38. Habillement
« We stop checking for monsters
Under our beds
When we realised
They were inside us»
Les yeux rivés sur le sol poussiéreux qui soulevait les poudres sédimentaires du temps à chaque pas posé dans un monde où chaque chose, un jour ou l'autre, fanait dans les airs cendrés du passé peu à peu lointain. Le cœur battant, je suivais mes sœurs à travers Corinthe, le corps présent, l'esprit absent. Les déesses ne le savaient pas, ne connaissaient pas ce lien, mais lui, m'avait-il reconnu ?
La réponse m'échappait et je n'y décelais pas le moindre indice dans ses mouvements qui pouvaient me rassurer, ou au contraire, me hurler de l'abattre sur-le-champ avant qu'il ne le fasse. Les traits restaient pourtant gravés dans la mémoire. L'impression d'avoir rencontré un être au détour d'un croisement, avant que nos routes ne se séparent pour se lier une nouvelle fois des années plus tard, tiraillait l'âme jusqu'à ce que l'image se superpose au souvenir.
Pouvais-je mourir ? Être trahie ? Il ne semblait pas vouloir me tuer, du moins plus, nous semblions être devenus amis, pardonnés par nos passés sombres, ne souhaitant que devenir plus humains, mais cela pouvait n'être qu'une illusion pour m'abattre. Qu'importait s'il était venu à moi, ignorant mon second nom que je dissimulais.
Hippolyte ne tarderait pas à savoir qui j'étais, il le savait même déjà, à l'instant où il comprit le lien entre Oarion, Diane et moi-même. Les yeux écarquillés, je doutais désormais que ce ne soit par l'horreur de l'acte que j'avais commis, mais au contraire. Il avait réussi à placer un fragment de son passé sur l'autre bout cassant qui constituait mon âme, se mariant sans détour.
La promesse de me tuer, celle qu'il m'avait susurrée à l'oreille d'une voix cruelle me fit frissonner. Je priais les anciennes divinités que sa promesse de couper mon fil de vie par vengeance se soit tarie, emportée par le vent des années qui tombait sur les plaines réchauffées par le soleil. Et les paroles qu'il m'avait soufflé sous la lune de Calydon prenaient tout leur sens.
Il ne semblait pourtant pas me vouloir du mal, et il me l'avait dit lui-même de son regard empli d'un profond désespoir, d'un passé qu'il préférait garder enfoui, et qu'il m'avait pardonné quand bien même j'avais senti ces instants où ses doigts hésitaient à me tuer tout comme moi. Mais il était passé par-dessus, enfouissant son passé. Il n'en était pas fier, il avait changé, mais disait-il vrai ? Ou se jouait-il de moi pour m'amadouer ? Une âme en restait une, la noirceur restait tapie, il avait peut-être tout simplement écarter ses menaces de mon cœur, comme il me l'avait affirmé à travers des mots déviant d'une conversation superficielle.
Je le croyais, le danger n'était pas aussi proche de ce que je le pensais, différent de la guerre. J'allais rester sur mes gardes malgré la confiance et la protection que je lui avais accordées, sans émettre ce qui naissait en moi et que je m'efforçais à nier. Une belle ironie du sort.
Une question restait sans réponse, l'une qui mettait mon existence en péril dans ce feu brûlant. Qui l'avait payé pour tuer une immortelle ? J'étais Diane, ils me connaissaient comme la chasseresse du nord, mais ils me savaient immortelle. Me tuer était inutile, je me réveillerais le temps venu, dépendant de la blessure infligée à mon corps.
Devaient-ils penser que j'étais ces êtres à la jeunesse éternelle, mais qui une mort suffisait pour qu'ils ne reviennent plus hanter les vivants, ou jusqu'à ce qu'ils soient élevés au rang des dieux ? Les légendes sur nous, immortels, contaient que nous avions besoin de l'ambroisie, des pommes en particulier comme au nord, à Asgard, pour garder notre jeunesse et vivre.
À nos débuts sur terre, nous goutions à ce fruit réservé à nous seules divinités et interdites aux humains, cueillis d'un arbre sacré et parfois planté dans nos jardins. Les pommes nous permettaient d'être pleinement divins jusqu'à ce que le sang de notre espèce se grave. Ensuite, nous y avions simplement pris goût, et nos pouvoirs pour certains étaient revigorés. Elles permettaient également de donner la vie éternelle à nos bien-aimés, mais le vol était sévèrement puni si le fruit ne nous était pas destiné.
