendra, et parle de lui comme Orion, son nom court déjà les rues.

Je pris une grande aspiration, hésitante, mais n'ignorant pas qu'elles étaient les seules avec qui je pouvais me permettre de partager cette expérience unique dans une existence. Celle de l'amour réciproque, aussi profond que les abysses des forêts, imbrisable ainsi que la terre, et inflammable tout comme le bois.

– Bien, mais vous vous tairez, l'Olympe n'approuve pas ma protection accordée à Hippolyte. Imaginez donc s'ils découvrent que je suis l'amante de Orion, plaisantai-je, obtenant une promesse.

Je me penchai vers elles, et nos messes basses ne furent entendues que par nous, leur partageant cet instant qui m'était si important et que, secrètement, je les savais désireuses de vivre la même histoire qui pourrait être contée par les poètes à jamais.


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Bienvenue sur ce nouveau chapitre
Et nouvelle partie qui s'annonce longue!

Deux chapitres de son passé au rdv!

Et oui!
Les trois sœurs se cachent des secrets et lorsque le mensonge s'incruste dans un même camp, au sein d'une « famille » même si elle n'est pas de sang, ce n'est jamais bon!

Mais qu'importe!
Encore un peu de tranquillité avant
L'Action!

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