Un simple lait pour les enfants, ou pour comme dans certaines nouvelles civilisations, un fruit pour vivre éternellement, ou plus longtemps. Les Laifairt en faisaient partie, certaines espèces du moins. Ils jouaient avec, et en faisaient payer le prix aux mortels.
– Artemis ! me tira de mes pensées aussi stridentes que mon faucon Skotia qui me tira par le bras, me ramenant sur mes pieds. Sauf si tu souhaites marcher un peu.
Elle rit, amusée de ma mine perdue tout en m'obligeant à entrer dans un commerce ordonné par sections de beauté qui me firent plisser le nez de dégoût de ces lieux. Des étoffes riches, des tuniques cousues, des produits de beauté, des bijoux, des sentences florales. Les nausées me prirent face à cet amas de couleur trop bruyant, m'en faisant même perdre mes sens et ma concentration. Je préférais les lieux moins engagés, uniques et rustiques, mais elles le faisaient pour me faire plaisir, je ne pouvais pas refuser.
Elles me firent prendre place sur un tabouret de bois sur lequel je m'assis avec méfiance. Je fixai le mur devant moi et observai d'un coup d'œil la petite table sur laquelle reposait une surface de bronze, un miroir. Les quelques femmes et hommes qui riaient, choisissant leurs luxures, ne nous prêtaient pas attention. Sans aucun doute des nobles, des riches, et en vue de leurs ongles et maquillage noir, ils étaient sans aucun doute orientaux.
Phoebe apparut dans mon champ de vision et posa des objets dont j'ignorais l'utilisation sous mes yeux, sifflotant une mélodie emplie de bonheur. Que manigançaient-elles ? Deux mains fermes me saisirent par les épaules et je sentis les ongles longs de Skotia teintés de rouge s'enfoncer dans ma chair sans douleur.
– Que se passe-t-il ?
– Un peu de temps entre filles pour cette session de beauté ne te fera pas de mal.
––Vous le savez, ces endroits, je les fuis plus encore que les trappes à divinités.
– La grande fête est ce soir, continua-t-elle sans se soucier de ma remarque. Tu dois attirer le regard du chasseur, il faudra le sublimer et nous allons t'y préparer. Ce lieu est parfait, il m'a été recommandé.
– Il est hors de question ! criai-je un brin apeurée tout en me redressant, mais toutes les deux me remirent à ma place, me faisant comprendre qu'il m'était vain de les combattre.
Je passai une main dans mes cheveux désordonnés, déliant la lanière de cuir pour les libérer. La lèvre pincée, je puisais au fond de moi cette partie qui trouvait cet instant futur amusant. Elles savaient me sortir de mon territoire, me menant sur des terrains escarpés que je fuyais, mais qui pourtant pouvaient me plaire, réussissant à faire que j'y prenne goût. Elles savaient s'y prendre, je leur donnerais ma vie toute entière.
Prendre le reste de la journée pour moi, me faire du bien d'une manière qui m'était inconnue, celle de se faire belle pour soi-même, mais surtout découvrir une vie différente avec mes sœurs. Oublier ces jours, oublier le chasseur que j'avais accueilli et qui avait tenté de me tuer, oublier la guerre, oublier que j'avais perdu mon jumeau, oublier que j'avais tué Oarion, oublier cette Érinye de Merope, oublier l'Olympe et la cible que j'étais. Oublier tout cela et plus, laissant dans un recoin de ma tête et profiter de ce cycle lunaire à Corinthe, en paix, sans soucis.
Jour par jour, nuit par nuit, les démons nous rangeaient voracement, prenant parfois possession de nos êtres tandis que d'autres, nous les maîtrisions. Ils faisaient partie de nous, notre côté de noirceur, nous rappelons constamment que nos mains n'étaient pas pures, que notre esprit n'était pas en paix, que nous n'avions pas trouvé notre chemin. Le noir et le blanc, le bien et le mal combattaient en nous et eux agrandissaient les ténèbres. Ils vivaient en nous, se nourrissant de l'obscurité de nos vies. Ces appels, ma folie, ces crises, ils étaient leur fruit.
Je l'acceptais, j'étais un monstre. Hippolyte pourtant me faisait sentir humaine, me comprenait mieux que quiconque, me disant que je n'en étais pas un. Il savait ce qu'était de ressentir ces tourments, l'avait-il lui vécut ? Son passé était obscur et ses mots compatissants. Il était un Loup, il était le criminel du sud qui avait provoqué une frayeur en moi. Cet homme vivait au milieu de ces tourments, et tentait de m'en sortir.
Aujourd'hui, je n'allais pas me laisser abattre, mais qu'en serait-il de demain ? Réussirais-je encore à combattre cette chose qui me rongeait, survivant dans mes hauts et bas sans creuser ma tombe de mes mains sanglantes, effleurant uniquement cette folie sans la saisir de mes doigts brunis ?
Je lui avais promis de ne pas céder. Je n'étais pas seule. Tous m'avaient promis qu'ils seraient là pour moi. Pourtant, je savais ce que valait les promesses. Elles n'étaient que des paroles, il ne fallait jamais se fier. En sortir vivante et succomber était une question que je me posais seule et dont uniquement moi pouvait y apporter le souffle de la réponse. Chaque jour était un combat, une guerre constante, mais ici à Corinthe, je me séparerais pour un temps de cette obscurité, profitant de la lumière qui brillait et éclairait cette ville dorée. Je souris, j'avais le droit au bonheur, ne serait-ce qu'une graine de grenade.
J'étais toutefois consciente qu'à travers les soupirs, la guerre se préparait. Et les yeux dorés de Phoebe étaient désormais, pour un instant, enveloppés dans une mission aux côtés d'Opis et Callisto. Une simple mission, celle d'obtenir des armes commandées à Héphaïstos, et parer les chasseresses. Daphné, si elle passait comme promis, serait sans aucun doute une belle aide aux trois femmes menées par Opis, la chasseresse en qui j'avais le plus confiance.
Un simple geste, des armes pour la guerre et des attaques, mais cette mission avait elle aussi été emportée par ces instants de bien-être avec mes sœurs, nous arrangeant pour la grande fête.
De leurs mains expertes, Skotia s'occupait de mes cheveux, se disputant, et Phoebe de mes mains, plus précisément de mes ongles, les peignant d'une couleur aussi noire que la nuit. Comme autrefois, lorsque je vivais encore à l'Olympe, elles s'occupaient de moi bien qu'elles ne soient plus mes servantes.
– N'exagérez rien, soufflai-je, plaisée des caresses du peigne qui apaisaient mon cuir chevelu.
– Nous te connaissant, nous savons que tu n'apprécies pas ressembler à une statue sortie de chez le peintre.
– Que t'a dit Aphrodite ?
– Rien d'important, Phoebe.
– Parle, insista Skotia.
Je ne souhaitais rien leur avouer, ne pas leur révéler mon lien avec Candeon. J'y étais moi-même perdue. Donner des arguments à Skotia de se méfier, préoccuper Phoebe sans raison, les intégrer dans cette histoire qui n'était pas la leur était exclu. En particulier Phoebe, l'innocence et la bonté pure, celle qui n'avait pas autant souffert.
La noyer dans cette guerre ne serait jamais notre attention à Skotia et moi, nous étions d'accord. Un pincement s'éveilla dans mon cœur, je n'aimais pas leur dissimuler des secrets. Un mensonge en entraînait d'autres jusqu'à ce que notre langue devienne noire. Le serpent qui mordait éternellement sa queue, l'ouroboros, mais en temps de guerre, les mystères étaient nécessaires.
– Tout comme vous, m'agacer avec Hippolyte, dis-je avec un calme imposant un silence, mais je sentis que la sorcière doutait de mes paroles.
– Parlant du chasseur, comment va votre relation ? demanda-t-elle sans vergogne.
Je rougis sans répondre, jusqu'à ce que Phoebe entame une autre mélodie dont elle transforma l'air de sa voix mélodieuse. Je sentis à l'arrière de ma conscience la lame qu'il avait glissée pour m'égorger.
– Arrête de te voiler la face.
– Je me demande si tu rêvasses, reprit Skotia excitée.
– Je suis déjà lasse, répondis-je croisant les bras et me prêtant au jeu.
– Il y a vraiment tout qui coordonne !
– Il flirte sans vergogne !
– Taisez-vous, je commence à être en rogne ! m'exclamai-je, tournant brusquement la tête ce qui m'arracha un cri de douleur lorsque mes cheveux furent tirés.
– Cesse de rouspéter ! protesta Skotia tirant ma chevelure en arrière avec un dernier coup de peigne avant de se saisir de quelques accessoires.
– Cesse donc de bouger ! dit à son tour Phoebe, immobilisant mon visage pour me maquiller avec des coups de pinceau précis, appliquant un khôl.
– Cessez donc de parler.
– Dis-toi qu'il est beau...
– Ne mets pas cette chance en lambeaux...
– Cessez de vous donner le flambeau !
– Je me demande si toi aussi..., commença Phoebe avant d'être coupée par Skotia.
– Tu rêves de te donner à lui ! cria-t-elle presque, me gênant et attirant les regards curieux des étrangers présents pour qu'ils commèrent.
– Cessez, je vous prie ! criai-je réellement cette foist, sentant mon visage devenir cramoisi, car je refusais une évidence qui s'imprégnait dans mon être.
– Tu as l'air en colère.
– Il faut que tu changes d'air.
– Votre duo m'exaspère...
– Je crois que nous avions raison.
– Ce sera avant la prochaine saison.
– Pitié arrêtez de parler avec ce ton !
– Ce ton est légèrement poétique ! précisa Phoebe innocemment
– Ce ton est assurément pronostique ! s'exclama d'une voix toute contraire Skotia, et j'imaginai bien la lueur de ses yeux.
– Ce ton est trop romantique !
Elles gloussèrent, se taisant enfin, mais ne me laissèrent pas en paix pour autant, me forçant à me lever et m'emmenant dans une pièce dissimulée par un rideau de lin. Elles m'ôtèrent la robe sans me laisser le temps de rouspéter, et m'aidèrent à me vêtir d'une autre. Elles me sertirent d'un collier et de bracelets d'or et de pierres, laissant mes oreilles en paix.
– Je crois que tu es prête, reprit soudainement Phoebe.
– Tu seras sa dernière conquête.
– Avez-vous perdu la tête ? m'étonnai-je par ces avances qui jamais n'auraient imprégnées nos esprits lorsque je l'avais menacé de ma flèche.
Elles me saisirent chacune par un bras et me firent traverser la pièce sous les regards avides de ragots des visiteurs que je foudroyai du regard, les obligeant à reprendre leurs commérages.
– Tu es vraiment belle à voir.
– Regarde-toi dans ce miroir.
– Oh cieux quel cauchemar ! m'exclamai-je les yeux au ciel, lasse de leurs tentatives.
Puis, je me vis sur la surface du métal froid qui reflétait une jeune femme perdue. La robe verte ni trop longue ni trop courte épousait mon corps tout en restant ample, s'arrêtant en dessous des genoux. Les manches tombaient avec délicatesse sur mes épaules, laissant un voile flotter sur mon dos. Une ceinture or et argent entourait ma taille fine, révélant mes cuisses fermes.
Ma longue chevelure laissait libre court à ses mouvements qui dansaient sur mes omoplates, très légèrement relevées. Deux rubans se mariant à ma ceinture avaient été tressés dans ce chignon qui laissait mes cheveux avec une liberté maîtrisée. Un bracelet en forme de loup entourait chacun de mes bras, quant au maquillage, il n'y avait plus que le khôl qui me donnait des yeux félins.
Belle, humaine, innocente, mais d'un dangereux désir sauvage. Qui se douterait que derrière la jeune vierge se cachait une déesse brisée en combat éternel contre ses appels obscurs qui criaient dans son âme ? Une main se posa sur chacune de mes épaules.
– Nous t'avions dit que tu étais belle.
– Tu es enfin prête à voler de tes propres ailes...
Les yeux devenus humides face à cet instant d'un bonheur si pur, révélateur de la colombe au rameau, telle une goutte d'or immaculé qui reposait au creux de notre paume, je les pris dans mes bras. Mon cœur les remercia de cet instant de joie si semblable à mes jours à l'Olympe, jusqu'à ce que Skotia, elle aussi émue tout comme Phoebe et moi, ne me mette en garde contre mes larmes et le maquillage, provoquant un rire tandis que nous nous détachions.
– Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas gâcher votre travail, commençai-je avant de les observer, étonnée. Comment cela se fait-il que vous vous soyez changées aussi vite ? Vous vous occupiez de moi.
– Pas tout du long. Au départ, voyant que tu étais perdue dans tes pensées, nous en avons profité. À tour de rôle. Nous avons été tes servantes, nous te connaissons suffisamment.
– Je ne sais pas ce que je serais sans vous, ajoutai-je, les prenant une dernière fois dans mes bras.
Elles avaient été les seules à avoir toujours été là, sans m'avoir laissé un seul instant. Elles comptaient presque tout autant que mon jumeau, elles étaient aussi mes sœurs, ma famille. Elles m'avaient suivi, connaissaient cette part impériale que je possédais malgré mon désir de liberté sans me critiquer. Si des personnes sur ces terres autre que me sang, mes moitiés, pourraient me sauver, c'était elles.
– Il faut y aller, nous proposa Phoebe d'une voix fragile par sa sensibilité.
– Il est temps de faire chavirer les hommes ! s'extasia Skotia, nous saisissant par le bras pour nous faire sortir de la boutique sous les regards amusés des femmes et hommes plus âgés qui avaient dû voir passer les jeunes, et je me retins de la corriger sur nos penchants.
– As-tu payé ?
– Évidemment, mais là n'est pas l'important. L'aimes-tu ? Sois aussi franche que moi, me mit-elle au défi.
Je baissai les yeux, laissant quelques mèches recouvrir mon visage grenade par des sentiments que j'espérais ne jamais ressentir. Cette sensation d'un cœur emballé à travers des vagues puissantes d'une tempête qui emportait notre ventre, se tordant dans les méandres avec une puissance qui pouvait s'avérer destructrice, s'entortillant dans nos âmes, aveuglant nos sens dangereusement. L'amour s'apparentait au premier et dernier souffle, liant des êtres jusqu'à la mort qui ne pourraient pas se séparer au risque de dépérir. Ce sentiment qui bravait tout interdit, amenant aux folies, mais aussi aux remèdes. Un tourbillon sans fin d'un rouge carmin.
– Sois sincère avec toi même, nous sommes seules.
Les paroles douces que me murmura la nymphe ne firent qu'accentuer les tambourinements de crainte contre ma poitrine. Ce renouveau faisait de moi une chimère, imposant à mon esprit ce que j'avais renié. Je me sentais dépourvue de toute logique, mes convictions étaient bafouées par mes propres pas qui les réduisaient au silence. Départagée entre diverses pensées, je leur fis part de cette sensation qui, tombant dans le vide, je me sentais malgré cette chute retenue par une liaison naissante. Comme soutenue par un ruban liant deux âmes.
J'avais toujours combattu, tous ceux qui s'opposaient à moi tombaient sous ma rage, mais cette fois-ci, je me laissais emporter dans ma perte. J'étais égarée et je ne parvenais pas à le réduire en cendre. Car à chaque étincelle, le feu prenait en ampleur, un feu différent du précédent, un sentiment tout aussi rouge.
Je devrais le savoir après ce temps écoulé, cette évolution, comme me le disait Skotia agacée. Je refusais d'écouter mon cœur hurlant, mais l'accepter signifiait dépasser l'une de mes rares limites si elle n'était pas l'unique. L'amour ravageait, je l'avais aperçu, je l'avais vu. Mon cœur et mon esprit devaient le susurrait d'une seule voix, laissant mon âme le choix. Les paupières fermées, je départageais ce combat intérieur, laissant les nuages éclaircir le cœur réchauffé avant que je ne confesse mon pêcher qui pourrait me faire tomber.
– Il est le seul homme qui fit réellement battre mon cœur. Je suis tombée amoureuse de lui, finis-je par avouer, et je me surpris moi-même.
Des couinements excités s'échappèrent de leurs lèvres, sautillant tout en se tenant les mains, me jetant des regards qui me poussèrent à dévier le mien. Elles n'ajoutèrent pas un mot, sachant cette révélation difficile, mais dans leurs yeux j'y lus un soupçon de fierté ainsi que la promesse d'y mettre du leur en cette soirée étoilée. La sagesse issue de l'expérience joueuse de Skotia catalysait la brillance de ses iris.
Nous gravîmes la colline, en silence, suivant le chemin éclairé par des torches, laissant la ville derrière nous, s'éloignant jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière les arbres, mais je sentis des regards dissimulés dans les ténèbres, des ombres ressenties sur le sable.
Une clairière se dévoila, les faisant fuir, si immense qu'elle en devenait presque plaine. Les habitants et visiteurs avaient délaissé la ville pour se joindre à cette fête dont le nom était connu à travers la nuit. La fête qui annonçait le début des festivités. Des feux étaient allumés un peu partout, accueillant les danseurs sous la musique entraînante, buvant du vin sans fin.
Quelques regards se tournèrent vers nous et je serrai les poings, me retenant de les soumettre ou de fuir, tentant de me remémorer les souvenirs des temps passés à ces fêtes dont l'ambiance m'était tant appréciée.
– Je reviens, s'exclama soudainement Phoebe.
Nous tournâmes notre attention sur elle, étonnées qu'elle s'exprime, et qu'elle annonce qu'elle se séparait de nous. La nymphe ne prêta aucune attention à nos mines abasourdies, préférant disparaitre dans la foule.
– Est-ce moi, ou est-elle partie sans la moindre explication ?
– Je crois bien Skotia, sais-tu ce qu'il se passe ?
– Je suis désemparée pour la première fois, mais elle a dû voir une connaissance. Je te laisse trouver le chasseur, quant à moi, je dois parler avec la supérieure du cercle.
– Pourquoi ? m'enquis-je.
– Bientôt, tu le sauras.
– Me laisses-tu donc seule ? paniquai-je.
– Tu dois bien flirter seule, nous n'allons pas le faire à plusieurs, se moqua-t-elle. Et arrête de faire cette tête, vous n'êtes plus ennemis, ni alliés, et encore moins amis. Le temps avance, ma chérie.
Elle tourna les talons, s'éloignant et s'amusant de mon visage qui avait pâli. Je la vis saisir le bras d'un jeune, tournoyer avant de caresser son torse, puis de l'abandonner comme elle en avait l'habitude sans être toutefois suivie.
Refusant de rester telle une statue, je me dirigeai vers les amphores de vins aux côtés des viandes et pains qui reposaient sur une table de bois. Je m'accoudai à l'une des immenses amphores dissimulées derrière les autres, presque dans les arbres, et attendis, promenant mes yeux dans l'espoir de le trouver.
L'homme pour qui des sentiments étaient nés. L'homme qui avait tenté de me tuer, et qui souhaitait peut-être encore ma mort, lorsque ses yeux semblaient clamer l'amour. Je ne parvenais pas à comprendre ces sentiments en moi, contradictoires, mais un seul en ressortait, celui qui m'apaisait.
Les visages étaient éclairés par ces nuances rouges, laissant le reste du corps se mouvoir dans le noir, devenant des silhouettes mystiques. Je parvenais pourtant à distinguer plus aisément les formes dans le monde nocturne, mais échouais dans les ténèbres des mystères.
– La déesse Artemis en personne, m'interpella une voix.
Je tournai la tête, me détachant de l'amphore de terre, détaillant la jeune femme aux yeux émeraude perçants et à la chevelure ondulée si brune, qu'elle en paraissait noire. Un sourire de harpie sur un visage aux traits fins. Je reconnus Merope qui jouait la carte de l'hypocrisie, et je grimaçai intérieurement avant de libérer une partie de mon aura divine. En vain.
– Comment allez-vous depuis Calydon ? Le vin est-il parti ? se préoccupa-t-elle faussement.
– Je me porte bien, et votre amie la reine ?
– Une amie ? ricana-t-elle avant de claquer la langue. Je vous en prie, elle m'écoutait, je la conseillais pour un court moment, voilà tout. Je suis certaine que vous êtes familière avec l'hypocrisie ? Amie hier, inconnue aujourd'hui, ennemie demain. Parlant de tout cela, comment va Candeon ? me demanda-t-elle, appuyant chaque syllabe de son nom. Je ne l'ai pas encore aperçu.
– Pourquoi l'avoir dit à mon frère ? l'attaquai-je sans toutefois encore la menacer.
– Je n'en sais rien, commença-t-elle rêveuse. Il est si...C'est Apollon.
– Je peux vous faire passer d'amante à femme rejetée, la menaçai-je. Et vous pourriez subir mon courroux.
– Je doute qu'il fasse ce que vous lui demandez. Pour l'instant, il m'écoute plus que vous. Et si vous me touchez, dites-moi sur qui retombera le courroux du dieu ? Votre dernière famille ? Je doute fort que vous voudriez la briser.
– Il vous a juste mis dans son lit, rien de plus, ne l'oubliez pas, assénai-je, me retenant de la tuer sur place, mais ses mots étaient si vrais que je me savais prise au piège.
Je détestais cette sensation, et à la fois je m'étais promis que ma famille était pour l'éternité. Passant avant toute chose, même le manque de respect.
– Votre frère me mit plus d'une fois dans son lit, je compte tout autant que vous à ses yeux, répliqua-t-elle avec une sincérité qui me prit de court.
Je grimaçai pourtant, sachant qu'elle chuchotait des mots à l'oreille de mon jumeau. Il pouvait devenir aveugle en bonne compagnie, en particulier des femmes qui s'avéraient bien plus manipulatrices que les hommes en ces temps changeants. Tout comme Merope.
– Ne t'approche pas d'Hippolyte.
– Jalouse ? Ne vous inquiétez pas, bien que je doive vous avouer que j'attendais quelque chose de lui, mais j'ai trouvé mieux.
– Mon frère ?
– Nous ne sommes pas amies à ce que je sache. Nous ne nous devons aucune explication.
Je grinçai des dents, me retenant de la frapper, de la maudire devant un tel affront. Mais désormais, elle était la protégée de mon frère et la toucher m'était interdit sous peine de subir un courroux aveugle. Et comme elle l'avançait, je ne pouvais pas mettre en péril ma dernière famille.
– Vous pouvez m'appeler belle-sœur, je vous laisse, me murmura-t-elle. Sachez que ce n'est que le début de la guerre.
La princesse porta la coupe à ses lèvres, sourire de vipère. Elle jeta un regard derrière moi avant de me fixer à nouveau, puis recula de quelques pas, me faisant un signe de la main qui n'était pas un adieu, mais un au revoir. Puis elle tourna les talons, me laissant sur les nerfs, et des pensées inquiétantes.
Merope était plus dangereuse de ce que je pensais et, derrière ses airs d'ange, elle dissimulait un démon prêt à tout. Une manipulatrice, une femme fatale à tous ceux qui croisaient son chemin, et qui avait su attirer dans ses filets de pêche mon jumeau.
Souhaitait-elle devenir une immortelle ? Elle se damnait d'elle-même si tel était le cas. La première, elle ne l'était pas, enjôler un dieu avait déjà été testé et dès l'instant où la soif et le pouvoir menaçait de nous dépasser, ils chutaient du ciel. Certains étaient des exceptions. Ils appartenaient aux mortels nés pour rejoindre l'empyrée, comme les éternels qui n'étaient que des leurres, être qui meurent et renaissent indéfiniment.
Apollon ne pouvait pas la prendre dans ses bras bien longtemps comme il l'avait fait avec d'autres déjà. S'éprendre, pensant être l'amour et non pas le plaisir d'un soir. Je me devais d'agir, la détourner de mon frère et du destin qu'elle s'apprêtait à mettre en œuvre.
Merope était désormais mon ennemie, l'Érinye qui m'avait été envoyée, et elle toucherait à sa punition bientôt. Dès que mon frère s'en serait lassé, si elle ne le tournait pas contre moi avant. Je n'hésiterais pas à planter une flèche dans son cœur, et la voir se dessécher.
Une main se posa sur mon épaule, et je sursautai, sentant mon cœur se retourner dans ma poitrine dans une délicieuse douleur du feu avec lequel je jouais.
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